Le mercredi dix-neuf décembre, on apporta comme à l'ordinaire le déjeuner du Roi: ne pensant pas aux quatre temps, je le lui présentai:
"C'est aujourd'hui jour de jeûne ", me dit ce prince
« Je reportai le déjeuner dans la salle"
— "A l'exemple de votre maître, vous jeûnerez sans doute aussi, me dit d'un ton railleur un Municipal (Dorat de Cubières)
— «Non, Monsieur, j'ai besoin aujourd'hui de dejeûner, lui répondis-je.
Quelques jours après Sa Majesté me donna à lire un journal que lui avoit apporté M. de Malesherbes, et où se trouvoit cette anecdote entièrement défigurée
"Lisez, me dit le Roi, vous verrez qu'on vous traite de malicieux ; ils auroient sans doute mieux aimé pouvoir vous traiter d'hypocrite."
Le même jour dix-neuf, le Roi me dit à son dîner devant trois ou quatre Municicipaux : I1 y a quatorze ans que vous avez été plus matinal qu'aujourd'hui.
Je compris aussitôt Sa Majesté.
C'étoit le jour où naquit ma fille, continua le Roi.
Aujourd'hui, son jour de naissance, répéta-t-il avec attendrissement, et être privé de la voir!"
Quelques larmes coulèrent de ces yeux, et il régna pour un moment un silence respectueux.
Madame Royale ayant désiré un almanach dans la forme du petit calendrier de la Cour, le Roi me chargea de l'acheter, et de faire emplette pour lui de l'almanach de la République, qui avoit remplacé l'almanach-royal: il le parcouroit souvent et en notoitles noms avec un crayon.
Le Roi devoit bientôt paroître pour la seconde fois a la barre de la Convention.
Il n'avoit pu se faire la barbe depuis qu'on avoit enlevé ses rasoirs, et il en souffroit beaucoup, ce qui le forçoit de se laver le visage plusieurs fois le jour avec de l'eau fraîche.
Le Roi me dit de me procurer des ciseaux ou un rasoir, mais qu'il ne vouloit pas en parler lui-même aux Municipaux.
Je pris la liberté de lui observer que s'il paroissoit ainsi à l'Assemblée, le peuple verroit au moizis avec quelle barbarie en agissoit le Conseil général.
"Je ne dois pas, me répondit Sa Majesté, chercher à intéresser sur mon sort."
Je m'adressai aux Commissaires, et la Commune décida le lendemain qu'on rendroit les rasoirs du Roi, mais qu'ilrie pourroit s'en servir qu'en présence de deux Municipaux.