source = Noblesse et Royautés
Voici une visite intéressante =
Dans le XIIème arrondissement de Paris, sur l’emplacement de l’ancien village de Picpus, se cache un lieu de mémoire méconnu : le cimetière de Picpus (ci-desus, l’entrée au n°35, rue Picpus).
Il est aujourd’hui le seul cimetière privé encore en activité de la capitale. Il appartient à la Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, et entretient le souvenir des victimes de la Terreur, laquelle atteignit en juin et juillet 1794 un degré de cruauté paroxystique.
Les lieux, comprenant deux hectares de jardins, appartenaient au couvent des Chanoinesses de Saint-Augustin, installé ici depuis le milieu du XVIIème siècle. En 1792, les 40 religieuses en sont chassées, et le couvent est confisqué comme Bien National.
Les Domaines louent alors le terrain à un certain Eugène Coignard, qui y ouvre l’année suivante une maison de santé destinée à recevoir de riches ‘’suspects’’ détenus dans les prisons de la Révolution, leur promettant, moyennant une pension exorbitante, d’échapper à la guillotine. Le marquis de Sade et Choderlos de Laclos, auteur des Liaisons Dangereuses, sont au nombre de ceux qui y séjournèrent.
En juin 1794, des terrassiers envoyés par la commune de Paris viennent d’autorité ouvrir une brèche dans le mur d’enceinte afin de creuser, au fond du jardin, une large fosse, destinée à recevoir les corps des victimes guillotinées chaque jour sur la place du Trône Renversé (actuelle place de la Nation) toute proche.
Le court trajet de la guillotine aux fosses communesOn y amène, entassés sur des charrettes, jusqu’à cinquante dépouilles par jour, ou plutôt par nuit, ce morbide cérémonial se déroulant souvent nuitamment.
En tout, 1306 cadavres décapités y sont entassés entre le 13 juin et le 27 juillet, dans deux fosses distinctes, la première ayant été vite remplie. Ces fosses restent ouvertes plusieurs semaines sans être recouvertes d’un lit de chaux, ce qui répand aux alentours une odeur insupportable.
267 membres du clergé et 159 membres de la noblesse y sont ensevelis, ils sont donc loin d’être les seuls à connaître ce triste sort, mais ce sont eux qui nous intéressent particulièrement pour la suite de cette histoire.
Dans les années qui suivent la fin de la Terreur, les familles de guillotinés de la place du Trône commencent à s’organiser pour tenter d’honorer la mémoire de leurs disparus.
En 1797, l’enclos des fosses, localisé grâce à une certaine Melle Paris, qui était parvenue, au risque de sa propre vie, à suivre un convoi de suppliciés (son père et son frère en faisaient partie), est racheté en secret, via un intermédiaire, par la princesse Amélie de Hohenzollern-Sigmaringen (trisaïeule du roi des Belges Albert Ier), dont le frère, le prince Frédéric de Salm-Krybourg, et l’amant, Alexandre de Beauharnais, premier époux de la future Impératrice Joséphine, comptaient au nombre des victimes.
La princesse Amélie de Hohenzollern SigmaringenEn 1802, à l’initiative de la marquise de Montaigu et de sa sœur, la marquise de La Fayette, conduites sur le lieu des fosses par Mademoielle Paris, est constitué le Comité de la Société de Picpus. Outre les deux sœurs, dont la mère, la duchesse de Noailles, figure elle aussi parmi les suppliciés, le Comité comprend une dizaine de membres, tous proches parents de victimes, tels le duc de Mouchy, le comte Alexandre de Grammont, le marquis Aymar de Nicolaÿ. Il décide de lancer une souscription en vue de racheter l’ancien couvent des Chanoinesses et les terrains avoisinants et d’en dédier une parcelle à la création d’un cimetière.
Vestige d’une porte de l’ancien couvent des ChanoinessesDerrière cette grille, les anciennes fossesSéparé des fosses par une simple grille, le cimetière abrite, depuis cette époque, les sépultures des descendants des membres du Comité et plus largement des guillotinés de la place du Trône, par conséquent une majorité de familles de la plus haute noblesse française.
Outre La Fayette et son épouse, née Adrienne de Noailles, on y trouve les sépultures des 16 Carmélites de Compiègne (qui ont inspiré à Bernanos la pièce, et à Francis Poulenc l’opéra Le Dialogue des Carmélites), celle du poète André Chénier, de Richard Mique, architecte de Louis XVI, d’Alexandre de Beauharnais, ainsi que celles de membres des familles de Montmorency, Harcourt, Nicolay, Luynes, La Rochefoucauld, Montalembert, Noailles, Polignac, Lévis-Mirepoix, Broglie, La Tour du Pin, et bien d’autres.
Parallèlement à l’aménagement du cimetière, le Comité décide, afin de disposer d’un lieu de recueillement et de prière où honorer la mémoire des suppliciés, de réhabiliter l’ancienne chapelle des Chanoinesses, utilisée par les fossoyeurs comme bureau pour inventorier les vêtements dont ils dépouillaient les cadavres.
En 1805, il sollicite la Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus et de Marie, fondée par Henriette Aymer de la Chevalerie et l’abbé Pierre Coudrin, et l’installe dans les lieux, avec mission d’entretenir le cimetière et d’assurer les services à la mémoire des victimes.
Henriette Aymer de La Chevalerie Quelques décennies plus tard, en 1841, est édifiée, sur l’emplacement des l’ancienne Chapelle des Chanoinesses, la chapelle actuelle, dite Notre Dame de la Paix. Toute simple, faite de bois sombre, elle contient, de part et d’autre du chœur, les noms, gravés sur de grands panneaux de marbre, des 1306 guillotinées de la place du Trône.
Mais l’histoire tragique du lieu ne s’arrête pas là. Trente ans plus tard, la Commune de Paris, comme la Révolution avant elle, aspire à l’instauration d’une société plus égalitaire et plus sécularisée.
La frange la plus radicale de ce mouvement attise la haine du peuple à l’encontre du catholicisme en général et du clergé en particulier. Le 12 avril 1871, Les Communards investissent le 35 rue de Picpus et arrêtent 12 pères et 74 soeurs et novices de la Congrégation.
La plupart sont relâchés quelques semaines plus tard, à l’exception de quatre Pères, les pères Radigue, Tuffier, Rouchouze, et Tardieu. Lors de la semaine sanglante, le 26 mai, les troupes gouvernementales approchant de la prison de La Roquette, les quatre pères et d’autres détenus en sont extraits et conduits dans la cour de la Caserne de la Garde Nationale, rue Haxo dans le XXème, où ils sont sauvagement massacrés.
Leur procès en béatification a été initié en 1897. En 2021, année du cent-cinquantenaire de leur exécution, les pères ont été élevés au rang de martyrs des Serviteurs de Dieu par le pape François. Leur béatification a eu lieu le dimanche 22 avril dernier.