À écouter sur France Culture
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/repliques/l-heritage-de-francois-furet-6726542
- Conversation autour de l'héritage laissé par l'historien François Furet, avec Ran Halévi et Philippe Raynaud.
- Avec
- Ran Halévi historien, directeur de recherches au CNRS, il enseigne à l'EHESS et est directeur de collection chez Gallimard
- Philippe Raynaud Professeur émérite de science politique à l'université Panthéon-Assas, membre de l'Institut universitaire de France
Alain Finkielkraut s'entretient avec l'historien, Ran Halévi, et le philosophe, Philippe Raynaud qui préface
L'Abécédaire de François Furet, de Déborah Furet, à propos de la figure de celui qui fut le spécialiste de la Révolution française et de son héritage idéologique, et dont vingt-six ans après sa mort, l’œuvre continue de résonner dans notre société : François Furet.
François Furet est mort le 12 juillet 1997
"Pourquoi faire une émission sur lui aujourd'hui ? Parce que son œuvre mérite d'être relue, méditée, commentée. Ce grand historien a renouvelé l'approche de la Révolution française et il a consacré un livre capital au rayonnement sur les esprits de l'idéologie communiste. Le passé est une illusion, la Révolution française est terminée, l'espérance communiste s'est fracassée sur la réalité totalitaire, mais toutes les leçons de cet événement et de ce phénomène n'ont pas été tirées." Alain Finkielkraut
Commençons par la Révolution. En 1971, François Furet publiait un article dans la revue
Les Annales qui fit grand bruit,
Le catéchisme révolutionnaire. "Quel était le contenu de ce catéchisme et quelle interprétation de l'événement fondateur de notre modernité politique lui a-t-il opposé ? " sera la première question posée à nos deux invités.
"Quand Furet est en train de rédiger
Le catéchisme révolutionnaire, l'interprétation de la Révolution française est dominée par une sorte de vulgate qui a été radicalisée même depuis la révolution d'octobre et qui voyait dans la Révolution française une révolution qui liquide un ancien régime dominé par la féodalité. Il s'agit donc d'une révolution bourgeoise qui ne pouvait arriver à son terme en raison des réactions que rencontrait la Révolution française et que Thermidor a fini par enterrer. Et là, cette interprétation a été reliée depuis la révolution d'octobre avec la révolution russe donc, et elle établissait une sorte de continuité entre les deux révolutions avec les mêmes enjeux, les mêmes aspirations, et il y avait comme une sorte d'accomplissement de cette Révolution française entravée par la Révolution russe". Ran Halévi
"A partir de 1789, l'interprétation de la Révolution était essentiellement narrative et politique" (R. Halévi)"Il y avait aussi dans cette interprétation, une juxtaposition d'approches qui n'avaient aucun rapport. Jusqu'en 1789, l'analyse de l'Ancien Régime était une analyse essentiellement économique d'une France féodale, dominée par ailleurs avec la Révolution par une sorte de réaction aristocratique d'une noblesse unifiée et réactionnaire, et à partir de 1789, l'interprétation de la Révolution était essentiellement narrative et politique ; la juxtaposition de ces deux lectures avaient d'une certaine façon voilé le sens de la Révolution française. J'ajoute que Furet et son ami Denis Richet avaient publié en 1965 une histoire de La Révolution française qui avait par certains aspects un caractère assez orthodoxe. Ils n'ont pas beaucoup rompu avec cette vulgate dont Furet allait faire une table rase en 1971." Ran Halévi
"Si on veut faire la révolution, il ne faut pas mégoter sur les moyens" (Ph. Raynaud)"J'ajouterai deux choses ; la première c'est que le livre de Furet et de Richet, d'une certaine manière pourrait être lu comme un livre qui rétablit paradoxalement une autre interprétation marxiste possible de L'histoire de la Révolution, puisque ce qu'il dit c'est que si on admet l'idée que la Révolution de 1989, c'est la révolution bourgeoise, eh bien cette révolution est faite en 89 ; elle est faite non seulement dans la proclamation des principes, mais avec l'abolition des privilèges ; l'essentiel de l'œuvre révolutionnaire est accompli de ce côté-là, et c'est là que le paradoxe de 93 intervient." Philippe Raynaud
"C'est qu'effectivement, ce qui était sans doute inévitable, c'est qu'il y ait quelque chose comme un état d'urgence avec la guerre - on peut dire ce qu'on veut - mais la terreur en elle-même est bien autre chose, et ce qu'ils ont très bien perçu dans l'interprétation, c'est qu'il y a dans la vision jacobino-marxiste de la terreur quelque chose de paradoxal : c'est de considérer que la révolution bourgeoise n'est devenue vraiment bonne que quand elle est devenue terroriste. Ca donne cet éloge très curieux de la terreur parisienne comme un mouvement populaire qui n'a pas de signification prolétarienne - ca montre que si on veut faire la révolution, il ne faut pas mégoter sur les moyens. " Philippe Raynaud
Sources bibliographiques :François Furet & Denis Richet,
La Révolution française éd. Fayard réédition 1987
Déborah Furet,
L'Abécédaire de François Furet, Préface de Philippe Raynaud
François Furet,
Penser le XXe siècle, éd Bouquins/ Robert Laffont 2007
Ran Halévi,
L'expérience du passé, François Furet dans l'atelier de l'histoire, éd. Gallimard 2007
Régis Debray,
L'exil à domicile, éd. Gallimard 2022
Elisabeth de Fontenay,
La grâce et le progrès, éd. Stock 2020