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 Le mythe du fédéralisme girondin

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Sulpice

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MessageSujet: Le mythe du fédéralisme girondin   Le mythe du fédéralisme girondin Icon_minitimeDim 23 Sep - 12:18

Les "Girondins" n'étaient pas plus fédéralistes que les Jacobins n'étaient centralisateurs. Anne de Mathan, chercheur à l'Université de Bretagne occidentale, décrypte un mythe utilisé par la gauche jusqu'à Macron. 226 ans jour pour jour après la fondation de la République, la Révolution continue d'être une référence. Même si les débats politiques prennent un tour parodique en régime européen.

Le 3 juillet 2017, Emmanuel Macron dénonçait à Versailles la « centralisation jacobine » et présentait le 17 juillet un “pacte girondin” avec les collectivités locales pour leur offrir « davantage de liberté », tout en annonçant une baisse des dotations publiques de l'Etat “jacobin”.

Anne de Mathan cite à titre d’exemple deux points de vue ordinaires sur ces références à la période révolutionnaire. Ainsi pour le quotidien Le Parisien, la Révolution était partagée entre les Jacobins partisans d’un système centralisé et, à l’inverse, les Girondins plaidaient pour un gouvernement fédéral « constitué d’entités territoriales fortes, articulées autour d’un État souverain ». Pour le journal Initiative communiste du « Pôle de Renaissance communiste », le rapport entre Girondins et Jacobins opposait « l’aile droite de la bourgeoisie fédéraliste à l’aile gauche dirigée par Robespierre et soutenue par les Sans-Culottes ». « Le girondisme tendait à disloquer la nation et à briser la force du peuple en remplaçant les seigneurs féodaux par une nouvelle féodalité bourgeoise ancrée dans "les territoires" ».


Le mythe fédéraliste

Pourtant, Buzot, considéré comme le plus fédéraliste des Girondins, défendit le principe de l’unité et de l’indivisibilité de la nation dès les premiers jours de la République et déclarait le 25 septembre 1792 : « proscrivons le gouvernement fédératif, pour n’avoir qu’une République unique ». Brissot lui-même, identifié comme le chef de ce courant, s’était insurgé dès 1791 contre les hypothèses fédéralistes.

Ainsi selon Anne de Mathan, il n’existe aucune trace dans les discours ou les procès des Girondins de projet de construire un État fédéral similaire aux Provinces-Unies, à la Confédération helvétique ou aux États-Unis d’Amérique. Selon l’historienne, cette identification des Girondins au « fédéralisme » s’explique par les circonstances historiques de leur échec.

C’est en août 1792 qu’apparaît l’idée d’une « intention fédéraliste » des députés « brissotins ». Adjectif péjoratif qui désignait Brissot depuis l’élection à la Législative de 1791 comme un homme corrompu, à l’image d’une Assemblée soupçonnée par les éléments les plus radicaux du mouvement populaire parisien d’être un bastion du modérantisme (feuillantisme).

Le mythe du fédéralisme girondin Revfr-10
"Groupe de députés cherchant à brissoter"
(Caricature d'époque révolutionnaire)



Ainsi, des hommes liés entre eux depuis le début de la Révolution se déchirent sur les voies à emprunter. Il est intéressant d'observer que la notion de fédération se transforme, passant d’une dimension positive et unanimiste exprimée lors de la Fête de la Fédération de 1790, à la dénonciation d’un « fédéralisme » en 1792 par Chabot, Merlin et Robespierre. Le fédéralisme devient une menace pour l’unité nationale et apparaît comme un palliatif de la monarchie voire l’expression d’une nostalgie des privilèges de l’Ancien régime.

Or, selon Anne de Mathan, le fédéralisme américain, par exemple, n’est pas contradictoire avec la défense de l’Etat central. La dénonciation du fédéralisme nuit aux projets républicains les plus précoces de Taine, Condorcet et Brissot, suggère l'idée d'une méfiance envers Paris, berceau de la Révolution, joue sur l’antiparlementarisme. Mathan qualifie au contraire les libéraux Girondins d’« autre gauche » cosmopolite précurseur du référendum d’initiative populaire, de combats émancipateurs, de projets de redistribution par l’impôt.

Elle ne voit donc ici qu’un conflit entre deux sensibilités républicaines – Gironde et Montagne, usant des mêmes stratégies de disqualification. Ainsi, le projet girondin d’intervention militaire contre les princes allemands, qui visait à mettre à l’épreuve la monarchie, aurait été transformé par les Montagnards en un conflit généralisé. La Montagne s’intéressant principalement à son alliance avec le mouvement populaire, c’est son soutien aux revendications les plus extrêmes des sans-culottes qui aurait provoqué la coalition européenne contre la République.

La stratégie des Montagnards consistait à mettre l’accent sur la contradiction entre les revendications des sans-culottes, liées aux difficultés économiques et l’implication des Girondins dans l’appareil militaire, qui les exposait considérablement (la trahison de Dumouriez fut pour eux un coup terrible). C’est ainsi que l’alliance entre la Montagne et les sans-culottes parisiens renvoie les Girondins au provincialisme et au modérantisme.


Echec tactique des Girondins


Le positionnement des Girondins évolue pour sa part de manière tout à fait opportuniste. Ils restent silencieux pendant les massacres de Septembre mais s’engagent ensuite pour organiser la répression contre leurs auteurs. Kersaint, voulant judiciariser un fait politique, « contribue à ouvrir la possibilité de la terreur ». Barbaroux propose que la Convention s’érige en cours de justice. Buzot fait décréter la peine de mort « contre qui proposerait de rétablir la royauté ». Lanjuinais, Guadet, Vergniaud, Barbaroux, Lasource participent à la pénalisation de la contre-révolution et ouvrent la voie à la suspension de l’immunité parlementaire. Birotteau et Isnard soutiennent la création du tribunal révolutionnaire.

Montagnards et Girondins ne sont donc guère différents, utilisant les armes radicales du combat politique, usage de la peur, de la diffamation, recours à l’exception, à l’effacement de la séparation des pouvoirs. S’appuyant sur leur alliance avec la sans-culotterie, les Montagnards soulignent les origines bourgeoises des Girondins. Une insurrection parisienne conduit au décret du 2 juin 1793 qui décrète d’arrestation les Girondins (29 députés et 2 ministres).


Une défense du régime représentatif contre-productive


Plus du tiers des départements protesteront contre cette atteinte au parlement qui engendrera des révoltes, présentées souvent comme une cause de l’arrestation des Girondins. S’opposent alors deux conceptions de la situation politique : les Jacobins pensent que les rivalités entre factions devraient être limitées pour tenir compte du contexte de guerre civile et de guerre extérieure ; les Girondins s’opposent à la conception de la souveraineté défendue par les Jacobins, pour qui le régime représentatif n’est pas le seul aspect de la Révolution.

Les révoltes départementales de juin-juillet 1793 ont échoué. Anne de Mathan observe à travers ces soulèvements plusieurs nuances de girondisme : un légalisme « progressiste » allant de la morale conservatrice antipopulaire à la contre révolution. Néanmoins, ces identifications idéologiques ne peuvent refléter la diversité des formes de la révolte « fédéraliste » et des catégories sociales qui les animent.


Les usages politiques des constructions mémorielles


L’accusation de fédéralisme a servi à justifier la politique du Comité de salut public, produisant de fait les catégories phantasmées de « Girondins » et de « fédéralistes ». Les survivants contribueront, en tant que Thermidoriens, à associer la terreur à la démocratie plus qu’au gouvernement révolutionnaire. Certains Girondins, comme Louvet, défendent le régime censitaire, d’autres le suffrage universel.

Selon Anne de Mathan, le fait de ne pas avoir rendu justice aux révoltes de l’été 1793 explique les clivages sur la souveraineté pendant le XIXe siècle. Nombreux sont les historiens de toutes tendances républicaines et néojacobines qui justifieront l’élimination des Girondins à la lumière des luttes du moment. Aussi, Jaurès et Aulard seront peu suivis dans leur recherche de la vérité, compte tenu des relations qu’entretenait alors le mouvement social avec l’héritage du jacobinisme. L’antagonisme entre Gironde et Montagne devient en effet une métaphore de la lutte des classes jusqu’aux années 1970. Au contraire, la pensée libérale, fondée par Mme de Staël, tente de souligner la modernité démocratique des Girondins pour dénoncer les dangers de l’absolutisme.

La référence aux Girondins sert aussi à appuyer le projet fédéral de Benjamin Constant ou fédéraliste municipaliste de Proudhon. Le « pacte girondin » proposé par Macron masque la politique de désinvestissement de l’Etat et fleure bon le populisme contre les élites parisiennes. Ainsi, pour Anne de Mathan, il n’est guère rendu justice aux combats républicains progressistes des Girondins, qui s’appuyaient sur la centralité législative. Il est décidément toujours nécessaire de déconstruire les usages mémoriels de l’histoire.
https://blogs.mediapart.fr/

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Lire Anne De Mathan, « Le fédéralisme girondin. Histoire d’un mythe national », Annales historiques de la Révolution française Nº393 3/2018, pp. 195-206, Armand Colin.

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