Marie Antoinette et les arts

La comtesse d'Adhémar porte sur Marie Antoinette un regard enthousiaste. Cette princesse qui aime les talents, la qualifie-t-elle ainsi à la page 319 des mémoires (édition Plon 2006), exclamation qui donne lieu, sous la plume de Charles Emmanuel d'Adhémar et d'Etienne de Monpezat, à une note en bas de page du plus grand intérêt :

Beauté, charme, intelligence, les avis sont unanimes. Esprit droit, qui sent juste, son frère Joseph en atteste. Les avis sont plus partagés quant à la "culture" de la reine. L'abbé de Vermond avait eu du mal à la faire lire, même s'il l'a initiée à la philosophie des Lumières (elle manifesta lors de son arrivée en France son enthousiasme pour Voltaire et Rousseau et, on l'a vu, pour Beaumarchais). Piété tiède en revanche, "mais elle a, note le marquis de Bombelles, "le cœur très bon". Boudeuse, moqueuse, légère, elle raffole de toilettes et adore les bijoux, succombe à la passion du jeu (le lansquenet, ou ce terrible pharaon où l'on peut perdre des fortunes et que le roi finira d'ailleurs par lui interdire). Voilà pour les vertus ou les travers reconnus quant à "son intérieur".

En revanche, le rôle et l'influence de Marie-Antoinette dans ce que l'on pourrait appeler le "mécénat créateur" n'ont été que partiellement soulignés. Après les styles Louis XIV ou Louis XV justement célébrés, il serait plus équitable de parler d'un style Marie Antoinette plutôt que du style Louis XVI. D'un naturel vrai et gai, elle penche sans effort vers la simplicité, la sobriété. Son goût est sûr. C'est elle qui décore ou refait ses appartements (avec son architecte Richard Mique, qui lui soumet les plans du Belvédère à Trianon, ou des constructions rustiques du Hameau), elle qui choisit ses meubles (avec ses ébénistes, Riesener, Jacob...), elle encore qui fait de Trianon une merveille de goût, d'élégance et d'équilibre, mariant la grâce du rococo à la majesté antique. Elle aime les arts et, c'est bien vrai et tout naturel, les artistes. Elle soutient "ses" sculpteurs, "ses" peintres - Wertmuller, Mme Vigée- Lebrun…-, méritant tout à fait le jugement flatteur de la comtesse d'Adhémar qui n'a donc rien d'une flatterie de cour: "Cette princesse qui aime les talents et se plaît à les produire." Mais aussi les danseurs, chanteurs d'opéra - ce jeune Garat ci-dessus nommé (on lui reprochera ses escapades jusqu'à Paris pour les entendre chanter et pour... les bals masqués !). Elle adore encore le théâtre, bien sûr. Mais plus que tout, la musique. Mélomane, elle raffole de ces petits concerts de musique de chambre que sa dame d'atours et "amie" Geneviève de Gramont, comtesse d'Ossun, est chargée de lui organiser à Versailles comme à Trianon. Mais plus encore, elle est musicienne. Elle chante à ravir, joue du clavecin (Gluck avait été son professeur à Vienne, et elle lui restera fidèle à travers les querelles qui diviseront la Cour et la Ville), mais aussi de la harpe ou de la flûte. Enfin, romantique avant l'heure, elle a au cœur l'amour des fleurs, des arbres, des chiens, de la Nature en un mot. En définitive, elle a bien des cordes à son arc, c'est le cas de le dire, cette femme qualifiée si souvent, peut-être à la légère, de légère.

Ah...Marie-Antoinette et les Arts...en voilà un débat qui a fait couler beaucoup d'encre
Selon certains elle n'a fait que suivre l'évolution des Arts, et selon d'autres, comme moi d'ailleurs , elle a tout autant collaboré à son essor, à son expansion, à sa diffusion et à son renouveau.

Marie-Antoinette n'a certes pas été LA grande artiste du siècle, c'est indéniable, mais on ne peut nier qu'elle a contribué grandement, de part son influence, sa renommé et sa fonction, à la diffusion de l'Art. Tous les regards étaient portés sur elle, et quand elle innovait, les dames la suivaient, au point de mécontenter certains maris qui voyaient les dépenses de leur femme s'accroitre très vite
En ce qui concerne la peinture, elle a très largement contribué à l'essor et à la grande carrière d'Elisabeth Vigée-Lebrun, un génie de la peinture, reconnue dans toute l'Europe. Marie-Antoinette inspirait aussi beaucoup d'artistes, peintres, sculteurs, jardiniers, architectes etc...et là où Marie-Antoinette intervenait dans l'Art, c'est dans ses choix et ses orientations : elle savait généralement ce qu'elle voulait, elle en avait les grandes lignes, les artistes proposaient des solutions, puis elle prenait la décision. Je vois cela comme une vraie collaboration, et n'était pas que cliente ou spectatrice des Arts, mais elle était aussi par moment actrice

Ce côté artistique de la Reine est quelquechose de très important pour moi pour une bonne compréhension de son être. Son bon goût pour la musique, la décoration, la mode explique le bon goût de ses répliques et de sa conversation, et de son comportement en générale envers les autres. Combien de témoins oculaires attestent de son comportement exemplaire envers ceux qui étaient dans son service rapproché. Elle ne manquait pas une occasion de se renseigner sur les proches de ses dames ou de ses pages, et essayait de les aider en cas de difficulté. L'âme généreuse de l'artiste se voit clairement en cette Reine, et dans un certain romantisme qui se traduisait dans ses goûts musicaux (le lyrisme de Grétry par exemple) ou théatraux (Devin du Village). Cet esprit d'artiste la rendait plus sensible et fragile aussi, car les critiques dont elle fut l'objet la touchaient beaucoup. Comme toute romantique, elle avait besoin d'aimer et de se sentir aimée, et ce sont finalement ses enfants qui lui permettent de l'exprimer. Je pense que ce penchant artistique se montrait dès son adolescence à Vienne, et c'était ce qui lui donnait toute ce charme incomparable.

Bien que le style qu'elle a imposé au Trianon soit fleuri, champêtre, simple mais bien affirmé, elle ne supportait pas les chefs d'oeuvre du siècle de Louis XV, d'ailleurs elle les voulait retirer dès son entrée au Trianon. On lui déconseilla et elle les accepta. Elle n'avais pas un goût très prononcé pour la peinture. Mais bon on lui pardonne pour ce petit joyaux, qu'est Trianon!!!

Marie-Antoinette était pudique, et à son arrivée au Trianon en 1774, il y avait plusieurs tableaux représentant des femmes peu vêtues, qui était du goût de la Comtesse du Barry. Et comme Marie-Antoinette réfutait les goûts de la favorite, ça n'a rien arrangé

Citation :

elle ne supportait pas les chefs d'oeuvre du siècle de Louis XV, d'ailleurs elle les voulait retirer dès son entrée au Trianon. On lui déconseilla et elle les accepta

Mais elle a bien fait enlever certains...!

Je ne savais pas cela!!! Merci de m'en apprendre un peu plus.

Il s'agît des grandes peintures offertes à Louis XV, qui ornait autrefois les murs de la première pièce après l'entrée (l'antichambre?), là où il y a le buste de la Reine, et qui étaient des allégories des saisons. De mémoire Marie Antoinette en a fait enlever deux, qu'elle considérait assez pudiquement comme étant trop osées (bon c'est ce qu'on dit, peut-être ne les aimait-elle simplement pas). Je crois qu'elle a mis le tableau du ballet où elle dansait avec ses frères sur scène à Vienne à la place d'une de ces peintures, celle-ci reçue en cadeau de sa mère. Après tout c'était sa petite Vienne, ne disait-on pas?!

Citation :

Après tout c'était sa petite Vienne, ne disait-on pas?!

Il me semble que cette appellation n'est qu'une calomnie qu'on a voulu attribuer à l'"Autrichienne"...

Bien à vous.

Tu en es sûr ? "Le Petit Vienne"... je trouve ça joli, moi !  

Je trouve que le surnom donné à ce tableau n'est pas très flatteur enfin je sais que "Le Petit Vienne" était une référence aux origines autrichiennes de Marie-Antoinette pour son petit Trianon, donc c'est ainsi que la cour surnommait. Insultant ou je sais pas trop...

Voici une tabatière ornée des portraits de la famille royale que l'on peut admirer à l'adresse suivante :




http://www.museecognacqjay.paris.fr/fr/la-collection/tabatiere-ornee-des-portraits-de-la-famille-royale

Toujours dans sa thèse, Jeanne Arnaud-Bouteloup fait une étude intéressante sur le goût qu'avait Marie-Antoinette pour tout ce qui l'a représentait.
Nous savons qu'elle a clairement privilégié Elisabeth Vigée-Lebrun par amitié mais aussi parcequ'elle aimait ses portraits. Marie-Antoinette aimait bien figurer sur ses portraits et donc on pense qu'elle a favorisé Vigée-Lebrun aussi parce qu'elle l'enjolivait.
Mais Jeanne Arnaud-Bouteloup montre que Marie-Antoinette ne s'en tenait pas qu'à cette esthétique de sa personne, et qu'elle favorisait la mode et les tendances en générale.
La preuve avec le médailliste Duvivier qui est considéré comme le médailliste attitré de la Reine. Il est reconnu pour la quantité de ses médailles représentant Marie-Antoinette, mais aussi pour leurs qualités.
En effet, aucun artiste n'a osé exprimer "l'oeil bridé, le front bossué, le nez excessif, la petite bouche fendue sans lèvres, l'absence totale de crâne sous l'échafaudage de la coiffure"  (Extrait de "Les Duvivier" d'Henri Nocq).
Et pourtant, Marie-Antoinette l'a soutenu tout ce temps, et effectivement ça suffit a montrer qu'elle n'était pas qu'intéressée par un embellissement de sa personne  

Voici une médaille réalisée par Dudivier, et effectivement la Reine n'y est pas à son avantage   :

Très intéressant ! Merci, Chou !

De rien!

C'est fou comme cette thèse apporte du neuf alors qu'elle date de plusieurs décennies
Cette petite étude sur Duvivier, ses oeuvres et son influence sur Marie-Antoinette est effectivement très significative, car elle nuance déjà beaucoup d'idées pré-reçues selon lesquelles Marie-Antoinette ne favorisait que les artistes qui arrangeaient son physique
Marie-Antoinette, si elle aimait être enjolivée ne le nions pas , appréciait aussi les grands artistes à succès dont la renommée était faite et prouvée.
Elle eut aussi l'idée (moderne qui plus est) de favoriser la concurrence, et fit donc créer deux autres manufactures de porcelaine à Paris pour concurrencer celle de Sèvres et ainsi garantir les nouveautés et les recherches. Et ça....l'idée reste applicable de nos jours tant elle est bonne...je dis bravo

Louis XVI non plus n'est pas très ressemblant. Il a les lèvres trop pincées. Ce n'est pas son expression naturelle plus "bonhomme".

Oui, lui non plus n'est pas à son avantage

Et pourtant...Duvivier restait le médailliste attitré et son talent était reconnu. il faut reconnaître que si ses modèles ne sont pas à leur avantage, ses médailles sont très fines et très précises

Les profils sont rarement flatteurs...

C'est vrai, c'est d'ailleurs pour ça que j'en ai pas, car je n'en ai pas encore vu qui l'était

T'as pas d'profil ! Wah, Chou ! Plus fort que l'homme invisible !

Pfff...l'homme invisible est un amateur à côté

Dans sa thèse "Marie-Antoinette et l'art de son temps", Jeanne Arnaud-Bouteloup rapport un fait intéressant qui mérite d'être noté. Nous savons que Marie-Antoinette a très fréquemment été critiquée sur sa manière de favoriser les étrangers en Art comme en politique.
Il se trouve que c'est aussi le cas en musique : à l'ère des italiens Piccini et Saliéri, des français Grétry et Lemoyne et de l'Autrichien Gluck, la compétition faisait rage. Marie-Antoinette les soutenait tous malgré quelques préférences et elle ne se souciait pas de favoriser les maîtres français par rapport aux autres.
Il se trouve qu'elle avait promis à l'Anglais Sacchini qu'il pourrait jouer son "Oedipe à Colone" comme première à Fontainebleau en 1784. Or, Marie-Antoinette subit tellement de pression pour qu'elle fasse jouer un français qu'elle ne pu honorer cette promesse, et s'excuser ainsi :

"Mon cher Sacchini, on dit que j'accorde trop de faveurs aux étrangers; on m'a si vivement sollicitée de faire représenter, au lieu de votre Oedipe, la Phèdre de M. Lemoyne, que je n'ai pas pu refuser. Vous voyez ma position : pardonnez-moi."

Même en musique Marie-Antoinette a été critiquée dans ses choix. Mais c'est oublié qu'elle n'a jamais daigné rencontrer le jeune prodige, Autrichien pourtant, Mozart, venu à Paris en 1778. Bon, il est vai qu'en cette année elle était enceinte de Madame Royale...ça peut expliquer finalement

Et une superbe analyse de Jeanne Arnaud Bouteloup à propos de l'influence de Marie-Antoinette en musique :

"Si désireuse soit-elle [Marie-Antoinette] de faire oublier son origine étrangère, et si peu disposée à faire accueil aux Allemands que lui envoie sa mère, elle ne craint pas d'affirmer à Versailles sa préférence pour la musique telle qu'on la comprend à Vienne, et, sauf l'exception signalée à propos de Sacchini, elle soutient les musiciens étrangers quand elle les juge capables de contribuer à l'éducation musicale de ses sujets.
Introductrice de Gluck, elle a fait connaître aux Français des profondeurs d'un art dont ils n'avaient su tirer jusqu'alors qu'un plaisir fin, mais léger; et d'autre part les marques d'estime dont elle comble un Piccini, un Sacchini, un Grétry dénotent une largeur de vues, un goût hospitalier à toute forme d'art pourvu qu'elle soit belle, un éclectisme, en un mot qui ne sont pas moins significatifs.

Ces qualités de l'esprit chez Marie-Antoinette sont bien celles qui conviennent à une époque de transition, où l'art cherche sa voie, où les amateurs hésitent à se prononcer, tandis que le public prend violemment parti sans savoir au juste à quoi il s'engage. C'est à ces époques-là qu'il est important de souligner la supériorité des maîtres, afin de montrer le chemin aux débutants, sans cependant décourager aucun des talents en marge du mouvement. Seule une femme à grâce pour réaliser cette gageure et partager ses faveurs sans blesser les sensibilités des artistes; seule une reine a l'autorité qu'il faut pour le faire avec fruit. Marie-Antoinette a été cette femme et cette reine. Sa main ferme à la fois et douce est de celles qui ont engagé la France dans le chemin de la musique "cosmopolite", qui sera celle de Mozart, de Beethoven et des grands maîtres du XIXème siècle."

Encore une fois, Jeanne Arnaud-Bouteloup me surprend par une telle analyse, si juste et si pertinente

Grand merci, Chou, pour cette citation de Mme Arnaud-Bouteloup, bel éloge de notre Reine. Entre le goût de Marie-Antoinette pour les Arts et celui de Louis pour les Sciences, ce règne, s'il avait pu suivre son cours normalement, eût pu être grandiose...

C'est vrai qu'à eux d'eux ils se complétaient bien

Merci, Chou ! C'est vraiment une analyse d'une grande finesse ! Il faut qu'elle soit publiée, cette thèse ! Elle est complètement avant-gardiste dans sa manière de percevoir Marie Antoinette.