- jmcar17 a écrit:
- Pris sur le vif, dans un ouvrage dont j'ai déjà parlé dans un autre message "Gazette d'un Parisien sous la Révolution". Il s'agit du recueil des 300 lettres adressée par Nicolas Ruault à son frère Brice Ruault curé à Évreux. l'auteur des lettres est un libraire et éditeur pparisien en charge de la collecte et de la publication des correspondances diverses de Voltaire. C'est un grand ami de Beaumarchais et des grands du temps, dans le milieu de la philosophie
Il lui relate les faits qui se déroulent dans la capitale au moment de l'envoi de ses lettres.
En voici quelques extraits, pris sur le vif :
(transcription intégrale)
Paris le 18 Auguste 1785
"En voici encore un autre, et des plus forts.
Les coups d'autorité se succèdent assez rapidement pour effrayer toutes les classes de la société. Le cardinal de Rohan, prince du Saint-Empire, évêque de Strasbourg, grand aumônier de France, a été arrêté avant hier dans Versailles, dans le château même, en habits pontificaux et envoyé à la Bastille. On ne sait pas bien encore, en ce moment, le motifde cette éclatante et scandaleuse arrestation. (Ici, l'auteur de la compilation a rajouté une note que je rapporterais après la fin du texte). Le Roi était furieux dit-on contre le premier prélat de France. On parle de la Reine, d'un billet ou de diamants pour une somme de 1500 francs et d'une dame issue du sang des Valois : il y a là une intrigue qui s'éclaircira sans doute, cette dame doit être arrêtée aujourd'hui à Bar-le-Duc. Le roi a ordonné qu'on mette les scellés à l'hôtel de Soubise à Lagny ( - je suis personnellement concerné, Lagny est mon lieu de naissance - ndlr) à Saverne (où se trouve l'Hôtel de Rohan - ndlr). L'abbé George, le conseiller intime du cardinal, qui s'était enfui, vient d'être pris tout à l'heure. Voilà une aventure très extraordinaire, et qui doit avoir de grandes suites. Les nobles, les prêtres, tout le monde tremble. Nous avons un chef qui ne connaît point l'art des ménagements...
Adieu, je ne puis et je n'ose vous en dire d'avantage aujourd'hui. Il faut plus que jamais être sage, prudent et discret.
N.B. Trouvez donc un moyen, autre que la poste, pour me faire passer des lettres."
La note de l'auteur de la compilation :
note 78 : L'"Affaire du Collier". le cardinal de Rohan, pour acquérir la faveur de marie-Antoinette et accroître ainsi son crédit à la cour, s'était laissé abuser par la comtesse de La motte-Valois qui lui avait laissé entendre que la reine aimerait posséder un certain collier d'une grande valeur. le cardinal, après l'avoir acheté à crédit, avait cru le remettre à la reine un soir dans le parc du château de Versailles. Ce n'était que son sosie, envoyé par Mme de la Motte qui avait vendu le collier par pièces. La supercherie fut dévoilée et le scandale éclata lorsque le cardinal de Rohan ne put honorer une échéance.
Lettre suivante
Le 28 d'Auguste 1785
Le Cardinal de Rohan a demandé d'être jugé par le parlement, ce qui lui a été accordé. Le fameux jongleur Cagliostro et sa femme sont impliqués dans cette affaire encore mal connue. Ils sont tous deux dans la Bastille. On dit que ce Cagliostro est un illuminé, un fripon qui a pensé être pendu en Pologne. Il jouera un grand rôle dans ce procès, ainsi qu'une dame de la Motte-Valois. Il s'agit d'un collier de diamants d'un très grand prix que la Reine voulait avoir sans qu'il lui en coûtat rien. C'est le bruit public d'aujourd"hui. Si cela est vrai, l'honneur de Marie-Antoinette ne s'embellira guère de ce procès. Il aurait été plus sage d'étouffer cette intrigue que de la publier sur les toits. Mais la sagesse et le prudence deviennent rares de plus en plus à la cour comme à la ville..."
Puis plus loin dans la lettre, à propos du report d'une cérémonie : " La cérémonie dont je vous ai parlé n'aura point lieu le 1er septembre. On a autre chose, un cardinal à juger."
J'arrête momentanément cette narration, mais la suite sera donnée plus tard, relatée un an après par Nicolas Ruault à son frère à propos du procès.
Donc à bientôt pour la suite.
Bon après-midi et bonne lecture.
Jean-Marc
Je reprends la suite de ce message pour vous narrer, toujours pris sur le vif au jour le jour, par un témoin très impliqué vivant à Paris pendant la Révolution.
Donc, un an plus tard, le déroulement du procès.
Paris le 5 mars 1786
"Jamais nous n'avons été tant divertis d'aventures scandaleuses et de procès publics de toute espèce. La foule est aux mémoires, aux factums, aux
pour ou contre dans le palais royal. le cardinal de Rohan joue le premier rôle dans ces farces. Il paraît même qu'on veut lui faire jouer sur les trétaux du palais plus de scènes qu'il n'en convient à sa dignité et qu'on débouche les tonneaux où les infamies de ce prince de l'Église romaine étaient cachées. Un certain J. Bette dit d'Ettieuville vient de lâcher un mémoire du fond de sa prison du Châtelet qui prouve que le prince
Louis avait des diamants à revendre par les mains d'une dame de Courville, belle inconnue à marier, qui paraît aux yeux des moins clairvoyants la même que la dame de Lamothe-Valois. Cette vile intrigue, connue à Rome, a valu au prince-évêque un suspens dans le Sacré Collège. La nouvelle de ce jugement de consistoire papal est arrivé depuis deux jours. La conduite très immorale de ce grand prêtre est mise au plus grand jour. Il est perdu pour jamais à la cour, à la ville et dans le monde. Volà donc où conduisent les mauvaises mœurs, l'oubli des principes sociaux, l'orgueil, l'insolence, la cupidité la dissipation, le mépris des bienséances ! Il avait 1800 mille livres de rente de l'Église et il ne pouvait vivre décemment disait-il avec si peu de revenus.
.........
N.B. On assure que le cardinal sera jugé, jeudi 23, et l'on dit tout haut qu'il sera blâmé, ou condamné à un écu d'amende envers le roi, qui lui a offert sa grâce à condition qu'il s'avouerait coupable. le cardinal a rejeté cette offre et la condition. Il a fait le fier comme Biron et comme Biron il s'en repentira. On a dit encore que la dame issue de Valois sera flétrie en son corps royal. Rarement un règne ne se passe sans que quelque grand personnage ne perde la tête ou ne soit flétri."
Paris le 1er juin 1786
"- Tous ont été jugés le 31 mai, à dix heures du soir.
Voici le précis du jugement :
_ le cardinal déchargé de toute accusation,
_ le comte de Lamothe-Valois aux galères perpétuelles,
_ la comtesse sa femme fouettée, marquée sur les deux épaules, la corde au cou et renfermée à la Salpétrière.
_ Réteaux de villette, fouetté, marqué et banni du royaume à perpétuité.
_ Le comte de Cagliostro, déchargé d'accusation.
_ La fille Oliva hors de Cour
_ Les mémoires supprimés, l'arrêt affiché.
Le Cardinal l'a échappé belle. Il n'a gagné qu'à la pluralité de 29 voix contre 28 qui croyaient en conscience devoir le déshonorer soit par le
blâme, soit par l'
aumone ou l'
amende ou le
bannissement de la Cour. Les conclusions contre lui n'étaient pas moindres, il restera dans la Bastille où il a été reconduit le jour même du jugement jusqu'à lundi afin qu'il ne puisse se trouver, si la fantaisie lui en prenait, dimanche à la procession dezs cordons bleus dans la Galerie de Versailles. On le croit capable de cette crânerie, s'il était libre. les princes, ses parents et ses alliés de sont rendus au Palais, hier matin, dès cinq heures, pour saluer les juges, lorsqu'ils passaient dans la Chambre. On dit et on le peut croire sans peine que le Cardinal était fort mail à l'aise en ce moment de crise terrible, que ses jambes pliaient sous son corps et que le premier président, le voyant en cet état, lui fit offrir un siège. Le cardinal le refusa en disant qu'il était de son devoir de rester debout devant Messieurs et qu'il y resterait aussi longtemps qu'il le pourrait.
Pendant ce temps, la comtesse de Lamothe-Valois écrivait à ses juges assemblés et leur avouait tout simplement qu'elle était la maîtresse du prélat et, qu'étant très mal récompensée de ses complaisances pour lui, elle s'était conduite comme les femmes galantes mal apyées de leurs amants et auxquelles on pardonne volontiers les petits tours qu'elles leur jouent, voulant faire entendre sans doute à ses juges que le collier, valeur d'un million et demi, n'était que le prix juste de ses longues faveurs au cardinal. Cette lettre folle, cet aveu si honteux, si infâme a perdu cette femme et sauvé le prélat. On n'en peut guère douter. Au reste le Cagliostro n'est ni plus connu, ni mieux dévoilé qu'auparavant. Il a été aussi reconduit à la Bastille. les condamnés sont restés à la Conciergerie pour subir incessamment l'éxécution portée en l'arrêt, si le Roi ne leur fait pas grâce de cette infamie."
Paris le 11 juin 1786
"Le Cardinal est exilé à la Chaise-Dieu, abbaye d'Auvergne, aoprès avoir donné sa démission de la charge de Grand-Aumônier de France dont on dit que Monsieur de Retz sera pourvu incessamment. Le prince de Condé est relégué pour quelque temps dans son délicieux Chantilly pour avoir tenu quelques propos indiscrets en faveur de son parent déchu de toute faveur à la cour. C'est une preuve du bon cœur de ce prince mais qui serait beaucoup plus louable si le sujet valait la peine qu'on s'intéresse à lui.
Le Parlement a blanchi l'empourpré romain parce qu'il n'a pas voulu prononcer sur la haute et folle sottise de ce prêtre qui a cru comme un sot la souveraine capable de lui donner un rendez-vous la nuit dans un bosquet de Versailles. En rejetant cet incident, le cardinal n'était coupable d'aucune des accusations intentées contre lui. le mari-roi devait seul et sans procédure venger l'honneur de sa femme étrangement compromise dans cette intrigue de la
Valois, et dans ce procès éclatant. C'est ce qu'il a fait trop tard en éloignant pour jamais de ses yeux l'impudent téméraire qui, après huit années d'une disgrâce connue de toute la cour, s'est imaginé follement que la reine de France était amoureuse de lui et lui donnait la nuit des res rendez-vous dans un bosquet.
L'arrêt n'a pas encore été exécuté à l'égard des condamnés. La fille
Oliva qui a joué dans cette odieuse farce le rôle de la reine est renfermée pour trois ans à Ste-Pélagie. L'arrêt la renvoie libre, mais on a pensé que cette jolie poule ne pouvait décemment être rendue à la liberté et se remontrer dans le Palais-Royal au sortir du colombier où elle a été détenue six mois et où elle a pondu
un petit. Les petits maîtres, les libertins l'auraient mise à la mode, l'auraient fait trop jaser. Tour à tour ils auraient voulu en payant les faveurs de cette
reine de nuit, ouïr de sa bouche la célèbre aventure du bosquet.
Le Cagliostro a reçu l'ordre de vider incontinent le royaume. Il le vide à présent. On assure qu'il a fait voir à ses juges qui ne lui demandaient pas un contrat de cent mille écus de rente sur Venise. Mais c'est un conte qu'il faut joindre à tous ceux que l'on a faits sur cet empirique inconnu dans les trois parties du monde, où il a voyagé, dit-il, avec le plus grand éclat..."
Et, dernière partie de cette histoire dans la lettre suivante :
Le 30 juin 1786 à Paris
"... Le 21 de ce mois au matin, la comtesse de Lamothe-Valois a été enfermée dans l'hôpital de la Salpêtrière après avoir été flétrie par le bourreau dans la cour du palais. Jusqu'à ce jour elle avait ignoré son jugement ; il fallut, pour la faire mettre à genoux lors de la lecture, lui faire plier les jambes de force. Elle est entrée dans une si grande fureur en apprenant le prononcé dee l'arrêt, elle a jeté des cris si terribles qu'on l'entendait dans tout le palais et aux environs ; elle s'est écriée devant le greffier et les boureaux :
Qu'a-t-on donc fait à ce grand coquin de Cardinal, pour qu'on me traite ainsi ; moi du sang des Valois ! Cinq boureaux la tenaient pour lui passer la corde au cou. Elle se roulait à terre dans la cour du mai ; elle se mouvait de tous ses membres, hurlait comme une furie et découvrait tout son corps qui est superbe, qui a les plus belles formes, suivant le rapport de ceux qui ont assisté à cette exécution. Les bourreaux furent obligés de lacérer son corset et sa chemise pour découvrir ses épaules, mais elle se débattait avec tant de rage que le fer rouge s'est promené sur son dos et, glissant sous l'aisselle, a brûlé un beau sein. Elle a mordu au bras un des exécuteurs, un morceau d'habit et et de chair lui est resté dans la bouche. Puis elle tomba dans une faiblesse extrême.
Cagliostro est, dit-on, chez les Anglais. Il a voulu sortir de France avec une sorte d'intérêt et pour cet effet, il a laissé en partant un mémoire imprimé dans lequel il accuse un commissaire de police et le gouverneur de la Bastille de lui avoir fait tort par leur négligence d'une somme de 100 mille francs tant an or qu'en billets de la caisse d'Escompte. On pense que c'est une ruse de cet étranger qui veut intéresser en sa faveur le peuple bonasse et crédule...
La d'Oliva est dit-on à Bruxelles ou ailleurs, peu importe..."
Voila la fin de cette grande affaire dite du "Collier de la reine" comtée sur le vif par un contemporain.
J'espère que cela vous aura plu, ou tout au moins diverti.
Bonne soirée
Jean-Marc