La reine aimant les arts et aimée des artistes - quelques exemples tirés de Bachaumont -
1 octobre 1777. — On rapporte un bon mot de la Reine, le jour où elle est allée au Salon : ne voyant point le sieur Vernet entre les artistes qui lui faisaient leur cour, elle l'a fait appeler et lui a dit obligeamment : « Monsieur Vernet, je vois que c'est vous qui faites la pluie et le beau temps ici. » Il faut savoir que cet artiste est un peintre de marines supérieur, dont les tableaux étaient en effet les plus remarquables du salon, entre autres une Tempête et un Calme. Ses confrères jaloux ont cherché à étouffer cette saillie de la Reine, qui transpire aujourd'hui.
8 octobre 1777. — Quoique la Reine par son rang et par les grâces de sa personne semble n'avoir besoin d'aucune décoration extérieure, elle n'en aime pas moins la parure excessivement, comme c'est assez l'usage dans la jeunesse. Dernièrement à Choisy, où il y avait spectacle, elle a vu une danseuse la tête ornée de plumes qui lui ont fait envie. L'actrice s'en étant aperçue, s'empressait de s'en décoiffer en entier pour en faire hommage à Sa Majesté ; mais elle n'en a point voulu, elle a dit qu'elle la trouvait trop bien, que ce serait dommage et s'est contentée d'en prendre une. Les Catons de la cour ont trouvé indécente cette familiarité de Sa Majesté, que les artistes admirent, au contraire, comme un trait de bonté.
12 octobre 1777. — La parodie de l'opéra d'Ermelinde, jouée chez mademoiselle Guimard, la Terpsichore du théâtre lyrique, l'a été une seconde fois à Choisy la veille du départ pour Fontainebleau; le Roi en a été si content qu'il a donné une pension à l'auteur, qu'on sait être un nommé Despréaux, danseur de l'Opéra. On peut juger par cette faveur combien Sa Majesté a encore l'ingénuité du bel âge et aime à rire. On était assez embarrassé jusqu'à présent de lui connaître aucun goût en ce genre, et le voilà découvert.
C'est, sans doute, pour contribuer à amuser ainsi son auguste époux, que la Reine favorise la future administration de l'Opéra, qui se propose de faire venir des bouffons d'Italie.
14 octobre 1777. — Le succès de la parodie d'Ernelinde qui a si fort amusé le Roi, a engagé les gentilshommes de la chambre à faire composer d'autres spectacles dans le même genre et de plus grivois encore. C'est ce qui a donné lieu à la naissance de la Princesse A, E,I,O,U, parade des plus équivoques et des plus dégoûtantes pour quelqu'un qui ne porterait pas à ce genre de spectacle une certaine bonhomie. Elle a été exécutée aussi à Choisy devant le Roi et la Reine, avec non moins de succès de la part de ces augustes personnages. Du reste, on n'y trouve rien contre les bonnes mœurs, mais une gaieté polissonne et des propos si poissards, qu'on a été obligé d'avoir recours aux poissardes les plus consommées pour exercer et styler les acteurs. Les hommes étaient habillés en femmes, et les femmes en hommes : c'était une déraison , une farce générale.
On a parodié aussi l'effroyable ballet de Médée et Jason, et l'on a travesti en scène burlesque cette cruelle tragédie-pantomime.
On ne croit pas que la Reine se plaise infiniment d'elle-même à ce genre de spectacle; mais son dessein d'amuser le Roi l'a engagée à s'y prêter et à affecter de le goûter.
20 octobre 1777. — On écrit de Fontainebleau que mademoiselle Raucourt a eu le plus grand succès à la comédie de la ville; que la Reine a voulu la voir et a honoré ce spectacle de sa présence ; que Sa Majesté en ayant été pleinement satisfaite, on ne doute pas que les comédiens français ne soient forcés de la rappeler parmi eux.
4 novembre 1777. —- (Extrait d'une lettre de Fontainebleau, du 21 octobre)... La cour est peu brillante, on n'y voit presque que des robins. Elle est peu nombreuse : on en juge par les tables des ministres qui sont désertes.
L'on avait affiché à la comédie de la ville un bal pour le lundi 28, dans le goût de ceux de l'Opéra. Personne ne s'y étant rendu, on l'a remis au lendemain : on a vraisemblablement engagé la Reine à y venir, pour exciter et attirer le public; mais il ne s'y est guère trouvé que cent personnes, et en femmes seulement cinq ou six filles outre la Reine et sa suite. Sa Majesté protège toujours hautement mademoiselle Raucourt et veut absolument qu'elle reste à la Comédie-Française. Les acteurs de celle-ci, et surtout les actrices, s'en excusent sur l'impossibilité de tolérer parmi eux une femme de mœurs aussi dissolues.
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- me stessa -