Puisque nous parlions récemment des différents vernis et laques à l’imitation de celles de Chine ou du Japon, je vous propose la lecture de la notice de vente d’une très belle commode, qui sera bientôt mise en vente aux enchères par la maison Kohn, à Paris.
Vous pouvez toujours feuilleter le
catalogue de la deuxième partie de la vente, celle qui concerne plus précisément les meubles et objets du 18ème siècle.
Attention les prix !
Je passe donc tout le descriptif du meuble et de ses ornements, pour seulement copier le passage qui concerne
l'histoire des meubles en laque, ainsi que les développements des vernis dans la goût de la Chine ou du Japon. -
Commode d’entre-deux, dite « sauteuse », en laque bleu européen.
Par Jacques DUBOIS (1694-1763)Estimation entre 250 000 et 400 000 euros.
Notice de la maison de vente : Les laques de Chine (assez fréquents), du Japon (moins habituels) ou en vernis européen (très rares) ont été utilisés harmonieusement pour faire naître des chefs-d'œuvre d'ébénisterie parisienne.
Notre commode adopte les caractéristiques des modèles que Dubois affectionnait particulièrement, à deux tiroirs sans traverse revêtues de laque oriental ou plus rarement de vernis européen pourvues d'un décor de bronzes rocailles encadrant la façade ainsi que sur les chutes d'angle et les arêtes protégeant les montants.
Très admiratif devant les réalisations des artisans laqueurs chinois et japonais,
Dubois fit partie des ébénistes qui en garnirent leurs meubles en adaptant les formes des panneaux originaux aux structures alors en vogue.Cette technique de placage de panneaux orientaux sur des structures européennes se développa au début du XVIIIe siècle.
Rapidement, les ébénistes prirent conscience de la demande grandissante de la clientèle et du risque de pénurie de ces matériaux.
Ils imaginèrent donc dans un premier temps d'exporter des bois préparés : commodes, bureaux ou paravents, dans des ateliers chinois qui en effectuaient le laquage.
Au retour, il ne restait plus qu'à monter les pièces.
Malgré la rapidité des transports maritimes hollandais,
les délais étaient très longs et entrainaient une hausse conséquente des prix.Les ébénistes cherchèrent alors à réaliser eux- mêmes les laques. Jean-Félix Watrin dans son
Traité des couleurs et vernis, paru en 1773 donne quelques éclaircissements sur l'évolution des recherches en matière de laque : « quelques procédés, connus et dévoilés, par de savans Missionnaires qui ont été en Chine et au Japon, ont éclairé l'industrie ; à force de combiner des mêlanges, on est parvenu à ne rien leur envier, comme dans tous les Arts, on a beaucoup tâté, avant de trouver les résultats que l'on désiroit ».
Grâce aux travaux des missionnaires, hommes instruits et curieux, qui se penchèrent les premiers sur l'étude des secrets de la composition des laques orientaux, les artisans parisiens purent améliorer leur propre technique.
Les premières mentions des rares vernisseurs à l'imitation de la Chine installés à Paris datent du tout début du XVIIe siècle. Ainsi, Estienne Sager officia sous la Régence de Marie de Médicis et livra à la Couronne en 1613 un grand cabinet « façon de la Chisne ». De même Pierre Desmartin, « gardien des curiosités de la Chine » de Louis XIII qui, outre son activité de marchand, fut peintre et livra en 1619 au jeune Roi, un petit carrosse « peint en façon de la Chine ».
Mais il faudra attendre le XVIIIe siècle et la
lignée des Martin pour que le métier de peintre-vernisseur « en verny façon de la Chine » explose avec le fondateur de la dynastie Guillaume Martin dont l'atelier fut honoré du titre de Manufacture Royale.
La technique est alors définie clairement : à base de copal, d'huile de lin dégraissée et d'essence de térébenthine, la solution clarifiée donne un vernis blanc qui valut aux Martin un succès mondial.
« Les vernis de la Chine ont toujours été les plus estimées, mais aujourd'huy ceux des Martin les égalent, si même ils ne les surpassent, et son vernis, si vanté dans toute l'Europe, est une de productions modernes » extrait de l'ouvrage de Jean-Félix Watrin, Traité des couleurs et vernis, paru en 1773.
Les ateliers se développèrent principalement dans le quartier du Faubourg Saint-Antoine, près des ébénistes, attestant de la proche collaboration des deux métiers.
Aucune codification de la profession ne fut établie, rendant difficile l'appréhension de l'activité, de son organisation et de son extension. Quelques noms, comme Jacques Garnier, Adrien Vincent ou Daniel Albert sont mentionnés dans les rares documents conservés de cette activité qui reste aujourd'hui largement méconnue.
En conséquence,
il est très difficile d'attribuer la paternité des décors à un atelier parisien en particulier en l'absence de documents de commandes émanant d'ébénistes et de marchands merciers.
La terminologie d'ailleurs prête à confusion. Dans les livres-journaux des marchands merciers, il y est fait mention indistinctement de « verny de Martin », « verny commun » et « verny de Paris ».
La seule certitude que nous ayons est que
la dynastie des Martin jouit d'une telle réputation qu'elle fit de leur nom un terme générique et dès 1750, le terme de «vernis de Paris » devint « vernis Martin ».Répondant aux commandes des ébénistes pour revêtir les bureaux dos d'âne, bureaux plats ou commodes,
ces vernisseurs eurent une activité plus lucrative dans des domaines tels que les menus objets, boites, petites fournitures et surtout les voitures, carrosses et chaises à bras.
Ce qui eut pour conséquence le déclin à la fin du règne de Louis XV des meubles à décor de laque.La technique du laque européen présente de nettes différences avec les panneaux venus d'Extrême Orient : ces derniers arborent de forts reliefs, conséquence d'une superposition de multiples couches alternées de longues périodes de séchage.
De plus, les fonds n'adoptent que des tonalités noires ou rouges, à la différence des ateliers parisiens qui eurent recours, bien que de manière fort occasionnelle, à des coloris plus chatoyants comme le jaune- jonquille, le vert ou le bleu.
Il n'existe que de rares exemples de meubles qui adoptent un décor en fort relief
à l'imitation du Japon, d'une technicité très complexe.
Nous pouvons citer par exemple la commode estampillée Mathieu Criaerd, réalisée vers 1755-1760, conservée au Metropolitan Museum of art de New York (inv. 1974. 356. 159)
dont le décor du panneau conçu en laque européen est directement inspiré d'un panneau en laque japonais des années 1660-1680 monté sur une commode estampillée B. V. R. B. , datée 1750-1760 et conservée aujourd'hui au Victoria and Albert Museum de Londres (inv. 1094-1882).
Il en va de même du secrétaire en dos d'âne de Madame de Pompadour livré entre 1748 et 1757 pour garnir le Château de Bellevue attribué à Adrien Delorme et vernis par Etienne-Simon et Guillaume Martin (Paris, Musée des Arts décoratifs, inv. 32636).
Celui-ci présente sur un exceptionnel fond bleu un décor inspiré d'un panneau provenant d'un cabinet japonais de la fin du XVIIe siècle, remonté en 1782 sur une encoignure de Martin Carlin et livrée par le marchand mercier Darnault à Madame Adélaïde.
Les décors en vernis européen en très léger relief, plus fréquents, furent le privilège de quelques éminents ébénistes comme Bernard II Van Risen Burgh dit B. V. R. B. , Adrien Delorme, Mathieu Criaerd, Jean Desforges ou Jacques Dubois.
Commodes, bureaux dos d'âne ou bureaux plat se revêtirent de vernis à fond noir ornés de motifs orientalisant en or et aventurine imitant scrupuleusement ou avec plus de liberté les décors chinois et japonais.
Contrairement à la passion pour les laques à fond noir qui ne se démentit jamais, le goût pour les vernis de couleur, rouge, ou plus rarement jonquille, bleu ou vert, fut de courte durée, et leur délicate réalisation limita le nombre de pièces ainsi décorées. Les modèles à fond bleu sont tout aussi rares.
Le Musée des Arts décoratifs de Paris présente le secrétaire en dos d'âne attribué à Adrien Delorme livré au château de Bellevue pour Madame de Pompadour vers 1750-1755 ; le grand marchand parisien, Bernard Steinitz présenta dans les années 1990 un secrétaire en dos d'âne estampillé B. V. R. B.
En vernis Martin à fond bleu à l'imitation du Japon doit les tonalités sont relativement proches de notre commode.
Le Musée du Louvre quant à lui conserve une commode de Mathieu Criaerd commandée pour la Chambre Bleue de la Comtesse de Mailly (1710-1751) au Château de Choisy et livrée par Thomas Joachim Hébert en 1742 faite « en vernis fond blanc peint de fleurs, plantes, oiseaux et ornements bleus ».
Notre commode appartient donc à un ensemble très restreint de meubles vernis à fond bleu à décor à l'imitation des panneaux orientaux.
Références bibliographiques Thibault Wolvesperges, Le Meuble français en laque au XVIIIe siècle, éd. de l'Amateur, Paris, 2000