Série radiophonique sur Casanova
Cette première émission s'intéresse à la vie trépidante du voyageur et aventurier vénitien, né en 1725 et mort en 1798.
Portrait de Casanova dans les années 1750, peint par son frère Francesco Giuseppe. Maxime Rovère est philosophe et enseigne la philosophie à l'Université de Rio de Janeiro. Il est écrivain, et notamment auteur de la biographie Casanova, parue chez Gallimard dans la collection Folio en 2011.
Comment écrire la vie de quelqu'un qui a lui-même écrit la sienne ? Peut-on se fier à la narration de Casanova ? C'est ce que nous nous demandons avec notre invité, puisque Casanova est avant tout un joueur qui relie par le fil du récit les épisodes rocambolesques de sa vie. Amoureux du vin, de la gastronomie, de l'amour, avide de projets en tous genres, le grand séducteur conquiert aussi son lecteur.
Né à Venise le 2 avril 1725, les parents de Casanova sont comédiens et il est élevé par sa grand-mère. Autour du cercle familial gravite aussi le poète libertin scandaleux Baffo. Souvent malade, on l'emmène chez une sorcière-guérisseuse sur l'île de Murano, dans la lagune de Venise, pour faire cesser ses saignements de nez : il date de cet épisode son premier souvenir marquant, à un peu plus de huit ans. On le destine à une carrière ecclésiastique - il fréquentera de fait de nombreuses personnalités religieuses au cours de sa vie - mais il apprend le droit et même des rudiments de médecine. Il voyage beaucoup, mais retourne souvent à Venise. En France, il rencontre les acteurs du siècle des Lumières et de son libertinage de moeurs et d'esprit : Rousseau, Voltaire, ou encore la marquise d'Urgé, passionnée d'occultisme à qui il jouera des mauvais tours.
Si Casanova rencontre les esprits les plus éclairés de son temps - par exemple Lorenzo Da Ponte, le librettiste de Mozart, il se distingue aussi par ses régulières arrestations. Il est ainsi emprisonné aux Piombi, la célèbre prison de Venise dont on disait que l'on ne s'en échappait jamais. Il fait le récit de son évasion dans une cinquantaine de pages spectaculaires et rocambolesques dans ses mémoires, après plus d'un an passé sous la chaleur suffocante ou le froid glaçant des plombs. En amour également, l'érotisme et la tendresse se mêle à la violence et au viol. Devenu un personnage mythique célèbre pour ses conquêtes amoureuses de son vivant, il meurt assez délaissé puisqu'il occupe à la fin de sa vie un poste de bibliothécaire auprès du Comte de Waldstein, dans son château de Dux en Bohême. Moins de dix ans avant sa mort en 1898, il y consacre la rédaction de ses mémoires,
Histoire de ma vie.
https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/giacomo-casanova-14-sabandonner-au-destin
Les célèbres et abondants mémoires de Casanova, écrits en français parus sous le titre "Histoire de ma vie", constituent une œuvre sans égale dans la littérature. Rédigés à la fin de la vie de Casanova, ils ont paru à titre posthume et ont été rapidement censurés.
Portrait de Casanova tenant un livre par le peintre espagnol Raphaël Mengs, vers 1760.Nous recevons Jean-Christophe Igalens, maître de conférences à Sorbonne-Université. Avec Erik Leborgne, il a édité les trois tomes de l'
Histoire de ma vie chez Robert Laffont (coll. "Bouquins"). Il est également l'auteur de
Casanova. L'écrivain en ses fictions (Classiques Garnier, 2011).
Casanova ne fait pas ses débuts littéraires avec l'
Histoire de ma vie, le récit de ses mémoires, mais au théâtre. Il écrit pour sa mère comédienne un livret adapté de
Zoroastre, mais également une parodie de la
Thébaïde de Racine, une traduction italienne de L’Écossaise de Voltaire qui est jouée à Gênes en 1760. Ses premiers rapports à l'écriture sont donc de l'ordre de la réécriture, de l'adaptation ou de la parodie, principalement au théâtre : on voit déjà un goût du jeu, du rire et de la vie. Au fil du temps, Casanova s'engage dans plusieurs projets d'écriture, aussi variés que ses expériences, entre le picaresque et la haute aristocratie : un opuscule médical (1772), une
Histoire des troubles de la Pologne (1774), une traduction de L'
Iliade en dialecte vénitien puis en italien, des périodiques et des revues, des pamphlets anonymes, des commentaires de textes littéraires ou philosophiques... Mais cette activité ne lui permet pas de vivre, ni de lui assurer une réputation : il est en effet obligé de quitter définitivement Venise en 1783 pour avoir publié un ouvrage à clés, règlement de comptes à l'égard d'une grande famille patricienne. Finalement, il termine sa vie entouré de livre, puisqu'il est bibliothécaire au château de Dux en Bohême, auprès du Comte de Waldstein.
C'est là qu'il s'engage dans la rédaction d'ouvrages d'ampleur. Il fait paraître en 1788
Isocameron, un long roman en cinq volumes, qui raconte l'histoire utopique d'aventures incestueuses au centre de la Terre entre un frère et une soeur. On y retrouve plusieurs interrogations en vogue au XVIIIe siècle : l'exotisme et le grandes explorations, l'origine des normes sociales (contestées par Casanova), les questions de différences entre les deux sexes (on pense ici à
La Dispute de Marivaux, notamment).
Mais son grand projet est véritablement celui de la rédaction de ses mémoires. Casanova avait déjà fait de sa vie une légende, puisque son premier récit oral, qui racontait son évasion de la prison des Plombs à Venise, était connu dans toute l'Europe. En 1787, il fait paraître en français
L'histoire de ma fuite de prisons de Venise, qui annonce la suite de son travail d'écriture.
Le risque, pour Casanova, est de s'enfermer dans le personnage qu'il a construit dans son récit. - Jean-Christophe Igalens. A la fin de sa vie, l'écriture prend le pas sur l'aventure. Il révise de nombreuses fois son manuscrit, avant de mourir le 4 juin 1798. Le manuscrit est récupéré par son neveu, échappe à un incendie, et est contrôlé par la censure. C'est seulement en 1960, dans l'édition Brockhaus-Plon, que paraît le texte original en France, que notre invité a repris chez Robert Laffont dans la collection "Bouquins" pour une seconde révision, qui tient compte des apports de la critique universitaire, rétablit la ponctuation originale pour respecter le rythme et les italianismes de Casanova, qui hérite de Montaigne ses digressions et sa fantaisie rhapsodique.
Blaise Cendrars disait ainsi : "Je considère les Mémoires de Casanova comme la véritable Encyclopédie du XVIIIe siècle" ("Pro Domo", préface à la réédition de
La Fin du monde filmée par l'Ange N-D, 1949).
https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/giacomo-casanova-24-casanova-ecrivain
Dans cette émission, nous nous intéressons de façon plus précise aux aventures financières de Casanova, à Venise et dans toute l'Europe.
Le peintre Francesco Guardi, rival de Canaletto, vendant ses peintures. Tableau de 1892 par Giuseppe BertiniGuillaume Simiand est enseignant-chercheur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est l'auteur de Casanova dans l'Europe des aventuriers (Classiques Garnier, 2017).
Nous tentons avec lui de définir qui est Casanova aventurier, lui qui dit avoir rencontré "tous les Aventuriers de la terre". Sa vie est marqué par des voyages, des errances, des départs et des retours, une absence d'attaches et une volonté de ne pas tout maîtriser mais de "sequere deum", de suivre le dieu, conformément à sa devise. L'aventurier Casanova cherche aussi à paraître sous son plus beau jour en société, en sachant se transformer à l'image d'un caméléon. Casanova est aussi mû par un désir de faire fortune, avec une fascination pour le jeu, la finance et la spéculation - tant amoureuse qu'économique. Ainsi, à Londres, en Hollande, à Paris, il fréquente les milieux banquiers ; à Venise, il se lance dans l'ouverture d'une manufacture de textiles. Casanova dépense sans vocation à économiser, pour se dépenser lui-même et pouvoir dire oui à toutes les aventures qu'il rencontre sur son chemin.
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- Casanova à Londres et à Paris
Comment définir le casanovisme ? Cette émission propose une entrée plus en profondeur dans la compréhension du personnage de Casanova, aventurier des Lumières et acteur, bien plus que témoin, de son siècle.
Gravure représentant Casanova avec Nina, l'une de ses conquêtes évoquée dans "Histoire de ma vie"Notre invitée du jour est Chantal Thomas. Essayiste, romancière, directrice de recherches au CNRS, elle est notamment spécialiste de Casanova et du siècle des Lumières. Elle est l'auteure de Casanova. Un voyage libertin (Folio Gallimard, 1998) et Un air de liberté. Variations sur l'esprit du XVIIIe siècle (Payot, 2014) ainsi que la préface au livre de Casanova Mon apprentissage à Paris (Rivages Poche, 2017).
Chantal Thomas a aussi récemment participé à l'élaboration du scénario de Dernier Amour, film de Benoît Jacquot sorti en salles en mars 2019, qui traite d'un épisode de la vie de Casanova d'après ses Mémoires. Il s'agit de la passion destructrice de Casanova pour une femme, La Charpillon, qu'il rencontre à Londres dans les années 1763-1764. C'est la première fois qu'il se heurte à un refus féminin : cet épisode marque pour lui la découverte d'une altérité incompréhensible, qu'il ne parvient pas à contrôler. L'humiliation qu'il vit le pousse notamment à rédiger deux essais sur le suicide.
Nous abordons aussi dans cette émission les voyages de Casanova non plus à Londres, mais à Paris. Il trouve dans la capitale française un terrain de jeu à la hauteur de son appétit de vivre : la ville est bien plus grande et plus cosmopolite que Venise, qui n'a pas seule l'apanage du carnaval et du déguisement... Les séjours parisiens de Casanova, avant et après la Révolution française (contre laquelle il se positionne) lui font aussi sentir la versatilité inquiétante des parisiens, qui portent en eux à la fois une grande liberté et une grande violence. Ce monde des extrêmes culmine en effet au XVIIIe siècle.
Enfin, nous tentons de définir plus précisément ce qu'est le casanovisme, en le comparant notamment à d'autres types de libertinage : celui du marquis de Sade ou celui de Don Juan, qui est peut-être celui qui s'en rapproche le plus, mais aussi à travers la figure du Prince de Ligne, ami et double de Casanova. Si Fellini en fait un personnage égoïste dans son adaptation au cinéma, c'est plutôt bel et bien l'esprit des Lumières qu'il incarne.
https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/giacomo-casanova-44-casanova-a-londres-et-a-paris