Pour tous nos petits amis complotistes
en 3 volets, la Révolution française, à la croisée des complots.
- (1/3) : le complot aristocratique
Bouleversement sans précédent dans l'histoire de France, la Révolution française a donné lieu à bien des moments de peur, d'inquiétude ou de panique, et créé une atmosphère propice aux rumeurs de complots. A Paris ou en Province, on a notamment soupçonné les nobles de vouloir mater la Révolution en affamant le peuple ou en ouvrant les frontières à des troupes étrangères.
La mise à sac de l'hôtel de ville de Strasbourg, en juillet 1789, pendant la "Grande peur"• Crédits : Jean-Henri ClessTout commence en janvier 1789, lorsque Louis XVI convoque des Etats généraux, c’est-à-dire qu’il appelle à Versailles des députés venus de toute la France et représentant les trois ordres de la société : la noblesse, le clergé, et le Tiers Etat. Ces députés se réunissent en mai et rapidement des tensions apparaissent entre les députés de la noblesse et du clergé d’un côté, et ceux du Tiers Etat de l’autre.
Après plusieurs semaines de tensions, les députés se proclament assemblée nationale et jurent de donner une constitution à la France. Nous sommes le 9 juillet 1789. Quelques jours plus tard, le 14, la Bastille est prise. La Révolution est en marche.
La grande peurC’est à Versailles et à Paris que les premières secousses ont donc lieu. Mais c’est le sort de la France entière qui est en jeu. Et dans les régions françaises, ces nouvelles vont donner lieu à ce que les historiens ont appelé "la grande peur" : on craint l’effondrement du pays, on craint les représailles, et plus que tout on craint "le complot aristocratique".
Mais comment les nobles pourraient-ils comploter et faire échouer la Révolution ? Quelles sont leurs armes ?
La première, c’est la faim ! Affamer le peuple, le priver de forces, pour l’empêcher de se révolter. Partout en France, des seigneurs vont être accusés de faire détruire les récoltes. Des rumeurs circulent sur des bandes de brigands qui battraient la campagne pour brûler les champs, ou faucher les épis.
D’autres fois, ce sont des troupes de soldats en garnison qui emmèneraient leurs chevaux brouter le blé en herbe.
Des lettres de dénonciations nombreusesDans les départements frontaliers, on accuse les aristocrates d’organiser le passage en France de troupes étrangères qui viendraient piller les greniers.
Partout les rumeurs fleurissent, circulent, s’amplifient. Les lettres de dénonciations arrivent si nombreuses à l’assemblée nationale que les députés y créent un comité de recherches. A Paris, les représentants de la commune font la même chose. La mission de ce comité : démasquer les comploteurs.
Production : Victor Macé de Lépinay
Réalisation : Thomas Dutter
Mixage : Florent Bujon
https://www.franceculture.fr/emissions/mecaniques-du-complotisme-saison-3-le-grand-remplacement-un-virus-francais/la-revolution-francaise-a-la-croisee-des-complots-13-le-complot-aristocratique
- (2/3) : à mort les comploteurs !
Le Roi lui-même serait-il un comploteur ? A partir de sa fuite ratée, qui s'est arrêtée à Varenne, en juin 1791, la Révolution s'accélère et les accusations de complots fusent, de plus en plus nombreuses. Non plus seulement envers les aristocrates ou le clergé, mais au coeur même du nouveau pouvoir, à l'Assemblée nationale. Et pour les comploteurs ou supposés tels, c'est la guillotine !
Gérard Depardieu en Danton guillotiné, dans le film d'Andrzej Wajda (1982)• Crédits : Prod DB Films du Losange – GaumontLa Révolution bascule en juin 1791. On aura beau tenter de défendre le Roi, de soutenir qu’il a été enlevé… personne n’y croit : le Roi s’est bel et bien enfui, dans le plus grand secret, aidé par quelques hommes de confiance, et décidé à organiser une contre-révolution avec l’aide de "l’étranger". C’est bien un complot ! La confiance est rompue. Certains députés continueront de défendre l’idée d’une monarchie constitutionnelle, mais ils perdront de l’influence au fur et à mesure des semaines et l’abolition de la monarchie est désormais envisagée.
Cette fuite de Varenne a un second effet : elle donne du grain à moudre à tous ceux qui traquent les complots, quitte à en voir partout. Elle constitue pour eux une preuve qu’il y a bien des complots et des comploteurs, tout proche du pouvoir. Pourquoi ne pas en voir alors à l’Assemblée nationale, qui devient bientôt "la Convention" ?
Le complot comme arme politiqueA la Convention, justement, quelques grandes figures prennent une place de plus en plus grande. Parmi elles, l’écrivain et avocat Jean-Paul Marat, qui dénonce sans relâche les complots dans son journal, l’Ami du peuple : "Les complots et les conspirations se multiplient d’une manière effrayante. A peine s’écoule-t-il huit jours sans quelque explosion nouvelle. […] Tant que les conjurés ne seront pas abattus, les conjurations n’auront point de terme, et à force de tramer contre la liberté publique, ils parviendront enfin à l’anéantir."
Rumeurs, calomnies, assassinats : le complot devient une arme politique. C’est la Terreur. Robespierre lui-même, surnommé « l’incorruptible », sera accusé d’être un comploteur, et exécuté. Car pour les comploteurs, réels ou supposés, c’est la guillotine.
Production : Victor Macé de Lépinay
Réalisation : Thomas Dutter
Mixage : Jordan Fuentes
Lectures : Vincent Schmitt
https://www.franceculture.fr/emissions/mecaniques-du-complotisme-saison-3-le-grand-remplacement-un-virus-francais/la-revolution-francaise-a-la-croisee-des-complots-23-a-mort-les-comploteurs
- (3/3) : c'est la faute à Voltaire... et aux franc-maçons
A la fin de la Révolution, l'abbé Barruel fait paraître ses "Mémoires pour servir à l'histoire du jacobinisme", monumental ouvrage dans lequel il révèle que "la secte des jacobins" aurait prévu et organisé toute la Révolution, jusque dans ses moindres détails. Et qui aurait fomenté ce complot ? Qui rassemble-t-il sous cette appellation de "jacobins" ? Les philosophes des Lumières, les franc-maçons, et aussi une jeune et mystérieuse société secrète : les Illuminati.
La présence de l'oeil et de la pyramide dans le billet de un dollar américain est vu par les complotistes comme la preuve du pouvoir des Illuminati.• Crédits : Stefano Bianchetti - Getty« Dans cette Révolution Française, tout jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué : tout a été l’effet de la plus profonde scélératesse, puisque tout a été préparé, amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans des sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les moments propices aux complots. » (Augustin Barruel – Mémoires pour servir à l’histoire du Jacobinisme, Hambourg, 1797)
Publié en 1797, alors que la Révolution n’est pas terminée, cet ouvrage fait grand bruit. Son auteur prétend démontrer que la Révolution française serait le cœur d’un gigantesque complot dont la finalité serait de refonder un nouvel ordre mondial, et pour cela de détruire l’ordre existant. Pour lui, les comploteurs ont trois buts, qui sont aussi trois étapes : détruire la religion, détruire la monarchie, détruire l’ordre social tout entier. Et ces trois buts, ces trois étapes, superposées comme les trois étages d’une fusée, sont pris en charge par différents comploteurs.
D’abord les philosophes des lumières, Voltaire en tête, qui se chargent de l’attaque contre la religion. La constitution civile du clergé, qui faisait des prêtres des fonctionnaires soumis à l’autorité de l’Etat, l’adoption du calendrier républicain, la création d’un culte de l’être suprême, laïc, sont autant de coups portés à l’autorité de l’Eglise par la Révolution, sans compter les destructions ou les dégradations d’édifices religieux. Pour Barruel, c’était prévu, médité, comploté.
Mirabeau, La Fayette, Rouget de Lisle... Puis les francs-maçons, pour mettre à bas la monarchie. Il faut dire qu’à la fin des années 1780, on compte plus de mille loges en France. Des personnages qui joueront un rôle central dans la Révolution en sont membres : Mirabeau, La Fayette, ou l’auteur de la Marseillaise Rouget de Lisle. Mais aussi le duc d’Orléans, cousin du roi, qui est grand maître du grand Orient de France… et qui votera la mort du roi !
Enfin, au cœur de ce grand complot, se trouve une société secrète qui aurait réussi à infiltrer ou à noyauter la franc-maçonnerie. Cette société fondée en Bavière en 1776 par Adam Weishaupt, et baptisée les illuminés, ou illuminati, aurait pour but de fonder un nouvel ordre mondial et de fomenter partout dans le monde des révolutions semblables à celle de 1789.
Ce livre de l’abbé Barruel, s’il n’aura que peu de poids historiographique, a néanmoins donné naissance à un mythe qui traversera les XIXe et XXe siècles pour ressurgir dans les moments les plus critiques : celui du « complot maçonnique », qui deviendra rapidement « complot judéo-maçonnique ».
Production : Victor Macé de Lépinay
Réalisation : Thomas Dutter
Lectures : Vincent Schmitt
https://www.franceculture.fr/emissions/mecaniques-du-complotisme-saison-3-le-grand-remplacement-un-virus-francais/la-revolution-francaise-a-la-croisee-des-complots-33-cest-la-faute-a-voltaire-et-aux-franc-macons
Il y en a ici, qui n'ont plus qu'à en prendre de la graine !