Jakuchu, le pieux laïcDepuis le 15 septembre et jusqu'au 14 octobre, le Petit Palais a présenté, grâce aux prêts exceptionnels des collections impériales du Japon, l’ensemble de trente rouleaux suspendus de soie, intitulé D_ō"_shokusai-e "Le Royaume coloré des êtres vivants" réalisé par Itō Jakuchū entre 1757 et 1766 environ. Peintre actif au milieu de l’ère Edo (XVIIIe siècle), Jakuchū est un artiste plébiscité au Japon pour la finesse de son pinceau et l’éclat de ses couleurs. Cette série, qui n’a jusqu’alors été exposée qu’une seule fois hors du Japon (à la National Gallery of Art de Washington en 2012) est considérée comme le chef-d’œuvre de sa vie. En raison de la grande fragilité de ces œuvres, cette exposition a été présentée de manière exceptionnelle pendant un mois dans le cadre de la saison Japonismes 2018.
Cette émission tente de percer les mystères de l'oeuvre d'Itō Jakuchū, véritable monument de la spiritualité au Japon, en compagnie de Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises au musée Cernuschi, le musée des Arts de l'Asie de la Ville de Paris, et de Christophe Leribault, directeur du Petit Palais.
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White phoenix and old pine, Jakuchu• Crédits : Petit palaisNé dans une famille de grossistes et marchands de légumes au XVIIIe siècle, Jakuchū reprend très vite le commerce familial. Ce n'est qu'à plus de 40 ans que l'artiste se consacre à la peinture. Art pictural auquel il apporte plusieurs nouvelles techniques toute en valorisant des traditions japonaises ancestrales.
- On peut dire qu’il était obsédé par la recherche des couleurs et des pigments. Un exemple magnifique que l'on a découvert lors des travaux de restauration de l’ensemble, c'est l'utilisation du bleu de Prusse, un pigment qui ne circulait pas encore au Japon. Manuela Moscatiello , responsable des collections japonaises au musée Cernuschi
C'est ce pigment "bleu de Prusse", riche et inédit, que Jakuchū utilise pour peindre les écailles de certains poissons, leur donnant ainsi une certaine profondeur. Au XVIIIe siècle, le Japon est encore très fermé. Mais à Nagasaki, les artistes peuvent trouvent certaines innovations techniques qui influencent leur travail. Jakuchū découvre notamment les estampes, des images imprimées grâce à une gravure sur bois ou sur métal.
Fish and octopus, Jakuchu• Crédits : Petit palaisConstitué de 33 rouleaux de soie différents, "Le Royaume coloré des êtres vivants" est la preuve du très fort intérêt d'Itō Jakuchū pour les sciences naturelles. Pour imiter cette nature qu'il décortique avec précision, l'artiste s'applique à reproduire le moindre détail. Le talent de l’observation caractérise cette peinture japonaise. Il a compris qu’il fallait peindre d’après nature, mais il va au-delà de la réalité, et peut parfois être un peu excentrique.
C'est par exemple le cas, sur le rouleau intitulé "Fish and octopus," où Itō Jakuchū a imaginé un bébé de la pieuvre, arrimé à l’une des tentacules d'une grande pieuvre, comme une touche d’humour dans cette démonstration d’amour de la nature.
- La maîtrise technique est évidente lorsqu'on est face aux œuvres. C’est d’une précision incroyable, quasi obsessionnelle. Il ne manque pas un détail sur les plumes des oiseaux, par exemple. Ces 33 rouleaux de soie, c’est le travail de dix années. C’est quelque chose qui touche particulièrement quand on aime la nature. Mais il y a une portée spirituelle plus profonde. Christophe Leribault, directeur du Petit-Palais
"Le Royaume coloré des êtres vivants" est une œuvre rassemblée autour d’une triade . Le rouleau centrale de l'oeuvre de Jakuchū s'articule autour de la figure du Bouddha historique, entouré de deux grands disciples. Dès lors, une relation spirituelle se noue entre les animaux, la végétation, et les disciples, comme si le monde des être vivant s'était réuni autour du Bouddha pour écouter son enseignement et le célébrer.
- Ces rouleaux servaient lors de cérémonies bouddhiques, car Itō Jakuchū est avant tout un peintre spirituel. L’ensemble des 33 rouleaux de soie a été offert par l’artiste à un monastère de Kyoto quand il avait 50 ans, quelques jours après la mort de son frère cadet. Il se considérait un peu comme un moine. Il faut voir au-delà de ce qu’il représente. Il a uni son parcours personnel à son parcours spirituel. Manuela Moscatiello
Donner à voir l’essence de la nature, ce n’est pas seulement décrire avec précision cette nature. Itō Jakuchū adopte un regard précis sur ce qu’il l’entoure.
- Fleurs, oiseaux, plantes et insectes, ont chacun leur essence propre, innée. La peinture ne doit commencer que lorsqu'on a cerné, à travers l’observation, la véritable nature de cette essence, écrit Itō Jakuchū en 1755.
Buddha Sakyamuni, Jakuchu• Crédits : Petit palaisCette exposition a eu lieu à l’occasion du 160e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et le Japon en 2018, sur le thème "Japonismes 2018". Elle est co- organisée avec la Fondation du Japon, Nikkei Inc., agence de la Maison impériale du Japon, le Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris et Paris Musées. Commissaires: Aya Ōta, conservatrice en chef du Musée des collections impériales (Sannomaru Shōzōkan) Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises au musée Cernuschi, le musée des Arts de l’Asie de la Ville de Paris
Avec Manuela Moscatiello, responsable des collections japonaises au musée Cernuschi, le Musée des Arts de l'Asie de la Ville de Paris & Christophe Leribault, directeur du Petit-Palais