Bonjour à tous les Amis du Boudoir de Marie-Antoinette,
Voici une intéressante entrevue avec l'historien Mathieu da Vinha qui démonte le fonctionnement particulier de la Cour de Versailles. Mathieu da Vinha est également Directeur Scientifique du Centre de Recherche du Château de Versailles. Il a publié Au service du roi. Dans les coulisses de Versailles chez Tallandier en 2015.
Le Point : Sous l'Ancien Régime, le château de Versailles est-il le cœur des réseaux du royaume ?
Mathieu da Vinha : Versailles, c'est le centre du monde, là où tout converge, d'où tout part, où il faut être vu pour obtenir. Tout courtisan cherche à s'approcher le plus possible du Soleil pour décrocher une belle charge. Celle-ci, en soi, n'est pas lucrative, mais elle permet d'avoir une meilleure position ailleurs. C'est pourquoi Molière n'abandonnera jamais la charge de valet de chambre-tapissier du roi que lui a transmise son père. Trois mois par an, il fait donc le lit du monarque ! Et cela n'est pas anodin dans son succès : il est sûr de voir le roi à son lever et de pouvoir lui parler.
La notion de réseau est-elle consubstantielle à Versailles ?
Et comment ! La cour est un microcosme, un creuset de la société. Du marmiton au grand seigneur, tout le monde passe sa journée à « réseauter ». Voyez le duc de La Rochefoucault, par exemple, le fils de l'auteur des Maximes. Grand maître de la garde-robe du roi, son rôle consiste à choisir les vêtements du souverain et, éventuellement, à lui donner sa chemise – sauf si un personnage de rang supérieur, un prince par exemple, est présent. C'est un service honorifique, mais qui permet au duc d'être l'un des favoris de Louis XIV – pour autant que le roi en ait –, d'obtenir des logements et énormément d'argent. Appartenir à la maison du roi donne droit à des privilèges : on peut être défendu par une juridiction spéciale, on a son banc à l'église...
Voilà pourquoi le château est irrigué d'un entrelacs de réseaux…
Versailles fonctionne comme une petite ville. À la fin du règne de Louis XIV, 4 000 personnes vivent en permanence dans le château et 2 700, dans les dépendances. Le soir, donc, on se retrouve entre soi. Mais chacun chez soi : les maîtres aux étages et la domesticité dans les souterrains ou les combles, comme dans la série Downton Abbey. C'est le règne de l'endogamie et de l'homogamie. Que l'on soit valet de chambre ou apothicaire, on se marie en général avec quelqu'un de la même condition, donc qui remplit une même charge. Et, comme celle-ci fait partie du patrimoine, l'objectif est de la consolider et de l'augmenter.
Prenons un exemple, édifiant : la famille La Roche. Issu de la petite noblesse lyonnaise, Geoffroy de La Roche arrive à la cour vers 1670 comme simple « garde des plaisirs du roi », garde-chasse en somme. Il se marie à la fille du concierge de la ménagerie de Versailles et prend la place à la mort de son beau-père. Mais la ménagerie devient un lieu important, parce que la duchesse de Bourgogne, la dauphine, apprécie de s'y rendre. Deux hommes d'affaires intrigants, les frères Paris, vont épouser les deux filles La Roche afin d'avoir accès, via les Bourgogne, aux héritiers du trône. Et la stratégie fonctionne : en intégrant la cour, les Paris décrochent les marchés de ravitaillement des campagnes militaires. En moins de dix ans, ils deviennent riches à millions et gagnent en pouvoir d'influence – ce sont les Paris qui vont ainsi lancer Mme de Pompadour. Sous Louis XVI, les arrière-petites-filles de Geoffroy de La Roche deviendront l'une vicomtesse de Rochechouart l'autre duchesse d'Aumont. À la fin de l'Ancien Régime, les La Roche font partie des plus grandes familles du royaume. Voilà un bon exemple de « réseautage » réussi.
Versailles recèle une multitude de réseaux, mais ce sont les familles qui priment, y compris dans la topographie des logements. De grandes familles comme les Noailles obtiennent des appartements contigus à l'attique de l'aile du nord – on parle même de « la rue de Noailles ». Les trois filles Colbert et leurs maris bénéficient de trois appartements les uns à côté des autres.
Si le souverain ne respecte plus le code tacite, tout s'écroule.
N'y a-t-il que la famille qui compte ?
Bien sûr que non ! On se regroupe en réseaux d'affinités politiques, le « petit troupeau » selon l'expression de Saint-Simon pour désigner tous ceux qui gravitent autour du duc de Bourgogne, le petit-fils aîné de Louis XIV, qui a pour précepteur Fénelon. Les réseaux politiques pèsent, mais ils sont surtout visibles au XVIIIe siècle sous Louis XV puis sous Louis XVI avec des clans ministériels qui s'affrontent sur des idées et non plus famille contre famille. Les réseaux religieux ont beaucoup d'influence, évidemment. Mais les réseaux économiques aussi, avec une place particulière pour les réseaux financiers.
Pourquoi particulière ?
Parce que, normalement, les financiers sont persona non grata : la cour méprise l'argent et, si un noble fait des affaires, il déroge. Voilà pour la façade ! En effet, de fait, les financiers sont présents à la cour, via des officiers commensaux comme les Bontemps ou Lebel sous Louis XV, qui, par leur mariage ou leurs activités annexes, sont en lien avec des milieux financiers parisiens.
Pour cultiver ses réseaux, un courtisan doit-il parfaitement maîtriser les codes de la cour ?
Être à la cour et être de la cour, ce n'est pas pareil. Une multitude de traités de civilités donnent les codes et les normes de l'étiquette, mais vous ne les connaissez vraiment qu'en les pratiquant au quotidien. Ces codes évoluent en permanence, en effet, sous l'arbitrage du roi et nécessitent des mises à jour continuelles. Si vous ne suivez pas, vous êtes rapidement hors jeu. C'est ce qui arrive, par exemple, au marquis de Vardes. Il est disgracié en 1664, au moment où Versailles est une simple résidence de plaisance : seuls quelques courtisans pouvaient y suivre le roi, mais à condition de porter un « justaucorps à brevet ». Quand il revient en grâce, en 1683, Vardes remet son justaucorps pour son retour à la cour. Il n'a pas suivi l'évolution des codes, il est ridicule. Mais il s'en tire bien en disant, comme le rapporte Mme de Sévigné : « Sire, quand on est assez misérable pour être éloigné de vous, non seulement on est malheureux, mais on est ridicule. » Il sauve la face parce qu'il a gardé l'esprit de cour.
Tous ces réseaux tournent autour de la personne du roi...
Surtout sous Louis XIV, qui pousse à l'extrême la tradition de l'accessibilité de la monarchie française à ses sujets. Il vit en public, et toutes les règles qu'il met en place visent à mettre de la distance entre sa personne et les autres. Ce positionnement est une invention de Catherine de Médicis afin de protéger le roi en lui donnant un statut différent de celui des autres nobles – avant elle, il y existe une grande familiarité entre le roi et eux. Louis XIV va faire de Versailles un écrin empirique où tout fonctionne autour de lui, grâce à lui. Louis XV agit avec davantage de subtilité. Puis, sous Louis XVI, le roi se désacralise, on est dans la « présidence normale », si j'ose ce mot : le roi réduit son personnel domestique de façon importante – 400 personnes en moins d'un seul coup. Cela pose un problème fondamental : l'architecture de l'ensemble tient grâce au système pyramidal à la tête duquel se trouve le roi. Si le souverain ne respecte plus le code tacite, tout s'écroule. En descendant de son piédestal, Louis XVI brise des réseaux, crée des frustrations, aiguise l'animosité contre la monarchie. Le système se grippe, ce qui offre un terreau favorable à la Révolution.
Quels réseaux irriguent le château de Versailles de nos jours ?
Parmi les gens qui y travaillent, on rencontre encore beaucoup de dynasties. Des réseaux géographiques comptent aussi dans certaines catégories de personnel, notamment parmi les agents de surveillance qui sont souvent corses, indiens, antillais... Et l'emprise des réseaux politiques perdure évidemment puisque Versailles est toujours un haut lieu de pouvoir, où la République réunit le Congrès du Parlement et accueille ses hôtes de marque. Le château de Versailles reste un vaste réseau d'influence par lui-même, qui s'auto-entretient grâce à son aura mondiale.
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madame antoine
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Plus rien ne peut plus me faire de mal à présent (Marie-Antoinette)