Extrait d'un livre que je recommande, "Une dynastie de jardiniers et de botanistes : les Richard", mais dont je tairai l'auteur.
Contrairement à une idée reçue, l’activité du château de Versailles ne s’arrêta pas le 6 octobre 1789 avec le départ de la famille royale pour les Tuileries. Le personnel qui avait en charge l’entretien des bâtiments et des jardins, ainsi que bon nombre de fonctionnaires, restèrent en place en continuant son travail comme si de rien n’était. Tous se confortaient dans un illusoire retour du roi et de la cour. Antoine Richard comme tous les autres occupa son poste jusqu’à la chute des Tuileries le 10 août 1792. Dans le rôle des journées d’ouvriers qu’il tenait quotidiennement, il écrit pour les six premiers mois de l’année 1792 (22) :
- 9 février 1792 : journée à faire des trous pour planter des cerisiers.
- 19 mars 1792 : journée à planter des fleurs au Hameau.
- 21 avril 1792 : journée à planter des arbres verts sur les montagnes.
- 30 juin 1792 : journée à labourer et retirer au râteau.
Le rôle s’arrête à cette dernière date, mais les travaux à Trianon continueront et seront payés jusqu’au 10 août 1792.
Avec l’arrivée de la République, ayant fait allégeance au nouveau régime, plus par raison que par conviction, il est nommé par le ministre de l’intérieur, Roland, conservateur du jardin et des pépinières de Trianon (15).
L’avenir du domaine de Versailles sembla compromis quand en septembre 1793, Charles Delacroix, commissaire de la Convention en mission à Versailles, déclara en contemplant le parc depuis les terrasses (31) : « Il faut que la charrue passe ici. » Aussitôt, Antoine Richard, avec l’appui des habitants de Versailles, décide de faire échec à ce projet iconoclaste. Il envoie à la Convention un mémoire où il propose habilement pour sauver le parc de le faire évoluer en jardin de rapport en transformant les parterres en potager et en plantant des arbres fruitiers dans toutes les allées. La fin de l’année voit les deux parterres de Latone changés en champ de pommes de terre et en verger. Finalement la Convention, devant la pression des Versaillais, retira son projet (19, 32). Mais le même Delacroix qui voulait détruire à tout jamais les symboles de la royauté, récidiva au début de l’année 1795 en voulant mettre en vente les jardins du Petit Trianon et du Hameau après les avoir divisés en dix lots. Antoine Richard s’adresse alors à Delacroix et à la Convention pour surseoir à cette vente, arguant du peu de profit que l’on en tirerait et de la perte inestimable de ce conservatoire de botanique. La Convention écouta sa supplique et par un décret du 14 germinal an III (3 avril 1795), reporta sine die cette vente en déclarant la nécessité de garder et d’entretenir les maisons et jardins nationaux aux frais de la République « pour servir aux jouissances du peuple et former des établissements utiles à l’agriculture et aux arts. » Mais renonçant à ses belles promesses pour un simple intérêt pécuniaire, la Convention loua le domaine au limonadier Langlois qui transforma le château du Petit Trianon en auberge, le pavillon français en café et le jardin français en bal public (15, 31). Antoine Richard se retrouva sans emploi et sans ressources.
En 1795 la Convention décida la création d’un Institut national chargé de recueillir les découvertes et de perfectionner les arts et les sciences, avec une École centrale par département. En 1798 le Potager du roi devint le jardin botanique de l’École centrale de Versailles dont la direction fut confiée à Antoine Richard. Il put ainsi sauver en les rapatriant au Potager les collections botaniques qu’il entretenait dans les serres chaudes du Petit Trianon, derniers vestiges du jardin botanique de Louis XV (33).
En 1805, sous l’Empire, le Potager est rendu à sa destination première, et Richard est démis de ses fonctions par le comte Lelieur de Ville-sur-Arce, administrateur des parcs, pépinières et jardins impériaux (33). Éprouvant les plus grandes difficultés financières, il est contraint de vendre les livres les plus prestigieux de sa bibliothèque (1). Pour subvenir aux besoins de sa famille, il devient pépiniériste en faisant le commerce d’arbres qu’il fait croître dans des lopins de terre qu’il possède à Saint-Germain-en-Laye. Désespéré, ruiné et malade il meurt le 27 janvier 1807 à Versailles au n° 26 de la rue Saint-Honoré, âgé de 73 ans (34).