Evénement !
L’événement n’est pas un des «collaterali», autrement dit une de ces expositions plus ou moins officielles organisées en marge de la Biennale. Il est plutôt un hasard de calendrier…ou, mieux encore, une heureuse conjonction. «Imagined Architecture» est, en effet, la plus belle contribution à une Biennale d’Architecture particulièrement conventionnelle. «Imagined Architecture» est donc, au Palazzo Cini, un «must see».
Les stars de l’époque ! 126 dessins d’architecture des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècle. L’affiche est exceptionnelle. Même quelques Bibiena !
Sur les murs du Palazzo Cini, l’architecture se livre à travers de formidables compositions tantôt baroques, tantôt classiques. Des pyramides, des temples, des décors de théâtre mais aussi d’église.
L’exposition n’est pas qu’un simple accrochage de pièces remarquables héritées d’une collection fabuleuse rassemblée par Antonio Certani (1879-1952) compositeur et violoniste, esthète dans l’âme.
Elle est davantage, pour celui qui a, pendant deux ou trois jours, arpenté la Biennale de Venise, une formidable respiration. Peut-être le visiteur peut-il y lire plus avant un délicieux message sur «l’architecture de l’illusion».
L’évenement présenté au Palais Cini propose en effet une thématique étrange sur «l’architecture imaginée». Le propos joue finement de l’ambigüité : il s’agit d’architecture en images ou d’images d’architecture. Toutefois l’intention est plus maligne voire perverse car sur le papier, il ne s’agit généralement que de décor voire…de trompe l’œil.
Autrement dit, de ces élévations, d’aucuns devinent à peine ce qui relève de la maçonnerie de ce qui appartient au pinceau du peintre. Difficile dans ces conditions de savoir où s’achève la réalité pour laisser place à l’effet d’optique.
Les dessins de la première salle sont, pour certains, signés de Girolamo Curti aussi connu sous le nom de Dentone. Il a été le fondateur d’une école de dessin, plus précisément de peinture en quadratura – un genre pictural tendant à simuler des reliefs architectoniques sur les voûtes planes des églises – et s’est présenté comme l’auteur «d’architecture solide sans site de construction». Son approche verse volontiers dans le «réalisme» pour mieux le tromper.
Les commissaires de l’exposition ont pris soin d’apposer à cette vision celle de ses élèves dont la poétique est davantage «baroque» ; les dessins donnent alors dans «l’hypertrophie illusionniste».
La deuxième salle est consacrée aux monuments funéraires. L’architecture se fait aussi éphémère que la vie. Le visiteur découvre avec plaisir les dessins de Mauro Tesi ou de Vittorio Bigari. L’image se fait le témoin de funestes projets détruits et oubliés depuis.
La troisième salle est celle des décors de théâtre. Sur les murs, les folles perspectives de Ferdinando et Francesco Bibiena. Ces génies de la perspective et de l’illusion ont marqué le XVIIIe siècle de leur art révolutionnaire.
Les gravures de cette dynastie d’artistes sont rares ; au Palazzo Cini le visiteur découvre, non pas des reproductions, mais des dessins ! De quoi rester bouche bée.
Si les deux dernières salles évoquent le décor et l’ornementation, si elles offrent des architectures autrement plus «réelles», l’exposition manipule l’imaginaire de tout un chacun et le laisse rêver sur cette trouble frontière entre illusion et réalité. La fatidique question ponctue chaque œuvre pour devenir entêtante et obsédante : où commence l’architecture ?
A l’interrogation de se poursuivre bien au-delà des salles du Palazzo Cini. L’esprit reconstitue rapidement pavillons et expositions de la Biennale… et, à la lancinante phrase de revenir : «où commence l’architecture ?»
Dans un événement qui se complait en images, en installations et représentations, cette magnifique exposition se fait donc particulièrement cruelle ; elle révèle avec la plus grande élégance la part illusoire de l’art de bâtir, plus encore de la Biennale d'Architecture de Venise.
Jean-Philippe Hugron
https://www.tileofspain.com/default.aspx?&lang=fr-FR