Le repas du RoiA l'instar des autres grands moments de la vie quotidienne du souverain, les repas sont extrêmement ritualisés
De nombreux règlements de dizaines d'articles, hérités des grands règlements d'Henri III, ont ainsi été édictés pour préciser:
"l'ordre que le Roi veut être observé à ces occasions"
L'un des plus célèbres reste l'ordonnance du Grand Maître de la Maison du Roi, datée de ce 7 janvier 1681 et qui précise le cérémonial
Des formes bien codifiées s'offrent au Roi, suivant les circonstances
Concrètement, il y a deux possibilités: le repas pris en public et le repas pris en particulier, chacun desquels peut pourtant à nouveau se décliner
Les États de la France, ces petits recueils qui paraissent irrégulièrement depuis le début des années 1660 et qui répertorient non seulement le nom des différents officiers au service du roi, mais qui surtout décrivent scrupuleusement sa journée, évoquent ainsi:
"l'ordre du dîner du Roy quand il mange en public": "lorsque le Roy mange dans sa chambre ou dans son Salon à son petit couvert", "lorsque le Roy donne à manger en particulier aux Princesses et aux Dames au retour de chasses" etc.
A Versailles, le Roi mange toujours en public, aussi bien à son dîner (actuel déjeuner) qu'à son souper (actuel dîner)
La grande solennité de ces repas est signifiée par la présence de la nef, véritable emblème de la puissance souveraine que chaque courtisan doit saluer
Cette pièce d'orfèvrerie à la forme d'un vaisseau et referme les serviettes dont doit user le roi
installé initialement sur la table du souverain, elle la quitte assez rapidement pour la salle des gardes: il n'y a plus assez de place pour toute la famille royale!
Le caractère majestueux de ce repas, dit au "grand couvert", dure jusqu'à la mort de la dauphine Bavière en 1690
N'est convié à ce repas que le cercle étroit de la famille royale, c'est-à-dire les fils et filles de France, les petits-fils et petites-filles de France (Louis XIV autorise toutefois parfois ses filles légitimées à y participer pour ne pas avoir à manger seul alors que son frère et sa belle-sœur se trouvent à Paris ou à Saint-Cloud)
Le service se fait indifféremment chez le Roi ou chez la Reine, ce qui entraîne quelque bizarreries
Ainsi, chaque convive placé du côté de la Reine (ou de la dauphine) mange des plats apprêtés par la Bouche de la souveraine et est servi par ses officiers; la réciproque se fait pour les convives installés du côté du Roi où s'affairent les officiers de Louis XIV
Après la mort de la Dauphin, apparaît par opposition la notion de "petit couvert", repas toujours pris en public, mais avec moins d'apparat
Le "grand couvert" est désormais réservé pour le souper (que le Roi prend dans sa première antichambre, dite "antichambre du grand couvert" tandis que louis XIV dîne seul à son "petit couvert" dans sa chambre
Entre la mort de sa belle-fille en 1690 et le mariage de son petit-fils le duc de Bourgogne avec la princesse de Savoie en 1697, Louis XIV a pris l'habitude, qu'il conserve jusqu'à sa mort, de prendre son souper au grand couvert dans cette pièce
il ne mange donc plus dans l'appartement de la reine du petit couvert, il n'y a ni nef ni cadenas (sorte de petit coffre de métal précieux dans lequel se trouve le couvert du Roi), et le maître d'hôtel ne porte pas le bâton de commandement pour orchestrer le service
Le Roi servi directement par son Grand chambellan ou, le cas échéant, par son Premier gentilhomme de la chambre en année, qui prend les plats directement des mains des officiers de la Bouche du Roi
Parmi tous les officiers en charge du département de la Bouche du Roi, quelques-uns seulement sont à même d'accéder au souverain
Seuls les chefs du Gobelet, les écuyers ordinaires et l'huissier de salle semblent participer au service du Grand et du Petit couverts du Roi
Et encore n'interviennent-ils que très ponctuellement et dans des charges évidemment serviles
Avant l'arrivée du Roi, c'est aux officiers du Gobelet de préparer la table du prêt pour faire l'essai devant un gentilhomme servant: il s'agit notamment de frotter les couverts du Roi avec de la mie de pain qu'un chef du Gobelet doit manger pour montrer que les ustensiles dont son service a la charge ne sont point empoisonnés
Les officiers du Gobelet préparent ensuite la table royale qu'achève de dresser un gentilhomme servant
Finalement, l'ordre est donné pour le début du repas et l'huissier de salle frappe de sa baguette la salle des gardes du roi en annonçant:
"Messieurs, à la viande du Roy" avant de se rendre à nouveau à l'Office-bouche où se met en route un important cortège
D'après un extrait de l'ordonnance du 7 janvier 1681, article 26:
"La viande de Sa Majesté sera portée en cet ordre
Deux de ses gardes marcheront les premiers, ensuite l'Huissier de Salle, le Maître d'Hôtel avec son bâton, le Gentilhomme-Servant-Panetier, le Contrôleur-Général, le Contrôleur Clerc d'Office et autres qui porteront la viande, l'Ecuïer de Cuisine et le Garde-Vaisselle: et derrière eux, deux autres Gardes de Sa Majesté qui ne laisseront approcher personne de la viande
Et les Officiers ci-dessus nommez avec un Gentilhomme Servant seulement retourneront à la viande à tous les services"
Les officiers ont quitté le rez-de-chaussée de l'aile du Midi et ainsi, portant le cortège de la "viande" du Roi à couvert, ils empruntent l'escalier des Princes qui débouche sur la salle des Marchands (actuelle salle de 1792) et traversent la grande salle des Gardes (actuelle salle du Sacre) avant d'aller, au choix, chez la reine ou chez le Roi
Le trajet ne dure pas plus de cinq minutes
ils ont néanmoins dû se frayer un chemin au milieu de la foule qui se presse pour voir manger le Roi, accompagné ou non de sa famille
Tous les courtisans "connus", ou qui ont pu être présentés, sont autorisés à contempler ce spectacle
L'ensemble des assistants est debout, à l'exception de quelques dames titrées qui ont droit au tabouret, c'est-à-dire un "ployant" (pliant en forme de X"
Désormais, c'est aux officiers de la Bouche les plus importants et déjà présents sur place, le Grand Maître et le Premier maître d'hôtel en premier lieu, que reviennent les tâches les plus nobles de parade
Et le repas est rondement mené par le maître d’hôtel de jour qui dirige toutes les opérations le bâton à la main, signe de son commandement
Lors de ces repas du soir et au moment du souper au grand couvert, on retrouve toute la pompe versaillaise
Défilent en effet sur la table les cinq services, fort copieux
En premier lieu se présentent les oilles (c'est-à-dire les soupes et les potages), puis viennent les entrées, les rôts (pièces de viandes rôties), les entremets qui, comme l'indique l'étymologie, correspondent à des plats entre deux mets et, enfin, le fruit qui n'est autre qu'un dessert (souvent des confitures sèches qui ressemblent à des pâtes de fruits actuelles)
Le Roi est connu pour sa gourmandise et, lorsqu'il aime quelque chose, il n'est pas rare qu'il en mange jusqu'à n'en plus pouvoir!
"Le roi, feu Monsieur, Mgr le Dauphin et M. le duc de Berri étaient de grand mangeurs. J'ai vu souvent le roi (Louis XIV) manger quatre pleines assiettes de soupes diverses, un faisan entier, une perdrix, une grande assiette de salades, deux grandes tranches de jambon, du mouton au jus et à l'ail, une assiette de pâtisserie et puis encore du fruit et des œufs durs"
Ce sont par ces mots sans ambiguïté que s'exprime la princesse Palatine dans une lettre du 5 décembre 1718
Le régime du Roi, respectant le service à la française, est riche et conduit inévitablement à des douleurs souvent mentionnées dans son Journal de santé
Ainsi en 1682, son premier médecin d'Aquin note-t-il que le mal d'estomac provient "de trop grande quantité d'aliments que le roi prend à son souper"
Mais le cérémonial imposé à la Cour que Louis XIV respecte scrupuleusement, ne peut qu'accentuer les risques
Parmi ses plats préférés, on peut mentionner les petits pois que lui présente à sa table son premier valet de chambre Alexandre Bontemps en 1663
C'est le célèbre limonadier de Paris Audiger qui en rapportait de Gênes
A plusieurs endroits de sa correspondance, la princesse Palatine évoque l'ambiance qui règne à ces repas
"Chacun avale son affaire sans dire une parole comme dans un couvent; tout au plus dit-on un couple de mots dits tout bas à son voisin"
(lettre du 3 février 1707)
Elle émet même l'hypothèse que le Roi se lance souvent un défi en se promettant de ne pas dépasser tel nombre de mots (Nulle part il n'y a de conversation... Monseigneur cause fort peu, aussi bien que le roi. Je crois que celui-ci compte les mots et a résolu de ne jamais dépasser un certain chiffre" (Lettre du 5 février 1711), ce qui rend terriblement ennuyeux ce cérémonial
Parfois, quelques évènements viennent pourtant briser cette monotonie
Il en est ainsi en 1691 lorsque vient s'écraser sur la table du Roi un lourd paquet qui manque de faire tomber le chapeau de Louis XIV
Une autre forme qui s'offre au souverain: le repas pris en particulier
L'étiquette des repas est assouplie mais encore bien codifiée lors des retours de chasse puisque le Grand maître, le Premier maître d'hôtel ou encore le contrôleur général servent directement le Roi
il faut remonter aux premiers séjours à Versailles pour trouver de véritables repas pris en particulier
louis XIV profite régulièrement des longues soirées dans ses jardins et ne dîne parfois qu'après minuit avec ses ma^tresses et fait ce qu'on appelle "médianoche"
Le cérémonial est rompu et le repas, pris à l'extérieur ou dans des cabinets, n'accepte que le personnel de service strictement nécessaire
Cet aspect se retourne lors des voyages de Marly où seules les dames sont nommées mais où leurs maris peuvent évidemment les suivre
Elles eu ont préalablement fait la requête lors du grand couvert, tandis que le hommes doivent en faire une demande plus formelle
Lors de ces séjours, Louyis XIV s'affranchit quelque peu de l'étiquette et mange chaque jour avec les dames
Hors les invités, l'étroitesse des lieux empêche que tout le service suive et seuls les domestiques indispensables sont conviés
Ainsi, au début de cette résidence, les tables ne dépendent pas de la Bouche du Roi mais directement de son intendant Bontemps qui en assure le service
Mais, à son tour, cette résidence devient trop coûteuse au souverain qui soulage alors son Premier valet de chambre de cette charge supplémentaire
La dépossession se fait en plusieurs étapes entre 1688 et 1693
Par la suite, pour éviter les critiques grandissantes sur le luxe débordant de Marly alors que la France est engagée dans la guerre de Succession d'Espagne, les tables sont à nouveau réduites et Louis XIV décide en 1710 qu'il n'y dînera plus qu'à une table de seize couverts avec sa famille, le surplus des places étant réservé pour les dames nommées le matin même
Il y a encore quelques autres tables pour les princes et princesses accompagnés de leurs invités si bien que ces réformes successives se révèlent inutiles et la dépense est toujours aussi importante
Il a en effet aussi fallu y installer, comme à Versailles, des cuisines pour les officiers du commun qui désormais suivent également