interview de Simone Bertière

Voici une interview très intéressante de Simone Bertière, auteur de la meilleure biographie sur Marie-Antoinette ("Marie-Antoinette l'insoumise") selon les avis de beaucoup d'entres nous !
Elle explique entre autres les nuances entre biographie et livre d'Histoire, ainsi que les méthodes de travail :

Entretien avec l'auteur de biographies sur Mazarin et Marie-Antoinette, et de la fresque sur les reines de France.
Auteur d'une remarquable biographie, Mazarin, le maître du jeu, (1) qui s'est vu décerner le prix de la meilleure biographie de l'année, Simone Bertière a également signé Marie-Antoinette, l'insoumise, une fresque sur les reines de France et une édition commentée des Mémoires du cardinal de Retz. Cette agrégée de lettres classiques nous explique sa manière de travailler.

LE FIGARO LITTÉRAIRE. Pourquoi choisit-on d'écrire sur tel ou tel personnage ? Qu'est-ce qui vous a guidée pour la rédaction du Mazarin ou de Marie-Antoinette, l'insoumise ?

SIMONE BERTIÈRE. Bien sûr, on choisit d'écrire une biographie sur un personnage qui a un destin, une vie qui sort de l'ordinaire. Ensuite, on porte un intérêt évident à la femme ou l'homme que l'on étudie et avec laquelle ou lequel on va passer beaucoup de temps. C'est aussi parfois le hasard qui vous guide : j'avais choisi le cardinal de Retz parce que mon mari avait entrepris et rédigé une thèse sur lui. J'ai écrit sur les reines de France et sur Marie-Antoinette parce que c'était une manière de m'intéresser à la condition des femmes. Par ailleurs, on ne peut écrire sur un personnage sans avoir de la curiosité à son égard, de l'empathie même. C'est, peut-être, ce qui nous distingue des historiens, qui, eux, doivent s'interdire toute sympathie avec l'objet de leur étude. Voyez l'exemple d'Hitler : on peut écrire des livres d'histoire sur lui, mais les biographies récentes mettent mal à l'aise car on ne peut s'identifier au personnage.

Justement, quelles sont les différences d'approche entre le travail du biographe et celui de l'historien ?

En fait, les biographies séduisent à la fois les déçus du roman et les déçus de l'histoire. Nous naviguons entre les deux genres. Comme dans le roman, nous centrons l'ouvrage sur une personnalité. À l'inverse de la recherche historique, nous faisons de la psychologie : ce que les historiens s'interdisent. Pour ma part, j'annonce très vite la couleur : ma biographie n'est pas un roman. J'espère qu'elle en possède l'agrément. Et comme je n'ai pas d'imagination, je m'appuie sur un formidable matériau : les archives et la documentation. Un biographe ne fait pas de l'his­toire ; ainsi, dans ma démarche, je m'implique dans le récit sans pour autant dire « je ».

Et comment vous impliquez-vous ?

J'essaie d'épouser le cours du temps en compagnie de mon personnage, de « vivre » les événements tels que j'imagine qu'il les a vécus sans connaître la suite. C'est presque une identification avec l'objet de la biographie. Dans ce but-là, je me fabrique une chronologie quasi quotidienne, au moins semaine par semaine, qui va m'aider à composer le récit. Je m'appuie éga­lement sur des thèmes (le rapport à l'argent, l'amour, le pouvoir, etc.), que j'intègre à ces chapitres chronologiques. L'objectivité réelle est impossible, mais la biographie exige une honnêteté, notamment à l'égard des documents que l'on traite par exemple, il serait aisé de masquer une partie qui gênerait le développement du récit.

Jusqu'où pouvez-vous aller dans l'implication ?

Parfois, je m'autorise des interprétations personnelles, et même des remarques ironiques. En fait, quand je lis des archives ou des correspondances, je n'aborde pas cette lecture comme un historien : j'ai une approche plus littéraire des choses. Je ne m'attache pas qu'aux faits, mais au sens du texte. C'était souvent le cas lorsque j'ai écrit Mazarin, les lettres trahissent sa personnalité. Par ailleurs, quand il existe des zones d'ombre dans la vie du personnage c'est souvent le cas , je ne cherche pas à les combler, je dis aux lecteurs que je ne sais pas.
(1) Éditions de Fallois.

Citation :

Par ailleurs, on ne peut écrire sur un personnage sans avoir de la curiosité à son égard, de l'empathie même. C'est, peut-être, ce qui nous distingue des historiens, qui, eux, doivent s'interdire toute sympathie avec l'objet de leur étude.

Aaaah, c'est donc pour ça que vous vous faites tout le temps censurer sur le forum Passion Histoire !
En ce cas, ils devraient virer le mot "Passion" du titre de leur forum, m'est avis.

Petit Normand a écrit:

En ce cas, ils devraient virer le mot "Passion" du titre de leur forum, m'est avis.

La passion des faits seuls...Quel ennui !!

Si je comprends bien les propos de Mme Bertière, aucune biographie ne saurait-être stricto sensu le fruit d'un travail historique.
A dire vrai si, par le plus grand des hasards, un(e) pauvre diable devait écrire ma biographie, je préférerais encore qu'il ait cette fibre littéraire évoquée par Mme Bertière.
Laisser entre les mains de comptables de faits le soin d'évoquer qui j'étais, me glace d'effroi !
Compiler sans mise en perspective mes relevés bancaires et autres détails des factures que j'honore, citer à froid et sans relief ce qu'on pourrait leur dire de moi ou ce qu'ils extirperaient de quelques-uns de mes écrits...voilà un tableau bien triste.
Pourvu qu'un amateur, bien inspiré, y mette aussi un peu d'âme !

Trop d'âme indispose certains

Petit Normand a écrit :

Citation :

Aaaah, c'est donc pour ça que vous vous faites tout le temps censurer sur le forum Passion Histoire !  
En ce cas, ils devraient virer le mot "Passion" du titre de leur forum, m'est avis.

En effet, ou alors revoir la définition du terme "passion" et ne pas confondre modération avec flicage  

Je pense aussi que l'Histoire des faits, si elle reste utile et légitime, n'en est pas moins une grosse fumisterie, dans le sens où le 100% d'objectivité n'existera jamais en science humaine. Et voir des étudiants ou des profs d'histoire porter l'étendard de la "rigueur historique" comme bouclier ou même comme argument est assez amusant.
Rien ne vaut une bonne étude historique combinant les faits et les sentiments humains.

Je suis bien d'accord avec toi, Chou. L'objectivité n'existe pas, on peut tendre vers elle, mais elle est comme l'inaccessible étoile de Brel...   Pour la bonne raison que nous ne sommes jamais, modestement, que les produits de notre culture et que celle-ci s'est inscrite jusque dans nos fibres.

J'admire le génie littéraire de cette femme, sa façon d'entrer dans le quotidien des gens, sa façon de s'intéresser à la psychologie des personnages, sa manière bien à elle de mettre en lumière des reines restées dans l'oubli, sans jamais tomber dans le roman ! Même si sa façon d'écrire est délicieuse, limpide et facile à lire.

J'ai dévoré sa biographie sur Marie-Antoinette (comme les autres !) : elle présente les personnages sans les ranger dans le clan des "bons" ou des "méchants" (comme le ferait un Jean Chalon) ; elle rehausse le personnage de Louis XVI ; nous fait comprendre des tas de choses sur la reine ...

En un mot, merci Mme Bertière de cette excellente biographie !

Cette biographie de Marie-Antoinette par Mme Bertière remporte tous les suffrages et c'est bien mérité !
C'est la meilleure, incontestablement !!!

En effet, et nous sommes nombreux à être d'accord là-dessus

...... mieux que nombreux : unanimes !

C'est vrai