Arthur Young : voyages en France

pour le plaisir de la description , voici un extrait tiré des Voyages en France, années 1787, 1788, 1789, de l'anglais 'Arthur Young, ici le 26  mai 1787, lors de son passage à VERSAILLES.
Il a un style vif et léger, savoureux  car très vivant  mais on aurait aimé qu'il ajoutât quelques détails de plus sur les personnages rencontrés !

"Après une rapide excursion avec mon ami, M. Lazowski, pour voir beaucoup de choses, trop à la hâte pour en avoir quelque idée exacte, j'ai passé la soirée chez son frère, où j'ai eu le plaisir de rencontrer M. de Boussonet, secrétaire de la Société royale d'agriculture, et M. Desmarets, tous deux de l'Académie des sciences. Comme M. Lazowski connaît bien les manufactures de France, dans l'administration desquelles il occupe un poste important, et comme ces autres messieurs se sont beaucoup occupés d'agriculture, la conversation ne fut pas peu instructive, et je regrettai que l'obligation de quitter Paris de bonne heure ne me laissât pas l'espérance de retrouver une chose aussi agréable pour moi que la compagnie d'hommes dont la conversation montrait la connaissance des intérêts nationaux. Au sortir de là, je partis en poste, avec le comte Alexandre de Larochefoucauld, pour Versailles. afin d'assister à la fête du jour suivant ( Pentecôte ). Couché à l'hôtel du duc de Liancourt.

Déjeuné avec lui, dans ses appartement, au palais, privilège qu'il tient de sa charge de grand maître de la garde-robe, une des principales de la cour de France. Là, je le trouvai au milieu d'un cercle de gentils-hommes, entre autres le duc de Larochefoucauld, célèbre par son goût pour l'histoire naturelle ; je lui fus présenté, car il se rend à Bagnères-de-Luchon, où j'aurai l'honneur d'être de sa compagnie.

La cérémonie du jour était causée par le cordon bleu dont le roi devait donner l'investiture au duc de Berri, fils du comte d'Artois. La chapelle de la reine y chanta, mais l'effet fut bien mince. Pendant le service, le roi était assis entre ses deux frères, et semblait, par sa tenue et son inattention, regretter de n'être pas à la chasse. Il eût tout aussi bien fait que de s'entendre prêter un serment féodal, ou quelque autre sottise de ce genre, par un enfant de dix ans. A la vue de tant de pompeuses vanités, j'imaginai que c'était là le Dauphin, et m'en informai d'une dame fort à la mode, assise près de moi, ce qui la fit me rire au nez, comme si j'avais été coupable de la bêtise la plus signalée ; rien ne pouvait être plus offensant ; car ses efforts pour se retenir ne marquaient que mieux l'expression de son visage. Je m'adressai à M. de La Rochefoucauld afin de savoir quelle grosse absurdité m'était échappée à mon insu ; c'était de croirez-vous ? ) parce que le Dauphin, comme tout le monde le sait en France, reçoit le cordon bleu en naissant.

Était-il si impardonnable à un étranger d'ignorer une chose d'autant d'importance dans l'histoire du pays que la bavette bleue donnée à un marmot au lieu d'une bavette blanche ?

Après cette cérémonie, le roi et les chevaliers se dirigèrent en procession vers un petit appartement où le roi dîna ; ils saluèrent la reine en passant. Il parut y avoir plus d'aisance et de familiarité que d'apparat dans cette partie de la cérémonie ; Sa Majesté qui, par parenthèse, est la plus belle femme que j'aie vue aujourd'hui, reçut ces hommages de façons diverses. Elle souriait aux uns, parlait aux autres, certaines personnes semblaient avoir l'honneur d'être plus dans son intimité. Elle répondait froidement à ceux-ci, tenait ceux-là à distance. Elle se montra respectueuse et bienveillante pour le brave Suffren. Le dîner du roi en public a plus de singularité que de magnificence. La reine s'assit devant un couvert, mais ne mangea rien, elle causait avec le duc d'Orléans et le duc de Liancourt qui se tenait derrière sa chaise. C'eût été pour moi un très mauvais repas, et si j'étais souverain, je balayerais les trois quarts de ces formalités absurdes. Si les rois ne dînent pas comme leurs sujets, ils perdent beaucoup des plaisirs de la vie ; leur situation est assez faite pour leur en enlever la plus grande partie ; le reste, ils le perdent par les cérémonies vides de sens auxquelles ils se soumettent. La seule façon confortable et amusante de dîner serait d'avoir une table de dix à douze couverts, entourée de gens qui leur plairaient ; les voyageurs nous disent que telle était l'habitude du feu roi de Prusse.

Il connaissait trop bien le prix de la vie pour la sacrifier à de vaines formes ou à une réserve monastique.

Le palais de Versailles, dont les récits qu'on m'avait Ils avaient excité en moi la plus grande attente, n'est pas le moins du monde frappant. Je l'ai vu sans émotion ; l'impression qu'il m'a laissée est nulle. Qu'y a-t-il qui puisse compenser le manque d'unité ? De quelque point qu'on le voie, ce n'est qu'un assemblage de bâtiments, un beau quartier pour une ville, non pas un bel édifice, reproche qui s'étend à la façade donnant sur le parc, quoiqu'elle soit de beaucoup la plus remarquable. La grande galerie est la plus belle que je connaisse, les autres salles ne sont rien ; on sait, du reste, que les statues et les peintures forment une magnifique collection. Tout le palais, hors la chapelle, semble ouvert à tout le monde ; la foule incroyable, au travers de laquelle nous nous frayâmes un chemin pour voir la procession, était composée de toutes sortes de personnes, quelques-unes assez mal vêtues, d'où je conclus qu'on ne repoussait qui que ce soit aux portes. Mais à l'entrée de l'appartement où dînait le roi, les officiers firent des distinctions, et ne permirent pas à tous de s'introduire pèle-mêle. "

Très intéressant et très bien écrit merci beaucoup Cécile!

Cet homme est assez perspicace, en peu de temps il a tout de suite compris les inconviéniens de ces repas publics ainsi que l'esprit moqueurs de certains

Sa description de Marie-Antoinette est certes succinte, mais tellement juste et cohérente! En particulier son "Sa Majesté qui, par parenthèse, est la plus belle femme que j'aie vue aujourd'hui

Ses Mémoires sont savoureux et plein d'anecdotes qui nous ramènent au sein même de la petite histoire : j'adore !
J'ai plaisir à lire cela :

cecile a écrit:

Sa Majesté qui, par parenthèse, est la plus belle femme que j'aie vue aujourd'hui

Car 1787 est l'époque où Giorgiana du Devonshire dit de Marie-Antoinette qu'Elle paraît enceinte et qu'Elle a perdu en beauté...Son concitoyen a plus de goût ou plus de faiblesses face aux charmes royaux...

Bien à vous.

Merci pour ce passage, chère Cécile !

Georgiana dit-elle cela, Majesté ? J'ai retenu qu'elle trouvait à la reine un "belly quite big" et "no hait at all". Mais écrit-elle qu'elle a perdu en beauté ou qu'elle paraît enceinte ? Je ne m'en souviens pas.

pimprenelle a écrit:

Mais écrit-elle qu'elle a perdu en beauté ou qu'elle paraît enceinte ? Je ne m'en souviens pas.

Tu me rassures ! Car ce sont tes propos qu'il me semblait rapporter ici...Mais peut-on penser que Giorgiana trouvait Antoinette jolie alors qu'elle Lui voyait des cheveux rares et le ventre gros? Je présume qu'elle aurait apporté la nuance de ses dires immédiatement après sa critique si elle l'avait pensé...non?

Bien à vous.

J'ai écrit cela ? Peux-tu citer le message, s'il te plaît, parce que cela me trouble... Dans mon souvenir, Georgiana ne décrit pas plus que ce que je rapporte ci-dessus "her belly quite big" et "no hair at all".

Ben non , je ne peux pas : c'est ma mémoire qui flanche...pas la tienne

Bien à vous.

Ah, tu me rassures ! Je croyais vraiment avoir oublié un truc important ! Déjà, comme tu dis, les remarques de Georgiana sont assez frappantes pour qu'on les retienne ! Et assez étonnantes pour qu'on se casse la tête à essayer de les comprendre. Qu'entend-elle au juste par un "belly quite big" ? Et par "no hair at all" ?

Si l'on se refère à une réplique de Marie Antoinette elle-même, elle était devenue assez forte pour qu'on pût la croire enceinte. Et, pour l'acception de "hair", on peut se demander si le terme ne pourrait s'appliquer à la chevelure en tant que masse. Donc, Marie Antoinette n'était pas chauve, peut-être même pas clairsemée, mais n'avait pas cette abondance capillaire qui semblait l'apanage des femmes de son temps, à commencer par Georgiana en personne.

Sans doute, donc, une allusion à ces coiffures plus modestes auxquelles ses alopécies répétées avaient fini par la contraindre ?

pour ma part , j'aime sa description du roi , qui semble assez "plouc" côté tenue et visiblement plutôt dissipé pendant la cérémonie !
cette dimension "pris sur le vif" fait le charme de Young !!!

Pendant le service, le roi était assis entre ses deux frères, et semblait, par sa tenue et son inattention, regretter de n'être pas à la chasse. Il eût tout aussi bien fait que de s'entendre prêter un serment féodal, ou quelque autre sottise de ce genre, par un enfant de dix ans.

Oui j'aime beaucoup aussi

Mais ça ne m'étonne pas vraiment...Louis XVI dormait de temps en temps pendant les conseils par exemple, et a priori il n'arrivait pas à cacher son ennui et à tromper les autres dans ce genre de situations
En fait il était trop honnête

Chou d'amour a écrit:

Oui j'aime beaucoup aussi

Mais ça ne m'étonne pas vraiment...Louis XVI dormait de temps en temps pendant les conseils par exemple, et a priori il n'arrivait pas à cacher son ennui et à tromper les autres dans ce genre de situations
En fait il était trop honnête

Il n'aimait pas non plus se contraidre pour faire bonne figure .

Oui, le paraître et la gestion de son image n'ont jamais été son fort

Arthur Young dit que la Reine au cours du diner du Roi était en train de parler avec le Duc d'Orléans. Est-il possible que en 1787 ils se parlaient encore? Je croyais qu'après la naissance du Dauphin il n'y a pas eu d'échanges de mots entre eux...

Je me suis aussi posé la question , mais je pense que ne serait-ce que par l'étiquette elle devait y être un peu obligée

Sans doute a-t-Elle été moins radicale avec Orléans qu'Elle le fut avec Jeanne du Barry...

Bien à vous.

Oui, elle a bien compris la leçon

Et qui nous dit qu'Elle lui disait des gentillesses?
Peut-être le traitait-Elle d'ordure?

Bien à vous.

C'est clair! Elle devait se foutre de sa gueule!

Elle n'a pas mangé nous dit Young. On peut en déduire que la présence d'Orléans lui aura coupé l'appétit

Majesté a écrit:

Sans doute a-t-Elle été moins radicale avec Orléans qu'Elle le fut avec Jeanne du Barry...

Bien à vous.

A cette époque-là, cependant, elle avait déjà reparlé avec Madame du Barry depuis longtemps... d'autant plus que, selon Pierre Combescot, Madame du Barry s'entremit pour que la reine puisse acquérir Saint Cloud. Le château n'était-il pas propriété des Orléans ?

Gouverneur Morris a écrit:

Elle n'a pas mangé nous dit Young. On peut en déduire que la présence d'Orléans lui aura coupé l'appétit

Déjà qu'à la base elle mangeait très peu

pimprenelle a écrit:

Majesté a écrit:

Sans doute a-t-Elle été moins radicale avec Orléans qu'Elle le fut avec Jeanne du Barry...

Bien à vous.

A cette époque-là, cependant, elle avait déjà reparlé avec Madame du Barry depuis longtemps... d'autant plus que, selon Pierre Combescot, Madame du Barry s'entremit pour que la reine puisse acquérir Saint Cloud. Le château n'était-il pas propriété des Orléans ?

Il me semble bien en effet

...... si si !

Merci de confirmer

Citation :

...... si si !

Absolument !   L'info t'a frappée autant que moi.  

Arthur Young, agronome anglais , est venu en France à trois reprises en 1787, 1788 et 1789. Il a parcouru ainsi , pendant les belles saisons la France entière , reçu chez les notables , amateurs d’innovations agricoles, membres d’Académies Provinciales , savants réputés.
Il questionne, note et commente pratiques et coutumes , conditions de vie et relations sociales ; en 1788, il vit les premiers mois de la Révolution , la Grande Peur notamment , en province , loin de Versailles , souvent malmené par les milieux obsédés par la menace du complot aristocratique .
Ce témoignage capital sur la France de 1789 a été édité en traduction intégrale , il y a quarante ans ; ces extraits en donnent les pages les plus significatives.


Voyages en France d'Arthur Young
10/18, 1970, 311p

Sinon , il y a cette édition

Voyages en France de
Arthur Young
Editions Tallandier , 2009, 493 p : 10,45 euros

Résumé Amazone

Comment vit-on en France à la veille de la Révolution ? Arthur Young, avec son célèbre Journal de voyages, offre au lecteur une peinture saisissante de l'état économique, social et politique du pays à la fin de l'Ancien Régime. Au cours de sa traversée à cheval du royaume, entre 1787 et 1789, le voyageur anglais fréquente tous les milieux, des auberges à la cour de Versailles en passant par les théâtres. Sa description riche et complète du mode de vie des habitants, évoqué notamment grâce à l'agronomie, la gastronomie ou encore l'état du réseau routier, accompagne parfaitement son propos. Observateur avisé, doté d'une plume aisée, il analyse surtout de façon remarquable les moeurs qui régissent la société et l'état d'esprit des Français avant les événements de 1789.