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| CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] | |
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Aglae
Nombre de messages : 1674 Date d'inscription : 09/10/2016
| Sujet: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Sam 2 Mar - 11:15 | |
| https://www.persee.fr/doc/cejdg_1243-8170_2005_num_1_12_950 Il ne s'agit pas à proprement parler d'une "biographie" mais d'un article extrêmement intéressant mettant en miroir, justement un bon nombre de biographies sur Marie-Antoinette , et apportant ainsi beaucoup d'eau à nos moulins ( ou beaucoup de grain à moudre !! ) au sujet de ce que nous pensons tous de ces biographies...... Il s'agit d'un article paru dans Les cahiers des Goncourt, Les Goncourt historiens année 2005, pages 61 à 77; ( je le copie-colle ici dans son ensemble, tant il me paraît riche et pertinent) Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques.
La reine Marie-Antoinette occupe une place particulière au sein de l'historiographie de la Révolution française : à l'approche de la commémoration du bicentenaire, les travaux scientifiques se sont plus ou moins multipliés, privilégiant l'étude du poids politique des pamphlets et des caricatures qui ont exposé Marie-Antoinette à la haine de ses sujets, en lui réservant une image fantasmatique et un discours particulièrement violent . Mais la reine, dans l'ensemble, échappe à l'Histoire et s'érige comme une figure de proue de cette histoire biographique qui captive le grand public : celle-ci se caractérise par son abondance et sa redondance. D'un biographe à l'autre, le style varie peu, les principaux rouages biographiques mis en place sont, inlassablement, copiés : Marie-Antoinette est « la » victime de cette lution — il s'agit de réhabiliter de façon définitive la reine et de condamner, à nouveau, la Terreur. Au sein de cette histoire qui glose sur le sort de la veuve Capet, trois grands archétypes biographiques peuvent être retenus : trois écritures qui dissertent longuement sur le corps royal et révèlent ainsi la qualité et la véritable nature de leur dessein biographique.
La première écriture est celle des Goncourt qui proposent en 1858 Histoire de Marie-Antoinette, une vaste peinture de la société de la fin de l'Ancien Régime qu'ils réduisent à l'angle féminin et royal de Marie-Antoinette . Les Goncourt méprisent le corps féminin : pourtant, ils construisent une image du corps de la reine, celle d'une icône féminine et pure, qui se dresse comme un « écran à la question sexuelle ». Cette écriture est l'archétype biographique de Marie- Antoinette, à la fois apologétique et hagiographique, qui se fixe comme objectif de réhabiliter la mémoire de la reine guillotinée. Le corps de celle-ci est également un prétexte narratif pour condamner l'œuvre et les hommes de la Révolu-
1. Voir, entre autres, les travaux de :
- Chantai Thomas, La Reine scélérate, Seuil, 1989.
- Lynn Hunt, The Family Romance of the French Revolution, University of California Press, 1992 ; traduction française publiée chez Albin Michel, 1995.
- Annie Duprat, Le Roi décapité, Essai sur les imaginaires politiques, Cerf, 1992.
- Antoine de Baecque, Le Corps de l'Histoire, Calmann-Lévy, 1993.
2. Edmond et Jules de Goncourt, Histoire de Marie-Antoinette, Œuvres complètes, Slatkine Reprints, 1986, 408 pages.
3. Chantai Thomas, La Reine scélérate, Seuil, 1989, p. 109. Selon Chantai Thomas, la reine serait l'unique image féminine qui trouverait grâce aux yeux des Goncourt.
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tion, réduits à la lecture de la Terreur, à ce que subit Marie-Antoinette en tant que reine, veuve, mère et femme.
La seconde écriture choisie est celle de Stefan Zweig : il publie en 1932 l'un de ses plus grands chef-d'œuvres, Marie-Antoinette, portrait d'un caractère moyen. Disciple et ami de Freud, Stefan Zweig applique au genre biographique la science psychanalytique : Marie-Antoinette est un caractère moyen, une femme médiocre qui « à la dernière heure de sa vie [...] atteint au tragique et devient égale à son destin » ; « l'Histoire » ne cesse de harceler « cette âme molle et faible », d'éprouver cette femme dans son corps pour la proposer « en exemple à la postérité ». Outre un portrait saisissant de Marie-Antoinette, il décrit avec force les dernières années de l'Ancien régime et les premières de la Révolution, attaché à l'aspect psychologique des acteurs, aux rapports de force entre les sexes. Enfin, il ose lever ce voile pudibond jeté sur le corps de Marie- Antoinette par la tradition apologétique ; les intrigues de la cour et les accusations de la Révolution se nouent autour des imprudences et des humiliations du sexe royal. La Marie-Antoinette de Stefan Zweig est avant tout un corps sensuel et sexuel, exposé et souffrant. La nature de cette œuvre, isolée en raison de sa qualité et de son audace au sein de cet univers biographique, propose une analyse fondamentale et incontournable de la reine.
L'archétype biographique de « la pécheresse expiant ses fautes » est celui de Paul et Pierrette Girault de Coursac qui ambitionnent d'avilir la présence actuelle de Marie-Antoinette dans le cœur et les mémoires du grand public, et de substituer sa légende à celle de Louis XVI . Historiens du roi, ils s'approprient les armes des biographes de la reine : ils dénoncent sa prétendue séduction, la réduisent à un corps ingrat, sans beauté ni formes féminines. Le corps de Louis XVI serait victime de celui de la reine : la lente dépréciation de la popularité du roi, la mise à mort de la monarchie seraient le résultat des machinations de ce corps féminin monstrueux. Le traitement réservé à Louis XVI, à partir de 1789, s'expliquerait par le comportement innommable de la reine ; en somme, les Girault de Coursac reprennent les principales accusations du tribunal révolutionnaire à l'encontre de Marie-Antoinette, tout en condamnant les valeurs et les hommes de la France en Révolution.
1. Stefan Zweig, Marie-Antoinette, portrait d'un caractère moyen, Grasset, 1932, p. 11.
2. Ibid., p. 10.
3. Ibid., p. 11.
4. Ibid.
5. Annette Rosa, Citoyennes, les femmes et la Révolution française, Messidor, 1988, p. 178.
6. Paul et Pierrette Girault de Coursac, Louis XVI et Marie-Antoinette, vie politique, vie conjugale, F.-X. Guilbert, (O.E.I.L), 1990 ; La dernière année de Marie-Antoinette, F.-X. Guilbert, (O.E.I.L), 1993 ; Histoire, Historiens et Mémorialistes du règne de Louis XVI et de la Révolution, F.-X. Guilbert, (O.E.I.L), 1997.
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Le jeu des écritures biographiques de Marie-Antoinette sont autant d'enjeux historiographiques de la Révolution française : à une écriture du corps de la veuve Capet correspond une image de la Révolution et de la Terreur. Il s'agit de comprendre, également, comment les dernières années de l'Ancien Régime ont préparé un discours (par les pamphlets) et une représentation (par les caricatures) du corps de l'Autrichienne. En 1793, tout sera possible et permis, même le pire : l'opinion a été préparée, le corps de Marie-Antoinette (celui d'une femme) n'est qu'une injure au monde nouveau et républicain qui se met en place (celui des hommes de la Révolution) - il doit disparaître.
L'écriture sanctionne en trois étapes biographiques l'exposition et l'appréciation (positive puis négative) du corps de Marie-Antoinette. Il est, dans un premier temps, un corps vierge destiné à être défloré par Louis-Auguste, mais le jeune homme, pendant plus de sept ans, n'a pas la force (et peut-être la volonté ?) de délivrer Marie-Antoinette de son hymen. Autour de son sexe se construit un discours agressif et destructeur : Louis XVI est impuissant, Marie- Antoinette est nymphomane, les corps royaux ne peuvent plus incarner l'Etat monarchique.
Au corps sexuel accusé, trois types de discours répondent : louer le corps maternel de la reine ; établir que le corps de Marie-Antoinette a donné des enfants au trône, puis qu'il s'est soustrait de ses prérogatives royales en s'offrant à Fersen ; nier à ce corps monstrueux toute identité maternelle et tout épanouissement sensuel et sexuel. Quand le corps maternel est accusé d'inceste, les Goncourt réduisent la Révolution à cet épisode sans gloire, Stefan Zweig tente d'éclairer les faits psychanalytiques qui poussent un enfant au mensonge ; les Girault condamnent timidement le témoignage orchestré par Hébert, ou du moins, innocentent à peine la mère outragée.
Enfin, le corps de la veuve Capet est condamné à mort, et se prépare à affronter le peuple et l'échafaud. Les écritures biographiques se concentrent sur cet ultime épisode : les Goncourt et Stefan Zweig subliment le corps mourant ; les Girault accordent leur pardon à ce corps expiant ses fautes.
1. La sexualité d'un corps vierge L'impératrice d'Autriche, Marie-Thérèse, et le roi Louis XV mettent un terme à sept ans de guerre par la carte de l'alliance matrimoniale : aux Pâques de 1770, le jeune dauphin Louis-Auguste doit épouser la non moins jeune archiduchesse Marie-Antoinette. Habsbourg et Bourbon. Ils s'engagent ainsi dans une politique durable, leurs sangs se mêlent « à jamais ». Les premiers pas de la nouvelle dauphine sur la terre française exigent une mise en scène où elle quitte définitivement tout signe de son appartenance aux Habsbourg. La francisation définitive de cette enfant prend forme quand Autrichiens et Français cohabitent
1. Stefan ZWEIG, ouvr. cité, p. 17.
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le temps d'une cérémonie, dans un aménagement spatial artificiel : la suite autrichienne qui accompagne Marie-Antoinette est chargée de la « remettre » à la suite française.
Une île inhabitée du Rhin est investie par des charpentiers, des menuisiers, des tapissiers : le pavillon de la remise est composé de deux appartements, l'un destiné à l'Autriche (situé à l'est du Rhin), l'autre réservé à la délégation versaillaise (situé à l'ouest du fleuve). Le cœur de ce bâtiment a pour décor le « plus beau mobilier » strasbourgeois dont une table rigoureusement placée en son milieu, métaphore concrète de la frontière entre les deux puissances.
L'archiduchesse ne peut apparaître pour la première fois devant les représentants du roi de France sous des apparences vestimentaires autrichiennes : l'étiquette exige sa nudité. L'adolescente se déshabille entièrement, en présence de l'Autriche : « ni souliers, ni bas, ni chemise, ni rubans » ; un corps à peine formé, un corps vierge pour la première fois dévoilé et très certainement admiré.
La francisation définitive de ce corps comble les Goncourt : la princesse ne singe plus des manières françaises, « dépouillée » de ses vêtements, elle est de suite « rhabillée ». Les biographes pondèrent le traumatisme de l'adolescente : ils jugent cette épreuve nécessaire : « pour que rien ne lui restât d'un pays qui n'était plus le sien. ». Les biographes de Louis XVI se font violence : l'étiquette réfléchie par les chancelleries autrichienne et française n'a ni déshabillé, ni exposé le corps de la nouvelle dauphine. Au pavillon de la cérémonie, elle change de tenue à l'abri de tous regards, abandonne « sa robe de voyage 'en gros de Tours blanc' pour se mettre 'en robe et jupon d'étoffe d'or' ». Les Girault sont soucieux de démontrer l'absence de traumatisme de la jeune dauphine : l'étiquette s'est effacée et l'adolescente fut ménagée.
Puis, la jeune dauphine pénètre dans le salon, epicentre d'une frontière artificielle, « les yeux humides », « émue, tremblante ». L'ambassadeur d'Autriche cède la main de la princesse à celui de Louis XV : le corps de Marie-Antoinette contourne symboliquement la table. Dans le même temps, la suite autrichienne se retire dans son appartement et la suite française investit le salon. L'exigence de l'étiquette, l'atmosphère étouffante qu'elle produit (« tout le monde retient son souffle », « glaciale solennité ») éprouve les nerfs de la dauphine : elle fond
l.Ibid., p. 23.
2. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.24.
3. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr. cité, p. 17.
4. Ibid.
5. Ibid.
6. Paul et Pierrette Girault de Coursac, Louis XVI et Marie-Antoinette, vie politique, vie conjugale, chapitre : « Le voyage pour la France ».
7. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.24.
8. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr. cité, p. 18.
9. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.25.
10. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.25.
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en larmes et se réfugierait dans les bras de sa nouvelle dame d'honneur, la comtesse de Noailles.
La description de la cérémonie de la remise permet à Stefan Zweig de préparer son lecteur à un difficile et indiscret récit, celui de la non-consommation du mariage de Louis-Auguste et de Marie-Antoinette. Ce lieu interdit aux regards « profanes », est discrètement violé par de jeunes étudiants strasbourgeois dont le plus brillant, Goethe, se charge auprès de ses camarades de commenter ces pièces rares, des tapisseries des « Gobelins », tissées « d'après les cartons de Raphaël ». Un des thèmes iconographiques, « convenant aussi peu que possible à une noce », narre le « fatal » hymen de « Jason, Médée et Creuse » : Goethe dénonce l'indélicatesse de ce choix protocolaire qui présage l'infortune conjugale de Marie-Antoinette.
Des regards conduits par un voyeurisme certain s'emparent du corps de la dauphine puis de celui de la reine. Les écritures biographiques relaient ce voyeurisme : ce corps est minutieusement décrit, son intimité et sa sexualité sont révélées ; pire, le lecteur pénètre dans le lit royal. Stefan Zweig établit un bilan quasi clinique du corps sexuel de Marie-Antoinette : celui-ci est humilié par une virginité dégradante. Ce corps est frustré : c'est ainsi qu'il peut expliquer un mode de vie dont les imprudences alimentent la chronique. Le corps sexuel royal insatisfait est indissociable de la rhétorique du scandale. L'intellectuel viennois dévoile, dès le second chapitre de sa biographie, les malheurs d'un « secret d'alcôve ». Il se prête à une minutieuse analyse physiologique et psychanalytique de Marie-Antoinette et de Louis-Auguste ; enfin, il dresse un effroyable portrait de la mentalité de la cour versaillaise. Il met en scène les inquiétudes de l'impératrice, les moqueries puis l'incompréhension de Louis XV : comment son petit-fils peut-il rester impuissant devant la délicieuse apparence de sa jeune épouse ? Enfin, l'infécondité du couple royal serait le terreau de la « destruction de l'autorité royale » : un roi impuissant qui ne comble pas une reine séduisante, autant d'éléments d'un parfait scénario prêt à alimenter pamphlets et caricatures.
Le dauphin et la dauphine, mariés à Versailles le 16 mai 1770, sont conduits, après une longue journée fastueuse en représentations, dans leur chambre à coucher : poursuivis par l'étiquette, ils se couchent selon ses exigences. L'archevêque de Reims bénit le lit princier, le roi donne sa chemise au dauphin, la duchesse de Chartres la sienne à la dauphine. La cour se retire et laisse Louis-
1. Ibid., p.23. Edmond et Jules de Goncourt soulignent également cette indélicatesse iconographique : « [...J un pavillon [...] décoré de tapisseries représentant, funeste présage ! le tragique hymen de Jason et de Médée. », ouvr. cité, p. 17.
2. L'intellectuel viennois fonde une analyse physiologique du corps de Marie-Antoinette, à partir des très intéressants travaux du Docteur Cabanes, Indiscrétions de l'Histoire, qu'il porte à la connaissance de Freud, Cf. Sigmund FREUD, Stefan ZWEIG, Correspondance, Rivages poche / Petite Bbiliothèque, 1995, lettre du 21.X.1932, p.95-96.
3. Stefan Zweig, ouvr.cité, p.40.
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Auguste et Marie-Antoinette, seuls pour la première fois . Les riches rideaux qui ornent ce lit à baldaquin sont tirés : une « tragédie invisible » commence.
« RIEN », quatre lettres, un mot : véritable redondance au sein des différentes biographies de Marie-Antoinette, il résume l'état matrimonial du couple princier - le mariage n'est pas consommé. Le dauphin serait un « nonchalant mari », « une nature tardive ». L'impératrice et le roi ne s'en affolent pas : après tout, le mari et la femme ont « à eux deux à peine trente ans » ! Quelques railleries pimentent les conversations des salons de la cour : le futur roi serait impuissant. Les mois passent, les « mauvais bruits » s'emparent de la figure du jeune prince ; son épouse confie ses inquiétudes à son impératrice de mère. Celle-ci, sur les conseils du médecin de la famille impériale, Van Swieten, envoie un courrier au roi de France : la non-consommation du mariage royal devient une « affaire d'État 7».
Louis XV s'entretient longuement avec son petit-fils et le fait examiner par le célèbre médecin Lassone : Louis-Auguste n'est ni impuissant, ni affecté par un « obstacle mental ». Un léger défaut organique — un « prépuce » trop ou pas assez adhérent selon les rapports indiscrets - interrompt toute tentative de pénétration. Les chirurgiens proposent au jeune dauphin une simple opération chirurgicale : Marie-Antoinette approuve ce diagnostic et encourage le jeune homme à s'y soumettre. Mais celui-ci redoute le bistouri et ne parvient pas à s'y résoudre. Son indécision et son manque de courage se prêtent à une verve de plus en plus mordante, le dauphin devenu roi est qualifié d'« imbécile ».
Sept années se sont écoulées, sept années où Louis-Auguste s'obstine, où il se ridiculise auprès de sa femme, de sa famille, de sa cour et de ses sujets. L'impératrice, exaspérée, charge son fils, le futur empereur Joseph, de se rendre à Versailles, au printemps 1777, de décider ce malheureux amant à se faire opérer. Le frère de Marie-Antoinette a-t-il convaincu le roi, les mains expertes de grands chirurgiens lui ont-ils « rendu la voix » ? Des circonstances obscures mais un résultat heureux : le mariage est officiellement consommé. Les biographes de la reine et les historiens de la Révolution sont partagés : dans le Corps de l'Histoire, Antoine de Baecque confie son sentiment sous une forme hypothéti-
1. Ce mariage royal est marqué par la présence de l'étiquette, mais celle-ci doit être pondérée : Antoine de Baecque dans Le Corps de l'histoire, détaille la couche du père de Louis-Auguste : celui-ci a dû « consommer publiquement ses deux mariages devant la cour, tout comme ses ancêtres. », ouvr. cité, p. 57.
2. Stefan Zweig, ouvr.cité, p.30.
3. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.31.
4. Ibid.
5. Ibid., p.30.
6. Ibid., p.32.
7. Antoine de Baecque, ouvr. cité, p. 57.
8. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.31.
9. Antoine de Baecque, ouvr. cité, p.58.
10. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.32.
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que : « l'opération, légère, ne s'est pas pratiquée sur le sexe du roi, mais sur celui de la reine : une simple incision de l'hymen, opération qui n'a rien d'exceptionnel, aurait permis de débrider l'obstacle jusqu'alors infranchissable à cause de la douleur occasionnée sur le prépuce du roi, et de lui laisser ainsi libre cours. »
De ces noces tardives, seuls quelques vers pamphlétaires porteraient les stigmates de ces années maladroites et infécondes ? Les conséquences sont d'importance pour le couple lui-même : un roi impuissant et incapable de remédier à sa défaillance devant sa femme ne peut exiger de la reine de France une conduite respectueuse de son rang et de ses devoirs. Louis-Auguste ne lui interdit aucun de ses plaisirs, cède à tous ses caprices : Marie-Antoinette découche, sort masquée de longues nuits dans un Paris douteux. Le roi, accusé d'être faible, comble la reine matériellement, et devient son jouet, son « serviteur docile 2» : l'ascendant de Marie-Antoinette sur cet esprit très peu viril serait totale.
Les frustrations qui envahissent ce corps prêt à recevoir les plus grandes caresses, est un corps blessé : s'abandonner à une vie de plaisirs, de folies coûteuses, à défaut de pouvoir s'abandonner dans les bras de son mari. Marie- Antoinette est, selon Stefan Zweig, « d'une nature tout à fait normale » : elle aspire à des sensations bien naturelles, s'épanouir sexuellement. La jeune femme a subi un réel traumatisme pendant sept années : vierge, elle ne l'est plus totalement, femme, elle ne l'est pas encore. Son corps sexuel a souffert : « la suprême mortification de son sexe », «sa sexualité [...] infructueusement excitée ». Un sexe meurtri et peut-être opéré selon l'hypothèse d'Antoine de Baecque : il n'est que douleur, humiliation, et serait exposé à des vues médicales et chirurgicales. Le sexe de la reine serait doublement victime de celui du roi.
L'impuissance d'un homme est un drame d'alcôve, l'impuissance d'un roi est une tragédie politique : un couple royal ne s'appartient pas, son intimité est minutieusement rapportée et commentée dans de volumineux rapports d'ambassadeurs étrangers. Les « diplomates d'alcôve » chargés de rendre compte à leurs souverains respectifs de la consommation du mariage de Louis-Auguste et de Marie-Antoinette, de leur potentielle progéniture, achètent leurs serviteurs, les chargent de scruter leurs draps afin d'y ddes témoignages des nombreuses tentatives de Louis XVI de conquérir ce corps vierge. Le couple souffre de la violation et exposition de leurs nuits si humiliantes et douloureuses. Stefan Zweig développe deux univers lexicaux qui sont
1. Antoine de Baecque, ouvr. cité, Cf. note 35 de la partie consacrée à la « Défaite du corps du roi », p.397.
2. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.37.
3. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.37.
4. Ibid., p.33.
5. Ibid., p.37.
6. Antoine de Baecque, ouvr. cité, p.67. Le plus indiscret et le plus fameux est l'ambassadeur d'Espagne, le comte d'Aranda.
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indissociables : celui du privé et celui du public. La reine et le roi ne font, en fait, que développer la politique inaugurée par Louis XV, privatiser le corps royal, du moins le soustraire à la vue constante de la cour, s'aménager des moments et des espaces de vie privée.
Une image de ce couple se construit : le roi impuissant se dépense à la chasse et à la forge, la reine si séduisante confie ses charmes à d'autres corps, ceux d'amants réputés ou d'amies saphiques. Un roi cocu, une reine nymphomane : les esprits versaillais s'échauffent, se piquent à écrire quelques vers pornographiques répétés, imprimés, ils se répandent, franchissent les grilles du château de Versailles et gagnent le peuple, toujours friand de récits satiriques et lubriques. La cour se moque, les proches parents de Louis-Auguste et de Marie-Antoinette savourent cette lente mais sûre dépréciation de l'image royale : les comtes de Provence et d'Artois se gaussent de cet aîné incapable de satisfaire son épouse et de donner à la France des héritiers. La stérilité subie par Marie-Antoinette fait le « bonheur » de ses beaux-frères : Louis XVI sans descendance, leur accession au trône devient possible. Le corps de la reine devient l'objet de leur haine, quand celui-ci est possédé par le roi et quand la nature lui permet d'enfanter.
, Le biographe viennois achève ainsi cette démonstration magistrale : l'impuissance du roi ridiculise, affaiblit puis détruit l'image du couple royal, de la fonction et de la personne de Louis XVI. L'image du monarque stigmatise celle de la reine : Marie-Antoinette est une femme insatisfaite, son corps exige des compensations interdites et voluptueuses. Le triste état matrimonial de son corps conditionne les esprits et prépare les mémoires : quand la Révolution l'accusera, la jugera et la condamnera, la petitesse révolutionnaire s'empressera d'ériger devant ses juges ses supposées débauches. Son corps ne sera plus qu'une injure à la nation et aux vertus républicaines : les « misères conjugales » du couple princier participent au renversement de la monarchie et à la mort physique de Marie-Antoinette.
2. Un corps maternel loué ou accusé Les frères Goncourt taisent la virginité de Marie-Antoinette, mais louent son impatience maternelle. La reine n'aurait qu'un seul désir, connaître les joies de la grossesse et assurer une nombreuse descendance au trône de France. Les historiens de Louis XVI, lassés des portraits irrespectueux du roi, condamnent les biographes de la reine. Au roi impuissant, les Girault imposent l'image d'une Marie-Antoinette ingrate physiquement, frigide sexuellement, qui se soustrait à ses devoirs d'épouse et de dauphine. Sans pudeur et avec brutalité, ils étalent l'intimité royale dans Louis XVI et Marie-Antoinette, Vie conjugale, Vie politique,
t. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.40. 2. Ibid.
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et dissertent sur le corps d'une femme-enfant effrayée de partager ses nuits avec cet époux qu'elle ne connaît pas.
Louis-Auguste attendrait impatiemment sa jeune femme et développerait à son égard un réel sentiment amoureux : décrit sous des traits les plus flatteurs, cet adolescent séduisant n'aurait qu'une hâte, la connaître et lui rendre hommage dès le premier soir de son mariage. Mais, déçu par le physique difforme de Marie-Antoinette, il n'en laisse rien paraître : le soir, il constate avec tristesse que le complot de son funeste ennemi le duc de Choiseul a porté ses fruits - la jeune épouse a peur de lui et se refuse. L'adolescente et ses proches, Mercy- Argenteau et l'abbé de Vermond, se jouent de la patience du jeune prince : pire, ils font courir de nombreux bruits sur sa prétendue impuissance ! Le dauphin ne peut plus tolérer sa résistance physique : il gronde sa jeune femme, en lui refusant par exemple de se rendre au bal de l'Opéra. Il obtiendrait le corps de Marie-Antoinette au bout de dix mois de mariage : une éphémère victoire, sa femme lui refusant à nouveau ses couches et se moquant de cet époux patient, protecteur et bienfaiteur.
Les Girault démontrent l'irrégularité des rapports conjugaux de ce triste couple et les nombreuses fausses-couches de cette mauvaise épouse : ils s'appuient sur deux sources principales, la correspondance de Marie-Antoinette et de Marie-Thérèse, et celle de Mercy et de l'Impératrice. Ils présentent un vaste « Tableau récapitulatif des règles et fausses-couches de Marie- Antoinette » : leur lecteur est confronté à l'intimité du corps royal et aux souffrances d'une mère. Ce tableau mesure les humiliations et les frustrations de Louis-Auguste, les inconséquences et l'immaturité de Marie-Antoinette : ce jeune homme lassé de cette femme, se dégoûte de son corps. Les rares moments d'intimité du couple princier sont des instants douloureux pour Louis-Auguste. Les naissances royales, de grandes joies pour le roi, n'établissent aucune complicité entre les époux devenus parents. À l'occasion de chaque naissance princière, la tradition veut que le roi offre un présent à la reine. Il lui ferait des « dons en argent, on pourrait presque dire des paiements ». Marie-Antoinette est, à demi- mots, qualifiée de prostituée ! Dans ce cas, pourquoi le roi n'a-t-il pas pris une maîtresse ? Ce « tempérament » est conduit par une foi absolue : « Louis XVI avait [...] tant de religion qu'il croyait de son devoir de [...] l'aimer pour l'amour de Dieu. » Louis-Auguste aurait donc sacrifié sa vie de roi, d'époux et d'amant.
D'après Zweig, Marie-Antoinette franchira les interdits, cédera à ses désirs. Elle ne sera pas entièrement fidèle aux maladresses du roi : le comte Axel de Fersen conquiert son cœur et plus tardivement son corps. Le biographe viennois
1. Paul et Pierrette Girault de Coursac, ouvr. cité, tableau aux pages 735 à 738.
2. Ibid., p.858-859.
3. Ibid., p.860.
4. Ibid.
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détruit de ridicules légendes : « l'amour chevaleresque de Fersen pour l'inaccessible Marie-Antoinette1 », sorte d'amour courtois, donc platonique, où les amants de cœur se refusent à être des amants physiques. Axel de Fersen accompagne, tout au long de cette biographie, Marie-Antoinette : son absence est présence, la reine désespérée se plonge alors dans une poignante mélancolie. Le comte est un serviteur fidèle : aux instants révolutionnaires les plus délicats, il s'investit, élabore des plans d'évasion (celui de Varennes par exemple). Le biographe lui réserve d'importants chapitres, « L'était-il, ne l'était-il pas ?» : il permet même à l'amant désespéré de clore sa prose, en réservant son dernier chapitre ou épilogue (« La plainte funèbre ») à sa douleur.
Les frères Goncourt nient toutes relations sentimentales ou charnelles entre « leur » Marie-Antoinette et Fersen, qui n'est qu'un courtisan parmi d'autres, accepté pourtant dans le cercle fermé du petit Trianon : « À ce monde se joignaient quelques étrangers distingués par la Reine comme [...] M. de Fersen. » Les Girault ne peuvent soupçonner ce corps d'adultère, parce que seul le roi consentirait à le toucher ; enfin, les biographes de Louis XVI voilent ainsi l'image de l'époux cocu.
Les hagiographes de Marie-Antoinette adulent son corps de mère ; ses détracteurs exposent ses failles pathologiques. En somme, les biographes reprennent, pour défendre ou accuser son corps, les principaux arguments de son procès : les révolutionnaires jugent Marie-Antoinette pour haute trahison, entre le 14 et le 16 octobre. Elle comparaît, ce que souligne très justement Lynn Hunt, devant « un jury masculin » et son sort est décidé « par neuf juges hommes ». Pour remplir le dossier d'accusations, ériger cette femme en « Messaline, Bru- nehaut, Frédégonde et Médicis », l'accusateur public Fouquier-Tinville concentre les esprits sur la réputation de ce corps, sur sa lubricité jamais assouvie. La voix du Tribunal révolutionnaire se repose sur les machinations d'hommes sans scrupule, motivés par une haine effrénée à l'égard de la veuve Capet. Son fils, confié aux mains du cordonnier Simon, reçoit une éducation républicaine : son nouveau précepteur le surprend dans d'insidieuses positions — le jeune Louis aime les « plaisirs solitaires ».
L'enfant de Louis XVI et de Marie-Antoinette ne peut méconnaître son geste : gêné, il se réfugie derrière un horrible et mortel mensonge, sa mère et sa
1. Stefan Zweig, ouvr.cité, p. 506.
2. Ibid., pages 257 à 269. 5. Ibid., pages 49 là 497.
4. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr.cité, p. 138.
5. Lynn Hunt, Le Roman familial de la Révolution française, ouvr. cité, p. 111. La composition masculine de son jury a échappé à Stefan Zweig, ce qui est très étonnant, son écriture relevant toujours les jeux et les conflits entre les protagonistes (et les regards) masculins et féminins.
6. Ibid.
7. Stefan Zweig, ouvr. cité, p. 453.
Le corps écrit de Marie-Antoinette 7 1
tante l'ont initié à ces « vilaines habitudes ». Pire, elles se sont emparées de ce petit corps et lui font subir des caresses incestueuses . Le mensonge de l'enfant est immédiatement rapporté au fameux substitut du procureur général de la Commune, Hébert, plume violente et captivante du célèbre Père Duchesne. Une commission s'organise à la tour du Temple pour recueillir le témoignage du fils de Marie-Antoinette, âgé de sept ans et demi : l'enfant, convaincu de son mensonge, le répète et le signe. Madame Elisabeth est, à son tour, interrogée : foudroyée, elle laisse éclater sa colère : « Ah ! le monstre ! », ce qui est synonyme d'aveu pour les révolutionnaires présents au Temple.
Hébert aurait triomphé de la « grue » : il apporte sa pitoyable instruction au Tribunal révolutionnaire et se propose d'être l'un des quarante témoins du procès de cette mère scandaleuse. Au second jour de ce procès, Hébert dépose l'accusation du fils Capet : l'assistance du tribunal, composée surtout de femmes, murmure et s'agite. Marie-Antoinette ne répond pas, le président du Tribunal Hermann glisse sur cet affront, mais un juré relève son silence et la reine est priée de s'expliquer sur le témoignage accablant de son fils. Épuisée et malade, elle défie cette arrogance et apostrophe l'assistance : « Si je n'ai pas répondu, c'est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici. » La reine attaquée dans son corps de mère combat et gagne les cœurs de l'assistance : c'est en tant que mère que la reine foudroie ses juges et pose, ainsi, un premier pas dans l'antre de la postérité.
Les écritures biographiques éprouvent les souffrances de la condamnée en défendant son corps et en stigmatisant les protagonistes de cet exécrable témoignage : Hébert est violemment dénoncé par les Goncourt. Emportés par leur cri de douleur et de haine, ils en appellent à l'« Immortelle Postérité ! souviens-toi du misérable qui arracha du cœur de Marie-Antoinette ces mots devant lesquels s'agenouillera la mémoire des hommes V »
Les biographes royalistes développent longuement le traitement révolutionnaire réservé à l'enfant du Temple : le jeune Louis XVII dépose son accusation sans être menacé physiquement, sans être enivré par l'alcool. L'enfant condamne sa mère et sa tante par goût du mensonge. Les commissaires ont su exploiter l'imagination d'un enfant choyé par son cordonnier-instituteur, heureux de chanter et de jouer avec sa famille « républicaine ». Enfin, les hommes « dits de la liberté » sont prêts à tous les crimes pour parvenir à leur fin : « il faut rap-
1. Ibid.
2. Zweig élabore une très belle analyse psychologique de cette accusation, Cf. Sigmund Freud, Stefan Zweig, Correspondance, ouv. cité, lettre du 20.X.1932, p.93-94.
3. Stefan Zweig, ouvr. cité, p.455.
4. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr. cité, p.384-385.
72 Cahiers Edmond & Jules de Goncourt
peler que les hommes dont dépendait le petit garçon [...] ne reculaient devant aucun crime, si répugnant soit-il. »
Cette accusation d'inceste complète le portrait sexuel et politique de Stefan Zweig que l'on peut rapprocher de l'analyse freudienne de Lynn Hunt : « la littérature des pamphlets faisait état de relations incestueuses de Marie- Antoinette avec le comte d'Artois, le grand-père du roi, Louis XV, et le propre frère de la reine qui lui avait inculqué 'la passion de l'inceste' [...] ». La France n'a-t-elle pas lu d'innombrables écrits où la reine passe ses journées et ses nuits à épuiser hommes, femmes et serviteurs ? Hébert pense que son témoignage sera fatal, qu'il sera l'ultime démonstration de la monstruosité du corps de cette femme. Mais la violence révolutionnaire qui est, en fait, une reprise de la violence pamphlétaire, butte justement sur ce dire devenu célèbre, émouvant à cause de sa spontanéité, et le fait qu'une mère, fut-elle reine et ennemie de la Révolution, stigmatise la Terreur et un personnel politique sans scrupule. Cette terrible accusation est l'ultime attaque morale contre ce corps, mais l'émotion suscitée par la brillante réponse de la reine ne décourage pas les hommes du Tribunal révolutionnaire, Marie-Antoinette est condamnée à la peine capitale dans la nuit du 15 au 16 octobre 1793.
3. Un corps condamné à mort Chaque biographie s'attache à la narration précise des derniers instants de la vie de la reine, à la veille de son exécution. Le récit se concentre sur cette matinée du 16 octobre 1793, de quatre heures et demie du matin - heure à laquelle Marie-Antoinette est de retour dans sa cellule - à midi et quart, quand la tête de la veuve Capet gît dans le panier du « rasoir national ». L'écriture consacrée à la souveraine déchue, devenue selon les mots et la susceptibilité révolutionnaires, « Marie-Antoinette d'Autriche, veuve Capet » fait montre d'un respect considérable voire de recueillement : en ces pages, le substantif « reine » abonde. Mais les derniers moments biographiques de la reine n'éclipsent pas certains jurons, ces menaces qui pèsent sur cette femme depuis sa quinzième année : Marie- Antoinette est 1' « Autrichienne » jusqu'aux pieds de l'échafaud. Aux Goncourt et à Stefan Zweig n'échappent pas cette apostrophe lancée aux spectateurs parisiens postés près de l'église Saint-Roch, par un comédien du nom de Gram- mont : « La voilà, l'infâme Antoinette !... Elle est foutue, mes amis...! 3» La reproduction de cette injure présente une particularité : au mot de « foutue », ils préfèrent la lettre « f » suivie de cinq points de suspension, marque évidente de révérence et de pudeur.
1. Paul et Pierrette Girault de Coursac, La Dernière année de Marie-Antoinette, ouvr. cité, p. 95.
2. Lynn Hunt, ouvr. cité, p. 129.
3. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr. cité, p. 399-400. Stefan Zweig, ouvr.cité, p. 486.
Le corps écrit de Marie-Antoinette 73
La condamnée soumet son corps à une minutieuse et difficile préparation : elle prend quelque nourriture, de nature variable selon le biographe. Selon Stefan Zweig, Marie- Antoinette se contente de « quelques cuillerées » de bouillon. Les Girault ne s'intéressent nullement à l'alimentation d'un corps condamné à mort, laquelle reposerait sur des témoignages fantaisistes.
La reine restaurée, s'allonge sur « son lit de sangle » : Edmond et Jules la font dormir, Zweig lui accorde un peu de repos ; le sommeil éventuel de Marie- Antoinette indiffère les Girault. La condamnée quitte son habit de deuil, ne pouvant paraître sous les yeux du « public » parisien en veuve de Capet, et d'après l'argumentation de Zweig, elle tient « à être vêtue convenablement et proprement », non par « vanité féminine [...] mais [par] le sentiment de la solennité de cette heure historique. » En effet, la reine souffre depuis de nombreux jours d'importantes hémorragies : ce sang impur tâche sa chemise et elle souhaite s'en débarrasser et en revêtir une propre. Elle change ce linge avec l'aide de Rosalie Lamorlière qui se place devant ce corps autrefois royal ; la reine déplie elle-même sa dernière chemise et subit à ce moment, selon Zweig, l'ultime humiliation : elle ne peut soustraire son corps vieilli et sali à la vue du gendarme de garde. Les Goncourt se reposent sur le Récit de la dame Bault : celle-ci aurait fourni à la condamnée sa dernière chemise. Marie-Antoinette change son linge seule : la nudité de la reine et le regard inquisiteur du garde présent continuellement dans sa cellule sont omis de la narration. La reine, « femme pure » ne peut souffrir de perdre du sang sale et de le soumettre à la vue de l'inconnu.
Les frères biographes et Stefan Zweig sont très soucieux du détail vestimentaire de la dernière « représentation » de Marie-Antoinette : elle revêt avec soin un « méchant manteau de lit de piqué blanc » ; « un fichu de mousseline légère » de couleur blanche se croise sous son menton ou repose sur ses épaules. La reine se chausse de ses plus beaux souliers « de prunelle noire, le talon haut de deux pouces, à la Saint-Huberty ». Les Girault se contentent d'une description circonspecte : Marie-Antoinette se présente en déshabillé et bonnet blancs. Edmond et Jules agrémentent la future guillotinée de certains accessoires raffinés : « un ruban de faveur noire aux poignets », « des bas noirs ». La reine paraît pour la dernière fois en blanc, mais le noir se glisse sous sa robe, se fait discrètement présent autour de ses poignets.
1. Stefan Zweig, ouvr. cité, p. 484.
2. Edmond et Jules Goncourt, ouvr. cité, p. 5.
3. Ibid., p. 398.
4. Ibid.
Stefan Zweig, ouvr. cité, p. 484.
5. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr. cité, p. 398.
74 Cahiers Edmond & Jules de Goncourt
Enfin, un bonnet de « linon sans barbes » couvre ses cheveux blancs. Les biographes réservent un traitement tout à fait spécial à la chevelure de la reine : celle-ci doit être coupée pour ne pas gêner la lame du couperet. Pour les Goncourt, la reine coupe ses cheveux elle-même et repasse son bonnet . Il leur est inconcevable que le bourreau, qui a les mains sales et qui donne la mort, puisse toucher cette chevelure sacrée. Selon Zweig, le bourreau Sanson se charge de cette première exécution. Les Girault ne s'attardent pas sur cette étape.
Marie-Antoinette est prête : elle vient de refuser les services du prêtre assermenté Girard. Le bourreau lui lie les mains derrière le dos et, d'après Zweig, acquiesce « sans opposer la moindre résistance ». Elle sort enfin de sa cellule pour se diriger vers la cour de la Conciergerie où l'attend la charrette, celle qui est réservée à l'ensemble des condamnés. Les frères Goncourt décrivent avec émoi cette charrette, lieu de l'ultime exposition de ce corps : ils insistent sur la saleté de la voiture « à ridelles », « roues crottées », « son plancher sans paille ni foin ». Zweig souligne avec indignation que Louis XVI avait, lui, bénéficié d'un fiacre. Les Girault le soulignent également mais en arguant le fait suivant : « [...] le maire de Paris, Chambon, [...] avait changé à son contact, et avait tenu à prêter sa voiture. »
Marie-Antoinette s'installe dans la charrette, tournant dos au cheval : le peuple est silencieux, consterné, voire gêné. Les Goncourt et Zweig décrivent cette atmosphère pesante et réservent au silence un vocable singulier : ils développent le thème du « bruit du silence » - « le murmure de cette foule silencieuse », « un bruit sourd ». Les portes de la cour s'ouvrent, la charrette sort : le peuple reprend ses droits, exprime son contentement et sa haine.
Les différentes écritures s'attachent à la lenteur de ce « spectacle unique » : la charrette balance ce corps fatigué et étrangement pâle, qui contraste avec les couleurs dont s'est ornée la capitale, « les flammes tricolores », « toutes les images vives et colorées de la rue ». Un seul détail physique de la reine est en couleur : ses yeux seraient injectés de sang. L'analyse métaphorique d'Antoine de Baecque, à propos du massacre de la princesse de Lamballe, peut parfaitement se calquer sur ce corps vêtu de blanc et d'une pâleur extrême . Mais la blancheur de Marie-Antoinette n'est pas que la métaphore de « la caste des femmes
1. Ibid.
2. Stefan Zweig, ouvr.cité, p. 485.
3. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr.cité, p. 397.
4. Paul et Pierrette Girault de Coursac, La Dernière année de Marie-Antoinette, ouvr. cité, p. 132.
5. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr.cité, p. 397.
6. Ibid.
7. Stefan Zweig, ouvr.cité, p. 486.
8. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr.cité, p. 398.
9. Stefan Zweig, ouvr.cité, p. 486.
10. Antoine de Baecque, La Gloire et l'effroi, Grasset, 1997, p. 101.
Le corps écrit de Marie-Antoinette 75
privilégiées '» : elle est aussi l'expression d'un mal médical, d'une souffrance physiologique. Les révolutionnaires conduisent à l'échafaud un corps malade, presque déjà mort : le lecteur retient (et retiendra) cette image.
Le parcours effectué par la charrette est fractionné par la plume biographique : à chaque nouvel arrêt, la reine affronte « sarcasmes », « railleries », « mille injures ». Les Goncourt évoquent clairement le thème de la Passion du Christ : « la charrette fait une station au milieu des huées ». Zweig et, même, les Girault enrobent Marie-Antoinette dans une épaisseur sacrée et mystique : « au supplice », « de la vie terrestre dans l'au-delà ». La reine reste impassible, fière, les traits de son visage ne trahissent aucune émotion, ni peur ni souffrance : elle semble privée de ses sens - « pardonnait aux injures en ne les entendant pas », « aucun tremblement n'agite ses lèvres, aucun frisson ne secoue son corps ». Un portrait physique de la condamnée est indissociable d'un portrait moral : l'âme ne trahit pas le corps, le corps ne peut trahir l'âme. Le biographe concrétise cet affrontement du corps et de l'âme par un support iconographique, le fameux dessin de David composé de quelques traits légers, exécuté depuis une fenêtre du conventionnel Julien lors du passage de la reine, rue Saint-Honoré : « esquisse d'un grandiose effroyable, d'une puissance sinistre ».
Marie-Antoinette arrive, enfin, place de la Révolution : le biographe achève sa rhétorique, superpose deux images, la jeune et séduisante reine de France qui est étrangère à ce corps mourant. Aux pieds de l'échafaud, le regard de la reine se tourne vers les Tuileries : elle est, selon les Goncourt, vivement bouleversée : « tourna un moment les yeux du côté des Tuileries, et devient plus pâle qu'elle n'avait été jusqu'alors ». Stefan Zweig résume l'essence même de la légende qui se construit sur cette place, à cette heure : « Se souvient-elle durant ces toutes dernières minutes du jour où ces masses ont accueilli avec enthousiasme dans ce même jardin l'héritière du trône ? ».
Marie-Antoinette n'est plus qu'un spectre féminin : celui-ci monte, sans aide, les marches de l'échafaud. Son corps bascule, le couperet tombe, un bruit sourd rompt le silence et est relayé par les cris de la foule qui, à la vue de la « tête ensanglantée », salue et fête la République.
Les restes de la reine alimentent la légende. Les Goncourt ne manquent pas de narrer le courage dû gendarme Mingault qui trempe « son mouchoir dans le sang de la martyre ». Stefan Zweig souligne l'absence d'intérêt des Parisiens
X.Ibid.
2. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr.cité, p. 399.
3. Ibid.
4. Stefan Zweig, ouvr.cité, p.486.
5. Ibid., p.487.
6. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr.cité, p. 400.
7. Stefan Zweig, ouvr.cité, p.489.
8. Edmond et Jules de Goncourt, ouvr.cité, p. 401.
76 Cahiers Edmond & Jules de Goncourt
pour ce sang « qui lentement pénètre la terre '». Le corps de la reine est transporté au cimetière de la Madeleine. Zweig se fait violence : la tête de la reine repose « entre les jambes » de son corps. Recouvert de chaux, il est enterré dans la fosse commune, le soir même d'après les frères biographes, mais seulement au bout de quinze jours selon Zweig et les Girault. (Ces trois biographes se reposent tous, pourtant, sur le même document, la facture du fossoyeur Joly.) Les historiens du roi ne peuvent s'empêcher une dernière comparaison entre le mari et la femme : le cadavre exhumé le 18 janvier 1815 est bien celui de la reine, reconnu à ses vêtements : « Personne, en effet, n'avait songé à enlever secrètement les restes de la Reine comme on l'avait fait pour Louis XVI. »
Conclusion L'analyse critique de l'écriture du corps de Marie-Antoinette, et donc d'une historiographie qui stigmatise la Révolution en la réduisant à la politique de la Terreur, met en valeur les jeux biographiques d'une mémoire féminine et affective et les enjeux historiographiques, encore actuels, de l'écriture vulgarisée de l'histoire de la Révolution française. Le corps de Marie-Antoinette s'écrit, d'après ces archétypes biographiques, selon des approches hagiographique (les frères Goncourt), psychanalytique (Stefan Zweig), ou royaliste (les Girault de Coursac).
Selon l'historiographie des Goncourt, Marie-Antoinette est une icône de la femme pure : ce que subit son corps, ce ne sont que les indices de son sang et de son rang, ceux de fille de l'impératrice d'Autriche et de reine de France. Stefan Zweig est le premier biographe de Marie-Antoinette à la considérer comme un corps amant qui cède au plaisir. Mais à cette proposition biographique, il manque une dernière perspective : le sort de Marie-Antoinette est celui qui est réservé à une femme dans une Révolution d'hommes ! Elle est attaquée, certes, selon son statut d'ancienne reine, mais surtout en tant que femme, intruse dans la vie politique : les hommes du Tribunal révolutionnaire ne peuvent la combattre que par la seule humiliation et accusation de son corps. L'écriture du corps de Marie-Antoinette permet aux Girault de Coursac de dresser un contre-portrait physique et féminin de la femme de Louis XVI, et de proposer un contre- portrait sensuel et sexuel de Louis-Auguste : Marie-Antoinette est un monstre féminin que seul le roi se résout à toucher !
1 . Stefan Zweig, ouvr.cité, p.490.
2. Ibid.
3. Le corps de la reine fut reconnu grâce à « quelques débris de vêtements (...) », Cf. Louis Ha- sier, « La sépulture de Louis XVI et de Marie-Antoinette », Revue des Deux Mondes, \" septembre 1955, p. 93-111.
4. Paul et Pierrette Girault de Coursac, ouvr. cité, p. 133.
Le corps écrit de Marie-Antoinette 77
La nature de l'écriture du corps de la reine propose une image et une mémoire biographiques de Marie-Antoinette mais impose aussi (surtout peut-être) une lecture de la Révolution française auprès du grand public. Le corps de la reine entretient les passions entre les partisans de Marie-Antoinette et ceux de la Révolution, et s'impose comme un réel enjeu historiographique entre les écritures de la « petite » histoire et de l'Histoire.
Cécile BERLY-Voilà, un peu long, et je m'en excuse, mais il est passionnant de s'interroger sur les projets d'écriture et les horizons d'attente de ces biographes, si différents, et donc sur l'origine des conflits que leurs oeuvres soulèvent..... |
| | | globule Administrateur
Nombre de messages : 2236 Date d'inscription : 04/10/2017
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Sam 2 Mar - 11:30 | |
| _________________ - Je ne vous jette pas la pierre, Pierre -
|
| | | sheldon12
Nombre de messages : 99 Date d'inscription : 27/10/2017
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Sam 2 Mar - 11:32 | |
| Merci à Aglae pour cette lecture particulièrement enrichissante. Je dirais même qu'il est presque plus intéressant de s'interroger sur le personnage de Marie-Antoinette et ses multiples avatars que sur la femme de chair qu'elle fut. |
| | | Aglae
Nombre de messages : 1674 Date d'inscription : 09/10/2016
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Sam 2 Mar - 11:52 | |
| z'êtes trop gentils tous deux !! Je craignais que ce soit longuet, mais bon, cela m'a paru très intéressant, et somme toute facile à lire..... |
| | | globule Administrateur
Nombre de messages : 2236 Date d'inscription : 04/10/2017
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Sam 2 Mar - 11:55 | |
| - Aglae a écrit:
- z'êtes trop gentils tous deux !!
Je craignais que ce soit longuet, mais bon, cela m'a paru très intéressant, et somme toute facile à lire..... C'est vous qui êtes gentille d'avoir pensé à nous ! D'autant plus que (vous le voyez au nombre de topics ) on aime bien Cécile Berly, dans ce forum. _________________ - Je ne vous jette pas la pierre, Pierre -
|
| | | Airin
Nombre de messages : 1005 Date d'inscription : 19/09/2015
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Sam 2 Mar - 12:43 | |
| Aglae, cet article est tout à fait pertinent et complétement dans notre sujet. |
| | | Aglae
Nombre de messages : 1674 Date d'inscription : 09/10/2016
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Sam 2 Mar - 15:03 | |
| Merci, chère Airin....... Cher Globule, je vais mettre un lien dans le fil que vous indiquez..... J'édite, pour dire, cher Globule, je ne sais pas où mettre mon article.....donc ahum...... je crains qu'il ne faille, oui, que "vous vous y collassiez...." ahum...... Mais rien ne presse...... |
| | | Grandier A
Nombre de messages : 129 Date d'inscription : 16/04/2014
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Dim 3 Mar - 9:39 | |
| C'est vrai que c'est plein de Berly. En même temps c'est bien ce qu'elle fait, Berly. _________________ What else ?
|
| | | pepe12547
Nombre de messages : 2108 Localisation : La monarchie des Habsbourg Date d'inscription : 01/03/2018
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Lun 4 Mar - 11:38 | |
| Merci à Aglae pour cette lecture particulièrement enrichissante. |
| | | Aglae
Nombre de messages : 1674 Date d'inscription : 09/10/2016
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Lun 4 Mar - 12:02 | |
| Avec plaisir ! |
| | | pepe12547
Nombre de messages : 2108 Localisation : La monarchie des Habsbourg Date d'inscription : 01/03/2018
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Lun 4 Mar - 12:06 | |
| Chère Aglae. Combien de fois changez-vous votre avatar? |
| | | Aglae
Nombre de messages : 1674 Date d'inscription : 09/10/2016
| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] Lun 4 Mar - 14:16 | |
| Cher Pepe, vous avez tout à fait raison...... Alors = Premier avatar, choisi à la va vite pour "faire XVIIIème" Second choisi, parque celui de notre chère Thérèse Belivet m'a fait fait envie avec son joli avatar de "cinéma"..... Troisième ( et dernier pour un bon bout de temps !) c'est l'avatar de mes "débuts" sur un certain nombre de forum, un forum de profs, un forum de " petits vieux" ( bin si, je suis une petite vieille !) et un forum de littérature....Cet avatar correspond à ma personnalité de "prof" qui scrute à la loupe les drôles de petits monstres que j'ai sous le nez.....voili, voilà.....Cher Pepe, une petite pastille contre le vertige ?? |
| | | pepe12547
Nombre de messages : 2108 Localisation : La monarchie des Habsbourg Date d'inscription : 01/03/2018
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| Sujet: Re: CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] | |
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| | | | CECILE BERLY Le corps écrit de Marie-Antoinette : entre jeux biographiques et enjeux historiographiques [article] | |
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