Une émission très
roborative :
- Le vampire était un monstre du folklore médiéval. Pourtant, le cinéma l'a transformé en créature libidineuse, incarnation de la transgression sexuelle, et ennemi de la morale bourgeoise. Retour sur l'origine de la figure du vampire, présenté à la cinémathèque française jusqu'au 19 janvier 2020.
- À l’origine, je suis un monstre cadavérique et repoussant, issu de croyances médiévales. Pourtant le cinéma a fait de moi une créature érotique et sexy. Je suis le vampire.
Tout au long du XXe siècle, le cinéma va exploiter deux vampires de la littérature : la vampire lesbienne du roman
Carmilla de Le Fanu (1872) et l’aristocrate séducteur
Dracula de Bram Stoker (1897).
En 1922, Murnau adapte Dracula au cinéma. Nosferatu, sa créature, est d’une laideur repoussante. Animé par son instinct, il s’introduit chez sa proie et la mord dans son sommeil. La morsure est une métaphore du viol. Nosferatu est un monstre qui enlève les femmes en détresse, comme la créature du
Cabinet du Dr Caligari (1920) ou
King Kong (1933).
Stéphane du Mesnildot, journaliste aux Cahiers du cinéma : "Il va forcer la société victorienne, il va s’emparer des femmes, il va se faire désirer par ces femmes qui vont lui ouvrir leurs fenêtres la nuit."
Dans les années 1930, le vampire prend une forme plus humaine avec l'acteur Bela Lugosi. Véritable dandy, il est raffiné, ténébreux et envoûtant.
Stéphane du Mesnildot : "Il pose le vampire comme un être de séduction et Bela Lugosi recevait des milliers de lettres enflammées d’admiratrices qui ne désiraient qu’une chose, se faire vampiriser par lui."
Dans les années 1950, Dracula est incarné par le magnétique Christopher Lee. Son calme viril et son regard perçant lui donnent des airs de prédateur sexuel. C’est à cette époque que le sang de la morsure apparaît pour la première fois à l’écran, suggérant plus explicitement la perte de la virginité.
Le vampire incarne en même temps Eros et Thanatos, désir charnel et pulsion de mort.
Gérard Lenne, France Culture, 1993 :“[Le vampire] c’est Satan sous la forme de Don Juan. C’est un grand libertin, à la façon du XVIIIe siècle, à la façon de Sade, si on veut. [...] il est dominé par ses pulsions, c’est une métaphore de l'irréversibilité de ses pulsions sexuelles.”
Le vampire devient ensuite égérie de la libération sexuelle post-68. Il se décline dans les films érotiques à petit budget de Jean Rollin.
Stéphane du Mesnildot : "On va voir revenir cette figure qui était l’autre pendant du vampire, à savoir Carmilla, la femme vampire homosexuelle. Evidemment, c’est à des fins d’exploitation. La vision de deux très belles jeunes femmes se vampirisant a quelque chose d’évidemment attractif pour le spectateur masculin. Ces films vont être réobservés et relus ensuite par divers mouvements féministes ou queers."
Daughters of Darkness (1971)Plus tard, dans les années 1980, le film de vampire aborde la puberté et l’éveil de la sexualité dans le très rock’n’roll
The Lost Boys (1987).
Noctambule, le vampire règne en maître sur le monde de la nuit et ses vices. L’épidémie du SIDA contamine alors le film de vampire. La morsure devient un acte sexuel qui transmet le virus dans
The Addiction d’Abel Ferrara (1995).
Le vampire ne transgresse pas seulement la norme hétérosexuelle, il bouleverse aussi le modèle parental classique dans
Interview with the vampire. La jeune Claudia est adoptée par le couple incarné par Brad Pitt et Tom Cruise.
Briseur de tabous, le vampire est aussi un catalyseur de fantasmes sexuels. Les vampires et leurs proies sont de plus en plus sexualisés, comme Grace Jones dans
Vamp (1986) ou Salma Hayek en danseuse dans
From Dusk till Dawn (1996).
La cape traditionnelle du vampire devient dans les années 1990 une tenue en cuir, qui évoque autant la culture gothique que l’esthétique sadomasochiste.
Enfin, la saga à succès
Twilight offre au contraire une vision chaste et puritaine du vampire. Les vampires refrènent leurs pulsions et donc leur désir de chair.
Par Yann Lagarde
L'émission peut être écoutée à cette adresse.
https://www.franceculture.fr/cinema/le-vampire-au-cinema-une-histoire-de-transgression-sexuelle
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