LADY OSCAR
- Titre original : Berusaiyu no bara
- Réalisateur : Jacques Demy
- Année : 1980
- Pays : Japon / France / Royaume-Uni
- Genre : Histoire à la moulinette (catégorie : Sentimental)
- Durée : 2h04
- Acteurs principaux : Catriona McColl, Barry Stokes, Terence Budd, Christine Böhm
- Tous les grands cinéastes ont une bouse dans leur filmographie, ou du moins une œuvre en dessous de leur talent.
Hitchcock termina sa carrière avec le gentillet « Complot de famille »,
le Marcel Carné de « Terrain Vague » ne valait pas – et de loin ! –
celui des « Enfants du Paradis », Chaplin tira sa révérence avec « La
Comtesse de Hong Kong ». A un moindre niveau, Dario Argento s’est
magistralement cassé les dents sur « Le Fantôme de l’Opéra », et Bigas
Luna a porté un très mauvais coup à sa carrière avec le fantabuleusement
nanar « Bambola
», chroniqué en ces lieux. Mais le cas de Jacques Demy, réalisateur
célébré des « Parapluies de Cherbourg » et des « Demoiselles de
Rochefort », est véritablement particulier. Sa filmographie compte en
effet un nanar doublé d’un trou noir : « Lady Oscar », le film qui nous
occupe ici, n’est en effet… jamais sorti en France, ce qui est pour le
moins surprenant pour l’œuvre d’un grand cinéaste français ! A noter
qu’un autre film de Demy, « Le Joueur de flûte de Hamelin », production
britannique, subît le même sort. Mais si ce dernier film est paraît-il
une réussite, la raison du sort de « Lady Oscar
» saute aux yeux : il s’agit tout simplement du pire film jamais tourné
par son auteur, un ratage d’une ampleur tout simplement cosmique qui
dégoûterait de Demy le fan le plus acharné.
Ce film, dont l’action est située à la veille de la Révolution
Française, a de surcroît la particularité d’être… japonais ! Hé oui, il
s’agit bien du Lady Oscar qui fit les beaux jours de Récré A2, un film
financé par des fonds japonais, destiné à un public japonais, et
entièrement conforme à la vision kitsch de l’Histoire de France par les
Nippons !
Pour qui ne connaîtrait pas cette œuvre, « La Rose de Versailles »
(traduction littérale du titre original) est à l’origine une BD de
Riyoko Ikeda, publiée dans les années 70, et qui donna lieu à une série
d’animation en quarante épisodes. Pour résumer rapidement l’histoire, «
Oscar » est la fille d’un noble français du XVIIIème siècle qui, frustré
de ne pas avoir de fils, l’a élevée comme un homme en cachant le
véritable sexe de son enfant. Devenue militaire, Oscar-Francoise de
Jarjayes (c’est son nom complet) est attachée au service de la Reine
Marie-Antoinette et prend peu à peu conscience de la révolte qui gronde
en France, se débattant en parallèle avec son amour pour le bel André
Grandier (rappelons qu’elle est censée être un homme). La petite
histoire est emportée dans le tourbillon de la grande, envoyez les
violons...
Catriona Mc Coll.
L’endive Barry Stokes.
Très appréciée des amateurs de manga, la série eut un grand succès au
Japon, et plus tard en Europe, notamment en Italie et en France. Mais ni
la BD ni son adaptation animée n’étaient connues dans notre beau pays
quand fut lancé le projet d’une version live de cette histoire. La
présence à la mise en scène d’un grand cinéaste français comme Jacques
Demy, maître du "kitsch-mais-pas-trop", devait sans nul doute assurer la
"French touch" de cette production nippone réellement tournée à
Versailles. Réalisé pour un public japonais, en langue anglaise (pour
assurer l’exportation), avec des acteurs en majorité britanniques, le film avait-il une chance d’être un tant soit peu cohérent et crédible, et de conserver la patte de Jacques Demy ?
Des pauvresses qui meurent de faim tout en restant propres et des coiffures artistiquement défaites.
Révoloutchionne !
Patatras ! Force est de constater que Demy
s’est magistralement ramassé dans le traitement de ce « Lady Oscar ».
Son style habituel se fait horriblement kitsch et apprêté : les couleurs
sont criardes, mauves, roses et bleus, et forment une véritable
symphonie de mauvais goût. La mise en scène est lourdaude et sans grâce,
la reconstitution historique sonne plus faux que dans une dramatique
télé.
Au coeur de l'histoire de France...
Si l'on peut concevoir dans le dessin animé que
l'héroïne passe pour un homme, on n'y croit pas une seconde dans la
version live tant l'actrice est parfaitement féminine, y compris dans
son déguisement. Mais à la décharge de Demy, on reconnaîtra
qu’il se trouvait face à un défi quasiment impossible : celui de donner
une crédibilité à une vision de l’Histoire de France conçue par des
auteurs étrangers et destinée à un public non francophone. Or, ce
qui pouvait passer dans un dessin animé devient risible en trois
dimensions tant l’Histoire de France, vue par les Japonais, sonne bidon
et ridicule.
Si Versailles m'était conté... un peu mieux...
L’impression générale est que les auteurs n’avaient pour toute
documentation sur l’Histoire de la Révolution française qu’un « Que
sais-je ? » (enfin, l’équivalent japonais d’un Que sais-je ?) et le
visionnage de deux ou trois films hollywoodiens. Les clichés et les
erreurs historiques abondent : on a l’impression, en suivant la
chronologie du récit, que le règne de Louis XVI n’a duré que deux ou
trois ans, Robespierre apparaît trentenaire à une époque où il aurait eu
à peine dix-huit ans, les Parisiens chantent après la prise de la
Bastille « La Carmagnole des royalistes » (Monsieur Véto, Madame
Véto...), chanson qui n’apparut qu’après 1792… On est là dans un pur n’importe quoi, qui causerait un choc à n’importe quel étudiant en première année d’Histoire.
Catriona Mc Coll, très crédible en "homme".
On ne nous épargne aucun poncif : Louis
XVI abruti et cocu, Marie-Antoinette inconstante et évaporée, les nobles
cruels et arrogants, le peuple affamé et exploité… Le summum est
atteint avec la scène qui voit Marie-Antoinette se bécoter avec Axel de
Fersen juste en dessous du balcon où Louis XVI baille aux corneilles !
Du pur Max Pécas, qu’on se désole de trouver sous la caméra de Demy.
Le Roi, il est cocu, le Roi il est cocuuuu-euuh !
L’aspect le plus intensément nanar du film
tient néanmoins dans son interprétation. Le film est à voir absolument
en VO (anglais) : les comédiens jouent tous si mal qu’une VF ne pourrait
qu’améliorer leurs prestations (enfin je crois, car on peut
difficilement faire pire) ! Aucun comédien réellement connu dans le
casting : si Catriona McColl, dans le rôle de Lady Oscar, fait des
efforts méritoires, Barry Stokes, dans le rôle du bel André, est tout
simplement affligeant d’inexpressivité hagarde.
Le pire Robespierre de l’histoire du cinéma.
La palme revient à un certain Christopher
Ellison, dans le bref rôle de Robespierre, qui réussit à être si mauvais
qu’on ne se souvient plus que de lui ! A noter également la
présence, dans de petits rôles, de Georges Wilson (en général de la
garde) et de son fils Lambert Wilson (en soldat) qui, sans doute
pistonné par papa, tient ici un de ses premiers rôles. Patsy Kensit joue
le rôle d'Oscar enfant.
Bon ben mon petit Lambert fera ce qu'il voudra, mais moi je vais pas m'en vanter de celui là...
Autre curiosité : la brève apparition de Martin Potter, le héros du «
Satyricon » de Fellini, assez rigolo ici en noble libertin et
partouzeur. Globalement, l’interprétation de «
Lady Oscar » est l’une des pires qu’il m’ait jamais été donné de voir
tant les comédiens jouent faux, se débattant avec des dialogues
grotesques qui devaient sans doute correspondre, dans l’esprit des
auteurs japonais, au parler précieux du XVIIIème siècle français. Tout
le monde ou presque joue en prenant des poses d’opérette et en poussant
des gloussements de dindons en chaleur que l’accent anglais de
l’essentiel du casting achève de rendre ridicules. Le plus beau, pour un
spectateur français, est encore d’entendre les Parisiens hurler en VO «
The Bastille has been taken ! ». Délice du décalage culturel…
La Galloise Catriona McColl était une danseuse sans beaucoup
d’expérience de comédienne (il faut bien dire que ça se voit, malgré ses
efforts). La production voulait engager Dominique Sanda dans le rôle
principal, mais le choix d’une actrice inconnue fût imposé par la firme
japonaise de cosmétiques Shiseido, qui coproduisait le film. Shiseido
désirait en effet lancer un nouveau visage, qui leur servirait en
parallèle pour leur nouvelle campagne de pub, et Catriona McColl
enchaîna en effet, après le tournage, avec son nouveau rôle d’égérie
cosmétique. On la vit ensuite notamment dans des films de Lucio Fulci,
comme « Frayeurs » ou « L’Au-delà ». Elle s’est occupé pendant un
certain temps d'un gîte rural dans le sud de la France et joue encore à
l’écran : on l’a notamment vue dans un rôle récurrent de « Plus belle la
vie ».
Le film se vautre intégralement sur le terrain
de la reconstitution historique, et ne réussit pas mieux dans le
contexte sentimental : les tourments amoureux d’Oscar et André se
perdent dans l’hébétude générale qui se saisit du spectateur devant le
déluge de niaiserie du film. La bêtise de ce «
Lady Oscar » est telle qu’on le suit tout d'abord avec un délicieux
sentiment de flottement, puis avec une hilarité béate. Ils ne vont pas
oser ? Si, ils osent ! Je me demande cependant si toute la teneur
nanarde du film peut apparaître à un spectateur non-français. En effet,
pour un nanardeur hexagonal, le « Lady Oscar » de Jacques Demy est ce
que l’on peut faire de pire en matière à l’Histoire de notre beau pays. Destiné
à un public qui n’a en général de notre culture qu’une vision
superficielle, le film aurait pu bénéficier de l’apport d’un auteur
français qui lui aurait apporté un minimum de crédibilité. Mais non, à
se demander ce que Demy (qui co-signe l’adaptation) avait bu sur le
tournage. Des clauses de son contrat lui interdisaient-elles de changer
une virgule des niaiseries du script ? On
comprend en tout cas que les distributeurs français ne se soient pas
jetés sur l’objet, qui n’avait de toute manière pas remporté le succès
escompté au Japon. On remerciera Arté de nous avoir jadis présenté la chose lors d’un de leurs réguliers accès de nanardise kitsch…
Mauvais mélo, mauvais film historique,
déraillement tragique d’un cinéaste de talent, « Lady Oscar » n’en est
pas moins à voir pour sa qualité de nanar de pointe, tant il est
hilarant de mièvrerie, de bêtise, et même de vulgarité à force de violer
l’Histoire sans vergogne. On accuse souvent les Américains d’avoir une
vision faussée de la France : hé bien, quand ils s’y mettent, les
Japonais font dix fois pire ! On se prendrait presque à rêver
d’une revanche inter-culturelle : Luc Besson produirait un film sur
l’ère Meiji, embaucherait un réalisateur japonais connu (au hasard :
Takeshi Kitano) pour le filmer, et le forcerait à tourner ensuite les
pires conneries, ridiculisant à la fois un grand cinéaste nippon et
l’Histoire du Japon ! Banzaï, ils ne l’emporteront pas au paradis !
Allez, être la star d'un gros nanar c'est pas la fin du monde...
http://www.nanarland.com/Chroniques/Main.php?id_film=ladyoscar
Bien à vous.