L'existence de fausses lettres dites "de Marie-Antoinette" est un casse-tête pour les historiens, à tel point que des apocryphes subsistent, glissés par mégarde dans les éditions les plus scientifiques. Revenons donc aux sources du problème.
Vrai ou faux ? C est la question que se pose tout amateur averti à qui est présentée ou proposée une œuvre d'art, un souvenir ou un document historique. Les auteurs de l'abondante littérature dont fut l'objet la reine Marie-Antoinette - ses défenseurs comme ses détracteurs -, ne se sont pas toujours assez interrogés sur la documentation présentée, qui fut souvent d'une authenticité contestable.
L'épouse de Louis XVI n'avait pas attendu d'être dans la tombe pour devenir la victime des faussaires. Des lettres apocryphes furent imprimées en 1788, 1790 et 1791, dans le but évident de discréditer, aux yeux de l'opinion publique, cette souveraine en butte aux critiques et engagée ouvertement, après le retour de Varennes, dans la contre-révolution.
Marie-Antoinette connut l'existence de ces faux écrits et fit part de son indignation à Axel de Fersen dans une lettre du 7 décembre 1791 : « Ce que l'on dit de mes lettres à l'Empereur [Léopold II, son frère] est incompréhensible. Il y a déjà quelque temps que je soupçonne que l'on imite mon écriture pour les écrire. Je veux éclaircir le fait. »
Les explications données à la mise au jour de ces missives étaient aussi embarrassées que fantaisistes. Une lettre à son beau-frère, le comte d'Artois, datée du 26 mai 1791, aurait été trouvée par un postillon, sur la route de Compiègne, dans un petit portefeuille. Quant à la Lettre secrète et curieuse de Marie-Antoinette à Bouille, du 8 août 1792, elle aurait été découverte dans les boiseries de son appartement des Tuileries... Ces textes, et d'autres, également fabriqués, furent publiés et utilisés par divers ouvrages au début du XIXe siècle. Mais les véritables historiens ne se fièrent pas à ces soi-disant écrits tendancieux, qui ne bénéficiaient pas - et pour cause - du support de manuscrits originaux.
Les années 1864 à 1865 marquèrent un grand tournant dans l'historiographie de la reine. Deux ouvrages ', ceux de Paul d'Hunolstein et de Feuillet de Conches, firent sensation dans le monde des lettres. Les bibliothèques publiques les acquirent et les milieux royalistes se précipitèrent sur ces témoignages nouveaux de l'existence et du martyre de la reine dont ils vénéraient la mémoire. Mais bien vite des savants crièrent à l'imposture, d'autant qu'à la même époque le chevalier d'Arneth avait publié à Vienne la correspondance entre l'impératrice Marie-Thérèse et Marie-Antoinette, d'après des documents, eux, d'une authenticité incontestable puisqu'ils étaient conservés aux Archives impériales.
Une vive polémique s'engagea alors de part et d'autre du Rhin. Le comte d'Hunolstein et Feuillet de Conches s'indignèrent face aux accusations dont ils étaient l'objet. Les originaux, disaient-ils, existaient et ils n'avaient fait que les transcrire et les commenter. Or, si le premier avait été une victime crédule, le second était le complice et le bénéficiaire de la passion des autographes qui avait pris naissance à l'époque de la Restauration.
De nombreux libraires ayant pignon sur rue ou travaillant en étage proposaient en effet des documents ou organisaient des ventes publiques. Comment allaient-ils se les procurer pour satisfaire les demandes croissantes des collectionneurs et des amateurs ? Ce n'était pas dans les grands chartriers privés qui étaient généralement fermés à la curiosité des chercheurs. Les deux principales sources d'approvisionnement furent les dépôts publics, souvent mal gardés, et aussi les for-geries, ces officines où d'habiles cal-Iigraphes grossoyaient des documents faux destinés à la vente. Une des principales victimes de ces entreprises frauduleuses fut donc Marie-Antoinette, dont les rares autographes étaient parmi les plus recherchés. Une lettre de sa main, ou soi-disant telle, avait été adjugée 120 francs en 1822. Le prix des suivantes ne cessa de monter, pour atteindre une enchère de 760 francs en 1865.
C'est avec la plus grande confiance que les amateurs acquéraient ces lettres, notamment celles que la reine était censée avoir adressées à la duchesse de Polignac et à la princesse de Lamballe. La légende qui a entouré la vie publique et privée de la reine, pendant l'époque heureuse de Versailles et du Trianon, a mis en vedette, avec des interprétations parfois « équivoques » et calomnieuses, l'amitié qui unissait Marie-Antoinette à la gouvernante de ses enfants et à la surintendante de sa maison. Or il est bien établi maintenant que sur les 29 lettres à Mme de Polignac, publiées par Feuillet de Conches et les frères Goncourt, entre autres, 20 sont sûrement apocryphes. Seules les 9 conservées dans les archives de la famille Polignac, et qu'il serait intéressant d'examiner, sont considérées comme authentiques. Les lettres de la reine à la princesse de Lamballe furent, elles aussi, recherchées. Ne mettent-elles pas en scène deux personnages de l'époque révolutionnaire qui affrontèrent une mort affreuse ? Or un destin tragique est un élément qui a toujours fait grimper la cote sur le marché des autographes.
Feuillet de Conches, qui possédait la plupart de ces missives, avait trouvé à une de ses découvertes une explication originale : « C'est dans sa coiffure que l'infortunée princesse de Lamballe avait caché trois lettres de la reine qui, dans sa chute sous le fer des assassins, tombèrent dans le sang. » Une anecdote de ce genre ne serait plus crédible aujourd'hui. Il semble bien que des 41 lettres de la reine à Mme de Lamballe, éditées ou passées en vente, aucune ne soit authentique.
Félix Feuillet, dit le baron Feuillet de Conches (1798-1887), est sans conteste un faussaire. Après avoir été journaliste, il devint un honorable haut fonctionnaire, chef du protocole sous Louis-Philippe et maître de cérémonies du Second Empire. Écrivain et collectionneur, il s'était rendu célèbre en publiant les lettres de Louis XVI, de Marie-Antoinette et de Madame Elisabeth et se vantait à la fin de sa vie de posséder des documents encore inédits de la marquise de Montespan, de Mme de Maintenon, de Voltaire et d'autres personnages, qu'il prétendait avoir exhumés de chartriers privés en France et à l'étranger, ou acquis chez des libraires.
Feuillet le fausaire
En fait, Feuillet en était tout simplement l'auteur. Doué d'une dextérité de plume qui tenait du génie, il imitait à la perfection n'importe quelle écriture et se plaisait à en faire la démonstration à ses amis. De son vivant déjà il avait été accusé de contrefaçon. Des preuves formelles de ses supercheries existent, des échantillons en ont été retrouvés dans des collections privées, accompagnées de transcriptions de sa main. Il fut sûrement le rédacteur de la plupart des lettres de Marie-Antoinette éditées par lui, alors que pour donner le change il se vantait de « ramasser en Europe des lettres de Marie-Antoinette et des documents de cette princesse ».
Mais Feuillet ignorait que Marie-Antoinette ne fut pas une grande écrivassière comme sa mère et les autres archiduchesses. Aux 384 lettres publiées en 1896, dont quelques fausses, on peut ajouter à peine une trentaine apparues depuis cette date. C'est peu si on compare ce chiffre aux centaines et milliers de lettres signées par d'autres personnages historiques et si l'on tient compte des vingt-trois ans passés en France. L'intérêt pour ses écrits reste vif cependant, et il ne se passe pas d'années sans que des pièces de sa main ou revêtues de sa signature ne soient mises en vente. La plus grande prudence est de rigueur, car si en 1982 un billet, une lettre ou un mémoire se négocie à des prix élevés (entre 10 000 et 100 000 francs), un faux, bien entendu, ne vaut absolument rien.
Les quatre lettres de la reine acquises par le ministère de la Culture, le 5 mai dernier, sur la proposition de Jean Favier, directeur général des Archives de France, confirment la transformation radicale de Marie-Antoinette en ces années 1790-1791. La fille de la grande Marie-Thérèse a trouvé sa nouvelle voie royale en s'attelant à un patient travail de bureau, de concert avec son plus fidèle ami, Axel de Fersen, auquel la lie un profond attachement qui dura près de vingt années. A l'écriture malhabile et souvent désordonnée de la très jeune épouse du dauphin Louis, succède, à partir de 1774, celle de la reine, à laquelle son accession au trône donna de l'assurance et un sens des responsabilités. Le ton des lettres n'est plus primesautier et frivole, il s'est fait grave. La reine s'est initiée à la diplomatie secrète. Elle chiffre, elle décrypte, elle utilise le citron, l'encre sympathique, elle recourt à des subterfuges pour faire passer ces renseignements hors des frontières. Il ne s'agit plus d'entretenir des relations familiales et mondaines, mais de défendre le trône de France, de préserver la vie et l'avenir de ses enfants.
Cet ensemble, d une authenticité indiscutable, est un élément supplémentaire pour aider à faire justice d'une longue duperie orchestrée avec brio. Si les techniques modernes permettent de restituer les fameux passages biffés, lourds d'interrogation depuis un siècle, un éclairage nouveau pourra peut-être être donné à une question qui a fait couler beaucoup d'encre : quelle fut la nature exacte des relations de Marie-Antoinette et du bel officier suédois ? Quoi qu'il en soit, ces lettres émouvantes, accompagnées de réponses et de copies de Fersen et de documents curieux sur le voyage de Varennes, méritaient de faire partie du patrimoine national.
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Note: 1.
Correspondance inédite de Marie-Antoinette, publiée sur les documents originaux, par le comte Paul d'Hunolstein, Paris 1864, et Louis XVI, Marie-Antoinette et Madame ÉLisabeth. Lettres et documents inédits, publiés par F. Feuillet de Conches, Paris, 1865.