Le Boudoir de Marie-Antoinette

Prenons une tasse de thé dans les jardins du Petit Trianon
 
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 Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu

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Airin

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MessageSujet: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 16:49

Les Tuileries
Fastes et maléfices d’un palais disparu


Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 71644310

Livre écrit par G. Lenotre de l’Académie française.

Table des matières
I - La reine sorcière
II - Bâtisses et jardinages
III - La reine des amazones
IV - Amours royales
V - Le bonhomme Lenôtre
VI - Le petit roi de Paris
VII - Locataires
VIII - Les mauvais jours
IX - Le Petit homme rouge
X - La Cour impériale
XI - Les lys se fanent
XII - La couronne d’épines
XIII - L’impératrice
XIV - L’autre homme rouge

Tous les chapitres sont bien entendu passionnants, mais il y en a qui nous intéressent plus que les autres.
Je vous emmène donc sans détours aux mauvais jours.

L’automne de 1789. L’Assemblée nationale siégeant à Versailles se flatte de posséder la formule de l’eau de Jouvence et jure qu’elle va ramener le monde, rajeuni par ses soins, au temps de l’âge d’or. Le peuple s’étonne d’apprendre que c’est lui le souverain ; il ne s’en doutait pas et vivait bien tranquille. Maintenant, il veut tenir son rôle et les pêcheurs en eau trouble ne manquent pas de le lui souffler. La Bastille est prise : à quelques jours de griserie succède une vague inquiétude ; les riches se restreignent ou boudent ; les services publics se relâchent ; le pain manque : à qui la faute ? À la Cour qui ne se prive de rien et s’obstine en son opposition à la réalisation du bonheur universel. Le 5 octobre, la populace parisienne s’ameute : comme obéissant à un mot d’ordre, des mégères, manifestement stipendiées, arrachent à leurs ateliers et à leurs boutiques des filles honnêtes ; il faut marcher. Où va-t-on ? À Versailles. Six à sept mille femmes et un millier d’hommes, armés de sabres, de hallebardes, de longues gaules, de haches, voire de fouets et de bâtons, sont en route, piétinant dans la boue sous l’averse incessante ; la tête de colonne a des tambours et traîne des canons ; on braille la chanson Vive Henri quatre ! et on vocifère contre la reine. En désordre, on traverse dans sa longueur le jardin des Tuileries, malgré la résistance du suisse Fredain, qui veut fermer les grilles ; on le roue de coups et on le désarme. La horde poursuit sa marche, clabaudant, traînant ses savates clapotantes ; à Sèvres elle fait halte et cherche vainement à boire, tous les estaminets s’étant fermés ; et, vers quatre heures, en débandade, par attroupements espacés, elle avance dans l’avenue royale vers le château.

Remarques : afin de l'alléger, j'émaillerai le récit d'illustrations.
Les notes seront données tout à la fin.
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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 16:51

Bonne idée ! Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 914132

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 16:54

Là tout est stupeur et confusion ; le roi, revenu en hâte de la chasse, traîne dans ses petits appartements et c’est là que, vers huit heures du soir, on le décidera à recevoir une députation des manifestantes, massées, trépignantes, contre la grille de la cour Royale. Quelques députés de l’Assemblée qui se trouvent auprès de Louis XVI vont à elles, parlementent : Sa Majesté admettra douze femmes, pas davantage ; dix sont aussitôt désignées ; la grille s’entrouvre pour leur livrer passage ; elles s’accrochent aux députés et pénètrent avec eux dans le château ; mais elles ne peuvent franchir la porte de l’appartement : « un seigneur habillé de bleu avec des passepoils rouges leur dit que le roi tient conseil et ne peut les recevoir. » Elles restent dans les antichambres, parmi les courtisans, les huissiers et les gardes qui leur témoignent peu de sympathie. L’une d’elles, Victoire Sacleux, teinturière de son état, se trouve mal ; on l’emporte. Ses compagnes s’obstinent. Enfin, « un monsieur » leur annonce que quatre d’entre elles seulement verront le roi et il laisse passer « les quatre qui sont le plus près de la porte[1] ». On a les noms de trois de ces filles : Pierrette Chabry, dix-sept ans, élève en sculpture ; une bouquetière de vingt ans, Françoise Rollin, et Rose Barré, dentellière, âgée également de vingt ans. Elles sont toutes tremblantes, presque épouvantées des splendeurs qu’elles traversent[2]. De l’Œil de bœuf, on les mène, par la chambre de parade et la salle du Conseil, jusqu’à la chambre à coucher du roi[3], peut-être même jusqu’à la pièce suivante, le cabinet de la pendule, où il se tient d’ordinaire[4]. Françoise Rollin n’arrive pas jusque-là ; repoussée par un suisse dans la salle du Conseil, elle tombe et reçoit « plusieurs coups de pied ». Quand elle se relève, en larmes, ses camarades ont déjà disparu.

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Chrabr10
La rencontre avec Louison Charby

Elles sont en présence du roi : Pierrette Chabry répond en balbutiant aux questions qu’il lui pose avec beaucoup de bonté ; il lui demande « si elle veut du mal à la reine ». Elle dit non ; mais, terrifiée de son audace, elle blêmit, chancelle et s’évanouit. Quand elle reprend ses sens, Louis XVI la réconforte, ordonne qu’on lui fasse respirer « des eaux spiritueuses » et qu’on apporte un verre de vin ; on le sert à Pierrette dans un grand gobelet d’or. L’audience terminée, elle se retrouve dans la cour, émerveillée de ce qu’elle a entrevu. La foule, l’entendant raconter l’affable accueil du bon roi, entre en fureur : des femmes la pressent, la brutalisent : « Elle les a trahies ; elle a reçu de l’argent. » En vain proteste-t-elle ; on la bouscule, on la saisit ; elle sent des mains rudes nouer à son cou une jarretière et des harengères, qu’elle reconnaît, — Rosalie et la grosse Louison, — l’entraînent vers une lanterne pour l’y pendre. Des soldats la dégagent ; mais elle doit remonter chez le roi qui la reçoit de nouveau et consent à se montrer avec elle au balcon de sa chambre pour déclarer « qu’elle n’a pas reçu un sol ». Puis il la charge d’un papier, adressé au maire de Paris et donne l’ordre qu’on la ramène chez elle dans une des voitures de la Cour.

On ignore ce que devint par la suite cette jeune fille qui dut, pendant toute sa vie qui, peut-être, fut longue, conserver le souvenir de cette journée fameuse. Mais n’y a-t-il pas matière à philosopher, à cette constatation que la dernière femme présentée à la Cour et, suivant l’immuable étiquette, « dans le cabinet du roi », — ce sanctuaire dont tant de nobles ambitieuses ne franchirent jamais le seuil, — fut une fille du peuple, une pauvre ouvrière, venue là pour demander du pain ?
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Chakton

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:00

Shibboleth a écrit:
Bonne idée ! Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 914132

Yes ! J'applaudis des deux mains. Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 914132

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:03

La nuit — la dernière nuit de Versailles — fut tragique ; dès l’aube du lendemain, 6 octobre, l’émeute triomphait : la reine dut implorer le pardon de la populace qui imposa au roi le retour immédiat à Paris. Le temps pour lui de serrer ses papiers, tandis que la reine mettait en un coffret quelques bijoux, il fallut partir ; la famille royale quitta les appartements « par un petit escalier[5] » afin d’éviter le passage par les antichambres encore souillées des suites du combat contre les envahisseurs. On traversa la cour des Cerfs et l’on monta en voiture aux marches de la cour de marbre, une large voiture où prirent place, sur la banquette du fond, le roi, la reine et le dauphin, sur le devant et sur les côtés, Madame royale, Mme de Tourzel, gouvernante des enfants de France, Madame Élisabeth, sœur du roi, Monsieur, son frère, et Madame.

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Proxy110

Depuis deux heures déjà, la foule victorieuse des assiégeants avait repris le chemin de Paris : étrange cortège ; à l’avant-garde marchaient les porteurs des têtes coupées aux deux gardes du corps victimes de leur devoir. Suivait une véritable mascarade de viragos ivres, couvertes de cocardes tricolores depuis les cheveux jusqu’au bas des jupes, cheminant, bras dessus, bras dessous, avec des soldats désarmés, toutes et tous souillés de boue, surexcités, effervescents ; d’autres agitaient en signe de triomphe des branches de peuplier enrubannées, des bandoulières, des chapeaux, des pommes d’épée de gardes du roi et convoyaient une soixantaine de chariots chargés de farine perfidement tirée d’on ne savait quel magasin, afin d’inculquer aux naïfs la croyance que ces denrées, accaparées par la Cour dans l’intention d’affamer le peuple, étaient les glorieux trophées de l’expédition. Une pluie abondante et continuelle ne put dissiper la multitude rassemblée le long de la route pour voir passer le roi[6].

Au tour de roues, souvent obligé de faire halte, le carrosse royal avance à travers cette cohue. La Fayette chevauche à la portière dont un fidèle, M. de Lesigny, « ne quittera pas un instant le pommeau ». Le roi paraît calme ; mais, de temps à autre, il se couvre de son mouchoir pour cacher ses larmes ; le visage de la reine est triste et digne ; le petit dauphin, qui a quatre ans et demi, pleure de faim et de fatigue ; parfois il se montre à la portière, joignant les mains, comme pour implorer la pitié des gens qui tourmentent son papa. Quelques détachements des gardes françaises et plusieurs gardes du corps, l’épée à la main, entourent et suivent le carrosse.

À sept heures du soir seulement on passait les barrières de Paris ; le maire, Bailly, présenta au roi les clefs de la ville sur un plat d’or ; le peuple, qu’aucun service d’ordre ne maintenait, s’écrasait en poussées furieuses ; les cris de bienvenue se mêlaient aux invectives : « À la lanterne ! — Vive le roi ! — Versailles à louer ! » La reine, excédée de lassitude et redoutant pour ses enfants une si longue et pénible épreuve, espérait se réfugier avec eux aux Tuileries ; mais il lui fallut suivre le roi à l’Hôtel de ville où, deux heures durant, les harangues succédèrent aux harangues ; Louis XVI et Marie-Antoinette durent se montrer aux fenêtres du palais municipal : « Il faisait nuit noire ; on les plaça entre deux flambeaux pour que la foule, entassée sur la place de Grève, put les reconnaître ; ce fut du délire : on criait Vive le roi, Vive la reine, Vive le dauphin, Vivent nous tous ! On sautait de joie, on pleurait, on s’embrassait[7]… » Très tard dans la soirée, — à dix heures, — par les rues illuminées, la famille royale arrivait aux Tuileries.
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Chakton

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:09

Airin a écrit:
la famille royale arrivait aux Tuileries

Palais, comme on le sait, chaleureux et accueillant. tongue

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 1200px10

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:16

Dès le matin, vers huit heures, un courrier venant de Versailles, avait apporté l’ordre « d’apprêter en hâte les Tuileries pour y recevoir, le soir même, Sa Majesté[8] ». Coup de foudre pour les locataires. Depuis les souterrains jusqu’aux greniers de l’immense caravansérail, la nouvelle se répand qu’il faut déménager. Les employés des bâtiments ont pris en hâte possession du château ; sans considération ni égards, ils poussent dehors les occupants aux abois : on va, en quelques heures, vider, puis meubler, une centaine de pièces afin d’assurer un gîte, au moins provisoire, à Louis XVI, à la reine et à leurs principaux serviteurs ; dans les sous-sols on doit aménager des locaux pour les cuisines, la rôtisserie, le fourrier de la « Bouche », le « Gobelet », le lavoir, la lingerie, les glacières, la crèmerie, la cave. Car, même prisonnier de l’émeute, le roi de France ne se déplace point sans entraîner une multitude de personnages accoutumés à leurs aises et que leur charge oblige à ne point quitter les maîtres : gentilshommes de la chambre, aumôniers, médecins de quartier, gouvernantes et sous-gouvernantes, dames d’honneur, dames d’atours, grands maîtres de la garde-robe, officiers des gardes du corps, capitaines des suisses… En douze heures il faut, en outre, trouver dans ce palais que, depuis plus de soixante ans, les rois n’ont pas habité, des casernements pour la garde, des remises, des écuries, des bureaux pour les employés de tous genres, des approvisionnements de fourrage, de bougies, de bois à brûler, d’huile pour les réverbères. Comment l’inspecteur du château, à qui incombe cette tâche irréalisable, ne perdit-il point la raison ? Vatel, naguère, pour moins d’embarras, s’était suicidé.

Afin de procéder avec quelque méthode dans ce formidable remue-ménage, à mesure qu’on se débarrassait des locataires, on fixait l’attribution des pièces évacuées d’après leur emplacement et leurs commodités : cela semble ressortir d’un état, daté du 6 octobre, qui porte en lettres et en chiffres les indications des logements et les titres de ceux auxquels ils sont destinés. Pour faciliter aux arrivants la recherche de leur gîte, une note de l’état les avise que les lettres alphabétiques et les numéros sont marqués sur les portes d’entrée[9].

En dépit de cette précaution, ce dut être une terrible confusion quand, vers la fin de l’après-midi, se présenta le flot des premiers débarqués réclamant un asile. Versailles s’était vidé dès le départ du roi ; son carrosse, au dire d’un témoin, avait été suivi par « plus de deux mille voitures[10] ». Toutes ne portaient pas des fonctionnaires de la Cour ; on peut croire cependant que tout ce qui composait la Maison du roi se considérait, en cette circonstance, comme inséparable de sa personne, comptant bien retrouver aux Tuileries les avantages de Versailles. Déception ! On héberge cette phalange d’émigrants dans les maisons du Carrousel, aux vieilles écuries, dans le bâtiment des Invalides, dans certaines maisons de la rue du Dauphin, propriété de la Couronne, dans les baraques qui séparent les trois cours du château, à l’ancien hôtel de La Vallière, à l’hôtel de Brionne. Ce que l’on ne peut dépeindre c’est l’orageux tumulte de cette installation, les exigences, les reproches, les protestations, les jérémiades des mal lotis, les récriminations des vanités froissées. Tel qui amenait un domestique et s’était muni d’une dizaine de malles, était casé dans une étroite mansarde ; le grand maître des cérémonies, M. de Brézé, se voyait confiné au troisième étage du pavillon de Flore, avec un garçon du garde-meuble et le barbier du roi[11].

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Christ10
Arrivée de la famille royale aux Tuileries

La famille royale débarque dans cette bagarre. Pauline de Tourzel qui n’avait pas quitté sa mère, note dans ses Souvenirs sa stupéfaction de pénétrer « dans des appartements sens dessus dessous, pleins d’ouvriers et des échelles de tous les côtés… Les meubles les plus nécessaires y manquaient ; ceux qu’on y trouvait étaient délabrés, les tapisseries vieilles et fanées. Les salles étaient mal éclairées au moment où nous entrâmes, tout respirait un sentiment de tristesse en harmonie avec les impressions que nous rapportions de cette douloureuse journée ». Le plus urgent était de coucher le dauphin ; il dormait à poings fermés dans les bras de sa gouvernante. Il fallut le séparer de sa mère pour qui une chambre du grand appartement était réservée ; on avait oublié le jeune prince dans la répartition des logements ; il fut conduit à celui attribué à ses femmes de chambre, au second étage du pavillon de Flore et dont la porte fermait si mal qu’on la barricada avec des meubles. Mme de Tourzel veilla près de lui ; Pauline passa la nuit sur un canapé dans la pièce voisine.

Le souper du roi, servi à dix heures et demie, fut coupé par une visite du maire accompagné d’une délégation du corps municipal. Ils venaient insister pour obtenir la promesse que Louis XVI fixerait à Paris sa résidence. Il en prit l’engagement en termes assez vagues ; les magistrats municipaux se retirèrent ; le repas s’acheva ; puis on se sépara. Madame Élisabeth s’en alla au pavillon de Flore ; le roi partagea l’appartement de la reine ; Monsieur et Madame gagnèrent leur palais du Luxembourg. Les gardes du corps, la livrée couchèrent sur des banquettes ou campèrent sur les parquets.
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Shibboleth

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:17

Les pauvres. On tremble pour eux. Sad

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:24

Dès le lendemain, on mit un peu d’ordre dans cette installation précaire. La sœur du roi, Madame Élisabeth, fut la première à déloger. Tandis qu’on agençait l’appartement qui lui était attribué au pavillon de Flore, elle se réfugia, — s’il faut en croire un contemporain, — dans trois ou quatre pièces situées au rez-de-chaussée sur la cour. Ce chroniqueur qui la vit là était Gonchon, ardent patriote du faubourg Saint-Antoine, peu disposé à s’attendrir sur les malheurs des princes ; mais, comme tous les Parisiens, en ces temps étranges, il subissait des sursauts de sensibilité fort en désaccord avec ses opinions et voici ce qu’il raconte de sa journée du 7 octobre : il se trouvait dans la cour Royale des Tuileries en compagnie d’une trentaine de badauds, lorsque Madame Élisabeth parut à l’une des fenêtres du rez-de-chaussée. On l’applaudit. « Elle salua respectueusement et se retira ; mais, comme les applaudissements redoublaient, elle revint et dit, avec un sourire plein de bonté, aux personnes qui étaient près de sa fenêtre : « Vous aimez bien toujours le roi ? » Un grand cri de Vive le roi ! répond. « Voulez-vous voir le roi ? Je l’irai chercher. » On applaudit de nouveau et elle courut avertir la reine qui, au bout de quelques instants, arrive avec la jeune Madame royale, se montre à la fenêtre, embrasse sa fille et essaie de parler au milieu des vivat et des bravos. Enfin elle en vient à bout, mais au seul profit des personnes les plus rapprochées, particulièrement de quelques dames de la Halle qui avaient réclamé les premières places. » Gonchon est désolé de n’avoir pu l’entendre. Bientôt le roi, avec le dauphin, vient se joindre aux princesses. Salué « des plus vifs applaudissements, il ne peut retenir ses larmes et, pour les cacher, il embrasse son fils. Madame Élisabeth se tenait derrière Madame royale et semblait laisser tous les empressements du public à son auguste frère, à son épouse et à leurs aimables enfants. Une scène aussi touchante interrompit les acclamations ; ceux qui étaient présents étaient oppressés par les larmes et l’attendrissement[12] ».

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 1dca0e10

On jugera certainement qu’un tel témoignage valait d’être cité intégralement, encore que la véracité de Gonchon puisse inspirer quelque méfiance ; il est étonnant, en effet, que, au lendemain d’une invasion de la populace, on laissât les curieux s’approcher librement de la demeure royale et engager la conversation avec les princesses. Et pourtant rien n’est plus vrai ; durant les premières semaines de son séjour aux Tuileries, la reine dut se montrer presque incessamment à sa fenêtre, causer avec les femmes du peuple qui se pressaient devant son appartement ; « beaucoup se faisaient soulever pour atteindre et baiser ses mains et celles du dauphin[13] ; sans façons, elles lui demandaient les rubans et les fleurs qui ornaient son chapeau et qu’elle détachait et partageait elle-même ; alors éclataient des cris d’adoration : Vive Marie-Antoinette ! Vive notre bonne reine ! ». « Je parle au peuple ; milice, poissardes, tous me tendent la main, je la leur donne », écrivait-elle[14].

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Tblk3110

Cependant, on s’organise : continuellement, arrivent, « par longues files, à perte de vue, des voitures, des carrioles, des camions[15] » apportant de Versailles des meubles, du linge et des couchages. On va chercher à Choisy des glaces pour les appartements de Mesdames, tantes du roi, qu’on installe au pavillon de Marsan. Louis XVI prend possession des pièces du premier étage ayant vue sur le jardin : il aura là un cabinet, sa chambre de parade, sa chambre à coucher, puis, à la suite, deux pièces qu’habiteront le dauphin et sa sœur. Cet appartement est de plain-pied avec les grands salons d’apparat donnant sur la cour et qui sont, après la salle des Gardes du pavillon central, la première antichambre, ou salle des Suisses ; la seconde antichambre à laquelle, pour ne pas trop changer les habitudes et par similitude avec Versailles, on donne le nom de l’Œil de bœuf ; viennent ensuite la chambre du Lit, la salle du Conseil et enfin la galerie qui a une sortie sur l’escalier de la reine touchant au pavillon de Flore. Marie-Antoinette sera au rez-de-chaussée sur le jardin : on entre chez elle au premier palier de cet escalier ; on traverse successivement une grande antichambre où prend ses repas la famille royale, une salle de billard, un salon de compagnie, pour arriver à la chambre de la reine, située exactement au-dessous de celle où couche le dauphin. Enfin, se trouvent un cabinet de toilette puis trois pièces encore où le roi a ses archives, son atelier de serrurerie et une chambre de repos[16] ; d’étroits escaliers dérobés dans l’épaisseur des murs et fort sombres, des couloirs obscurs, facilitent les communications discrètes entre le premier étage et ce rez-de-chaussée qui avait été quelque temps habité par Louis XIV, puis, sous la Régence, par le duc du Maine ; il se complétait d’un certain nombre de petites pièces pratiquées en entresols, et l’on y voyait encore les peintures mythologiques dont, au XVIIe siècle, Nicolas Mignard en avait orné les plafonds[17].
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Chakton

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:27

Airin a écrit:
« Je parle au peuple ; milice, poissardes, tous me tendent la main, je la leur donne »

Et elle a cru que ça suffisait. Naïve, la petite. Cool

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:30

Le garde-meuble était si riche, ses fonctionnaires si habiles, que ces appartements reçurent, malgré le peu de temps dont on disposait, une décoration fort élégante ; ainsi dans la chambre de la reine, le lit était placé dans une alcôve formée par quatre colonnes creuses « et propres à cacher chacune une personne », au dire d’un visiteur qui, en 1793, dressa un minutieux inventaire de cette partie du château[18]. La chambre de parade de Louis XVI était tendue d’une étoffe de brocart rouge brochée d’or ; des rideaux de pareille étoffe garnissaient le lit et les deux fenêtres ; dans la chambre où couchait le roi, point de luxe, nul raffinement : le lit, placé dans un enfoncement, s’abritait sous des rideaux de pékin à flammes. Au moyen d’un vasistas vitré dont Louis XVI avait lui-même forgé grossièrement le loquet, il pouvait, de son lit, surveiller le dauphin, logé dans la chambre voisine. Le lit de l’enfant, drapé de damas vert, ne se distinguait de celui de sa gouvernante que par une frange d’or[19].

Ces descriptions sont proprement illisibles ; on s’en rend compte et on s’en excuse ; mais la topographie d’un palais tel que les Tuileries, dont la distribution et les aménagements changeaient à chaque nouveau règne, demeure si ténébreuse qu’il importe de fixer, de temps à autre, certain point de repère, sans grand espoir de localiser, même sommairement, le lecteur soucieux d’indications précises sur les décors de l’Histoire. On aimerait à placer dans son cadre exact la vie menée aux Tuileries par les hôtes royaux que l’insurrection y a conduits ; vie singulière dont ils affectaient de proclamer l’étroitesse et la mesquinerie, tandis que le peuple, perfidement renseigné, s’en exagérait le coût et la somptuosité.

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Genera10
Palais des Tuileries, vue extérieure

La milice nationale montait la garde au château : ce service révélait à ces petits bourgeois, à ces boutiquiers, ignorants des rites de la Cour, un cérémonial qui les offusquait ; car l’étiquette survivait et, par égard pour Leurs Majestés, les officiers de la Maison du roi veillaient scrupuleusement à ne rien modifier des habitudes de Versailles. Ainsi était-il d’usage de se découvrir lorsque passaient les Viandes du roi. Certain jour, un volontaire du bataillon du Petit-Saint-Antoine, était, avec sa compagnie, en sentinelle dans les antichambres quand vinrent à passer quelques valets des cuisines portant l’un des plats destinés à la table royale ; ils criaient Chapeau bas ! Messieurs, chapeau bas ! Tous les assistants saluèrent aussitôt, sauf un seul, le volontaire, qui s’obstina à rester couvert jusqu’à ce qu’un fonctionnaire lui enjoignît d’ôter son chapeau[20]… Quand ces bonnes gens, rentrés chez eux, racontaient semblables faits à leur ménagère, tout le quartier les commentait avec stupeur et indignation.
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Shibboleth

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:31

Chakton a écrit:
Airin a écrit:
« Je parle au peuple ; milice, poissardes, tous me tendent la main, je la leur donne »

Et elle a cru que ça suffisait. Naïve, la petite. Cool

Vous êtes dur. Sad

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Airin

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:36

Shibboleth a écrit:
Chakton a écrit:
Airin a écrit:
« Je parle au peuple ; milice, poissardes, tous me tendent la main, je la leur donne »

Et elle a cru que ça suffisait. Naïve, la petite. Cool

Vous êtes dur. Sad

Attendez, Lenotre va vous répondre.

La reine s’était lassée de serrer la main aux harengères de la Halle et à partager avec elles les fleurs de ses chapeaux ; elle ne se montrait guère ; de là sa réputation d’orgueil ; on en conclut qu’elle méprisait le peuple. Le roi, au contraire, tenta de se rendre populaire : le 18 octobre, par une pluie battante, il sortit du château et, à pied, « un grand bâton à la main, en frac brun et en bas à carreaux, un chapeau râpé sur la tête », il traversa le jardin dans sa longueur et s’en vint aux Champs-Élysées afin de passer une revue de la garde nationale. Il dut attendre une heure, sous l’averse, que les bataillons fussent réunis et, bien que « la canaille fût enchantée et disait : « Il a, comme nous, de la boue jusque par-dessus les chevilles », on jugea déplacé qu’il se mît si peu en frais de toilette quand la milice citoyenne lui faisait l’honneur de défiler devant lui[21] ».

Le dauphin trouvait grâce devant ces susceptibilités ; on avait entouré d’une barrière un terrain des parterres afin qu’il y pût jouer en attendant qu’on créât pour lui un jardin particulier dans la pépinière, « située à l’extrémité de la terrasse du bord de l’eau, au niveau du quai[22] ». Mme de Tourzel et sa fille Pauline l’y accompagnaient chaque jour et jamais elles n’entendirent « que des exclamations sur la beauté du jeune prince dont on admirait l’opulente santé et la gentillesse ».

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 7e262a10
La famille royale dans les jardins des Tuileries

Après avoir boudé durant quelques semaines et borné ses sorties à des promenades dans les parterres ou à des visites aux hôpitaux, le roi n’y tint plus : l’exercice lui manquait et la privation de la chasse lui paraissait particulièrement pénible ; ses meutes étaient entretenues à Versailles et il se tenait au courant de leur laisser-courre. Combien de fois, dans son laconique Journal, note-t-il, — et avec quel regret de ne pas en être ! — le cerf chassait à Gambaiseuil, — le cerf chassait à Poigny… Au printemps de 1790 il comprit que le semblant de captivité qu’il s’imposait n’attendrissait pas les Parisiens et ne désarmait pas ses ennemis. Il se remit donc au cheval, limitant d’abord ses promenades au bois de Boulogne. Un jour, — le 22 mai, — comme il en revenait par les boulevards et la rue Saint-Martin, « le peuple le regardait avec cette douce satisfaction qu’inspire la vue d’un homme de bien et non avec le sot ébahissement qui le faisait autrefois courir sur les pas d’un individu quelconque de la Cour ». Un tailleur de pierre dit à son compagnon : « Tiens, regarde donc passer ce brave homme. » Louis XVI entendit ce propos et salua ces ouvriers[23]. Le 29 mai, jour de la Fête-Dieu, il suivit dévotement, avec sa famille, la procession de Saint-Germain-l’Auxerrois, paroisse des Tuileries. « Tout Paris s’y porta en foule ; plus d’une fois les chants religieux furent interrompus par les acclamations civiques. Quelques voix essayèrent de crier Vive la reine ! les cœurs se turent[24]. » Néanmoins ces manifestations eurent pour résultat que la population vit, sans inquiétude, la famille royale quitter Paris, le 4 juin, pour s’installer à Saint-Cloud où elle allait passer la belle saison.

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Le château de Saint-Cloud
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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:38

Tuileries, Saint-Cloud, deux lieux chargés de souvenirs malheureusement disparus. Sad

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:43

C'est un récit vraiment intéressant. Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 914132

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:48

D’ailleurs, il était convenu que le roi reviendrait à Paris chaque fois que sa présence y serait nécessaire. L’Assemblée nationale s’occupait alors de fixer le montant de la Liste civile : Louis XVI demandait qu’elle fût de 25 millions, augmentés de la jouissance des demeures royales et d’un douaire de quatre millions en faveur de la reine. L’Assemblée, encore courtoise, accorda ces chiffres, sans discussion et à l’unanimité ; mais les feuilles hostiles à la Cour les jugeaient outrageusement exagérés : « Députés de nos malheureuses provinces où l’excès de l’impôt a tué toute industrie, où la nature du sol se refuse à toute production, allez devant le monarque, présentez-lui le pain noir et les racines dont se nourrissent les squelettes vivants qui habitent vos campagnes et demandez-lui s’il persiste à croire qu’il lui faut 25 millions pour sa Maison[25]. » Ainsi entretenait-on l’insoluble malentendu qui divisait Louis XVI et la nation ; celle-ci s’indigne de l’énormité d’une telle somme ; lui qui, un an auparavant, disposait de tous les revenus du royaume, s’inquiète de sa modicité.

Il s’applique, du reste, avec zèle à son métier de souverain constitutionnel, et c’est encore là une lourde contrainte ; le 13 juillet, il quitte Saint-Cloud avec la reine et le dauphin pour recevoir aux Tuileries les délégués départementaux à la fête de la Fédération. Il prend place dans le grand péristyle du château, au rez-de-chaussée du pavillon central et les milliers de fédérés, massés dans le jardin, sur la place Louis XV et aux Champs-Élysées, passent devant lui : chacun des commandants lui remet un état de sa compagnie avec les noms de ses hommes : c’est très long ; et le roi inscrit dans son Journal : Revue d’inspection des fédérés dans le vestibule des Tuileries. À quatre heures et demie. Le cerf chassait à la croix de Toulouse. C’est à cela qu’il pense tandis que l’interminable défilé se poursuit. Presque chaque jour, il lui faut venir à Paris pour quelque cérémonie. La reine l’accompagne toujours. Voici maintenant des réjouissances sur la rivière : trois cents jouteurs se groupent devant le pavillon de Flore ; la famille royale est aux fenêtres ; on chante, on acclame les souverains et, le lendemain, la Gazette de Prudhomme s’indigne de cet hommage « scandaleux ». « Des esclaves, oui, des esclaves affectaient de pousser un long cri de Vive la reine ! Ah ! oui, vive la reine, c’est-à-dire vivent les Polignac, vive Trianon, vivent les grils à boulets (?), vivent les 25 millions ! Le peuple, le vrai peuple, spectateur indifférent de cette scène, se retira sans mêler sa voix à celle des hurleurs[26]. » Tout est occasion d’invectives contre le malheureux monarque. N’a-t-il pas eu l’audace de citer Versailles au nombre des résidences dont il souhaite conserver la jouissance ? « Versailles ! Quoi ! On laisserait subsister cet antre du despotisme dont l’entretien seul mettrait dans l’aisance 3.000 familles ! Le plomb qui est enseveli sous terre vaut 30 millions ; le bronze, transformé en grenouilles qui vomissent, pour le plaisir des sots, une eau putride, pourrait suffire à pourvoir de canons une partie des gardes nationales des frontières. Malheur à celui qui n’a pas versé des larmes amères, la première fois qu’il a vu ce gouffre d’or ; il ne sera jamais bon citoyen[27]. »

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Louisx10

La démagogie est, dès sa naissance, aussi stupide que destructive : c’est par de telles bourdes qu’elle propage la désaffection du peuple pour ces princes qu’il a tant aimés. Ces calomnies brutales, ces insinuations éhontées, répandues sans répit, fermentent dans les esprits encore crédules, tout aussi incapables de contrôler ces assertions et ces chiffres que de soupçonner qu’on ment. Aussi les diffamateurs, assurés de l’impunité, redoublent-ils chaque jour de virulence. Le moindre fait est envenimé ; tout est prétexte à préconiser le grand branle-bas. Quand le roi se promène dans le jardin des Tuileries, on n’y laisse pénétrer que les personnes munies de cartes. Patience ! Il ne sera pas toujours là : « Il peut abandonner de mille manières les rênes du gouvernement ; son état pléthorique peut l’enlever d’un jour à l’autre à l’amour du peuple… Il peut être frappé d’incapacité[28]… » Il y a eu quelque désordre au jardin : pour en éviter le retour l’entrée en est interdite aux porteurs de cannes à épée : sage mesure, aussitôt jugée inhumaine : « le vieillard caduc se voit obligé de se dessaisir de l’appui qui soutenait sa marche chancelante… » et, tout de suite, l’appel à l’insurrection : « Il est facile de désarmer quelques individus ; il ne le serait pas autant de disperser plusieurs milliers de citoyens réclamant leurs droits indignement compromis[29]… » Cet assaut quotidien de l’effronterie et du cynisme contre la résignation, voire l’apathie de la Cour, abonde en étranges péripéties. Il semble que Louis XVI, qui, pourtant, lit chaque matin un grand nombre de journaux, se désintéresse de ces attaques ou qu’il les dédaigne. En novembre 1790, une bagarre au jardin des Tuileries ameute plusieurs milliers de badauds ; un ancien militaire a « mal parlé » du pillage de l’hôtel de Castries. Une « foule innombrable de motionnaires » le pousse vers le château. Le roi est occupé à lire dans le petit réduit qu’il s’est réservé au rez-de-chaussée, près de la reine. Avisé de l’irruption tumultueuse de ses antichambres, il ferme son livre et, du plus grand sang-froid : « Je ne sais, dit-il, ce que me veut tout ce monde. » Il monte à son appartement, congédie les manifestants et donne l’ordre de fermer les portes[30]. Le bruit fut répandu, le lendemain que, pris de peur, il s’était écrié : « Sauvez-moi de cette canaille enragée ! » et avait gagné promptement les combles du château pour se cacher dans un grenier[31].
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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:49

Chakton a écrit:
C'est un récit vraiment intéressant. Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 914132

palpitant. Surprised

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:54

Airin
Merci Smile
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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:55

Son flegme habituel ne se dément point en d’autres circonstances plus graves. L’affaire des Chevaliers du poignard, travaillée cependant de façon à éperonner rudement les naïfs, ne paraît pas avoir ému le roi. Depuis quelques jours on parlait à mots couverts de trois mille gentilshommes qui, sous des travestissements variés « formaient une continuelle patrouille autour des Tuileries, prêts à obéir au premier signal ». À la vérité, plusieurs des personnages que leur charge appelait au château se munissaient de pistolets dans la crainte d’un mouvement populaire. Le 28 février 1791, tandis que le faubourg Saint-Antoine se portait à Vincennes pour en démolir le donjon, on annonça brusquement que les appartements royaux « regorgeaient de gens déguisés et armés de poignards », dans l’intention manifeste d’égorger les honnêtes gardes nationaux de service chaque jour auprès du roi. Même un journal offrit à ses lecteurs une reproduction de ces poignards ; « leur lame à deux tranchants et leur pointe, en forme de langue de vipère, devaient occasionner des blessures dont la plus légère serait un supplice cruel[32] ». Paris en frémit d’horreur durant plusieurs jours. Louis XVI, blasé sur l’importance de ces algarades, notait dans son Journal : 24, rien, train aux Tuileries, — 28, rien, train à Vincennes et aux Tuileries[33].

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 73861210

La Correspondance secrète fournit quelques détails sur la vie des hôtes du château, à cette époque : « Le roi témoigne toujours beaucoup de tendresse à son épouse… Dès qu’il est au lit, il dort profondément jusqu’à sept heures du matin ; il ronfle à être entendu dans les pièces voisines. Son lit est fort dur ; point de plume ; il lit vingt journaux par jour dont le plus grand nombre est aristocratique… Le roi et la reine tiennent grand couvert à dîner les dimanches et les jeudis ; mais la reine n’y mange rien ; elle rentre au sortir de table dans ses appartements où elle dîne avec Madame Élisabeth. Le roi mange peu à midi, mais prodigieusement le soir ; il observe régulièrement les jours d’abstinence et aime beaucoup l’esturgeon dont il fait garder les restes pour le lendemain[34]. » On observait, au coucher et au lever du roi, l’étiquette traditionnelle de Versailles et ce vestige du cérémonial échauffait le courroux factice des gazetiers révolutionnaires. N’avait-on pas vu des officiers de la garde nationale « s’abaisser jusqu’à porter la queue du vêtement de la femme du roi » ? — « Citoyens soldats, ceux de vos chefs qui ont compromis à ce point le caractère et l’habit national ne sont plus dignes d’être à votre tête ; qu’ils soient dégradés en présence de leur bataillon[35] ! » — « N’avait-on pas vu encore, vers le même temps, un prince de l’Église, un cardinal, un grand aumônier de France, un Montmorency, recevoir, en toute humilité, le chapeau du roi, quand celui-ci entre dans son oratoire, le tenir respectueusement pendant tout l’office, pour le remettre au dit seigneur roi, avec toute la bassesse d’un laquais, au sortir de la tribune[36] ? » Et ces mêmes folliculaires, si chatouilleux sur le point d’honneur, ne se refusaient pas d’imprimer, à l’adresse du petit dauphin, des grossièretés de ce genre : « Il est reçu en France que les bourreaux soient bourreaux de pères en fils ; un enfant de bourreau n’a pas le choix de son état ; il sera ce qu’ont été ses aïeux. On a infligé la même peine aux familles royales ; il est de toute nécessité qu’un enfant, né dauphin, soit roi[37]… »

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Cet été-là, l'extravagance était à la mode.
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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 17:59

pepe12547 a écrit:
Airin
Merci Smile

Mais de rien, cher pepe12547. C'est M. Lenotre qui a fait tout le travail de recherche et d'écriture. Je ne fais que partager.

Ces coups de sape répétés minaient l’atavique vénération du petit peuple pour ses maîtres : en quelques mois, la méfiance des Parisiens s’était accrue au point qu’ils s’ameutèrent quand, le printemps revenu, Louis XVI décida de se fixer avec sa famille à Saint-Cloud, ainsi qu’il l’avait fait l’année précédente. Obéissant à un mot d’ordre mystérieux, la population en émoi afflue au Carrousel, dans les cours du château, se masse sur le chemin de Saint-Cloud : Ils ne partiront pas. Il ne faut pas qu’ils partent ! Tel est le cri de ralliement. Le roi, la reine et leurs enfants sont déjà dans la voiture ; mais la foule est si dense que les chevaux ne peuvent avancer. On dispute, on insiste, on implore : en vain ; il faut céder et rentrer au château ; bien persuadé maintenant qu’on y est prisonnier et qu’il est urgent de chercher les moyens de sortir clandestinement de Paris, afin d’échapper à cette vie d’incessantes alertes et à d’humiliantes concessions.

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 436410

Moreau de Jonnès, jeune provincial récemment débarqué dans la capitale et immédiatement enrôlé dans la garde nationale, trouva, en avril 1791, l’occasion de pénétrer dans la chapelle des Tuileries et d’assister à la messe du roi. Un peu de topographie est ici indispensable : lorsque, venant du Carrousel, on pénétrait dans le péristyle du pavillon central, on voyait, à droite, l’escalier monumental construit sous Louis XIV par Levau. Ce grand degré montait d’une première volée à un palier d’entresol, avant de se diviser en deux rampes pour atteindre, en retour, au premier étage, où il donnait accès à la salle des Cent-Suisses. La chapelle s’ouvrait sur le premier palier, par conséquent, à mi-étage. Des bâtiments primitifs de Catherine de Médicis, seules restaient alors les deux galeries d’arcades ouvertes sur le jardin, formant à la hauteur du premier étage, deux terrasses dont l’une, — celle touchant à l’Œil de bœuf, — était de niveau avec les appartements du roi. Pour se rendre de chez lui à la chapelle, sans traverser les antichambres toujours encombrées de gardes nationaux, Louis XVI devait donc passer sur cette terrasse ; on y avait établi un couloir en planches afin d’épargner à Sa Majesté, outre l’inconvénient des intempéries, celui d’être aperçu par les promeneurs du jardin. Ce couloir, de 7 pieds 3 pouces de large[38], se continuait à travers la salle des Cent-Suisses jusque sur l’autre terrasse touchant à la chapelle et conduisait à la tribune royale et à quatre petites tribunes latérales prises dans les embrasements des croisées[39].

Ce qui frappa tout d’abord Moreau de Jonnès pénétrant dans cette chapelle, ce fut le délabrement de ce sanctuaire royal : « Je n’avais jamais vu, écrivait-il, dans les comtés les plus sauvages de la Basse-Bretagne, église aussi délabrée. » Un vieux monsieur lui expliqua que cet état de dégradation ne pouvait être imputé à la Révolution, les Tuileries étant, de mémoire d’homme, abandonnées aux outrages du temps. Un peu avant le commencement de l’office, deux grenadiers se postèrent de chaque côté de l’autel « pour garder Dieu ou lui faire honneur, comme on fait pour un colonel en mettant des sentinelles à sa porte ». L’immobilité automatique de ces fonctionnaires, qui restèrent là plus d’une heure au port d’armes, fut l’objet de l’admiration des spectateurs.
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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 18:05

Airin a écrit:
Moreau de Jonnès
Pour le récit de sa visite aux Tuileries, par ici Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 20113
https://maria-antonia.forumactif.com/t16553-visite-aux-tuileries-en-1791

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 18:10

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu 039tui10
La chapelle des Tuileries

Enfin on entendit dans les galeries du château le bruit lointain des fusils qui résonnaient et des hallebardes qui frappaient les dalles. Une voix sonore éclata dans le silence : « Le roi, Messieurs ! » Tous les yeux étaient tournés vers l’une des humbles tribunes latérales, à demi saillante et à moitié encadrée dans la muraille ; sa largeur n’excédait pas six pieds et n’offrait de place que pour une seule personne. Le roi y parut ; il jeta un regard distrait sur l’assemblée, s’agenouilla, dit une courte prière, tourna deux feuillets d’un livre d’office ouvert devant lui, puis s’assit, sans autrement s’occuper de rien.

Il paraissait bien plus âgé qu’il ne l’était réellement ; il n’avait que trente-sept ans ; on lui en eût donné plus de quarante-cinq, à cause de sa corpulence prématurée. Son buste semblait énorme, proportionnellement à ses membres et à sa tête ; « cet effet était augmenté par une coiffure presque aplatie et par une veste qui descendait du cou presque jusqu’aux cuisses, suivant l’ancien usage. Cette veste était de soie blanche, garnie d’une broderie semblable ; il avait des culottes courtes en soie noire, des bas blancs et des souliers à boucles d’or. Une petite épée à gaine blanche pendant horizontalement à son côté ».

Aucun signe d’affection ni d’intérêt ne se manifesta dans l’assemblée, composée pourtant de royalistes et l’on oublia complètement la présence du roi lorsque la reine parut ; « il est vrai que le Saint-Sacrement ne fut pas mieux traité et qu’on lui tourna le dos pour la voir. Elle entra dans la grande tribune royale qui embrassait toute la largeur de la chapelle en face de l’autel, et vint avec son fils s’agenouiller au centre. Le dauphin était un joli enfant, au teint blanc, aux yeux bleus et aux cheveux dorés ; il avait la vivacité impatiente de son âge et restait difficilement tranquille. Sa sœur était placée sur le devant de la tribune, mais à une grande distance de sa mère ; l’étiquette le voulait ainsi. D’ailleurs, les regards étaient fascinés par la reine et ne voyaient rien autre qu’elle. Sa coiffure était formée d’un édifice de cheveux couronné de grandes plumes blanches ; son front était parfait et on n’y lisait rien des chagrins, des inquiétudes dont il semblait que trois ans de Révolution auraient dû laisser la trace. Je ne crois pas avoir vu de femme de son âge qui fût aussi jeune ; on ne lui aurait guère attribué plus de vingt-six ans, c’est-à-dire dix ans de moins qu’elle n’avait. Sa robe était, sans reproche, des plus décolletées ; elle s’ouvrait par devant et montrait une jupe rose, couverte de dentelles, étendue sur un panier de trois mètres de circonférence ; elle se terminait en arrière par une longue queue traînante et un manteau royal, bleu avec des fleurs de lys d’or, était appendu entre les épaules… Vers la fin de l’office, des acclamations bruyantes s’étant fait entendre au loin, Marie-Antoinette ne se trompa point sur leur objet et sa figure se rembrunit tout à coup : c’était l’accueil que le général La Fayette recevait sur son passage, au Carrousel. La reine fronça les sourcils et lança au roi un regard d’intelligence où se peignaient sa colère, son mépris pour l’usurpateur de ces témoignages de respect qui lui paraissaient l’un des droits de sa couronne[40] ».
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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 18:13

Sympa, la description du roi. tongue

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 18:26

Ce récit, émanant d’un citoyen patriote et nullement suspect de sympathie pour la royauté, contraste par sa sincérité et son émotion à peine dissimulée, avec les prétendues informations de la presse jacobine. Rien n’interrompt ses diffamations : six jours après le coup de force qui prive les souverains du repos estival de Saint-Cloud, le roi, sans rancune et prêt à toutes les concessions, va, accompagné de sa famille, entendre la messe de Pâques à sa paroisse, Saint-Germain-l’Auxerrois. Messe constitutionnelle, pour parler l’argot de l’époque. C’est là, évidemment, pour Louis XVI, un très pénible sacrifice. Le peuple de Paris, fort sensible et, quand il n’est pas dupé, singulièrement délicat, le peuple sait gré au roi de la contrainte qu’il s’impose : il l’acclame, applaudit la reine qui a orné sa coiffure de rubans tricolores[41]. Le court trajet depuis les Tuileries jusqu’à l’église est presque un triomphe. Que faire pour effacer cette impression favorable ? Ne pouvant contester les bravos qui ont salué le passage du roi, on publiera que l’hypocrite s’est rendu à l’office constitutionnel pour mieux dissimuler sa haine des prêtres jureurs ; qu’il tremblait d’y être empoisonné. On tient, en effet, d’un bedeau que, contrairement à son habitude, il s’est abstenu de manger le pain bénit qui lui a été offert sur un plat d’argent ; on a même vu l’une des dames de la reine jeter ce pain bénit à terre et le fouler aux pieds[42]. Ainsi, tout ce que feront ces infortunés souverains sera jugé crime de lèse-nation ; tout ce qu’ils disent mensonge et perfidie ; on censure leur conduite publique ; on satirise leur vie privée ; on moleste leur entourage et le peu qui leur reste du bien-être et des égards d’autrefois est taxé de vol fait aux pauvres ou d’insulte à la nation.

Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Zcgq5y10
Louis XVI en Janus aux deux visages

Il est pourtant réduit à rien le cérémonial de la Cour. Les couchers du roi, jadis occasion de causeries badines entre courtisans familiers et sûrs, sont maintenant des corvées ; les haut gradés de la garde nationale y sont admis, on s’observe, on se méfie ; plus de pages à mystifier ; plus d’abandon, plus de récits de chasse ; la politique a tout envahi, tout infesté. On a quelques renseignements sur le coucher du lundi 20 juin 1791. La scène est dans la chambre de parade, celle au beau lit de brocart rouge broché d’or. Sur la balustrade qui protège ce lit, sont posés, suivant l’étiquette, le bonnet et le mouchoir de nuit, à côté, la robe de chambre. Le roi entre à onze heures, remet à un gentilhomme son chapeau et son épée et cause avec les assistants. La Fayette est annoncé vers onze heures et quart ; on parle de la procession de la Fête-Dieu qui doit avoir lieu le jeudi suivant ; il y aura un reposoir dans la cour du Louvre. Louis XVI n’abrège pas la conversation ; mais il paraît soucieux et, à diverses reprises, il s’approche des fenêtres pour jeter un coup d’œil au jardin, enveloppé d’une nuit très sombre.

À onze heures et demie, les visiteurs étant congédiés, le roi resta seul avec son valet de chambre, Lemoine. Il passa dans la pièce voisine, où il couchait, se déshabilla et se mit au lit. Lemoine ferma les rideaux qui enveloppaient la couche royale, alluma le « mortier de nuit », poussa les verrous des portes et, comme il devait dormir dans la chambre de son maître, il passa dans un cabinet attenant. Au bout de quelques instants, il rentrait en chemise de nuit, attachait à son bras le cordon d’appel dont il disposa, comme à l’ordinaire, l’autre extrémité à la portée de la main du roi endormi, et il s’étendit sur son lit de sangle, entouré d’un paravent, avec les précautions habituelles pour ne pas faire le moindre bruit[43].

La nuit fut des plus calmes ; le 21, à sept heures, Lemoine s’éveilla, ouvrit les volets, replia son paravent, rangea son lit, puis, s’approchant de l’alcôve royale il s’inclina respectueusement et prononça la formule d’usage : « Sire, il est sept heures. » Alors il écarta les rideaux et s’aperçut avec stupéfaction que le lit était vide.

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MessageSujet: Re: Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu   Les Tuileries. Fastes et maléfices d’un palais disparu Icon_minitimeVen 13 Avr - 18:28

Le passage que le comte de Fersen considérait comme le plus difficile de l'évasion : la sortie des Tuileries.

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