Voilà. C'est fait. Jean d'Ormesson vient de partir et il n'avait certainement pas tout fini.
Normal de n'avoir trouvé aucun topic sur sa mort dans le Boudoir, ça n'a pas grand chose à voir avec Marie-Antoinette. Pourtant à la réflexion, oui. Vu qu'il est le descendant d'un célèbre votant oui à la mort de Louis XVI. Vu aussi, moins directement et sans doute plus subtilement, que son esprit lumineux s'apparentait à celui de Voltaire.
Trouvé dans La Dépêche, un article qui résume bien le personnage. Ou du moins mon ressenti.
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C'est beau, touchant, bien torché. Je partage tout
Il y avait ses yeux d'abord. On les a comparés à ceux de Michèle Morgan. Avec, en plus, le pétillement de l'esprit toujours en mouvement d'un homme qui était de son temps, intensément, mais qui appartenait aussi, par bien des fibres maternelles, aux temps passés. Qu'il ne cessait de célébrer. à travers ses livres. Et à travers sa manière d'être. Il correspondait tout à fait à la célèbre définition de Jaurès : on n'apprend pas aux autres ce que l'on sait, mais ce que l'on est. Or le savoir et l'être étaient concomitants chez ce voltairien aristocratique qui, tout en faisant partie de l'élite, donnait à tout un chacun le sentiment de l'égalité.
Il n'avait peut-être plus la foi, mais l'espérance. Il connaissait l'usage du monde, ne se départant jamais de sa bonne éducation et, quoiqu'il fut un véritable dictionnaire à lui tout seul de citations et d'anecdotes, il n'y avait pas l'once d'une cuistrerie chez cet esthète que l'humour et le bon goût préservaient, non de l'orgueil, mais de la vanité littéraire.
Avec une intuition sûre, il avait compris très tôt, l'implacable pouvoir de l'image. Au fur et à mesure de ses contributions télévisuelles, il s'améliorait, gommait ce qui aurait pu sembler de l'arrogance, pour devenir un invité dont le charme, l'érudition, l'esprit de répartie séduisaient ses jeunes auditeurs.
Jean d'O était bien néIl ne parlait que de ses plaisirs – Venise, la mer, les femmes, la littérature, le ski – et jamais de ses chagrins. Certes, il ne cachait pas ses sympathies à droite, mais, s'il a pu avec vraisemblance incarner dans le film «Les Saveurs du Palais» le président Mitterrand dont il ne partageait guère le bréviaire socialiste, c'est qu'il avait l'étoffe d'un diplomate-né. Sans doute l'héritage paternel ?
Car Jean d'O – comme il aimait parfois parapher ses ouvrages – était bien né. Point rebelle à l'ordre établi, il n'en était pas moins en dissidence avec sa propre caste, sans toutefois renier ses valeurs. Mais il admettait, à l'égal de Lampedusa l'auteur du «Guépard», que l'ordre du monde avait changé : «Tout bouge, nous vivons une époque de mutations, le monde a toujours changé, mais plus lentement». Il avait donc le sentiment mélancolique de faire partie d'une race en voie de disparition, et c'était pour lui une raison supplémentaire de faire valoir l'allégresse, d'être fidèle aux vieilles traditions des générations antérieures. Les honneurs, qu'il aimait par ailleurs, ne lui montaient pas à la tête. Il savait raison garder, et cette distance élégante, cette souveraine ironie qu'il pratiquait à son propre égard, faisaient tout le prix de sa conversation.
Il ne tirait pas fierté de son nom de naissance à rallonge : Jean Bruno Wladimir François de Paule Lefèvre d'Ormesson et pas plus de son titre de comte. Il avait pour ancêtres, le conventionnel Louis-Michel Lepeletier, marquis de Saint-Fargeau, franc-maçon, qui, s'étant prononcé contre la peine de mort, n'en vota pas moins la mort de Louis XVI ce qui lui valut d'être assassiné la veille même de l'exécution royale !
L'écriture tardivement dans sa viePlus prosaïquement, notre futur académicien était né à Paris, il y a 92 ans, le 16 juin 1925. Une enfance bourguignonne dans l'Yonne à l'ombre protectrice de l'imposant château de Saint-Fargeau qui lui doit aujourd'hui toute sa célébrité, puis une adolescence niçoise, puis enfin une jeunesse parisienne qu'il partage entre quelques cours de grec et de philosophie et le journalisme. L'écriture est entrée tardivement dans sa vie avec un titre qui est une profession de foi « L'Amour est un plaisir » (il a trente ans) et, quinze ans plus tard, le livre qui le révèle au grand public : « La Gloire de l'Empire » – qui reçut le grand prix de l'Académie française.
Il n'est pas de ces écrivains reclus à leur table de travail. C'est aussi un monde qui va dans le monde. Il va passer de la présidence du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines à l'Unesco et à la direction du journal « Le Figaro » où il gardera chronique ouverte malgré sa démission pour cause de désaccord avec Robert Hersant, son patron. Ses occupations journalistiques ne le distraient pas de l'écriture romanesque qui va, au fur et à mesure du temps qui passe, prendre une tournure plus personnelle, sur le mode des «Confessions»… Cet admirateur inconditionnel de Chateaubriand «l'Enchanteur» – qui avouait en aparté mieux connaître les heures de gloire et de solitude de la vie de l'auteur des «Mémoires d'outre-tombe» que les dates de sa propre existence – est devenu à l'âge de 48 ans la plus jeune recrue de l'Académie française. Il n'était pas peu fier, sur le tard de sa vie, d'avoir été à l'origine de l'entrée de la première femme, Marguerite Yourcenar, au sein de cette docte assemblée où sa silhouette de jeune homme et son espièglerie faisaient la différence.
Le goût de l'éloquenceIl faut compter parmi ses plus jolies réussites un petit livre insolent, de deux cents pages, publié en 1997, « Casimir mène la grande vie » et qui n'eut peut-être pas le succès que méritait ce récit picaresque. C'était le pas de côté de l'homme qui, en entrant de son vivant dans la fameuse collection de Gallimard «La Pléiade», a accompli l'itinéraire le plus abouti dont puisse rêver un homme de plume.
Il avait le goût de l'éloquence, dont il n'était pas lui-même dépourvu, mais il possédait aussi le sens des «bons titres», de ceux qui mettent l'eau à la bouche des futurs lecteurs : « Et toi mon cœur pourquoi bats-tu ? », recueil de ses poèmes et proses préférées qu'il dédicaçait ainsi : «Voilà le plus beau de mes livres». C'était en 2003. D'autres ont suivi : « Un jour je m'en irai sans avoir tout dit » (2013) et « Je dirai malgré tout que cette vie fut belle » (2016). En exergue de ce dernier ouvrage, une citation de Platon : «Il faut aller à la vérité de toute son âme». Il ajoutait plus loin : «La vérité est une tâche infinie»
Il y avait du janséniste en lui. Il était un homme aussi soucieux de son devoir que du salut de son âme. Certes le monde lui avait rendu les honneurs et continue de le faire à l'heure de sa mort, mais jusqu'au bout, l'inquiétude aura continué d'animer cette âme exigeante et fiévreuse qui ne se contentait pas de l'apparence des choses, et qui, comme tout philosophe après Kant, se souciait du ciel étoilé au-dessus de sa tête et de la loi morale au fond de son cœur.
C'était l'article.
«La vérité est une tâche infinie». C'est pour cela qu'il en faut certainement plusieurs. Bonne continuation !