Voici le récit le plus circonstancié qu’on a pu établir sur les dernières heures du Roy-martyr Le 20 janvier, le ministre de la Justice Garat vint signifier au Roy le décret qui le condamnait à mort.
Le secrétaire du Conseil exécutif Grouvelle, chevrotant, lut la sentence.
Le Roy l’écouta sans un mot.
Il remit à Garat une lettre demandant un délai de trois jours pour se préparer à la mort, l’autorisation de revoir sa famille et d’appeler auprès de lui un prêtre de son choix.
Pour ce ministère, il désignait l’abbé Henri Essex Edgeworth de Firmont.
La Convention rejeta le délai, mais accorda les autres demandes.
Le décret proposé par Cambacérès portait que « la nation française, aussi grande dans sa bienfaisance que rigoureuse dans sa justice, prendra soin de la famille du condamné et lui fera un sort convenable »
Ce « sort convenable », on le connaît…
Garat fit donc prévenir l’abbé Edgeworth et le ramena lui-même au Temple dans sa voiture.
Le prêtre voulut échanger son habit bourgeois contre un costume ecclésiastique, mais Garat lui dit:
- C’est inutile, d’ailleurs le temps nous presse.
Le 20 janvier à six heures du soir, le confesseur entra chez le Roy.
Tous les assistants s’étant écartés, ils restèrent seuls.
Louis XVI parla un moment avec l’abbé et lui lut son testament.
Puis il le pria de passer dans le cabinet voisin pour lui permettre de recevoir sa famille.
La porte s’ouvrit et la Reine entra, tenant son fils par la main; derrière venaient Madame Elisabeth et Madame Royale.
Tous pleuraient.
Ils ne savaient rien de précis encore, mais ils craignaient le pire.
Le Roy s’assit, entouré de son épouse et de sa sœur.
Sa fille était en face de lui et il tenait l’enfant entre ses genoux.
Avec de tendres ménagements, à voix basse, il les avertit.
Par la porte vitrée, Cléry les vit s’étreindre en sanglotant.
Tenant ses mains dans les siennes, Louis XVI fit jurer à son fils de ne jamais songer à venger sa mort.
Il le bénit et bénit sa fille.
Par instants, il gardait le silence et mêlait ses larmes aux leurs.
Cette scène poignante se prolongea plus d’une heure et demie…
A la fin, quel que soit son courage, il n’en put plus.
Il se leva et conduisit sa famille vers la porte.
Comme ils voulaient rester encore et s’attachaient à lui en gémissant, il dit:
- Je vous assure que je vous verrai demain matin à huit heures.
- Vous nous le promettez ? supplièrent-ils ensemble.
- Oui, je vous le promets.
- Pourquoi pas à sept heures ? dit la Reine.
- Eh bien oui, à sept heures… Adieu.
Malgré lui, cet adieu rendit un son tel que les malheureux ne purent étouffer leurs cris.
Madame Royale tomba évanouie aux pieds de son père.
Cléry et Madame Elisabeth la relevèrent.
Le Roy les embrassa tous encore, et doucement les poussa hors de sa chambre.
- Adieu, adieu, répétait-il, avec un geste navrant de la main.
Il rejoignit l’abbé Edgeworth dans le petit cabinet pratiqué dans la tourelle.
- Hélas, murmura-t-il, il faut que j ‘aime et sois tendrement aimé !
Sa fermeté revenue, il s’entretint avec le prêtre.
Jusqu’à minuit et demi, le Roy demeura avec son confesseur.
Puis il se coucha.
Cléry voulut lui rouler les cheveux comme d’habitude.
- Ce n’est pas la peine, dit Louis XVI.
Quand le valet de chambre ferma les rideaux, il ajouta: « Cléry, vous m’éveillerez demain à cinq heures.»
Et il s’endormit d’un profond sommeil.