Le décès de Karl Lagerfeld est l'occasion de ressortir de beaux entretiens.
En décembre 2010, Karl immortalisait la sublime Vanessa dans le décor somptueux de Versailles.
C'est à tomber, les photos et l'entretien croisé est très émouvant.
- Attention, ce qui suit est un entretien d'époque !
Vanessa Paradis : “Si Versailles m'était chanté"Un entretien avec Ghislain Loustalot
La princesse de la chanson française a posé sa voix chez le Roi-Soleil. Vanessa Paradis a enregistré ses tubes, de « Joe le taxi » à « Divinidylle », et quelques pépites plus discrètes. Un concert acoustique exceptionnel à l’Opéra du château qui s’incarne dans « Une nuit à Versailles ». Un CD, un DVD et un coffret luxe viennent de sortir. L’occasion pour Vanessa de s’épanouir devant l’objectif de son ami Karl Largerfeld. Il la révèle sous toutes ses facettes : l’ingénue et la femme fatale, la popstar et l’actrice, l’amoureuse et la mère de famille. Car, à 37 ans, Vanessa entend tout concilier : le cinéma (elle tourne « Café de Flore » de Jean-Marc Vallée), la chanson (elle partira en tournée début 2011), ses passions et sa famille. Dans un dialogue avec Karl Lagerfeld organisé par Paris Match, elle se confie : l’amitié, la jeunesse, l’amour et... son prochain rôle au côté de Johnny Depp.
Paris Match. A propos de Vanessa, vous avez déclaré : “Je n’aime pas dire que nous sommes amis, ça ne regarde que nous.” Une question de pudeur ?
Karl. Je ne suis pas pour l’étalage public des sentiments. Je ne sais plus dans quel roman une dame déclare: “Si je vous aime, ça ne vous regarde pas.” Elle a raison.
Vanessa. Nous ne nous disons rien à ce propos, les occasions manquent peut-être, nous ne partageons pas non plus de quotidien.
Vous vous connaissez depuis près de vingt ans mais le vouvoiement est toujours de rigueur entre vous. Pourquoi ?
Vanessa. Je respecte le désir de Karl, mais c’est un vous qui ne met pas de distance entre nous.
Karl. J’ai horreur de la familiarité, surtout avec ceux que j’aime. C’est un signe d’indifférence.
Comment qualifier vos relations alors ?
Karl. J’aime travailler avec des gens qui ne dépendent pas des autres, qui ont leur propre vie. La sienne est particulièrement réussie, elle ne vous envahit jamais de ses problèmes. Vanessa n’est pas une tapeuse de pied hystérique.
Vanessa. Je suis comme tout le monde, polie et gentille quand on l’est avec moi. Pour le reste, disons que j’ai tellement de chance que je ne vois pas de quel droit je parlerais de mes petits soucis.
- “J’aime regarder en arrière, me remémorer les amis qu’on a aimés, qui vous manquent”
Vanessa a chanté à l’Opéra royal du château de Versailles et puis vous avez réalisé cette série de photos sur place. Comment cela s’est-il déroulé ?
Vanessa. J’avais hâte de le retrouver pour travailler. Je me fais toujours une joie de ces rencontres. Mais je connaissais moins bien le lieu que vous.
Karl. A Versailles, je pourrais servir de guide un jour de grève des gardiens!
Vanessa. Grâce à vous, je me suis changée dans la chambre de Marie-Antoinette, j’ai joué quelques notes sur sa harpe, le vent a soufflé dans ma robe le long des jardins où elle se promenait, j’ai pénétré dans le temple de l’Amour et je me suis retrouvée dans les bras d’un ange...
Vanessa, comment pourriez-vous définir Karl ?
Vanessa. Il a trois cents millions d’activités mais il n’est jamais fatigué, sans cesse disponible. Il a toujours des choses intéressantes à dire et il a souvent raison. Ce que j’admire le plus chez lui, c’est l’alliance du génie et de la bonté, mais ça me gêne de dire ça devant vous Karl.
Karl. Je me bouche les oreilles, allez-y.
Vanessa. C’est une belle personne et il est très facile de le vérifier en parlant avec ses couturières. Elles n’ont que des mots d’amour pour lui.
C’est naturel chez vous, Karl ?
Karl. Avec les femmes, oui. J’aime moins travailler avec des mecs. J’ai eu de nombreux assistants qui ont fini par croire qu’ils étaient dix fois plus géniaux que moi, mais aucun n’a réussi. A part Hervé Léger, les autres sont tous des nuls dont la tête a subitement gonflé. Moi, je dégonfle la mienne tous les matins.
Comment voyez-vous Vanessa ?
Karl. Elle ne se prend pas pour une star. Autour d’elle on ne sent pas les bodyguards qui donnent méchamment des coups de pied à ceux qui tentent de l’approcher.
Vanessa. Mais je suis comme vous, j’aime les gens, j’ai envie de parler avec eux, besoin d’apprendre d’eux. Nous sommes peut-être trop pudiques pour dire certaines choses.
Karl. J’ai horreur de l’impudeur. Que les gens montrent leur cul ne me gêne pas. S’ils exposent leurs sentiments, cela me choque. Heureusement, Vanessa, vous ne le faites jamais.
Finalement, Vanessa, vous exercez combien de métiers ? Actrice, chanteuse et maintenant égérie d’une marque...
Vanessa. Oui, j’ai l’impression de participer à la mode de manière créative. Cela me nourrit artistiquement. Ce n’est pas le luxe qui m’impressionne mais l’artisanat, la passion, le respect, la gentillesse de cette maison. Être une Chanel’s girl m’a toujours plu. J’en suis fière.
Original, est-ce un mot qui peut vous caractériser tous les deux ? Et dilettante ?
Karl. Dilettante, j’adore! Il y a une légèreté très agréable dans ce mot qui signifie que nous créons en nous amusant. Nous ne sommes pas marqués du label “labeur”. Original, oui, aussi. Je sais que je ne ressemble à personne d’autre.
Vanessa. J’aime avoir le sentiment d’être originale. Ma réponse ne va pas vous plaire: j’ai l’impression que nous le sommes tous.
Karl. Ah! vous êtes effectivement très optimiste. Mais je n’ai encore jamais croisé une deuxième Vanessa Paradis, donc vous êtes originale, ma chère.
Le concert de Vanessa à Versailles est un mélange de sons bruts, primitifs et de grande sophistication. L’avez-vous ressenti de cette façon ?
Vanessa. Il y a 18 mètres de vide et de bois sous la scène. Les vibrations des cordes vocales mêlées à celles des instruments vous envahissent des pieds à la tête.
Karl. Versailles est parfait pour ça. L’époque de Louis XIV était encore assez brutale et sauvage. Le concert de Vanessa était chaleureux, chaud et intimiste, comme ça devait l’être du temps où Lully donnait des représentations d’“Atys”, l’opéra préféré du roi.
Matthieu Chedid dit de Vanessa qu’elle est une icône, comme Brigitte Bardot l’était. Pourriez-vous nous expliquer, monsieur Lagerfeld, ce qu’est une icône ?
Karl. C’est un truc ridicule qu’on trouve dans les églises grecques orthodoxes ou russes. Sérieusement: égérie, icône, muse sont des mots employés à toutes les sauces. La déviation étymologique est très dangereuse.
“Un sourire puis un soupir, elle fredonne une chanson ni triste ni gaie”, c’est ainsi que vous chantez Marilyn Monroe, dont vous possédez une paire de chaussures. Est-elle une icône pour vous, Vanessa ?
Vanessa. Le fait de vous entendre prononcer son nom me fait chavirer. Elle avait une voix incroyable et j’ai adoré la plupart des films dans lesquels elle a joué. J’ai eu la chance d’aller écouter Anna [Mouglalis, autre inspiratrice de la maison Chanel] lire les poèmes et les écrits intimes de Marilyn édités sous le titre “Fragments”. Ce livre montre à quel point elle était intelligente, profonde, cultivée.
- “Je me suis changée dans la chambre de Marie-Antoinette, j’ai joué quelques notes sur sa harpe” (Vanessa)
Vanessa, vous dites que le cinéma vous met en vacances de votre personnalité et que vos chansons n’ont jamais rien d’autobiographique. Où êtes-vous dans tout cela ?
Vanessa. Je suis partout, mais il s’agit de mon intimité la plus profonde, donc ne comptez pas que je vous raconte quoi que ce soit. Je dis tellement de moi dans ce que j’exprime sur scène, dans les photos ou au cinéma.
Karl. Ce qui est fondamental avec Vanessa, ce n’est pas ce qu’elle fait mais comment elle le fait. Elle pourrait délivrer de l’émotion en chantant le Bottin.
Est-ce qu’une chanson est un rôle ?
Vanessa. Ça dépend des jours, de ce qui vous entoure, de votre état d’esprit.
Karl. Mais garder tous les textes en tête, comment faites-vous? Je ne pourrais pas, je suis tellement distrait.
Vanessa. En concert, parfois j’oublie quelques mots et je fais comme si de rien n’était. D’autres fois, comme sur la chanson de Charles Aznavour, “Emmenez-moi”, qui est très difficile, il m’est arrivé de me planter vraiment, de m’arrêter et d’en rire avec les gens, finalement très contents d’être complices.
Karl. Vous avez chanté de l’Aznavour ou avec Aznavour ?
Vanessa. Les deux. J’ai eu la chance d’interpréter avec lui “Au creux de mon épaule” au creux de son épaule.
Karl. Incroyable! Quand j’ai eu ma première voiture, une Volkswagen décapotable, la première chanson que j’ai écoutée sur l’autoradio était “Au creux de mon épaule”.
Vanessa, vous avez déclaré : “J’ai tellement de gratitude envers les mauvaises langues, elles ont forgé mon caractère.” Aucune rancœur ?
Vanessa. Je n’ai pas envie de perdre du temps avec ça. J’ai commencé à être un personnage public à 14 ans et ces mauvaises langues m’ont réellement rendu service. Je ne me suis pas présentée du mieux qu’il fallait, mais on n’a pas été très tendre avec moi non plus. Mes parents m’ont protégée par leur amour.
Karl. Je ne suis pas du genre à tendre l’autre joue. Je peux également être très dur. Et j’ai une patience d’ange en ce qui concerne la vengeance. Je peux tirer une chaise vingt ans après si on m’a fait une vacherie. Mais, parfois, j’oublie, par indifférence.
Avez-vous l’impression de vivre dans un monde respectueux des gens ?
Karl. Je me sens protégé, pas exposé à la vilenie du monde. La réalité, je sais à peine ce que c’est et j’ai presque envie de m’en excuser. Cela fait partie de nos privilèges.
Vanessa. Nous sommes préservés mais je ne me sens pas enfermée dans une bulle. Mère de deux enfants, je suis obligée d’être confrontée quotidiennement à la réalité, c’est une grande différence entre nous. On est forcément plus inquiet pour ses enfants que pour soi-même.
Karl. Je crois que je serais le pire des pères parce que je reproduirais ce qu’on a fait avec moi, c’est-à-dire que je laisserais à mes enfants une liberté totale.
Vanessa. Mais vous êtes d’une telle gentillesse... Je suis sûre que vous seriez un bon père.
Vous ne trouvez pas incroyable de voir Vanessa depuis si longtemps et de se dire qu’elle n’a que 38 ans ?
Vanessa. Elle ne les a pas encore. Attendez le 22 décembre !
Karl. Elle ne les fait pas. Pour moi, elle symbolise la jeunesse et une jeunesse pas traficotée.
L’apparence de jeunesse, est-ce important pour vous ?
Karl. Ça se passe dans la tête. Le jeunisme, une obsession de notre époque, est devenu une surenchère créée, inventée par des gens d’âge moyen qui veulent emmerder ceux qui sont plus âgés.
Vanessa. La jeunesse, c’est une question d’énergie.
Karl. Et d’esprit. On ne doit jamais comparer ce que l’on vit avec un passé plus ou moins lointain. On me bassine parfois avec le bon vieux temps. Je dis: “Si c’est un vieux temps, je ne m’en souviens pas.”
Vanessa. Curieusement, j’aime regarder en arrière. Me remémorer les moments de bonheur, les amis qu’on a aimés, qui vous manquent.
Quelle est votre définition de l’amour?
Vanessa. Oh, là, là! C’est quelque chose de naturel, qui se travaille un peu quand même.
Karl. Pour ne pas tomber dans la routine et le sordide, ce qui arrive souvent. C’est pour cela que le seul amour auquel je crois est l’amour d’une femme pour ses enfants. Je me défie de l’amour paternel. Je suis pour le matriarcat. Ma mère me disait: “Les hommes ne sont pas importants, on peut se faire faire un enfant par n’importe lequel d’entre eux.” Cela explique peut-être ma vision des choses.
Vanessa. C’est l’amour auquel vous croyez, et je le respecte totalement. Mais j’ai reçu beaucoup d’amour de mon père, qui était totalement différent de celui donné par ma mère et qui reste primordial dans mon équilibre. Et puis, je vois l’amour que porte Johnny à ses enfants. La manière est différente, mais il y a la même dévotion.
Karl, aviez-vous des relations difficiles avec votre père ?
Karl. Né en 1880, il était d’un autre temps, d’une autre planète presque. Mais il était adorable, plus gentil que ma mère mais moins drôle. Il me disait: “Tu peux me demander ce que tu veux mais pas devant ta mère.” Parce qu’elle se moquait de sa faiblesse. J’ai tenu des carnets intimes qu’elle a lus et jetés en me disant: “Est-ce bien indispensable que le monde sache que tu étais aussi con?”
Vanessa, où en est le projet “My American Lover”, film dans lequel vous devez jouer pour la première fois avec Johnny Depp ?
Vanessa. Le scénario n’est pas terminé. Enfin, nous ne sommes pas encore satisfaits des versions proposées. Après, entre l’emploi du temps de Johnny et le mien, il va falloir jongler. L’expérience nous attire et nous effraie. Me retrouver en face de lui, jouer, mentir me paraît encore difficile. En même temps, cela pourrait nous permettre de passer du temps ensemble en travaillant, mais je ne sais pas du tout si je serais capable d’être à la hauteur. Par contre, j’adore quand il me dirige, ce qu’il a fait pour quatre de mes clips. Ce qu’il réalise est tellement riche d’idées, d’images, de sens.
Karl. Quel genre de femme aimeriez-vous jouer face à Johnny? Parce que là, on n’est pas à la maison, il faut trouver autre chose.
Vanessa. Il serait plus simple pour moi de tenir le rôle de sa sœur ou de sa concierge. Nous n’avons pas cherché à ce que je joue son amoureuse, le sujet est arrivé comme ça et nous a séduits. Et puis, c’est aussi ce qui fait rêver les gens.
Vanessa Paradis par Karl Lagerfeld, en couverture de Paris Match n° 3212, 9 décembre 2010.
«Une nuit à Versailles» le coffret CD/DVD, éd. Universal Barclay
Vanessa Paradis est habillée en Chanel haute couture.
Crédits photos
Karl Lagerfeld / Paris Match
Référence article https://www.parismatch.com/
Deux être magnifiques !