Therese Belivet
Nombre de messages : 213 Date d'inscription : 09/01/2019
| Sujet: Re: Marie-Antoinette par Cécile Berly Mer 23 Nov - 20:38 | |
| Interview de Cécile Berly sur Marie-Antoinette. Franchement, ça vaut la peine d'être lu, l'opinion de cette historienne sur la reine est vraiment intéressante. Elle voit en elle une femme intelligente et fine politique, ce qu'elle était en fait. "Icône culturelle, Marie-Antoinette échappe encore largement aux historiens", estime Cécile Berly- Alors qu'une nouvelle série lui est consacrée, celle qui était reine de France est aujourd'hui une "icône culturelle", analyse l'historienne Cécile Berly. Elle revient aussi sur les difficultés rencontrées par les historiens à travailler sur un personnage que "tout le monde s'approprie" sans cesse.
Des meubles de Marie-Antoinette - une commode et un fauteuil - sont vendus aux enchères, ce mardi 22 novembre, à Paris chez Christie's. Les ventes de ses affaires sont en général un succès : la curiosité est toujours très grande quand il s'agit de la reine de France, fille de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche et de François Ier, empereur du Saint-Empire, épouse de Louis XVI, emprisonnée lors de la Révolution, puis exécutée en 1793. Après de nombreux films, dont le célèbre "Marie-Antoinette", réalisé par Sofia Coppola (2006), ou dès les années 70 une production de l'ORTF, une nouvelle fiction, une série signée Deborah Davis, lui est consacrée sur Canal+. Preuve, s'il en fallait, qu'elle fascine encore aujourd'hui par sa modernité. Elle est une "icône culturelle", analyse Cécile Berly, autrice de plusieurs ouvrages sur Marie-Antoinette et de Guillotinées (février 2023, Passés composés). "Tout cet imaginaire autour du nom et de la figure de Marie-Antoinette sans cesse renouvelé, ça crée d'autant plus de difficultés pour pouvoir aborder sereinement et de façon non commerciale Marie-Antoinette", regrette cependant l'historienne, qui constate être encore loin de pouvoir "en faire un objet historique totalement dépassionné". "Pour les historiens, ça génère une forme de frustration", estime-t-elle.
Les meubles chez Christie's je sais qu'on en a parlé dans le forum mais je ne sais plus où. Désolée pour l'interruption, je continue l'interview de Cécile Berly sur France Culture. - Pourquoi nous fascine-t-elle encore aujourd'hui ?
Parmi tous les mots-clés qui définissent Marie-Antoinette et qui expliquent à la fois sa trajectoire dans la deuxième moitié du XVIIIᵉ siècle et sa trajectoire mémorielle depuis sa mort en 1793 jusqu'à aujourd'hui, c'est sa modernité. Cette modernité, quand on l'étudie de près dans la deuxième moitié du XVIIIᵉ siècle, est indiscutable. Même si je pense que Marie-Antoinette n'avait absolument pas conscience d'être une jeune fille, une jeune femme, puis une femme dans la tourmente révolutionnaire qui a fait œuvre d'une modernité, que ce soit évidemment dans son rapport à ses enfants, à leur éducation, dans son rapport au corps et dans sa liberté. Je sais que cela peut surprendre quand j'avance cela, mais Marie-Antoinette était une femme très attachée à la liberté, du moins à la sienne en tant qu'individu. Jusqu'à aujourd'hui, on ne cesse de la recréer, de se l'approprier, en premier lieu parce que c'est un miroir de nos émotions et de nos émotions les plus contemporaines, les plus modernes. Cette femme a été, qu'on le veuille ou non, d'un point de vue des sensibilités d'une modernité assez déconcertante avec nos propres sensibilités d'aujourd'hui et notre propre regard. Aujourd'hui, Marie-Antoinette représente avant tout beaucoup d'affects tous déroutants à étudier.
Il est assez fascinant de voir ce qu'elle suscite encore : évidemment l'idolâtrie qui l'entoure, mais aussi une forme de détestation. Marie-Antoinette reste, comme on dit en histoire, un objet chaud : avec tout ce qui l'entoure, il est très difficile de l'aborder en voulant la dépassionner, l'objectiver. Il y a énormément d'artistes, de créateurs qui, à un moment ou à un autre, vont croiser la route de Marie-Antoinette et vont à leur tour la renouveler. C'est aussi largement une source d'incompréhension pour nos contemporains et pour les historiens, parce qu'il faut quand même dire les choses : dans ces conditions, faire de Marie-Antoinette un objet simple, dépassionné d'histoire, est une véritable gageure pour l'historien, justement. Toutes ces actualités montrent à quel point Marie-Antoinette échappe encore aujourd'hui largement aux historiens et à leurs questionnements.
- Vous parliez de fascination et de détestation. La fascination vient-elle de l'étranger et la détestation n'est-elle pas plutôt française, encore aujourd'hui ?
Effectivement, Marie-Antoinette fascine aux quatre coins du monde, du moins du monde occidental. Quoique, parce que ces derniers mois, on s'est rendu compte que la Chine, par exemple, commençait à s'intéresser de très près à la figure de Marie-Antoinette. Au Japon, elle est une figure idolâtrée depuis maintenant plusieurs décennies. Je crois que la France et les Français commencent aussi à changer leur rapport avec Marie-Antoinette. J'ai quand même l'impression qu'une partie de l'opinion publique française commence à passer de la franche détestation à une forme de compréhension. On se rend compte en France que, mine de rien, Marie-Antoinette est une figure de la modernité et de la liberté au XVIIIᵉ siècle.
Que ce soit à l'échelle internationale ou à l'échelle française, si on s'intéresse autant à Marie-Antoinette, c'est aussi parce qu'elle est le XVIIIᵉ siècle. Il existe depuis quelques années une véritable fascination, qu'elle soit française ou à l'international, pour ce XVIIIᵉ siècle et en particulier pour le XVIIIᵉ siècle français. Marie-Antoinette devient absolument incontournable et on finit, à la fois pour des raisons très justes, mais pour d'autres aussi qui sont largement biaisées, par assimiler Marie-Antoinette et le XVIIIᵉ siècle.
- En quoi Marie-Antoinette était-elle une femme moderne, plus précisément ?
Elle passe évidemment par différentes facettes. Pour moi, l'une des premières, c'est que très tôt, à peine devenue adulte, elle va considérer qu'être reine, c'est avant tout être libre. Elle considère que son temps, ses espaces dans lesquels elle va évoluer, tout cela doit relever de décisions personnelles, de ses goûts. C'est un véritable laboratoire de ce que l'on appelle aujourd'hui l'intime. Elle va oser faire ce que quelques souverains, homme ou femme, avaient osé faire avant elle. Je pense évidemment en premier lieu à un roi comme Louis XV, c'est-à-dire oser s'affranchir d'un certain nombre de contraintes très clairement politiques qui étaient définies par l'étiquette 'à la cour de Versailles'. Marie-Antoinette est pour moi l'une des premières figures de l'histoire à expérimenter ce que l'on appelle l'intime aujourd'hui. Elle considère qu'une part de son emploi du temps, de sa personne, de ce qu'elle représente n'appartient pas à la politique, pas aux courtisans, mais n'appartient qu'à elle. C'est quelque chose qui lui a été reproché tout au long de son règne et qui, du point de vue de l'histoire, en fait justement une femme particulièrement moderne, c'est-à-dire ce rapport à son temps, à ses espaces de vie où très clairement, elle considère qu'elle a le droit et peut-être même le devoir de s'émanciper de toutes ces contraintes politiques.
- Comment expliquer que l'on arrive à s'identifier à elle aujourd'hui, elle qui a été reine de France ?
On s'aperçoit que certains de nos contemporains vont s'identifier à Marie-Antoinette d'une part parce qu'il y a ce sentiment de modernité et de liberté, mais aussi parce qu'elle a été, de façon tout à fait inconsciente, souvent dans une forme de transgression. Pensons, par exemple, à la façon dont elle a tenu à vivre ses grossesses, mais aussi sa maternité, aussi bien en tant que mère, mais aussi en tant qu'éducatrice. Elle a eu la volonté de jouer un rôle qui était tout à fait moderne pour son temps, même si, bien sûr, cela s'inscrivait dans des modes particulièrement philosophiques, d'un renouvellement de la condition des femmes et surtout de la condition des mères au XVIIIᵉ siècle. Marie-Antoinette est une femme qui va mourir très jeune dans sa 38ᵉ année, de façon tout à fait exemplaire. Il y a chez Marie-Antoinette des facettes antagonistes qui fascinent sans cesse et qu'on met en miroir. Elle a fait preuve de frivolité et de légèreté dans sa jeunesse, mais elle va aussi dans les dernières années de sa vie, les dernières années précédant la Révolution ainsi qu'en pleine Révolution, faire preuve de dignité, de courage, d'une certaine forme d'acuité politique, elle qui a été si conservatrice, pour ne pas dire tant réactionnaire et antirévolution. Tout cela crée une trajectoire inédite dans l'histoire de France. Elle fait partie de ces personnages auxquels on peut, dans une certaine mesure, s'identifier parce que c'est une destinée exemplaire, hors norme, extraordinaire.
- Marie-Antoinette défendait la monarchie, quoi qu'il en coûte. S'est-on suffisamment intéressé à cet aspect de sa vie ?
On ne parle pas suffisamment de tout ce que Marie-Antoinette a fait en tant qu'actrice de cette révolution et évidemment du côté de l'antirévolution. Quand on parle par exemple de ses correspondances, c'est toujours pour savoir si elle a entretenu une relation sentimentale physique avec le fameux Fersen. Non pas que tous ces côtés là ne sont pas intéressants ou qu'ils ne disent pas des choses intéressantes sur la trajectoire de Marie-Antoinette. Mais chaque jour, durant des années, elle passe des heures à écrire avec tout ce que cela impose, c'est-à-dire des heures de concentration, d'introspection, de réflexion. Comment construire ses lettres ? Comment argumenter ? Elle est obligée de développer des arguments qui étaient particulièrement bien ficelés parce que l'enjeu, c'était non seulement l'avenir de la monarchie française, mais l'avenir même de l'idée de monarchie en Europe. On n'insiste pas suffisamment sur ces heures là. On est très loin de la personne frivole, légère et de l'un des surnoms qu'on lui a souvent donné, la fameuse 'tête à vent'. Non, c'est une femme qui était particulièrement réfléchie. Si pendant longtemps, la politique ne l'a pas intéressée, elle a bien été forcée de s'y intéresser parce que l'enjeu était d'ordre vital. Marie-Antoinette, qui faisait l'objet d'une surveillance quasi constante, le jour ou la nuit, a fait partie de ces figures qui depuis Versailles puis Paris ont beaucoup œuvré. Elle a dépensé une énergie absolument folle pour sauver à tout prix cette monarchie, c'est-à-dire le pouvoir du roi, son époux, mais aussi le pouvoir de son fils, le dauphin.
De tous ces rapports de force qui existent entre Marie-Antoinette et la Révolution, je crois qu'on n'a pas suffisamment écrit, on ne les a pas suffisamment étudiés. Marie-Antoinette est vraiment ce que l'on peut appeler une jusqu'au-boutiste. Elle a un point de vue politique qui est le sien. Évidemment, elle ne peut pas et ne veut pas comprendre cette Révolution qui est en marche. Mais elle va tout faire, dans la mesure de ses moyens, pour aller jusqu'au bout, pour défendre cette monarchie absolue qui était à ses yeux le seul régime politique légal et légitime. Maintenant, il faudrait rentrer dans un autre temps historiographique quand on travaille sur Marie-Antoinette : travailler sur toute cette énergie, ces temps d'écriture, de réflexion, de construction cérébrale, presque intellectuelle qu'elle a vraiment mis au service de la cause de la monarchie. Et là, cela montre une femme beaucoup plus profonde, plus réfléchie, une femme qui avait presque une envergure politique pendant la Révolution, mais aussi dans les années qui l'ont précédé. Je pense que l'un des tournants essentiels dans la vie de cette femme, c'est la fameuse affaire du collier, c'est-à-dire les années 1785-1786. Là, elle va comprendre que non seulement elle est profondément détestée, haïe, mais qu'il y a un véritable décalage entre ce qu'elle représente avec son époux Louis XVI et le reste du royaume. Ce sont des années très difficiles pour elle et Louis XVI.
- Vous parliez des nombreuses fictions qui lui sont consacrées. Que pensez-vous de la multiplication de ces objets culturels et de la perception de Marie-Antoinette presque comme un personnage de la pop culture, aujourd'hui ?
Très clairement, Marie-Antoinette est devenue une icône culturelle. On peut considérer, si on y réfléchit bien, que Marie-Antoinette a probablement été, chemin faisant, la première icône culturelle. Maintenant, il va falloir poser les vraies questions, les vraies problématiques. Il va falloir problématiser Marie-Antoinette dans son temps, c'est-à-dire dans la deuxième moitié du XVIIIᵉ siècle et évidemment au cœur de la Révolution. Et ça va être probablement une tâche assez difficile parce qu'il y a encore un certain nombre de fictions, et on sait tout le poids que peut avoir une fiction, au cinéma ou à la télévision, sur l'histoire et sur les questionnements que l'on peut poser aux archives et à un personnage. Marie-Antoinette, ce n'est pas pour demain, si j'ose dire, qu'elle va devenir un objet historique totalement dépassionné, loin de là. C'est aussi de l'ordre de la responsabilité de l'historien de ne plus alimenter seulement les passions et les images, tout cet imaginaire. On pourrait aussi parler de tous ces livres, ces livres illustrés, ces livres destinés à la jeunesse... Il va falloir évidemment à la fois prendre en compte toutes ces productions artistiques essentiellement faites d'images pour essayer d'aller au cœur de l'histoire de Marie-Antoinette et de ce XVIIIᵉ siècle. Et de donner à Marie-Antoinette toute la place qu'elle mérite dans cette étude précise, rigoureuse, de l'histoire du XVIIIe.
Je ne pense pas qu'on soit encore arrivé à cette nouvelle ère historiographique, tout simplement parce que tout le monde se l'approprie. Que ce soient des cinéastes, que ce soit la fiction audiovisuelle, que ce soient les illustrateurs, les pâtissiers, les parfumeurs, les stylistes, les grands couturiers, bref, Marie-Antoinette, renaît sans cesse. Je trouve même que ces dernières années, ce phénomène culturel s'accélère. Quand on a monté, sous la direction d'Antoine de Baecque à la Conciergerie, cette très belle exposition qui avait pour titre Marie-Antoinette, métamorphoses d'une image, on s'est bien rendu compte de ce que pouvait représenter le poids de l'histoire et du travail de l'historien par rapport à tous ces objets marketing, par rapport à toutes ces images sans cesse créées, recréées. Il est effectivement très difficile pour l'historien de faire face à cette culture devenue populaire. Ce n'est pas forcément que pour de mauvaises raisons, parce que ça peut être aussi très intéressant d'écrire sur Marie-Antoinette d'un point de vue plus fictionnel. Ce qui est certain, c'est que cela pose de vraies questions à l'historien, à ses méthodes de travail et à ce qu'il peut faire de Marie-Antoinette. C'est pour cette raison que pendant longtemps, j'ai travaillé avec d'autres sur les idées reçues, sur l'image de Marie-Antoinette, parce qu'il s'agissait aussi quelque part de mettre tout à plat pour essayer de repartir sur de nouvelles bases et de faire de Marie-Antoinette véritablement un objet d'histoire, et non pas seulement une figure de l'histoire appartenant à la pop culture.
- Pourquoi dites-vous que cela s'accélère ? L'explication est-elle seulement financière ?
Il va sans dire que tout ce qui est créé à partir de Marie-Antoinette et qui fait d'elle une icône culturelle rapporte globalement beaucoup d'argent. Je pense particulièrement à la série écrite ces derniers temps. On sait très bien, qui plus est quand on présente les choses de façon en partie biaisée, que cela va générer de l'argent. On le voit d'ailleurs à d'autres échelles : quand on va au château de Versailles, dans tous les points de vente et à la librairie, ce qui se vend le plus, c'est là où il y a l'image de Marie-Antoinette. Ce ne sont pas forcément les livres, cela va être son image et toutes les déclinaisons : les gommes, les savons, le thé, les chocolats.
Avec le nom ou le chiffre de Marie-Antoinette, c'est-à-dire ses initiales sur des produits marketing, on sait très bien qu'on est assuré de belles ventes. Pour les historiens, cela génère une forme de frustration. Tout cet imaginaire autour du nom et de la figure de Marie-Antoinette sans cesse renouvelée crée d'autant plus de difficultés pour pouvoir aborder sereinement et de façon non commerciale Marie-Antoinette.
N'est-ce pas ? Un point de vue dépassionné et objectif, qui s'attache à toutes les facettes intéressantes de Marie-Antoinette, la reine, la femme charitable, la femme politique. Autre chose que les pseudo-historiens qui perdent leur temps à se demander à longueur de livres si elle a couché avec Fersen ! L'article est ici https://www.radiofrance.fr/franceculture/icone-culturelle-marie-antoinette-echappe-encore-largement-aux-historiens-estime-cecile-berly-9912732 Je vous le conseille. On peut aussi écouter. _________________ Those words were somehow future, and this was present.
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