Il attend jusqu'à 8 heures - toujours rien de plus. Pour Vatel, c’est le comble du déshonneur.
Il déclare au contrôleur en second Gourville:
« Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci, j’ai de l’honneur et de la réputation à perdre » Gourville se moque de lui. Selon la Marquise de Sévigné, il monte alors dans sa chambre et se jette à trois reprises sur son épée calée dans la porte pour sauver son honneur, au moment où son importante commande de poisson arrive
(Aux origines du suicide de Vatel: les difficultés de l’approvisionnement en marée au temps de Louis XIV [archive]. Reynald Abad)Le prince de Condé, estimant fort Vatel, pleura à l'annonce de sa mort.
Le roi dit à Condé qu'il n'était pas venu à Chantilly depuis cinq ans car il savait quels soucis d'intendance ses visites causaient; que Condé aurait dû faire mettre seulement deux tables et ne pas s'occuper des autres; et que lui, le roi, ne supporterait plus que Condé se sentît obligé de mettre autant de faste.
Bien que le poisson fût arrivé, les convives se privèrent toutefois de ce plat par respect pour Vatel.
Gourville qui essaie de se faire pardonner, l’enterre discrètement pour ne pas gêner la fin des festivités. L'historien Auguste Jal considère que Vatel est « déposé probablement dans une fosse non bénite » car l'Église considère le suicide comme un péché grave mais l’acte mortuaire de Vatel retrouvé dans les archives de la mairie de Vineuil-Saint-Firmin atteste qu'il a été inhumé dans le cimetière de cette commune.
Le suicide étant de plus interdit par la loi, le fait qu'il n'ait fait l'objet d'aucune poursuite pénale et de traitement alors infligé aux suicidés
(notamment « être traîné sur la claie », cadavre traîné face contre terre puis jeté aux ordures) suggère l'indulgence et l'intervention du roi.
d’origine suisse
Pâtissier-traiteur
Intendant
Maître d'hôtel
Contrôleur général de la bouche
pâtissier-traiteur, intendant, et maître d'hôtel français, successivement au service de Nicolas Fouquet, surintendant des Finances de Louis XIV, et du prince Louis II de Bourbon-Condé.
Grand organisateur de fêtes et de festins fastueux d’exception au château de Vaux-le-Vicomte puis au château de Chantilly sous le règne de Louis XIV, il est passé à la postérité pour s’être suicidé pendant une réception alors que la livraison de la pêche du jour avait du retard.
La mort de Vatel
En 1671, le 21 avril, après plusieurs années de patience et d’importants travaux de rénovation de son château, le prince de Condé, en disgrâce depuis son rôle dans la tentative de renversement de Louis XIV enfant pendant la Fronde, et au bord de la ruine, invite Louis XIV, alors âgé de 33 ans, et toute sa cour de Versailles.
Une grande fête de trois jours et trois nuits (du jeudi soir au samedi soir), comprenant trois banquets somptueux, est donnée par le prince de Condé pour mener cette réconciliation stratégique et pour séduire Louis XIV et les 3 000 membres de la cour de Versailles, dont 200
3 à 600 courtisans et de nombreux domestiques. Cette réception (dont le coût s'élève à 50 000 écus) doit marquer son complet retour en grâce et le pardon du roi après sa participation à la Fronde vingt ans plus tôt. Il doit également regagner les faveurs du roi pour renflouer d’urgence ses caisses en louant son armée (une des plus puissantes du royaume) pour la guerre que le roi prépare contre les Hollandais. La destinée de la maison de Condé dépend en grande partie du succès des festivités et le prince fait peser tout le poids de ce succès sur son maître d’hôtel de génie. Vatel n’a que quinze jours pour préparer des menus très élaborés et des mises en scènes grandioses, dont le roi et la cour raffolent.
Le soir du jeudi 23 avril 1671, les invités pénètrent au château de Chantilly, après une grande partie de chasse. Les invités d’honneur sont installés à vingt-cinq tables dans le château magnifiquement illuminé. Le souper est suivi d’un spectacle de deux heures, dont un feu d’artifice d'un coût de 16 000 francs
[réf. nécessaire] qui est un échec partiel en raison du brouillard. Mais environ 75 invités de plus que prévu se sont présentés, et du rôti vient à manquer à deux tables. Vatel sous pression se sent touché dans son honneur, répétant à plusieurs reprises qu'il a perdu son honneur et ne peut survivre à une telle disgrâce. N'ayant pas dormi depuis douze nuits, il demande à Gourville de le seconder pour donner les ordres. Après le dîner, le prince vient le voir dans sa chambre pour le rassurer de l'excellence du repas et lui dit de ne pas porter d'importance au manque de viande sur les deux tables en question
3.
Pour le dîner du vendredi 24 avril, jour maigre de carême, Vatel décide de ne pas présenter aux invités des poissons pêchés en rivière : soit ils sont trop communs, soit leur pêche au mois d'avril est trop aléatoire (saumon, truite) pour assurer le ravitaillement complet (cependant Vatel aurait pu les conserver dans un vivier comme cela se faisait à l'époque)
4. Le fait qu'il ait envoyé des acheteurs dans plusieurs ports indique qu'il recherchait plusieurs produits de mer. Les spéculations sur la nature des poissons à servir ce jour-là se tournent vers la sole
3,5, le turbot et la barbue, et peut-être la raie, le carrelet ou la limande, toutes espèces sédentaires et abondantes en la saison
5. Des coquillages sont également cités par ailleurs.
Pour une vente du vendredi sur les marchés de la région de Paris, les pêcheurs doivent rentrer au port entre le mercredi après-midi et les premières heures du jeudi. Vatel a donc quelques jours auparavant envoyé des gens passer commande de poissons de qualité dans plusieurs ports de Haute-Normandie. Boulogne-sur-Mer est à 217 km de Chantilly, et nous sommes déjà fin avril : en cette saison seuls une vingtaine de ports, tous situés en Haute-Normandie, peuvent approvisionner Paris et ses environs. Et tous n'offrent pas la même qualité ni quantité pour le même type de poisson. Outre un acheteur habituel à Dieppe (le plus gros port de pêche de la Manche à l'époque), Vatel avait probablement des acheteurs dans les ports du côté de la baie de Somme, notamment celui d'Ault dont la marée provenait des meilleurs fonds
5 et avait une excellente réputation ; d'ailleurs Ault, à l'époque, rivalisait avec Dieppe et Boulogne pour la pêche
6 ; et probablement dans d'autres ports aussi.
Le suicide de François Vatel (XIX
e siècle)
Au petit matin du vendredi du 24 avril, Vatel attend sa commande de poisson à 4 heures du matin.
Mais à cette heure, seulement deux paniers arrivent.
Il attend jusqu'à 8 heures - toujours rien de plus. Pour Vatel, c’est le comble du déshonneur.
Il déclare au contrôleur en second Gourville:
« Monsieur, je ne survivrai pas à cet affront-ci, j’ai de l’honneur et de la réputation à perdre » Gourville se moque de lui.
Selon la Marquise de Sévigné, il monte alors dans sa chambre et se jette à trois reprises sur son épée calée dans la porte pour sauver son honneur, au moment où son importante commande de poisson arrive.
Il avait 40 ans.
Le prince de Condé, estimant fort Vatel, pleura à l'annonce de sa mort.
Le roi dit à Condé qu'il n'était pas venu à Chantilly depuis cinq ans car il savait quels soucis d'intendance ses visites causaient; que Condé aurait dû faire mettre seulement deux tables et ne pas s'occuper des autres; et que lui, le roi, ne supporterait plus que Condé se sentît obligé de mettre autant de faste.
Bien que le poisson fût arrivé, les convives se privèrent toutefois de ce plat par respect pour Vatel.
Gourville qui essaie de se faire pardonner, l’enterre discrètement pour ne pas gêner la fin des festivités. L'historien Auguste Jal considère que Vatel est « déposé probablement dans une fosse non bénite » car l'Église considère le suicide comme un péché grave mais l’acte mortuaire de Vatel retrouvé dans les archives de la mairie de Vineuil-Saint-Firmin atteste qu'il a été inhumé dans le cimetière de cette commune.
Le suicide étant de plus interdit par la loi, le fait qu'il n'ait fait l'objet d'aucune poursuite pénale et de traitement alors infligé aux suicidés
(notamment « être traîné sur la claie », cadavre traîné face contre terre puis jeté aux ordures) suggère l'indulgence et l'intervention du roi.
Cette somptueuse fête admirée par toute la cour et par le roi marque le retour en grâce du Grand Condé auprès de Louis XIV, et François Vatel entre dans la légende des grands organisateurs des festins d’exception associés à l’histoire de France et à ses fastes, même si les chefs de cuisine blâment généralement Vatel pour avoir perdu son sang-froid et avoir été incapable de faire face à l’urgence, qualité primordiale dans la restauration.
Blâmer Vatel, c'est ne pas tenir compte des difficultés auxquelles il devait faire face.
En effet son rôle habituel, déjà lourdement chargé, n'incluait pas l'approvisionnement à proprement parler des denrées de cuisine.
Son rôle dans ce domaine se limitait à passer commande dans le cadre des
marchés de pourvoierie.
Mais les fournisseurs ajoutaient des clauses limitatives à leurs contrats pour se prémunir contre les aléas des déplacements des grands seigneurs: leurs guerre et/ou villégiatures obligeaient en effet à modifier les circuits d’approvisionnement et, au-delà d'une certaine distance du lieu habituel de résidence, ou bien les pourvoyeurs exigeaient un surcroît de rémunération
(le marché de pourvoierie du prince d'Orléans pour 1670, par exemple, revendiquait un supplément de 25 % au-delà de vingt-huit lieues), ou bien ils se désistaient purement et simplement de la responsabilité de l'approvisionnement.
Les fournisseurs se prémunissaient également contre les dépenses extraordinaires des fastes au-delà des coutumes journalières; concernant la maison de Condé précisément, son
marché de pourvoierie pour l'année 1670 excluait les denrées de bouche spécifiquement dans le cas où le prince offrirait un banquet au roi ou aux membres de la famille royale.
Il n'y a pas trace du
marché de pourvoierie pour l'année 1671 mais, comme la fête d'avril regroupait les deux éléments
(présence du roi et distance de Paris) contre lesquels les pourvoyeurs se prémunissaient de façon habituelle, il est peu vraisemblable que cette clause exclusive n'ait pas été exercée dans ce cas, d'où Vatel se retrouvait dans la nécessité d'assurer l'approvisionnement en sus de la charge extraordinaire des festins proprement dits.
Les pourvoyeurs habituels ne pouvaient guère l'aider dans le cas particulier du poisson frais car, outre qu'ils n'étaient pas maîtres des circuits d'approvisionnement de façon générale
(ils achetaient en gros sur les marchés de Paris), eux-mêmes ne connaissaient pas les marchands puisque d'une part ces derniers restaient souvent dans leurs ports et envoyaient des commis livrer à leur place, et d'autre part la vente en gros des poissons aux Halles de Paris se faisait non de gré à gré entre vendeurs et acheteurs, mais aux enchères et par l’intermédiaire d’officiers publics.
Enfin il n'avait pas l'opportunité de s'approvisionner par avance, par manque de moyens de conservation: les poissons choisis ne pouvaient rester en vivier d'eau douce en attente de leur consommation, et contrairement à l'Italie et l'Espagne où la glace était utilisée pour conserver la nourriture, dans la France du XVII
e siècle elle n'était utilisée que pour rafraîchir les boissons.
Geste devenu mythique d'un homme mu par un besoin de reconnaissance sociale, tenaillé d'anxiété devant l'enjeu de ces fêtes ou jugeant son honneur blessé par l'affront qui lui semble signifier sa perte, ce suicide concourt par ailleurs à la célébration et à l'élaboration du discours gastronomique français depuis le XVIII
e siècle en donnant un aïeul héroïque aux générations de chefs cuisiniers à venir.