madame antoine
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| Sujet: Casanova par Stefan Zweig Sam 19 Mai - 9:17 | |
| Si nous connaissons tous la Biographie que le romancier Stephan Zweig a faite de la Reine Marie-Antoinette, nous ignorons souvent qu'il a également écrit un essai sur Casanova, que nous pouvons lire dans cette édition. Voici une analyse de cet écrit. Qui est vraiment Casanova, le célèbre maître en séduction que chaque homme a un jour secrètement envié ? Stefan Zweig nous livre un fin et passionnant portrait psychologique du coquin Italien.
« Ce charlatan fameux », le « chevalier de Seingalt », « notre bon Giacomo », ce « fameux filou », un « petit bel esprit », ce « mondain », « le valet du hasard », « l’érotique professionnel », « l’aventurier malin », ce « dilettante achevé et universel », « ce navigateur de l’univers », « ce vieux commediante in fortuna » : dans Trois poètes de leur vie, les qualificatifs se bousculent sous la plume de Stefan Zweig dès lors qu’il s’agit de Casanova.
Dans cet essai haut en couleurs, publié en 1928 dans sa version originale allemande, l’auteur autrichien rappelle que Giacomo Casanova (1725-1798) a connu cette parenthèse où « de la guerre de Sept Ans jusqu’à la Révolution française, pendant un petit quart de siècle, le calme plat règne sur l’Europe ». Zweig se plait ainsi à brosser, à la manière des Watteau et Fragonard, l’ambiance un peu décadente et pourtant exquise des salons européens où « les dames jouent de la lorgnette, mangent avec des cuillers d’argent les sublimes gelati et les sorbets couleur d’orange ».
C’est donc dans cet écrin saturé de rococo que va éclore une fleur étrange, Casanova. Qui est-il exactement ? Si Zweig avoue d’emblée que Casanova s’en soucie assez peu lui-même, l’auteur ne manque pas de nous livrer un fin et passionnant portrait psychologique du coquin Italien.
On y apprend d’abord sans surprise que Casanova s’est employé à traverser la vie et son époque en parfait aventurier. Car le flamboyant Giacomo ne chérit rien tant que sa liberté (« La pensée de me fixer quelque part m’a toujours répugné et une vie raisonnable m’a toujours paru complètement contre nature »). De même, rien ne lui semble plus intolérable que l’ennui et « préférant risquer sa vie plutôt que de la laisser croupir », il ne craint pas de s’installer (non sans courage) à la grande table de jeu du monde et de se livrer à la fantaisie, voire à la cruauté, du hasard. Sans d’ailleurs oublier de parcourir l’Europe et de pratiquer lui-même jeux et escroqueries, s’abritant au besoin sous de cyniques - et bien commodes – prétextes (« C’est venger la raison que de tromper un imbécile »).
Il pratique avec talent ce que Zweig nomme une « philosophie du superficiel ». Outre un physique avantageux, il possède une « certaine allure d’esprit et une psychologie qui [le] rendent sympathique », qualités auxquelles vient opportunément s’ajouter un opportun vernis de connaissances générales, qui lui permet de briller à peu de frais en société, empruntant comme des masques les identités les plus diverses… Et « dans un monde qui, comme les Romains le savaient déjà, aima de tout temps être trompé », lui, le fils d’une célèbre cantatrice, « ne veut rien être » car « il lui suffit de tout paraître ». Parfaitement amoral (« Je n’ai jamais été en état de me surmonter et je ne le serai jamais »), « son caractère n’est ni bon ni mauvais », car selon Zweig, c’est bien simple : « il n’a pas de caractère ».
Il est bien plus « sympathique » que son concurrent direct, Don Juan. Au travers de quelques lignes alertes, Zweig s’essaie à une comparaison savoureuse entre les deux célèbres maîtres en séduction. Si l’auteur nous rassure en rappelant que le beau Giacomo, ancien prêtre défroqué, « ne provoque pas de catastrophes ; il a rendu beaucoup de femmes heureuses et n’en a fait devenir aucune hystérique », on s’effraie davantage de son ténébreux rival, fanatique religieux, bien décidé à se venger de toutes les pécheresses que porte la péninsule ibérique, les Elvire et autres Anna qui restent « moralement empoisonnées » après son passage. Casanova nous apparaît dès lors de bien meilleure compagnie, lui qui, « avec la liberté du regard antique », « voit dans Eros uniquement la possibilité à la fois la plus délicate et la plus extrême de la jouissance terrestre ».
Evidemment, il est « l’homo eroticus », le panérotique par excellence, celui que chaque homme a un jour secrètement envié (« parfois, ou mieux cent fois, on préfèrerait être Casanova plutôt que Goethe, Michel-Ange ou Balzac »). Comme le relève Zweig avec une admiration non dissimulée, « Un Casanova, c’est aujourd’hui, dans toutes les langues européennes, un cavalier irrésistible, un glouton de femmes, un maître séducteur, et il représente dans le mythe masculin exactement la même chose qu’Hélène, que Phryné et Ninon dans le mythe féminin ». Et par chance pour l’Italie qui n’existait pas encore, « à l’heure où Rousseau invente pour les Français la sentimentalité dans l’amour et Werther la mélancolie de la passion pour les Allemands, la vie enivrée de Casanova glorifie la sérénité païenne de l’amour, comme le meilleur moyen de travailler à l’œuvre toujours nécessaire de l’allégement de l’univers ».
Et c’est avec tous ses authentiques défauts que Casanova atteint l’immortalité, rédigeant à 73 ans des Mémoires d’une qualité littéraire fort discutable mais d’une liberté de ton, d’une audace, d’une loyauté et d’une nonchalance absolues. Le résultat, servi par une mémoire prodigieuse des lieux, des faits et des détails (parfois crus), est parfaitement divertissant car en somme, cette « amusante chronique scandaleuse » est le chaud reflet de la vie tumultueuse de Casanova. Or, comme le note Zweig, « il est rare que ceux qui ont une biographie véritablement captivante sachent la raconter ». Et le miracle a bien lieu avec ce séduisant jeune homme, devenu vieillard édenté, qui décide au soir de sa vie de se raconter une fois encore cette vie et « c’est là toute son œuvre littéraire, mais, à vrai dire, quelle vie ! »
Car, conclut avec brio Stefan Zweig, « ce qui montre le génie de Casanova, ce n’est pas la façon dont il écrit et conte sa vie, mais la façon dont il l’a vécue ».Par Artémisia https://lepetitjournal.com/milan Bien à vous madame antoine _________________ Plus rien ne peut plus me faire de mal à présent (Marie-Antoinette)
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