JOURNÉES DES 12 ET 15 JUILLET 1789
Vous avez vu dans les journées précédentes comme la sédition parlait haut, comme la révolte ne prenait plus la peine de se masquer; vous avez entendu la voix de Mirabeau énumérer au roi tous les dangers de la situation.
Il était simple qu'après tous ces avertissements Louis XVI pourvût à la sûreté du trône. Il ne renvoya donc point les régiments campés au Champ-de-Mars, et pour leur retremper l'esprit dans la vieille et noble fidélité d'autrefois il plaça toutes ces troupes sous le commandement du vieux maréchal de Broglie, qui par la victoire de Berghen et autres exploits militaires avait réparé l'honneur de nos armes dans la guerre de sept ans.
Le maréchal de Broglie avait un tort, c'élait d'avoir vieilli.
En France c'est un grand tort; à un peuple aussi léger, aussi remuant que nous le sommes les cheveux blancs imposent peu de respect: on se moqua donc du général de Louis XVI.
Et puis, il faut l'avouer, le mouvevement politique de la révolution naissante et grandissant à vue d'œil devait étonner et embarrasser un homme qui avait pris beaucoup d'années dans les habitudes de l'obéissance militaire, et qui savait mieux se retrancher devant l'ennemi ou s'emparer de ses positions que commander aux séditions de l'esprit.
Louis XVI le manda à Versailles, et il s'empressa d'y accourir.
— Maréchal, j'ai besoin de vous, dit le roi en lui tendant la main.
— Le roi sait que tout mon sang jusqu'à la dernière goutte est à lui.
— Oui, oui, je le sais, et si c'était à l'étranger, contre des armées ennemies et régulières que j'eusse à vous envoyer, je serais assuré de revoir d'autres journées de Berghen;... mais, maréchal, depuis vos succès les temps sont bien changés!
— Sire, le changement des temps ne fait rien à mon dévouement, et je suis heureux et fier d'en donner aujourd'hui l'assurance à votre majesté.
— Vous allez prendre le commandement des troupes rassemblées autour de la capitale. Je ne me cache pas les progrès que l'esprit de révolte a faits parmi elles; je ne vous cache pas non plus que c'est un roi sans finances, sanscrédit que vous venez assister. Les Fiançais dont je voulais être aimé se détachent de moi, l'armée perd ses vieilles idées de fidélité et d'honneur : c'est à vous à les ranimer; ma dernière espérance est dans votre dévouement et votre gloire. Vous aurez rempli le plus cher de mes vœux si vous parvenez sans violence, sans effusion de sang à renverser tous les projets dont mon trône est menacé, et qui feraient bien long-temps le malheur de mon peuple.
—, Sire, je me faisais vieux; mais la confiance de votre majesté me rend ma jeunesse. Malheur à ceux qui se déclareront rebelles à votre autorité! malheur aux factieux!
Sorti du cabinet de Louis XVI, le maréchal de Broglie disait à tous ceux qu'il rencontrait:
« Oh! pourquoi les hommes qui se sont faits les ennemis du roi ne peuvent-ils tous l'approcher, le voir et l'entendre ? il les gagnerait, il les désarmerait tous! »C'est là une erreur des nobles âmes; elles croient que ce qui les a touchées remuera les cœurs durs et froids. Eh, mon Dieu ! non; voyez les douces ondées du printemps; elles amollissent, elles fertilisent la terre, et glissent sur le rocher qu'elles laissent aride.
Depuis plusieurs mois tout était triste et morne dans la royale vie de Versailles; il n'y avait pas à cette époque une chaumière en France qui n'abritât sous son humble toit plus de paix, plus de joie, plus de bonheur que le magnifique palais de Louis-le-Grand.
L'inquiétude de l'avenir était venue tomber tout à coup sur la jeunesse du roi et de la reine; aussi tout bruit de fête avait cessé autour d'eux; si quelquefois dans l'intimité des petits appartements on se permettait encore de plaisanter et de rire, on se le reprochait tout de suite; car au bout d'un éclat de rire il pouvait y avoir un malheur; si l'on projetait un plaisir, arrivait une mauvaise nouvelle de Paris ; et le premier ministre Necker,qui un mois auparavant avait été une espérance, était devenu une gêne ; on ne lui confiait plus que des mesures insignifiantes. Louis XVI se sentait mal à l'aise avec lui; était-ce un ressouvenir de sa conduite équivoque dans la journée du 23 juin? je ne le crois pas, car le cœur du roi ne savait pas garder rancune; c'était plutôt la récente opposition que le premier ministre avait faite dans le conseil lorsqu'il avait été question de déployer à l'entour de Paris des forces imposantes.
La reine et ce que l'on appelait son parti avaient un nouveau favori, le baron de Breteuil: le comte d'Artois l'appuyait aussi; dans leurs pensées c'était lui qui devait hériter du portefeuille de Necker. C'était mettre la légèreté courtisanes que à la place de la vanité compassée et lourde du négociant de Genève: de M. de Breteuil à un homme d'état il y avait loin!
M. Necker pressentant son successeur et fatigué de n'obtenir du roi que de froides paroles l'avait conjuré de s'expliquer avec lui; si je ne puis, lui avait-il dit, écarter des nuages qui rendent inutile tout ce que je puis tenter encore pour le service de votre majesté, j'oserai lui demander encore une fois ma démission. Je me retirerai hors du royaume, et j'aurai soin de dissimuler mon départ, de manière que cet événement n'amène point de catastrophe terrible.
En écoutant ces mots Louis XVI était profondément ému, et d'un ton plein de bonté il répondit: M. Necker, je prends votre parole, et quoi qu'il advienne je me souviendrai de votre dévouement.
— Il est sans bornes, sire.
— Je le sais, et j'y compte.
Le 11 juillet M. Necker avait beaucoup de monde dans son salon : une conversation politique était alors engagée entre lui et quelques meneurs du tiers état; on lui apporta un billet du roi; il sortit du cercle, se rapprocha d'une console où il y avait des bougies allumées, lut la lettre, la mit dans la poche de son gilet, et sans que l'on pût remarquer aucune altération sur ses traits revint prendre part à la conversation: la soirée continua. Quand les étrangers furent partis, quand il ne resta plus que la famille sa fille (madame de Staël) vint lui dire bonsoir; madame Necker allait aussi se retirer.
— Il ne faut pas songer à coucher ici cette nuit, leur dit M. Necker.
— Comment?
— Nous partons à l'instant.
— Pour aller où?
— Hors du royaume, je ne suis plus ministre.
— Comment le savez-vous?
— Par ce billet que le roi vient de m'écrire.
— Ainsi donc M. de Breteuil et le parti antipopulaire l'emportent.
- — Pas un mot de plainte, pas un mot qu1 puisse rien faire deviner; je veux obéir au roi sans éclat; je le lui ai promis.
Alors le ministre disgracié tira de sa poche le billet, et le lut à sa femme et à sa fille; il était ainsi conçu:
» Le moment que vous aviez prévu est arrivé; j'attends de votre dévouement à ma personne que vous cachiez votre départ, la nécessité me force d'y souscrire. »
Après avoir lu ce peu de lignes Necker ajouta : « Obéissons tout de suite; allez faire vos préparatifs : dans une heure il faut que nous soyons en route sans avertir personne. »
Voilà un moment dans la vie politique de M. Necker que je préfère bien à celui où il fut porté en triomphe après la journée du 23 juin. Alors au milieu des cris de joie il devait entendre sa conscience lui reprocher de n'avoir pas paru le matin aux côtés du roi,et cette nuit où il obéissait en silence à un ordre de disgrâce il pouvait écouter la voix que Dieu a mise au dedans de nous ; en cette circonstance elle a dû lui dire:Tu Fais Bien. Au milieu du triomphe elle ne disait rien de semblable.
La nouvelle de la disgrâce de M. Necker parvint à Paris le 12 juillet, et comme le Palais-Royal était toujours le rendez-vous des agitateurs et le foyer permanent des émeutes c'est là d'abord qu'elle fut promulguée, et son effet fut électrique sur la foule oisive et avide d'événements.
Que tout le parti des novateurs regrettât Necker, que le peuple de la capitale, que même beaucoup d'esprits sages vissent avec peine ce ministre renvoyé des affaires, cela pouvait se concevoir; mais que pour ce départ Paris fît éclater une douleur, un désespoir que la mort de nos monarques les plus chéris, que les calamités les plus profondes n'avaient jamais causé, c'était la preuve que de coupables pensées se cachaient sous cet aspect de désolation et de deuil.
Effectivement le silence de la consternation ne dura pas long-temps. Des cris de fureur et de vengeance le rompirent bientôt.
Aux ARMES! AUX ARMES!
Qui le premier a fait entendre ce cri? C'est un homme qui ne tardera pas à souiller son nom par des écrits pleins d'un cynisme barbare.
C'est Camille Desmoulins. Monté sur un des bancs de pierre qui bordent les galeries, il harangue la multitude et lui montre le pistolet dont il s'est déjà armé.
Aux Armes! Aux Armes! répète la foule exaltée par ses paroles.
Pour que les patriotes se reconnaissent, crie encore Desmoulins, arborons ce signe de ralliement! Et parlant ainsi il arrache une touffe de feuillage et la place à son chapeau. Oh! alors quel mouvement dans la multitude! Tous les bras se lèvent: hommes, femmes et enfants se haussent, se grandissent et s'élancent pour atteindre aux branches des tilleuls et des orineaux pour en détacher quelques feuilles et prendre cette cocarde improvisée. De petits garçons montés dans les arbres cassent les rameaux et les jettent à toutes les mains qui s'ouvrent, à tous les bras qui se tendent ; en moins de quelques minutes on dirait qu'un terrible ouragan a passé sur le jardin et en a emporté la verdure et l'ombrage. Les chapeaux ronds, les chapeaux à trois cornes, les bonne s de femmes, les casques de dragons ont tous le nouveau signe.
Ceux de l'immense rassemblement qui à cause de la distance n'ont pu bien entendre l'orateur demandent ce qu'il a dit: alors mille exagérations naissent, et s'en vont grandissant encore de bouche en bouche.
— Il n'y a plus qu'un jour pour prévenir le massacre des patriotes; tous les membres de l'assemblée nationale doivent être les premières victimes.
—Une autre nuit de la Saint-Barthélemy est décidée, arrêtée par la reine et le comte d'Artois.
—Tous les bons citoyens doivent rester en armes ; les soldats du Champ-de-Mars viennent de recevoir des cartouches pour tirer sur le peuple, on les a vus aiguiser leurs sabres et affiler leurs baïonnettes pour le carnage!
La cour a soif de sang ! A bas les aristocrates! vive le tiers état! vive Necker ! vive le duc d'Orléans!
Voilà les vociférations, les cris de haine, les menaces, les malédictions qui sortent de mille bouches pour ne former qu'un bruit assourdissant, horrible, épouvantable! cris de sang, rugissements de tigres, immense rumeur qui couvriraient et les éclats du tonnerre et le fracas des vagues dans une tempête.
Pour accroître encore ce tumulte des hommes du peuple, qui sans doute avaient reçu des ordres des grands émeutiers, entrent dans le salon de Curtius, faiseur de figures de cire, fragile musée où l'on voyait représentés différents personnages, qui à des titres divers, soit crimes, soit vertus, avaient acquis la célébrité du moment. On pense bien que Necker, le ministre populaire, et que D'orléans, l'ennemi de la cour, l'ami du tiers état, devaient avoir leurs images dans cette galerie des illustres. Elles y étaient en effet; leurs partisans s'en emparent : on les place sur un brancard; les deux bustes sont recouverts d un long voile de crêpe, car il importe de faire craindre pour leur liberté et même pour leurs jours. . —Le prince est banni!
— Necker est à la Bastille! répètent en avançant à travers les Ilots pressés de la foule les ordonnateurs de cette ovation.
Ces mensongères nouvelles font sur la multitude ce que l'huile fait sur le feu, ce que Je vitriol fait sur une plaie, ce que les vents déchaînés font sur les vagues des mers.
Les deux images voilées, que l'on aperçoit de loin portées au dessus de toutes les têtes, sont saluées par les cris de
Vengeance ! Vengeance!
Chapeau Bas! Chapeau Bas!
Honneur , Honneur Aux Amis Du Peuple!
Puis à mesure que les bustes avancent on voit les têtes se découvrir et s'incliner. Stupide foule! les esprits forts lui ont enseigné à ne plus honorer Dieu, et la voilà qui se prosterne presque devant l'image de d'Orléans: ils ne veulent plus du vrai Dieu, ils veulent Moloch.
Ces mouvements tumultueux, ce déshonorant scandale duraient depuis plus de trois heures, et nulle force armée ne s'était encore présentée pour dissiper les factieux, pour foire cesser la honte. Déjà beaucoup de rues avaient été parcourues, les boutiques fermées étaient obligées de se rouvrir pour laisser voir le hideux triomphe et son effrayant cortège composé d'hommes à demi nus, quelques-uns armés de fusils pris la nuit dernière dans les corps-de-garde, et d'autres de longs bâtons ferrés qu'ils brandissaient comme des cannibales altérés de sang.
Un détachement de dragons rencontré par ces séditieux est insolemment sommé de répéter leurs cris et de rendre le salut militaire aux bustes de Necker et du duc D'Orléans; cette sommation fut reçue comme elle devait l'être par des soldats que l'esprit de rébellion et d'indiscipline n'avait point encore atteints. Les dragons jetèrent un regard de mépris sur les deux simulacres et sur les bandits qui les escortaient.
— Retirez-vous, cria l'officier de dragons.
— Vous êtes amis du peuple, vous ne nous ferez pas de mal.
— Retirez-vous!
— Vous ferez comme les gardes françaises: ils viennent de prendre la cocarde verte.
— Retirez-vous et faites nous place.
— Criez Vive Necker ! Vive Le Duc D'Orléans!
— Vive Le Roi! répondit l'officier, En Avant.
A cet ordre les dragons avancent, et quelques-uns d'entre eux, irrités des insultes de la populace, vont briser les idoles improvisées, les renversent dans la poussière, frappent ou blessent ceux qui les portent, et dissipent le cortège. C'est alors qu'un soldat des gardes françaises fut tué: la cocarde verte de la rébellion qu'il avait à son chapeau ne lui avait pas porté bonheur.
Ce fut là la première victime de la révolution; quelle longue liste son nom a commencée!
En répétant vengeance ! vengeance ! l'attroupement prend la fuite, et se dirige dans le désordre de la peur vers le jardin des Tuileries.
Le baron de Besenval avec les gardes suisses et deux régiments étrangers prend poste sur la place Louis XV. La volonté du roi bien connue, bien souvent répétée a fait donner à ces troupes l'ordre de rester immobiles et de ne répondre à aucune provocation; ordre semblable n'est pas donné sans que la multitude en sache quelque chose. Alors elle se fait hardie; car elle sait que les sabres nus qu'elle voit briller au soleil ne frapperont pas de manière à faire couler le sang.
L'immobilité, l'impassibilité de ces fidèles régiments ont donné du courage aux plus lâches: la populace a osé avancer jusqu'auprès des chevaux, des femmes sont venues aborder les soldats et leur disant;
« Vous ne tournerez pas vos armes contre nous. »Les gardes françaises, qui depuis vingt quatre heures ont déserté leur caserne, sont au milieu des attroupements; ils ont déjà fait feu sur un détachement de royal-allemand.
Les pierres commencent à pleuvoir sur les soldats postés, alignés sur la place; la foule se montre d'autant plus impatiente d'en venir aux mains qu'elle a connaissance des ordres donnés. Cependant les insultes, les outrages, les provocations continuant et augmentant toujours, la patience des régiments s'usait, l'irritation leur venait et la colère s'allumait en eux. Encore quelques pierres, encore quelques outrages, disait le baron de Besenval, et je ne pourrai plus les contenir. Et moi, répondait le prince de Lambesc, colonel du régiment de royal-allemand, je ne réponds plus de mes hommes; leur phlegme est à bout.
1l prononçait ces mots quand il s'aperçut que la multitude s'efforçait de lever le pont-levis qui existait alors entre la place et le jardin des Tuileries, à l'endroit où l'on voit aujourd'hui une grille de fer entre deux corps-de-garde, et qui s'appelle encore grille du pont tournant. A cette vue il s'avance au grand trot pour empêcher ce mouvement : il est assailli par une grêle de pierres. Un homme s'élance au devant du prince, et saisit son cheval par la bride; un coup de sabre lui fait lâcher prise, et le régiment continue son mouvement et chasse devant lui la foule, qui s'aperçoit que l'on s'est enfin décidé à faire agir les troupes, et qui en moins d'une demi-heure a évacué le jardin, où elle avait voulu se retrancher.
Pendant tout ce trouble plusieurs coups de fusil avaient été tirés; un vieillard appelé Chauvet avait été renversé par le cheval du prince de Lambesc et dangereusement blessé.
Alors la foule changea de cri: — Au Meurtre! Au Meurtre!.... On égorge Le Peuple. A Bas Les Allemands! A Bas Les étrangers!
A cet instant un coup de canon tiré pour rassembler les troupes mit le comble à la terreur. Les gardes françaises, qui ont tout à fait déserté la cause royale, accourent prendre sous leur protection la populace dispersée; sans officiers ils se forment en bataille. Pour ajouter à tout ce désordre la nuit était venue; au milieu de l'obscurité, à onze heures du soir, le régiment de royal - allemand est attaqué de nouveau; ce n'est plus à coups de pierres, mais à coups de fusil tirés parles gardes françaises. Plusieurs soldats furent blessés et tués ; mais le régiment, obéissant à des ordres formels, ne riposta pas. Le baron de Besenval craignit de s'engager dans les rues étroites et obscures de Paris, et le prince de Lambesc ordonna également la retraite, et se retira sur Saint-Cloud.
Voilà donc la capitale livrée à elle-même; ce qui règne maintenant sur elle c'est la rébellion, cette rébellion à coups de feu, à coups de sabre, on pouvait l'anéantir; par humanité on ne l'a pas voulu; on a eu pitié d'elle. Maintenant elle va grandir; bientôt elle changera de nom, elle ne s'appellera plus révolte; elle se fera saluer du titre de Révolution Française, et sur cette même place où l'on aurait pu l'écraser comme un serpent naissant elle dressera des échafauds; elle les y maintiendra en permanence; elle usera le fer des bourreaux à force de couper des tètes, et le roi, qui avait dit je ne veux pas qu'un seul homme périsse pour ma querelle, sera une de ses victimes!
Oh! il y a souvent bien de l'humanité dans des mesures sévères.
Je viens de vous le dire, les troupes du roi ne sont plus dans l'enceinte de Paris, k présent que les soldats, que les révoltés appelaient stipendiés de la cour, assassins royaux, suppôts de la tyrannie, à présent qu'ils ont quitté la capitale insurgée, que vont faire les factieux de ce qu'ils nomment leur victoire?
Quand on a fait lever la foule, quand on a armé ses mille bras, quand on a allumé ses passions il lui faut de l'occupation :alors que vous éveillez le lion, alors que vous démuselez le tigre il lui faut sa proie. La populace est de même, on ne l'agite pas pour rien; aussi, ne voyant plus devant elle les troupes royales, elle se rue dans tous les sens; la bête féroce ne sait où porter sa rage. Du milieu du bruit confus que font réunis ensemble et les factieux de Paris et les brigands qui vivent au-delà de ses murs on entend s'élever le mot Pillage!à ce mot terrible il vient s'en joindre un autre, Famine.
— On veut affamer la ville ; aux barrières! on a arrêté des blés!
— Brûlons les barrières.
— Le feu le feu aux barrières!
— Des torches ! des flambeaux!
Et tout à coup l'obscurité de la nuit disparaît; une lueur rougeâtre éclaire les maisons et la multitude; les piques, les sabres, les baïonnettes reflètent la sinistre lumière des torches agitées, embrasées, qui s'en vont courant dans toutes les directions comme des vagues de feu. Une partie des factieux a pris le chemin des barrières ; une autre s'est portée vers la rivière, y brise et dévaste les bateaux appartenant à la ferme générale. Ainsi, pendant que la nuit se rougit des feux de l'incendie, pendant que les barrières brûlent, la Seine se couvre de débris. Les employés de la ferme sont menacés, maltraités et chassés de tous leurs postes; des prisonniers de la Force et de l'Abbaye sont mis en liberté par l'attroupement que guide l'huissier Maillard, qui aura bientôt sa renommée sanglante. Les bandits sous ses ordres forcent les magasins d'armuriers; là s'armant de tout ce qu'ils trouvent, vieilles armures et armes nouvelles, pistolets et poignards, haches et baïonnettes, lances et piques, fusils et hallebardes, casse-têtes et espingoles sont emportés par eux; sur leurs sales haillons ils ont mis de reluisantes cuirasses et se sont coiffés de casques d'acier.
Les portes des églises ne seront pas plus respectées que celles des boutiques et des magasins; sous les coups des brigands elles s'ouvrent, le tumulte pénètre dans la maison de paix ; mais cette fois les autels ne seront point profanés, c'est vers les clochers que la foule se hâte pour sonner le tocsin,
ll bat, il bat à coups redoublés ; sa voix de fer traverse l'air, et s'en va réveiller les quartiers tranquilles que la révolte n'a point encore parcourus. Les habitants ouvrent leurs fenêtres, voient de toutes parts l'horizon en feu, et croient aussitôt à l'embrasement général de Paris ; alors dans chaque maison les cris des enfants et des femmes.... Ce n'est pas tout, pour augmenter l'effroi des familles on tire des coups de fusil et de pistolet dans les rues; et comme dans la nuit de la Saint-Barthélemy on y crie: Tue! Meurs! Point De
MERCI, POINT DE QUARTIER!
A ces horribles vociférations chacun se barricade dans sa maison, et s'apprête à y soutenir un siège.
D'autres rebelles ont couru vers l'Hôtel-de-Ville en répétant Aux Armes! Toutes les autorités civiles ont disparu depuis plusieurs mois ; leurs paroles, leurs conseils ne sont plus écoutés; dans l'inaction de tous les pouvoirs les électeurs se sont assemblés dans la grande salle Saint-Jean, et se sont emparés de l'administration que des mains inhabiles et faibles avaient laissés échapper; quelques-uns, je me hâte de le dire, se sont rendus à ce poste usurpé dans l'espoir d'arrêter le désordre.
Au milieu d'un affreux tumulte, pendant que les cours, les escaliers, les salles sont remplis de factieux qui demandent des armes, les électeurs, qui se sont constitués, ordonnent que tous les citoyens seront convoqués pour constituer à leur tour dans les districts soixante assemblées délibérantes... Tous les citoyens sont en armes ; un conseil d'électeurs reste en permanence depuis plusieurs jours, règle l'organisation d'un corps de quarante huit mille hommes, et ce corps s'appellera Milice Parisienne; sa cocarde ne sera plus verte, mais aux deux couleurs des armes de Paris, rouge et bleu.
Ce fut là la première origine de la garde nationale; on le voit, son berceau n'est pas pur.
Les hommes qui l'ont d'abord décrétée s'étaient emparés d'un pouvoir qui surpasse tous les genres de despotisme, celui de l'insurrection. Le plan d'organisation de cette garde avait été médité depuis long-temps au Palais-Royal. Le duc d'Orléans voulait aussi avoir son armée : le travail de la distribution des emplois dans l'état-major était réglé d'avance; les fonctions les plus importantes étaient confiées aux principaux initiés, aux plus chauds partisans du prince: il ne restait plus à nommer que le général en chef de cette milice, et déjà sourdement on faisait circuler son nom.
Dans cette nuit de désordre et de tumulte les magasins des armuriers pillés par la populace ne lui avaient point encore fourni assez d'armes, et les électeurs de Paris ordonnèrent la fabrication de cinquante mille piques.
Des poudres destinées pour Versailles descendaient la Seine sur des bateaux; les bandits s'en emparent, et elles sont à l'instant distribuées.
Cette distribution d'armes et de poudre à la populace mit le comble aux alarmes, aux craintes de toutes les familles : dans chaque maison on ne songe qu'à une chose, c'est à fuir une ville exposée à tant de dangers! Mais tous ceux qui voulaient quitter la capitale, qui avaient demandé des chevaux de poste pour s'éloigner étaient traînés à l'Hôtel-de-Ville; le nombre en était si grand que le procès-verbal le dit impossible à décrire.
Parmi ceux qui avaient fait leurs apprêts pour partir de Paris il y en avait beaucoup dont les noms étaient déjà inscrits sur des listes de proscription, affichées aux arbres et aux arcades du Palais-Royal; cependant on ne leur permettait pas d'abandonner la ville, dont les autorités n'avaient plus la force , plus les moyens, peut-être plus la volonté de les protéger.
Parmi les noms voués à la haine du peuple et désignés aux meurtriers H y avait ceux de MM. Foulon et La Galaisière; on leur imputait sans raison de coupables manœuvres pour détourner les subsistances de Paris; aussi quand la nouvelle de la nomination du nouveau ministère arriva dans la capitale l'exaspération ne garda plus aucune mesure : ce n'étaient plus des plaintes contré la cour, c'étaient des menaces contre le roi, contre la reine, qui retentissaient sur la place publique.
— Vous le voyez, il n'y a plus de ménagement à garder; ils nomment ministre Foulon, qui a voulu affamer le peuple!
— Et La Galaisière , qui a dit que le pain noir était trop bon pour nous!
— Et Breteuil, qui prétend qu'il ne nous faut pour nous bien gouverner que des soldats allemands et des gardes suisses!
— A bas le ministère!
— A bas celui qui l'a nommé!
— Vive Necker! vive le duc d'Orléans! vive le père du peuple!
— Vive le duc d'Orléans; il vient d'offrir trois cent mille francs pour faire diminuer le prix du pain.
— S'il est cher ce n'est pas étonnant, les couvents de moines et de religieuses ont accaparé les grains ; les couvents s'entendent avec la cour pour nous amener la famine.
— Les cafards! ils ont aussi des armes pour tirer sur le peuple ; ils ont chez eux des Allemands et des Suisses.
— Aux Chartreux il y a vingt mille fusils.
— Allons les prendre.
— Oui, aux Chartreux! aux Chartreux! En ces jours-là il n'en fallait pas davantage:
vous nommer, vous désigner c'était assez pour diriger le torrent furieux contre vous.... Voilà donc les flots de la multitude qui roulent impétueux et bruyants du côté des Chartreux. Cette sainte et tranquille solitude va bientôt perdre sa paix. La religion avait su faire du calme à ses enfants au milieu du tumulte de Paris; faites marcher la rébellion, elle ne laissera de tranquillité nulle part; partout elle
portera le trouble, le bruit, le désordre
Bienheureux quand elle ne mêlera pas de sans à ses œuvres!
Pour les fils du cloître le jour n'est pas assez long; ils prennent encore des heures à la nuit, et méditent et prient dans son silence. Les chartreux avaient donc quitté leurs cellules isolées, et étaient tous rassemblés au chœur, chantant les psaumes de David... quand leurs prières furent soudainement interrompues
Le bruit de la foule rugissante parvint jusqu'à l'oreille de quelques-uns des religieux; ceux-là se turent pour écouter.... mais le supérieur élevant la voix dit:
« Le Seigneur est avec nous, qui donc nous fera trembler?... Mes frères, si c'est l'ennemi qui heurte à notre porte raison de plus pour prier avec ferveur.
Et la prière recommença.... quand elle fut terminée, quand chaque chartreux fut rentré dans sa cellule l'abbé du monastère avec sa robe de laine blanche et son scapulaire noir alla au devant des factieux, dont plusieurs avaient déjà escaladé les hauts murs du couvent.
— Que voulez-vous, messieurs? dit le supérieur.
— Des armes.
— Des armes chez nous!
— Oui, oui, chez vous comme chez tous les ennemis du peuple.
— Mais nous ne sommes ennemis de personne.
—: Vous êtes des cafards, des hypocrites, des traîtres; laissez-nous visiter le couvent.
— Je vais vous en ouvrir toutes les portes.
— A la bonne heure, place ! place au peuple!
— Autrefois vous laissiez entrer chez vous les rois et les reines, les princes et les princesses; aujourd'hui il faut laisser entrer les citoyens et les citoyennes. Le bon temps est venu pour nous.
C'était avec ces propos et de sales vociférations que la populace pénétrait dans la maison sainte. Des femmes, la lie et le rebut de la population des faubourgs, s'étaient jointes à cette expédition. L'idée de pénétrer dans un couvent pour y porter du scandale leur avait été une grande et vive excitation... Des armes! criaient-elles, des armes !il y a ici vingt-cinq mille fusils, il nous les faut pour nos maris, nos fils et nos frères...; qu'en feriez-vous, grands fainéants que vous êtes?...
— Mais regardez donc, en voilà qui feraient de beaux soldats; il faut les délivrer du cloître comme nous avons délivré les gardes françaises de la prison de l'Abbaye.
— Cherchez les armes que vous croyez cachées dans nos cellules: nous vous avons tout ouvert; cherchez, mais ne nous insultez pas.
— Est-ce vous insulter que dire que vous feriez de bons soldats?
,— Nous sommes des religieux.
— Vous êtes des esclaves.
— Nous ne voulons pas de votre liberté.
— Insensés!
A toutes ces paroles joignez le bruit des armoires, des placards, des caisses, des coffres, des portes que l'on enfonce, que l'on brise à coups de hache et de barre de 1er; éclairez ces réfectoires, ces longs corridors, ce cloître à arceaux, ces cent petites cellules de la lueur des torches agitées dans les mains des meneurs du rassemblement.et vous aurez l'idée de cette scène de nuit, de ce bruit dans cette maison de silence, de ce trouble dans l'asile de la tranquillité, de tant d’obscènes propos sous des voûtes si sacrées.
Le supérieur et un des religieux, l'économe du couvent, furent traînés au comité des électeurs, car les séditieux, qui n'avaient rien trouvé dans leurs recherches, ne voulaient pas sitôt renoncer au cruel plaisir qu'ils trouvaient à tourmenter des moines. Sur la place de l' Hôtel-de-Ville le rassemblement de peuple était immense, et quand cette multitude vit qu'on lui amenait deux chartreux elle poussa d'horribles cris de joie, des cris semblables aux rugissements des tigres quand on leur jette leur proie...
— Ah! voilà les recéleurs d'armes.
— On les tient enfin ces ennemis du peuple...
— Ils faisaient l’exercice dans leur cloître.
— Les Suisses et les Allemands leur apprenaient le maniement d'armes.
— La charge en douze temps.
— Eh bien, il faut leur montrer que le peuple aussi sait se servir d'armes et faire feu.
— Ils veulent que le pain soit cher; eh bien, faisons-leur passer le goût du pain.
— Bravo ! mort aux moines!
— Mort aux receleurs d'armes!
Mais, disaient quelques-uns, vous vous trompez; on n'a rien trouvé chez eux...
— Silence! si l'on n'a rien trouvé il ne faut pas le dire...
— On a cherché depuis la cave jusqu'au grenier; on n'a rien découvert.
— Vous êtes un aristocrate.
— Non, je suis un citoyen comme vous.
— Pas comme moi, puisque vous défendez les moines.
— Je dis la vérité.
— A bas la vérité!
— Mais en ne disant pas ce que nous avons vu aux Chartreux , voyez, ces deux hommes vont être mis à mort, déchirés par la populace!
— Il n'y a pas de populace.
— Comment! ces hommes aux bras nus, ces femmes échevelées, ces furies
— Ce n'est pas de la populace, C'est Le Peuple.
— Moi j'étais aux Chartreux... Ne tuez pas ces deux hommes; nous avons tout visité, il n'y avait d'armes nulle part; je vous le jure, il n'y a pas un fusil, pas un sabre.
La voix de l'honnête homme qui criait ainsi aurait dû se perdre dans le tumulte immense de la place; mais Dieu lui donna tant de force qu'elle fut entendue d'une vingtaine d'hommes qui se trouvaient près des deux religieux, et qui se réunissant ensemble éloignèrent les assassins, dont les couteaux brillaient déjà sur la poitrine des solitaires.
Pendant qu'un rassemblement de révoltés s'était porté par delà le Luxembourg, au monastère des Chartreux, une autre troupe de bandits avait couru au couvent de Saint-Lazare. Là ce n'était pas dans l'espoir d'y trouver des armes ; mais, d'après le bruit répandu dans le peuple, cette maison religieuse était devenue un entrepôt de farines: un autre couvent à piller c'était une autre joie, un autre bonheur pour les révolutionnaires.
S. Vincent de Paul avait soigné les lépreux, avait nourri les pauvres dans cette même maison de Saint-Lazare; mais la mémoire du saint ne sera point une sauve
garde à l'hospice. Le crime des novateurs c'est l'ingratitude. Voilà donc la maison envahie par les brigands; et pour les en chasser, quand ils l'auront tout à fait dévastée, il faudra que des gardes françaises (qui cependant se sont faits alliés des révoltés ) viennent leur tirer des coups de fusil.
Il n'était plus ni d'autorité municipale ni de tribunaux qui pussent imposer un frein à l'insurrection: la tourbe qui se disait le peuple s'introduisait partout, et partout parlait haut.
— Nous voulons des armes, nous voulons pouvoir nous défendre La cour fait marcher des soldats contre nous; nous voulons devenir soldats. Des armes ! donnez-nous des armes!
C'est ainsi que crie la multitude. Les cours, les escaliers, les corridors, les bureaux, les salles de l'Hôtel-de-Ville sont envahis par elle; les chefs, les employés ne savent qui entendre et à qui répondre ; le désordre est au comble. Le bureau suppléant ordonne la fabrication de cinquante mille piques puisque les fusils manquent. Dans deux jours ces cinquante mille piques seront fabriquées, et, quelques jours encore, plusieurs d'elles porteront de sanglants trophées.
1l y a des temps où la fièvre populaire n'a point de répit, point d'intermittences quand elle a fait bouillir le sang de la foule pendant tout le jour; la nuit venant n'apporte point de calme à la multitude. Les douze heures de la journée n'ont point suffi aux révoltes pour tout ce qu'ils ont à faire, et au lieu de dormir ils s'agitent encore: la mer a été si profondément remuée que ses vagues sont long-temps avant de s'abaisser, avant de redevenir unies comme le terrain d'une plaine.
La nuit du 13 juin fut toute remplie de tumulte et d'alarmes; d'heure en heure des factieux qui avaient pour mission de répandre la crainte et de crédules habitants que la frayeur avait véritablement gagnés accouraient au comité suppléant, annonçant que tout était perdu, que la capitale allait être prise, que vingt mille soldats débouchant par le faubourg Saint-Antoine allaient s'emparer de l'Hôtel-de-Ville. D'un autre côté partaient du comité qui siégeait en permanence à l'Hôtel-de-Ville des émissaires qui étaient loin de rassurer les habitants de Paris par les ordres qu'ils apportaient aux soixante districts récemment établis dans les différents quartiers de la capitale : partis du centre de tout le mouvement, ils commandèrent de dépaver les rues et d'y élever des barricades: dans l'immense et turbulente cité c'était un flux et reflux continuel d'inquiétudes, de mensonges et d'exagérations.
Pendant que les Parisiens s'occupaient tant de se procurer des armes et de la poudre et de faire des coupures dans leurs rues pour empêcher par tous les moyens l'intervention des troupes royales, les régiments se resserraient sur Versailles, comme pour laisser plus de liberté aux mouvements de la capitale. Un régiment campait dans la magnifique orangerie, et d'autres dans les bosquets de Versailles, tandis que le marquis de Launay, gouverneur de la Bastille, auquel de vagues rumeurs étaient parvenues, ne cessait de demander du renfort pour le poste qui était confié à sa garde.
Après avoir fouillé les couvents pour y découvrir des fusils la multitude, mutinée et belliqueuse parce qu'elle n'avait plus près d'elle de forces imposantes et répressives, obtint de la municipalité, qui obéissait à toutes les exigences, qu'une députation serait envoyée aux Invalides pour leur demander des armes... Ces députés ne faisaient que précéder un rassemblement plus nombreux que tous ceux qu'on eût encore vus... Dans ces jours de vertige ( on a peine à le croire, mais c'est un lait qu'il faut constater pour prouver combien le délire était général) ces vieilles têtes respectées dans les batailles et blanchies par les années s'étaient aussi enthousiasmées des idées nouvelles. Ces vétérans de nos armées avaient prêté l'oreille aux discours des novateurs, et ils s'étaient persuadés que la cour voulait opprimer le tiers état, dont ils faisaient partie; aussi les vit-on s'empresser d'ouvrir leurs portes et d'indiquer les dépôts d'armes à trente ou quarante mille hommes qui faisaient irruption dans le magnifique hôtel bâti par Louis XIV!
M. de Sombreuilne put résister long-temps à toute cette foule; lui aussi avait demandé du secours deux jours auparavant, et n'avait rien obtenu des nouveaux ministres. En écrivant ces pages pour vous, mes enfants, oh! que mon cœur se contente souvent, et comme je me persuade de plus en plus que la sagesse des hommes est folie quand Dieu se retire des conseils des rois, quand dans ses décrets impénétrables il a résolu de châtier une nation. Voyez, M. de Launay demande du renfort pour la Bastille, le gouverneur des Invalides sollicite des troupes pour défendre son hôtel, et l'on garde des régiments entiers dans le parc de Versailles, immobiles comme ses statues de marbre.
En peu d'heures tout ce qu'il y avait d'armes aux Invalides fut enlevé; vingt mille fusils, vingt pièces de canons, emportés, traînés par les factieux, furent le butin de cette journée; de glorieux drapeaux déchirés, usés de guerres, noircis par la poudre des batailles, illustrés par des victoires, des drapeaux que l'on avait toujours vus dans les rangs des fidèles défenseurs du trône, les voilà aux mains de la populace! les voilà profanés! Oh ! ne me laissez pas croire que tous les vieux invalides aient pu voir emporter ainsi leurs glorieux étendards sans éprouver un vif chagrin, sans avoir ressenti comme de la honte; non, non, plus d'un aura pleuré en secret, et de sa main mutilée essuyé de nobles larmes de soldat.
Des témoins oculaires m'ont redit que rien ne leur avait semblé plus lugubre que le bruit que faisaient ces canons en roulant sur le pavé des rues; la foule enivrée de sa victoire les avait parés de branches de laurier et de rubans rouges et bleus, et les traînait en chantant pendant que le tocsin sonnait à toutes les églises et se répondait de tous les clochers. :Vr..
Tout à côté de l'hôtel royal des Invalides il y avait des troupes casernées ; mais leur esprit
avait été tellement travaillé et corrompu par les agitateurs de l'époque que M. de Sombreuil n'osa pas les appeler à son secours.
Les révolutionnaires sont comme les harpies de la fable, ils souillent tout ce qu'ils touchent; là où ils s'abattent il y a sacrilège... lis ont pillé le royal hôtel de Louis-le-Grand ; ils ne s'arrêtent pas là, ils courent au Garde-Meuble; là de nobles, d'illustres, de saintes armures, des cuirasses qui ont recouvert des poitrines de chevaliers et de rois, des casques que l'on a toujours vus au chemin de l'honneur sont volés au dépôt de gloire; et l'épée de Henri IV est aux mains de L’insurrection !. Oh! Louis XVI, homme de cœur et de courage, si tu avais eu un Sully dans ton conseil, il t'aurait dit:
— Sire, vite, vite à cheval, et en avant contre les révoltés! en avant pour arracher aux factieux l'épée de votre aïeul, et rétablir votre autorité.
Hélas! aucune voix ne s'est élevée pour parler ainsi au roi
L'étiquette peut-être ne le permettait pas!
LE 14 JUILLET 1789.