C'est parti pour un peu de géopolitique.
Une longue suite d'embrassades et de malentendus. À lire le dernier essai d'Hélène Carrère d'Encausse, c'est ainsi que l'on pourrait décrire la relation franco-russe, de Pierre le Grand à Lénine. Comme dans un vieux couple instable, l'attirance se transforme souvent en défiance larvée. Pour l'académicienne, petite-fille d'émigrés russes, née apatride et devenue française à 21 ans, «la Russie a toujours fait peur à l'Europe». Certes, la Russie est fondamentalement européenne car «elle se sent européenne» depuis Tolstoï, Dostoïevski et Pouchkine. Le problème, c'est que «ce n'est plus en Europe que se fait l'histoire».
C'est avec l'arrivée de la dynastie des Romanov que la Russie se tourne véritablement vers l'Occident. À ses yeux, la France devient le symbole du rayonnement européen. Avec la visite de Pierre le Grand en France, en 1717, les deux partenaires apprennent à se connaître. Le tsar voulut voir l'Observatoire, le Jardin des Plantes et la Monnaie de Paris. Il fut aussi frappé par le contraste entre la pauvreté des paysans et le luxe de la capitale. Il se demanda même combien de temps un tel système inégalitaire pourrait durer... Sa tentative d'alliance avec la France échouera, toutefois, en 1724.
Pierre le Grand et le Régent à la revue de la Maison militaire du roi, le 7 juin 1717, Léon de Lestang Parade (1810 - 1887), peinture sur toile
EPV / Christophe FouinFéru de géographie, Louis XVI accepte, à son tour, de faire entrer la Russie dans le concert européen. Mais là encore, l'entente franco-russe se fissure sur l'annexion de la Crimée. Indignée par la Révolution française, Catherine II s'étonne de la faiblesse d'un roi qui ne parvient pas à «disperser la canaille». À sa suite, l'alliance franco-russe nouée entre Alexandre Ier et Napoléon, avec l'aide de Talleyrand, ne durera que cinq ans. Malgré sa fidélité à l'esprit des Lumières et sa «francophilie intellectuelle», le tsar n'aura de cesse que de briser l'empire napoléonien. Chaque fois, les deux partenaires «s'estiment floués».
LE FIASCO DES EMPRUNTS RUSSES
«Nos deux pays sont liés par une amitié indestructible», assure encore le tsar Nicolas II, venu poser la première pierre du pont Alexandre III à Paris, en 1896. Voire... Deux ans après l'Exposition universelle, la ruée des épargnants français sur les emprunts russes, encouragée par une habile propagande, se solde au final par un fiasco. «Des millions d'épargnants français ont été ruinés par la non-reconnaissance des emprunts russes par Lénine, et ce contentieux va peser durant des décennies sur la relation franco-russe.»
En 1917, la révolution russe écarte irrémédiablement l'Etat-continent de l'Europe. Le rêve de révolution mondiale de Lénine s'écroule. Encore une fois, la Russie se retrouve isolée. Certes, la France soutiendra l'entrée de la Russie à la Société des nations en 1934. François Mitterrand défendra l'idée de la «maison commune européenne» avec Mikhaïl Gorbatchev. Et Emmanuel Macron invite Vladimir Poutine à Versailles en 2017 pour renouer le dialogue. Mais depuis Pierre le Grand, la Russie peine à vaincre la défiance de l'Occident. Comme si ce couple maudit était condamné aux rendez-vous ratés...
Pierre Gasquet
https://weekend.lesechos.fr/culture/livres/0602270559712-moscou-paris-trois-siecles-damour-haine-2307943.php
Vladimir Poutine et Emmanuel Macron
POOL New Source: ReutersLa Russie et la France, de Pierre le Grand à Lénine, par Hélène Carrère d'Encausse. Fayard, 442 p., 23 EUR.