Antoinette, Fersen et... le fameux bal

En parcourant l'édition 2005 de la correspondance faite par Madame Lever, à la recherche des lettres à Fersen, je suis tombée sur un récit trop souvent négligé.

Un des grands hits des biographes à l'eau de rose est en effet la recontre entre la jeune dauphine et un certain comte suédois. Il faut avouer que les circonstances enflamment les plumes : c'est la nuit, un bal, et, qui plus est, masqué...

Mais, pas de chances, la relation de Fersen lui-même nous avait déjà passablement refroidis :

... il y avait une foule de monde : M. la Dauphine, Mr le Dauphin et le Ct de Provence y vinrent, et y furent au bal une demi heure sans etre connus, la Dauphine me parla longtemps sans que je la connus, enfin quand elle fut connue tout le monde s'empressa autour d'elle et elle se retira dans une loge, a 3h: je quittai le bal.

Bof... donc, avait bien dû conclure Alma Söderjhelm elle-même...  
https://maria-antonia.forumactif.com/bibliographie-f23/la-vision-d-alma-soderjhelm-t516.htm

... ce qui ne l'avait pas empêchée d'y aller de ces petits sous-entendus dont elle a le secret !  

Voici la relation que donne un autre témoin, le comte de Mercy (cf. Lever, p. 162)

Mme l'archiduchesse aime maintenant le bal plus pour y voir du monde que pour y danser. Les trois princes et princesses sont venus le 30 janvier au bal masqué de l'Opéra de Paris. Les mesures avaient été si bien prises qu'ils sont restés longtemps sans être reconnus de personne. M. le dauphin s'y comporta à merveille. Il parcourut le bal, parlant indistinctement à tous ceux qu'il rencontrait sur son passage, et leur tenant un langage fort gai et honnête, où entrait le genre de plaisanterie qu'admettait le local. Le public a été enchanté de cette conduite de M. le dauphin. Cela a fait grande sensation dans Paris, et on n'a pas manqué, comme cela arrive toujours en pareils cas, d'attribuer à Mme la dauphine le mieux que l'on remarquait dans la façon de se montrer du prince son époux. Mme la comtesse d' Artois a paru dans cette occasion, comme dans toutes les autres, fort indifférente, taciturne et d'un air d'ennui. Cette tournure déplaît ici à un tel excès que l'on se permet d'en faire une critique beaucoup trop libre, s'agissant d'une princesse de la famille royale.
Les princes et princesses sont revenus une seconde fois au bal de l'Opéra le dimanche 6 de ce mois, mais, pour cette fois, leur marche a été moins cachée, et, par conséquent, l'affluence de monde beaucoup plus considérable au théâtre. Il n'en est cependant pas résulté d'embarras ou d'inconvénients, et Mme la dauphine, qui ne s'est point démasquée, soit par le choix des personnes auxquelles elle par-lait, soit par les propos qu'elle leur tenait, s'est attiré tous les applaudissements et l'admiration dont le public s'empresse toujours à lui faire hommage.

Il s'agit du bal où Marie Antoinette rencontra Fersen, précise bien Madame Lever en note.

Nous épinglerons la précision du compte-rendu donné le 19 février 1774 par l'ambassadeur à son impératrice. Tous les détails importants y sont, et corroborent d'ailleurs ceux relevés par Fersen.

Comme d'habitude, nous noterons l'absence du nom de Fersen dans le récit de Mercy. C'est dire si ce moment, si crucial pour les romanciers, est en réalité de peu de poids...

Très bon rappel Pim

Et oui ces lettres montrent déjà qu'il n'y a pas eu coup de foudre entre la Dauphine et Fersen...elle s'est juste contenté de s'amuser et de siscuter un moment avec un inconnu qu'elle trouvait sympa, mais vu son état d'esprit lotrs de ce bal, je pense qu'elle aurait pris du plaisir à parler avec n'importe qui
Marie-Antoinette aimait ne pas être reconnue, elle prenait plaisir à se comporter comme n'importe quelle femme, sans avoir en retour les honneurs dûs à son rang. Elle aimait rire d'une telle situation
Le beau Fersen était bien loin derrière cet amusement

Oui ! Donc, le grand amour que supposent certains de nos amis, ce n'est déjà pas lors de ce bal qu'on peut en dater le commencement !  

Ah non ça c'est sûr

Lors de ce bal Fersen n'était pour Marie-Antoinette "qu'un" Suédois inconnu, et pour Fersen Marie-Antoinette était la Dauphine de France.
Et puis Marie-Antoinette n'a pas passé tout son bal avec lui, elle a juste discuté un petit moment c'est tout

pimprenelle a écrit:

Oui ! Donc, le grand amour que supposent certains de nos amis, ce n'est déjà pas lors de ce bal qu'on peut en dater le commencement !  

Hé ! Hé !  
Mais il ne faut pas que cela vous traumatise.
A noter tout de même que lorsqu'elle le reverra, longtemps après, elle se souviendra pourtant de lui : une vieille connaissance...  

Et pour cause, cher ami ! Ils s'étaient déjà vus, lors de la visite du jeune comte à Versailles.
https://maria-antonia.forumactif.com/bibliographie-f23/la-vision-d-alma-soderjhelm-t516.htm

Et la mémoire des reines se doit d'être proverbiale, n'est-ce pas ? Surtout face à un représentant d'une nation en passe de devenir amie.

Elle s'est souvenue de ce jeune homme qui, à ce qu'elle pensait, ne l'avait pas reconnue et avec qui elle avait discuté

... qui était un favori de Gustav que la cour se devait de, si j'ose dire, brosser dans le sens du poil, alors que Provence and co le regardaient à peine. Marie Antoinette avait plus de sens diplomatique !

Tu penses qu'elle pensait à ça pendant ce bal?

C'est vrai qu'elle était très diplomate, mais je sens qu'elle voulait surtout s'amuser

Mais non ! Je parle du retour du glorieux combattant à la cour, quand Marie Antoinette a reconnu en lui une "ancienne connaissance", et que certains interprètent comme une preuve d'amour, sans doute.

Ah oui là je suis d'accord, il lui fallait marquer une certaine reconnaissance, et puis le "c'est une vieille connaissance" reste bien plus amical à mes yeux qu'amoureux  

C'est clair que, si elle avait été amoureuse, elle n'aurait pu rien dire, les mots se seraient brisés dans sa gorge, elle aurait tremblé, manqué l'évanouissement...

Elle aurait rougi, détourné les yeux de manière géné, en se contentant de sourire sans rien vraiment dire
Mais là le "Ah! C'est une vieille connaissance", si spontané et si propre à Marie-Antoinette quand elle est avec ses amis, est vraiment amical à fond

C'est ça ! La plaisanterie du tac au tac qui ne trahit aucun trouble.

Et oui!
Marie-Antoinette était une jeune fille et une femme naturelle, communicative, qui n'hésitait pas à parler à n'importe qui quand elle en avait envie (ce qui lui a valu des reproches de la part de Madame l'Etiquette ).
C'est ce qu'elle a fait pendant ce bal, et aussi en 1778 quand elle a revu Fersen

pimprenelle a écrit:

Mais non ! Je parle du retour du glorieux combattant à la cour, quand Marie Antoinette a reconnu en lui une "ancienne connaissance", et que certains interprètent comme une preuve d'amour, sans doute.

Non, non tu te trompes sur mon compte.  
Tout qui me connaît un peu, pourrait te dire combien je suis prudent lorsqu’il s’agit de ce genre de preuves.  
Dur d’en trouver d’objectives.
Et en l’occurrence, faute de mieux (souvent, et encore plus ici !), ne sommes-nous pas contraints d’éprouver plutôt que prouver ?
Tu interprètes cette piste subjective là d’une manière : une bienveillante diplomatie.
Moi éventuellement d’une autre.
Les deux ne sont pas incompatibles du reste.  
Enfin, je ne fantasme pas seulement au gré de mes seules sensibilités et pseudo-intuitions ; ce que j’ai lu jusqu'à présent, de la nature affective de cette relation, m’incite à continuer plutôt sur la voie que ces auteurs (biographes ou mémorialistes) n’inondent pas pour autant d’eau de rose.

Du haut de ma petite expérience des choses de l’amouuuur, je me berce aussi de l’idée qu’un tout est plus que la somme de ses parties.
C’est comme disposer des ingrédients d’une recette, sans trop savoir à quel moment et comment les mélanger ; alors quant à les prendre seuls pour ce qu’ils sont…non, je t’assure, pas plus que toi.  
Mais soit, si je veux bien admettre que les plats les plus simples sont parfois les meilleurs ; je reconnais préférer les combinaisons aux multiples saveurs.
Aussi, entre autres choses, je sucre ou sale toujours de trop !  
Je ne suis pas loin de penser que toi aussi, et que nous ne pourrons décidemment pas préparer ce cake ensemble.
Heureusement, il nous reste le thé du Boudoir.
Lait, citron, nature ?  

Citation :

Non, non tu te trompes sur mon compte.  
Tout qui me connaît un peu, pourrait te dire combien je suis prudent lorsqu’il s’agit de ce genre de preuves.  

Oooooooh que oui... j'atteste tes dires...C'est prendre notre ami pour plus romantico-aveugle qu'il n'est, croyez-moi
Je pense que les choses de l'amour sont déjà de la part de chacun singulières mais qu'en plus elles varient du tout au tout en fonction des personnes que notre estime peut gratifier d'un tel sentiment...Aussi, la combinaison de telles données devient une notion si intimement particulière qu'il est peut-être présomptueux d'essayer de détecter des sentiments que Marie-Antoinette Elle-même n'a pas toujours su identifier en Elle tant le penchant amoureux n'était peut-être qu'une amitié des plus profondes...

Citation :

Heureusement, il nous reste le thé du Boudoir.
Lait, citron, nature ?  

Je sais que pour Pim ce sera avec une larme de fleur d'orange

Bien à vous.

Si je comprends bien, c'est à la confection d'un cake salé que vous me conviez ?  

Non merci, messieurs ! Je vous laisse mélanger vos ingrédients tout seuls.

Mais la confrontation de nos arguments est intéressante, car elle me permet toujours de m'interroger sur un passage qui n'avait pas encore attiré mon attention.

Ainsi, sans toi, jamais je n'aurais remarqué à quel point le détachement de ce "ah, mais c'est une ancienne connaissance" est incompatible avec le moindre trouble.

Je prendrai donc bien une larme de thé. Mais sans cake, s'il vous plaît...  

Mais avec une crèpe je parierais que oui  

Vous avez raison, dans cette "affaire" tout le monde ne fait qu'interpréter, vous, nous, les historiens, les romanciers, et je dirais même les contemporains de l'époque  

En ce qui me concerne j'ai toujours tendance à rester sur la solution la plus probable quand il manque des éléments de part et d'autres. J'ai tendance à attendre de lire de vrais éléments pour voir s'il faut que je change d'avis ou non  

Moi, je considérais au départ la liaison entre Marie Antoinette et Fersen comme un fait établi. C'était la conviction à laquelle m'avait amenée depuis bien longtemps la lecture des biographes de la reine, tels que Zweig ou Lever.

C'est la lecture des sources qui m'a amenée à remettre cette certitude en question.

C'est vrai, mais en lisant Bertière et même Lever j'ai compris qu'il y avait déjà des doutes
Et comme je me méfie de ce genre de pain béni pour les romanciers... :s:

Lever n'émet pas beaucoup de doutes. Bertière un peu plus, de même que Fraser. Elle pose la question, au moins, même si son avis est clair. Par contre, Madame Lever truffe ses commentaires de sous-entendus...

Il a fallu que je découvre les Girault de Coursac et Philippe Delorme pour voir posées des questions réellement pertinentes.

Lever ose plus dans l'hypothèse, mais déjà elle laisse le conditionnel pour la plupart des cas, et déjà ça m'a mis aussi sur la réserve

Relis la préface de son édition 2005 de la correspondance. C'est édifiant.