ASSEMBLÉE NATIONALE
Présidence de M. Bailly
Séance du vendredi 3 juillet 1789(La séance du 3 juillet est incomplète au Moniteur)M. le Président ouvre la séance à 10 heures du matin.
M. Leclerc de Juigné, archevêque de Paris, fait lecture d'une lettre qu'il a reçue du Roi, concernant ce qui s'est passé à Paris, dans la soirée du 30 juin.
Teneur de cette lettre:
« Je me suis fait rendre un compte exact, mon cousin, de ce qui s'est passé dans la soirée du 30 juin : la violence employée pour "délivrer des prisonniers à l'Abbave est infiniment condamnable; et tous les ordres, tous les corps, tous les citoyens honnêtes et paisibles, ont le plus grand intérêt à maintenir dans toute sa force l'action des lois protectrices de l'ordre public. Je céderai cependant, lorsque l'ordre sera rétabli, à un sentiment de bonté; et j'espère n'avoir point de reproches à me faire de ma clémence, lorsqu'elle est invoquée, pour la première fois, par l'Assemblée des représentants de la nation. Mais je ne doute pas que cette Assemblée n'attache une égale importance au succès de toutes les mesures que je prends pour ramener l'ordre dans la capitale. L'esprit de licence et d'insubordination est destructif de tout bien; et s'il prenait de l'accroisse-^ ment, non-seulement le bonheur de tous les citoyens serait troublé, et leur confiance serait altérée, mais l'on finirait peut-être par méconnaître le prix des généreux travaux auxquels les représentants de la nation vont se consacrer.
« Donnez connaissance de ma lettre aux États-généraux, et ne doutez pas, mon cousin, de toute mon estime pour vous.
Le 2 juillet 1789.
« Signé: LOUIS »
Sur l'enveloppe était écrit:
« A mon cousin' l'archevêque de Paris, duc de Saint-Cloud »Il a été donné connaissance à l'Assemblée, des[ présidents et secrétaires particuliers élus dans chacun des trente bureaux dans lesquels ses membres se sont partagés:
Dans l'après-midi du jeudi 2, il avait été procédé à l'examen des scrutins apportés au bureau de l'Assemblée générale pour l'élection du président et des secrétaires. Les scrutins avaient été Apportés:
De la, part du premier bureau, par MM. le marquis de Langon, le comte de Reynaud et Chapelier. De la part du second, par MM. Garnier et Turckeim. De la part du troisième, par MM. Freteau et Schmits.
De la part du quatrième, par MM. de Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun et Garat l'aîné.
De la part du cinquième, par MM. de Villeneuve et Garat le jeune.
De la part du sixième, par MM. le comte de Montmorency et Anson.
De la part du septième, par MM. le comte de Doran
De la part du huitième, par MM. le marquis de Lacoste et Mounier.
De la part du neuvième, par MM. Forest et Charier.
De la part du dixième, par MM Aubry et du Limbert,
De la part du onzième, par MM. Gobel, évêque de Lydda et Grellet de Beauregard.
De la part du douzième, par MM. Beaugeard et do Leutre.
De la part du treizième, par MM. le comte d'Antrai-gues et Melon.
De la part du quatorzième, par MM. Beaupoil do Sainte-Aulaire, évêque de Poitiers et Emmery.
De la part du quinzième, par MM. D'André et Fon-tenay.
De la part du seizième, par MM. le prince de Poix et Crenière.
De la part du, dix-septième, par MM. Malouet et Du-quesnoy.
De la part du dix-huitième, par MM. Dupont de Bi-gorre et Fleury.
De la part du dix-neuvième, par MM. Baer de la Chapelle et de Champagny, pour le président;
Par MM. Godefroy et Coroller, pour les secrétaires.
De la part du vingtième, par MM. de Volney et Ros-taing.
De la part du vingt et unième, par MM. Populus et Chaillon.
De la part du vingt-deuxième, par MM. le marquis de Cypierre et Duvivier.
De la part du vingt-troisième, par MM. Menu deCho-morceau et Prieur.
De la part du vingt-quatrième, par MM. le duc de Biron et Target.
De la part du vingt-cinquième, par MM. de Quesnoy et Gennelet par le président;
Par MM. Thibaut et Lanusse pour les secrétaires.
De la part du vingt-sixième, par MM. Lefranc de Pompignan, archevêque de Vienne et Gleizen.
De la part du vingt-septième, par MM. le marquis de Crillon et Dumetz.
De la part du vingt-huitième, par MM. de Saint-Albin et Legrand.
De la part du vingt-neuvième, par MM. Boissy-d*An-glas et Lofflcial.
De la part du trentième, par M. de Blacons.
Le relevé des scrutins en avait été fait par ... les députés, assistés de M. Camus, l'un clés secrétaires de l'Assemblée générale, et il en était résulté que M. le duc d'Orléans se trouvait élu président.
Le temps n'ayant pas permis de vérifier les scrutins relatifs à la nomination des secrétaires, ces scrutins avaient été enfermés dans une enveloppe scellée du cachet de l'un des députés, et remis entre les mains de M. Camus. Ce jourd'hui, à sept heures du matin, MM. les députés des bureaux s'étant réunis dans la salle générale, M. Camus a remis sur le bureau le paquet cacheté qui contenait les scrutins pour la nomination des secrétaires.
Ils ont été ouverts, et il a été procédé à leur recensement, d'abord dans la salle générale, ensuite, par l'autorisation de l'Assemblée, dans un des bureaux voisins de la salle.
Pendant cette opération, M. le président a proclamé l'élection de M. le duc d'Orléans.
L'Assemblée a témoigné les sentiments de sa joie par de grands applaudissements.
PRÉSIDENCE DE M. LE DUC D'ORLÉANS*
M. le duc d'Orléans a pris séance à la place du président, et a dit:
Messieurs, si je croyais pouvoir bien remplir la place à laquelle vous m'avez nommé, je la prendrais avec transport; mais, Messieurs, je serais indigne de vos bontés si je l'acceptais, sachant combien j'y suis peu propre. Trouvez donc bon, Messieurs, "que je la refuse, et ne voyez dans ce refus que la preuve indubitable que je sacrifierai toujours mon intérêt personnel au bien de l’État.
De suite, M. le duc d'Orléans a invité l'Assemblée à se former en bureaux sur-le-champ, et à procéder à un nouveau scrutin pour l'élection d'un nouveau président.
L'Assemblée s'étant formée en bureaux, et ayant procédé à un nouveau scrutin, M. le duc d'Orléans a rendu compte de sa vérification: il en est résulté que M. l'archevêque de Vienne était nommé président de l'Assemblée nationale.
Présidence de M. Le Franc de Pompignan, archevêque de Vienne.
M. l'archevêque de Vienne a pris séance à la place du président, et a dit; Une bouche plus éloquente que la mienne n'exprimerait pas dans ce moment les sentiments qui pressent mon cœur; elle n'égalerait pas le prix de l'honneur que je reçois.
La carrière que j'ai parcourue ne me promettait pas, vers son déclin, un événement aussi glorieux. Que me laisse-t-il à désirer? De m'ensevelir, Messieurs, dans mes triomphes, et de porter mes derniers regards sur l'heureuse restauration de notre commune patrie.
M. le marquis de Saint-Mexin, député de la sénéchaussée de Guéret, ayant remis sur le bureau le procès-verbal de son élection, cette élection a été reconnue régulière.
MM. le marquis de Cairon, de Bouville, le marquis de Tiboulot, députés de la noblesse du pays de Caux, ont remis leurs pouvoirs sur le bureau, avec une déclaration relative à la teneur de leur mandat. Rapport fait de leurs pouvoirs, l'Assemblée les a reconnus légitimes. Quant aux déclarations, elle a arrêté qu'elles demeureraient entre les mains des secrétaires, pour y être statué en même temps que sur les précédentes.
M. le Président a rendu compte du scrutin concernant l'élection des six secrétaires. Il en est résulté que les secrétaires élus à la pluralité des voix ont été: MM. Grégoire, Mounier, le comte Lally-Tollendal, le Chapelier, l'abbé Siéyès, le comte de Clermont-Tonnerre.
Les nouveaux secrétaires ont pris place au bureau, à l'exception de M. le comte de Lally-Tollendal, absent pour cause d'indisposition.
M. le duc de la Rochefoucauld fait la motion d'envoyer une députation à M. Bailly, pour le remercier de la manière vraiment distinguée dont il a rempli ses fonctions.
M. l'archevêque de Bordeaux appuie cette motion, qui est soutenue par les applaudissements de toute l'Assemblée, et unanimement adoptée.
M. Prieur recommence son rapport sur la députation de Saint-Domingue. Cette affaire, qui avait été interrompue par les circonstances, est remise en délibération.
M. le comte de Mirabeau. Je me renfermerai dans la seule question que nous ayons à examiner, j'entends la détermination du nombre des députés de Saint-Domingue.
J'observerai cependant que nous aurions dû d'abord examiner, et avant de la juger, la question de savoir: s'il faut admettre les représentants des colonies.
On aurait pu dire sur cette question : les colonies n'ont jamais assisté par représentants aux Etats généraux; elles n'y devaient donc paraître j que sur la convocation du Roi.
Or, leurs députés paraissent contre cette convocation et malgré les ordres du Roi.
Ce n'est pas là sans doute une raison pour les exclure, mais c'en est une invincible pour qu'ils ne puissent être admis qu'en vertu d un acte du pouvoir législatif, lequel a incontestablement besoin de la sanction du Roi.
Mais les députés des colonies ont été admis...
(Ils l'avaient été provisoirement dans la séance tenue au Jeu de Paume.)
J'observerai encore qu'on a entièrement passé sous silence celte seconde et importante question:
L'élection des députés des colonies est-elle valide, et leurs pouvoirs sont-ils en bonne forme ?
Enfin, on n'a pas même essayé d'expliquer pourquoi les hommes de couleur, libres, propriétaires, contribuant aux charges publiques, n'avaient pas même été électeurs, et n'étaient pas représentés.
Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit à présent, c'est seulement de savoir quel nombre de députés doit être admis.
Je prierai d'abord de m'expliquer sur quel principe on se fonde pour la proportion de la députation des colonies.
Les colons prétendent que la proportion de leurs représentants doit être en raison des habitants de l'île, des richesses qu'elle produit, et de ses rapports commerciaux; mais
1° je rappelle ce dilemme irrépliquable:
Les colonies prétendent-elles ranger leurs nègres et leurs gens de couleur dans la classe des hommes ou dans celle des bêtes de somme? Mais les gens de couleur sont libres, propriétaires et contribuables, et cependant ils n'ont pu être électeurs.
Si les colons veulent que les nègres et les gens de couleur soient hommes, qu'ils affranchissent les premiers ; que tous soient électeurs, que tous puissent être élus. Dans, le cas contraire, nous les prierons d'observer qu'en proportionnant le nombre des députés à la population de la France, nous n'avons pas pris en considération la quantité de nos chevaux ni de nos mulets; qu'ainsi la prétention des colonies d'avoir vingt représentants est absolument dérisoire.
2° J'observe ensuite qu'on s'en est tenu à ces généralités vides de principes et de sens, à vanter ce que nous rapporte la colonie de Saint-Domingue par sa balance du commerce, les 600 millions mis en circulation par elle, les 500 vaisseaux et les 20,000 matelots qu'elle occupe, etc., etc.
Ainsi, l'on n'a pas même daigné se souvenir qu'il est démontré aujourd'hui que les résultats des prétendues balances de commerce sont entièrement fautifs et insignifiants; que les colonies, fussent-elles d'une utilité aussi incontestable que l'ont nié et que le nient les meilleurs esprits, les têtes les plus fortes qui se soient occupées de ces matières, il est impossible de concevoir pourquoi elles réclameraient d'autres principes pour la proportion de leurs représentants, que ceux qui ont servi à la fixation de cette proportion dans toutes les provinces du royaume.
En effet je supplie MM. les diserts proclamateurs des 600 millions mis dans la circulation par Ile commerce de cette colonie, je les supplie de me dire s'ils ont calculé la quantité de millions que met en circulation la manufacture appelée le labourage, par exemple, et pourquoi, d'après leurs principes, ils ne réclament pas pour les laboureurs un nombre de représentants proportionné à cette circulation ? Je les supplie de me dire pourquoi,, dans leurs principes, Nantes, Bordeaux, Marseille ne demanderaient pas à fixer le nombre de leurs députés d'après les millions pans nombre que leur commerce met dans la circulation? Je les supplie de me dire pourquoi, toujours dans leurs principes, Paris qui n'est point, qui ne peut pas être, qui ne sera jamais une ville de commerce, a quarante députés, etc.
Le nombre des députés des colonies doit être proportionné au nombre des électeurs et éligibles colons.
Or, ce dernier nombre est tel que mon avis est que celui des députés doit être réduit à quatre.
M. le marquis de Sillery parle en faveur de la députation déjà envoyée.
Il fait un tableau |de cette colonie; il la présente comme susceptible d'améliorations et de grandes augmentations.
Il ajoute que les grands avantages que le royaume en retirait, que l'intérêt du commerce exigeait qu'on ne suivît pas rigoureusement les principes envers cette colonie, dont la députation devait être fixée d'après d'autres bases que celles qui avaient fixé les députations des différentes provinces de la mère-patrie.
Il conclut à ce qu'on accorde à Saint-Domingue une députation composée de vingt membres.
M. Bouche.
Je demande la permission de réfuter M. de Sillery.
J'ai appris que la députation de Saint-Domingue n'a été envoyée que par 23,533 blancs, qui seuls avaient formé les assemblées; il paraît étrange que les députés de cette colonie, qui n'avaient à représenter que 23,000 âmes, demandent une députation de 20 représentants.
il paraît très-juste, très-conforme aux principes, d'accorder à cette colonie une députation de quatre membres qui auront voix délibérative; mais ces quatre députés doivent être pris, non pas parmi ces riches propriétaires qui consomment dans la capitale les fruits douloureux de la sueur de l'esclavage et de la misère; qui, loin de ce nouveau continent, en recueillent les richesses sans en connaître le climat, les usages, les ressources et les mœurs, mais parmi les véritables colons, parmi ces habitants de Saint-Domingue, que la colonie a nommés ses députés, et oui ont traversé les mers pour venir s'acquitter des nobles fonctions dont ils ont été honorés.
M. Pison du Galland.
Je n'entrerai point dans l'examen des considérations proposées par les préopinants; je regarde tout cela comme [étranger pour le moment.
Vous avez admis provisoirement douze députés; votre décision est déjà prononcée.
On demande que vous admettiez huit députés de plus; mais j'observe que votre jugement provisoire ne peut être révoqué quant à présent.
M. Mounier et M. Malouet sont d'avis qu'on accepte les douze députés déjà admis.
M. le marquis de Montesquiou propose à l'Assemblée de donner à la colonie de Saint-Domingue quatre députés qui auront voix délibérative; les autres formeront un comité qui servira à éclairer les opinions de ceux qui auront voix dans l'Assemblée, et les membres du comité auront le droit de séance, sans avoir celui de voter.
M. le comte de Mirabeau. Je crois que le préopinant à fait des richesses de Saint-Domingue un tableau plus ingénieux que ressemblant.
Au reste, ce n'est pas des richesses de Saint-Domingue dont il est ici question, c'est* de savoir s'il faut suivre pour Saint-Domingue une autre proportion de députation que celle suivie dans toutes les parties de la France.
M. de Sillery a dit que l'établissement des colonies est superbe, qu'il est susceptible d'accroissement.
Je réponds que nous aussi sommes susceptibles d'un grand accroissement.
Que les richesses des colons sont considérables; mais nous aussi sommes considérablement riches !
Que d'après cela, c'est-à-dire cette richesse, il importe que la députation soit nombreuse; mais d'après cela, la nôtre doit l'être aussi.
Pourquoi donc voulez-vous adopter pour Saint-Domingue une loi plus favorable que celle qui a fixé les députations de tous les bailliages? De tous côtés nos provinces réclameraient contre cette distinction; elles demanderaient que leurs députations fussent augmentées.
Ce n'est pas sans surprise que j'ai entendu dire, pour faire valoir la nombreuse députation, que les nègres, qui n'ont pas le droit de réclamer dans le sanctuaire de la liberté, sont les agents des richesses coloniales; mais nos bœufs, nos chevaux sont également les agents de nos richesses.
Je demande de quel droit les 23,000 blancs qui existent dans les colonies ont exclu des assemblées primaires à peu près un pareil nombre d'hommes de couleur, libres, propriétaires et contribuables comme eux?
Je demande pourquoi surtout, on veut que les 20 blancs qui sont ici représentent les hommes de couleur desquels ils n'ont reçu aucun mandat?
Je demande de quel droit les 23,000 blancs électeurs ont défendu à leurs concitoyens de se nommer des représentants, et se sont arrogé celui d'en nommer exclusivement et pour eux et pour ceux qu'ils ont exclus des assemblées électorales ?
Croient-ils que ces hommes qu'ils ont exclus, nous ne les représentons pas?
Croient-ils que nous ne défendrons pas ici leur cause?
Ah ! sans doute, si telle a été leur espérance, je leur déclare qu'elle est outrageante pour nous, et qu'elle sera déçue.
Le nombre des députés doit être en proportion des votants.
Cette loi a été générale pour nous; je conclus à ce qu'elle soit la même pour les colons.
M. Grouy d'Arey.
Les erreurs sur lesquelles plusieurs des préopinants ont appuyé leurs raisonnements sont en grand nombre; je vais me hâter de les relever.
Les habitants du continent ne connaissent que très-imparfaitement les colonies; ils n'en raisonnent que par analogie, et de là ils se laissent entraîner dans les plus grandes erreurs.
Vous nous avez admis provisoirement dans votre Assemblée, et votre décision a comblé tous les vœux de la colonie.
Aujourd'hui les habitants de Saint-Domingue demandent que la députation déjà admise au nombre de douze membres soit portée à vingt.
Ce n'est point par ambition, mais c'est qu'ils ont cru que ces vingt députés seront nécessaires pour les mettre au niveau des grands travaux auxquels ils sont appelés.
Saint-Domingue ne doit point être comparé aux provinces du royaume.
La colonie est éloignée; elle est isolée; le sol, les habitants, la culture, les richesses, tout y est différent.
Vous avez déjà prononcé un jugement provisoire.
Il l'a été par acclamation; il a été sanctionné; et comment voudrait-on le faire rétracter?
Ce jugement aurait-il été l'effet d'une précipitation imprudente?
Mais une Assemblée aussi majestueuse, aussi auguste, ne prononce point inconsidérément; elle est aussi sage dans ses délibérations qu'elle doit être immuable dans ses décisions.
La députation a été faite par des colons âgés de vingt-cinq ans.
Il est vrai que les métis n'y ont point été appelés; mais les métis sont non affranchis. Les lois françaises, que nous n'avons pas faites, les excluent de nos assemblées; nous ne pouvions pas de nous-mêmes les y admettre.
Quelqu'un a dit qu'ils sont nos ennemis; moi, je soutiens qu'ils sont nos amis, puisqu'ils nous sont redevables de la liberté.
La population n'est pas la seule chose qu'il faut considérer; il faut avoir égard aussi aux impôts, aux richesses que la colonie verse dans le commerce.
Toutes nos colonies y versent à peu près 60 millions, et Saint-Domingue y entre pour 50.
Elle supporte plus de 9 millions d'impôts directs ou indirects.
M. de Gouy parle encore longuement. Au lieu de 20 députés, il réduit sa demande à 18.
Nous ne demandons plus, dit-il, que 18 députés; l'un de ceux qui prétendaient à cet honneur est mort dans la traversée, et c'est un premier sacrifice que nous faisons; l'autre est retenu par la maladie.
(On demande que la motion de M. de Montesquiou soit mise aux voix)
M. le Président en fait faire une seconde lecture, et on allait la mettre aux voix.
Plusieurs membres demandent qu'elle soit renvoyée aux bureaux pour y être examinée de nouveau et être ensuite décidée à la prochaine séance. Cette proposition est unanimement adoptée.
M. Target allait reprendre sa motion sur les pouvoirs limitatifs, lorsque M. le président, d'après le vœu de l'Assemblée, lève la séance.
ASSEMBLÉE NATIONALE
présidence dem. le franc de Pompignan, archevêque de vienne.
Séance du samedi 4 juillet 1789.
On a ouvert la séance par la lecture du procès-verbal de celles qui ont précédé l'installation des nouveaux secrétaires.
ELEMENTAIRES. [4 juillet 1789-]
Au mot simple d'Assemblée, porté dans la lettre du Roi insérée dans le procès-verbal de la séance) du 2, M Bouche demande pourquoi on n'a pas ajouté l’épithète de nationale.
Un secrétaire répond que la première copie de la réponse du Roi contenait l'expression dAssemblée des États généraux, qu'il a consulté à ce sujet l'archevêque de Vienne, qui lui a répondu qu'il n'était pas certain du véritable terme qu'avait employé Sa Majesté.
Dans cette incertitude on a préféré ne se servir que du mot Assemblée.
ILe marquis d'Avaray annonce qu'il a entendu le premier terme d'Assemblée des États généraux.
Cette incertitude engage le président à proposer que les membres qui composaient la députation, se rassemblent pour convenir entre eux de lai véritable version.
Ces membres ne défèrent pas à cet avis; et cette | discussion n'a pas de suite.
M. Yvernault, chanoine de S. Ursin de Bourges, a déclaré que le vœu d'opiner par ordre, allégué comme impératif par M. Ghastenay de Puységur, archevêque de Bourges, un de ses co-députés du clergé de Berry, ne contient pas cette clause de rigueur.
Il a requis que, pour constater son assertion, le mandat fût déposé sur le bureau.
M. Joubert, curé de Saint-Martin, co-député de M. d'Albignac de Castelneau, évêque d'Angoulême, pour le bailliage de cette ville, a déclaré j qu'il ne croyait pas son mandat impératif, et en a demandé le dépôt.
M. Bailly, ex-président, a remercié l'Assemblée, et a dit:
Messieurs, je viens vous offrir l'hommage de ma respectueuse reconnaissance. Votre choix m'a élevé à une grande et importante place; vous m'avez décoré d'un titre qui honore mon nom à jamais.
Il ne pouvait me rester que le regret ou l'inquiétude de n'en avoir pas suffisamment rempli les devoirs, de n'avoir pas toujours réussi à vous plaire comme je l'ai toujours désiré.
Les témoignages de satisfaction que l'Assemblée nationale a daigné m'accorder mettent le comble à mon bonheur.
Je me suis trouvé dans les circonstances les plus remarquables.
J'ai vu commencer vos travaux, j'ai été témoin de votre vertu et de votre fermeté; j'ai vu s'opérer la réunion des trois ordres, et la paix ramener parmi nous les plus flatteuses espérances.
Ces moments ont été les plus beaux de ma vie.
J'ose vous supplier, Messieurs, de cimenter ce bonheur, qui est votre ouvrage, en me continuant vos bontés, et de me permettre de mêler au souvenir des honneurs I dont vous m'avez comblé une tendre et respectueuse sensibilité de ces bontés, qui me seront toujours chères.
L'Assemblée a répondu par des applaudissements.
M. le Président a dit: Dans l'exercice de la place qui vous a été confiée, vous avez laissé un excellent modèle à tous ceux qui la rempliront après vous; mais vous leur assez laissé en| même temps un juste motif de craindre de ne pas l'égaler.
Il a été ensuite fait lecture des délibérations municipales de la ville de Château-Thierry, des communautés de Pontivy en Bretagne et Vernouillet sur-Seine, qui adhèrent à tous les arrêtés pris
i par l'Assemblée nationale, et la félicitent sur la réunion des trois ordres: l'Assemblée en a ordonné le dépôt et l'enregistrement.
On reprend la discussion de l'affaire de la députation de Saint-Domingue.
M. Le Pelletier de Saint-Fargeau. Dans la question qui nous occupé, pour s'appuyer sur une base solide, il faut d'abord partir d'un principe; c'est que nous devons regarder Saint-Domingue comme une province de France.
Laissons de côté l'étendue des terres, la considération qu'elles sont susceptibles d'amélioration; ces bases pont trop incertaines.
La population offre plus de certitude, et à Saint-Domingue elle est considérable; elle est composée Ide plus de 100,000 habitants.
Les richesses approchent encore du terme vers lequel on doit tendre pour arriver à la plus juste représentation possible.
Le gouvernement s'est lui-même servi de ce moyen: j'en prends un exemple dans la députa-jlioir de Paris; on lui a donné des député? à proportion de ses richesses et du commerce qu'elle entretient dans toutes les parties du royaume.
Je pense aussi que l'on doit prendre en considération la division actuelle de cette île.
Elle est (divisée en trois provinces : or, je pense que c'est remplir l'esprit du règlement que d'accorder à chacune de ces provinces deux députés.
Les autres auront voix consultative, je ne dis pas qu'ils formeront un comité, parce qu'ils ne nous appartient pas de leur permettre ce qu'ils ont droit de faire par le droit naturel.....
Je ne fais que reproduire la motion de M. de Montesquiou, à laquelle je me suis permis d'ajouter un amendement.
M* Dillon, curé du Vieux-Pouzauges. Si c'est dans les temps de calamité qu'on reconnaît les vrais amis, c'est aussi dans les temps où la patrie se trouve en danger que l'on reconnaît les citoyens.
Vous vous rappelez, Messieurs, cette grande et fameuse journée, à jamais mémorable dans notre histoire, où des projets coupables, des complots ministériels nous avaient fermé les portes de cette auguste enceinte que le despotisme avait environnées de tout l'appareil militaire; ce jour si célèbre où les représentants de la nation ont été pour y tenir leurs séances et forcés de se réfugier dans un jeu de paume.
Vous vous rappelez, Messieurs, avec quel intérêt vous y avez accueilli les généreux citoyens de Saint-Domingue qui, animés d'un noble courage, ont demandé à partager vos dangers et vos malheurs.
Avec quelle bonté les avez-vous accueillis ! avec quels applaudissements les spectateurs les ont vus descendre dans une arène où la force, le courage et la vertu suffisaient à peine pour en franchir les obstacles
Je n'ai pu retenir mes larmes à la vue d'un spectacle aussi touchant; eh! devons-nous oublier la douce impression qu'il a faite sur chacun de nous
Ils ont, comme nous, prononcé le serment redoutable qui nous réunit tous en ce lieu, jusqu'à ce que la grande régénération de la patrie 6oit consommée.
Il se sont exposés, comme nous, pour l'intérêt commun, à des haines secrètes, mais implacables; et comment se pourrait-il, Messieurs, qu'après d'aussi grands exemples de patriotisme, qu'après un dévouement aussi généreux, voua délibériez
à réduire ces illustres citoyens à n'avoir que voix consultative ?
Ne les avez-vous pas déjà admis à avoir parmi vous voix délibérative?
Pourrez-vous, Messieurs, anéantir ce jugement que vous avez déjà prononcé?
Est-ce à une Assemblée aussi auguste à détruire un jour ce qu'elle a réglé la veille ?
Je pense que les douze députés que vous avez admis le 20 juin, dans la séance du Jeu de Paume, doivent avoir voix délibérative pendant toute la tenue des États-généraux, et que les six autres auront voix consultative.
M. Mairae, de Bordeaux.
Saint-Domingue est une de ces grandes colonies que nous devons, pour l'intérêt du commerce, attacher de plus en plus à la France.
Mais (du moins telle est ma façon de penser) je crois que c'est par les liens de la confiance que nous saurons inspirer aux propriétaires français, que nous pourrons la consolider contre les révolutions qui peuvent arriver dans un pays lointain.
Mais cette confiance que les Anglais, que tous les peuples qui ont des possessions dans les Indes ont regardée comme la première base, ils ne l'ont pas cimentée en appelant les colonies parmi eux, en les confondant dans leur gouvernement, en transportant la patrie au delà des mers pour en établir une dans leur propre pays.
Croyons-en l'expérience de nos rivaux; ils ont su conserver dans le nouveau continent des terres que l’éloignement, que les efforts de la liberté, que les vicissitudes de plusieurs siècles semblent continuellement leur enlever.
Ils ont su, par leur persévérance dans ce principe même, nous dépouiller de celles que nous avions arrosées du sang français, et que nous avions peuplées aux dépens de la mère-patrie.
Les colonies ne doivent pas former une partie de la patrie. Les colonies sont des provinces qui en dépendent.
Plusieurs membres de l'Assemblée interrompent l'orateur, et observent que les questions qu'il examine sont déjà décidées; qu'il n'est plus temps de contester à Saint-Domingue le droit ae députer, puisque l'Assemblée a reconnu, par une délibération antérieure, la faculté que toute province devait avoir de députer.
M. le due de Praslin, député d'Anjou. Le vœu de la noblesse d'Anjou me prescrit de conclure à l'admission des députés de Saint-Domingue.
Elle est dans un état d'oppression, et a besoin d'une complète régénération.
S'il fallait qu'un jour je me retirasse de cette salle, au moins je n'en sortirais pas sans avoir acquitté un devoir que me prescrivent mes cahiers.
La noblesse d'Anjou a manifesté son vœu sur la colonie de Saint-Domingue; elle exige qu'elle ait une représentation.
Et comment pourrait-on la lui refuser ?
Ses richesses sont immenses, son commerce fleurit dans toutes les contrées.
Saint-Domingue est divisé en trois quartiers, le moindre bailliage a eu quatre députés; pourrait-on lui refuser une députation semblable ?
Je pense donc qu'il faut admettre définitivement les douze députés reçus provisoirement avec voix délibérative, et les autres avec voix consultative.
M. l'archevêque de Vienne donne lecture d'une lettre qu'il vient de recevoir de la part d'une seconde députation de Saint-Domingue.
Extrait de la lettre de la nouvelle députation de Saint-Domingue.
. « Monseigneur, les colons de Saint-Domingue soussignés, actuellement en France, n'ont pu voir d'un œil indifférent le moment où les peuples français sont appelés par un roi généreux à faire leurs doléances et à travailler à la restauration commune.
« Plusieurs de nos concitoyens se sont réunis d'effet et d'intention pour travailler au bien général.
« Ils ont, sans lettres de convocation, et même de la capitale, fait assembler quelques particuliers pour les nommer députés aux États-généraux.
Le défaut de convocation semblait leur en fermer l'entrée; mais la nation a cru devoir rejeter ce défaut de forme; elle a reconnu que les colonies, comme toute autre province, avaient et ont le droit d'être représentées dans l'Assemblée de la nation.
« Les colons soussignés acceptent avec reconnaissance une pareille déclaration.* Relégués au delà des mers, ils se croyaient oubliés. Grâces soient rendues à l'Assemblée nationale qui vient de signaler de la manière la plus éclatante les droits de l'humanité.
« L'Assemblée nationale ne s'est pas contentée de cette déclaration généreuse, elle a encore admis provisoirement les députés qui prétendent avoir été nommés à Saint-Domingue.
« Rien de plus sage, rien de plus prudent. A la distance de deux mille lieues de là métropole, quelle certitude pouvait-on avoir de la légalité d'une telle nomination?
« C'est avec douleur que les colons, malgré leur estime pour les prétendus députés de Saint-Domingue, supplient l'Assemblée nationale de suspendre son jugement définitif jusqu'à ce qu'ils aient eu le temps, par une convocation plus régulière, plus publique, plus libre, de se conformer aux dispositions du règlement de convocation, pour valider les pouvoirs, pour vérifier les élections.
« Et si les électeurs ont été bien choisis, si les députés ont le droit de se dire et de pouvoir être regardés comme les vrais représentants de la colonie, s'ils peuvent parler en leur nom, proposer, délibérer et engager en un mot la colonie, ils en appellent sur ce point à la vérité et aux droits de la nature, ils en appellent au serment de MM. les députés.
« Mais comment ces messieurs pourraient-ils prétendre représenter Saint-Domingue?
Les formes qui rendent valables les élections n'ont pas même été remplies. Les députés ont été nommés dans des assemblées de quinze à vingt personnes.
A la vérité, le procès-verbal se trouve chargé de signatures mais ce ne sont que des signatures mendiées et données après coup.
« Les mandats mêmes ont été donnés en blanc, et ils ne peuvent jamais engager les colons.
« Les soussignés supplient l'Assemblée nationale de prendre en considération et de suspendre le jugement pendant le délai suffisant pour légitimer les pouvoirs donnés aux députés.
« Les coloris de Saint-Domingue osent déclarer que si l'Assemblée croyait devoir passer outre, ils protestent contre tout ce qui pourrait être fait, et demandent acte de leur protestation »
EMENTAIRES.
[14 juillet 1789 ]
Cette lettre est signée de plusieurs colons. Elle . ne paraît pas faire beaucoup d'impression dans l'Assemblée.
- M. de Grouy d'Arey. J'observe qu'au nombrQ de ceux qui protestent, on trouve les signatures des comtes d'Agoult et Sanadon, quoiqu'ils aient assisté à toutes nos délibérations.
M. ***.- J'observe que cette question a déjà été agitée par toutes les puissances de l'Europe qui ont des colonies, sans que jamais elles aient pensé les admettre.
La justice naturelle est ici en opposition avec la politique des États.
Un membre demande que l'on fasse droit à la protestation des colons.
M. de Clernont-Tonnerre. Tous les jugements ne peuvent être que provisoires; si quelqu'un veut disputer les siens à l'Assemblée, on ne pourrait rejeter cette réclamation sans l'examiner* il faut donc ouvrir la discussion sur ces protestations.
M. Pison du Galland.
Ce jugement n'est par irrévocable, puisqu'il a été rendu sans contradicteurs.
L'Assemblée a persisté dans son dernier jugement, et regarde comme valable la députation de Saint-Domingue.
Le bureau s'occupe en conséquence de. la question sur le nombre de députés.
Saint-Domingue aura-t-il six ou douze députés? C'est ainsi que M. Chapelier pose la question.
M. Mounier observe que cela est contraire à la liberté des suffrages.
L'Assemblée arrête que chaque député aura la liberté de prononcer sur le nombre des députés.
On procède à l'appel nominal; sur 756 votants, • 1 vote pour 8 députés; 9 pour 4; 223 pour 12; 523 pour 6.
La majorité est donc pour le nombre 6.
M. le marquis de Gouy d'Arey. Je demande que l'on délibère si les autres députés auront séance dans l'Assemblée nationale.
Cette demande est accordée.
M. de Gouy demande s'ils auront voix délibérative.
M. Fréteau.
Les députés suppléants de toutes! les provinces ne méritent pas moins de faveur que les députés de Saint-Domingue au contraire,!la députation de ceux-ci, quoique jugée valable, n'en est pas moins incertaine.
Cette opinion fait rejeter la demande de M. le' marquis de Gouy d'Arcy.
En conséquence l'Assemblé nationale arrêté:
« Que Saint-Domingue aura six représentants pour la présente session de l'Assemblée nationale, et que les autres membres présentés à la députation auront, comme les suppléants des provinces de France, une place marquée dans l'enceinte de la salle, sans voix consultative ni délibérative »
M. Dupont de Nemours, au nom du comité des subsistances. Le comité que vous avez établi!
pour s'occuper de la cherté des grains et des moyens de faciliter la subsistance du peuple! s'est livré avec le zèle que vous avez droit d'attendre de ses membres au travail que vous lui avez imposé.
Il a d'abord chargé trois de ses même près de demander à M. le directeur-général des finances les renseignements nécessaires pour déterminer avec plus de justesse les opérations dans lesquelles votre amour pour vos concitoyens ne vous permet d'apporter aucun retard.
Ce ministre nous a donné les états d'entrée et de sortie, jet il s'est chargé de plus de faire lui-même pour le comité un mémoire qui va être mis sous vos yeux.
M. Dupont fait lecture de ce mémoire.
MÉMOIRE
feemis de la part du roi, par m. Necker, directeur général des finances
(Le mémoire de M. Necker, n'a pas été inséré au Moniteur)
Je ne puis rendre compte des soins que le Roi il pris, relativement aux subsistances, que depuis le moment de ma rentrée dans le ministère, c'est-à-dire depuis le 25 août 1788.
La libre exportation des grains avait été établie par une loi enregistrée le 17 juin 1787; cette loi avait été généralement applaudie, et en conséquence l'on s'était livré au commerce des grains dans tout le royaume avec plus d'activité que jamais, et l'on avait envoyé dans l'étranger fine quantité considérable de grains. Cependant, à mon arrivée dans le ministère, je me hâtai de prendre des informations sur le produit delà récolte et sur les besoins des pays étrangers.
Les informations m'ayant donné de l'inquiétude, je proposai à Sa Majesté dedéfendre 1 exportation des grains.
On crut dans les premiers moments que ces dispositions tenaient aux opinions particulières du ministre, parce que j'ai fait connaître en plusieurs occasions de quelle importance il est pour la France de veiller sans cesse sur les effets d'une exportation illimitée, et de ne se livrer à cet égard à aucun système exagérer.
Quoi qu'il est soit, l'expérience a prouvé [combien était convenable l'empressement que l'apportai à solliciter les ordres de Sa Majesté, pour contenir et pour arrêter entièrement l'exportation des grains.
Ce fut dans les premiers jours de septembre que je commençai à ordonner aux fermiers généraux, de la part du Roi, d'arrêter à plusieurs; frônlteres l'exportation des grains, et le 7 du même mois, Sa Majesté lit rendre un arrêt de son conseil qui défendait d'une manière générale et absolue la sortie des grains hors de son royaume.
Cependant de nouvelles notions générales sur l'étendue de la dernière récolte m'ayant fait craindre que son produit, joint aux réserves des anciens blés, ne fût pas suffisant, Sa Majesté crut prudent d'exciter le commerce à faire venir des grains de l'étranger, et Sa Majesté permit, par fin arrêt de son conseil du 23 novembre dernier, une prime de 40 sous par quintal de farine, et de 30 sous par quintal de blé, sur toutes les
Quantités de ces denrées qui seraient importées
es États-Unis d'Amérique dans l'un des ports du royaume.
Cette prime n'avait d'abord été annoncée que pour durer jusqu'à la fin de juin, afin de hâter les secours qui pourraient nous être destinés de cette contrée; mais le Roi, par son arrêt du 20 avril dernier, a prolongé cet encouragement jusqu'au 1er septembre prochain.
Sa Majesté, par son arrêt du 11 janvier dernier, accorda de semblables encouragements à l'importation des grains qui seraient envoyés en France de tous l.es pays de l'Europe, et les primes, fixées d'abord à 15 sous par quintal de froment, à 12 sous par quintal de seigle, et à 20 sous par quintal de farine, ont été doublées par l'arrêt du conseil du Roi du 20 avril dernier, et le terme en a été prolongé jusqu'au 1er septembre: enfin, le Roi accorda par le même arrêt une prime d'encouragement pour l'introduction des orges, soit en grains, soit en farines.
Toutes ces primes ont été payées comptant dans les ports mêmes et à l'arrivée des navires. Cependant Sa Majesté, justement inquiète que le royaume neYeçùi pas des secours équivalents à ses besoins, et l'expérience ayant instruit que peu de négociants veulent se mêler du commerce des grains, lorsque les prix sont chers et fixent les inquiétudes du peuple, Sa Majesté crut devoir s'assurer d'un approvisionnement extraordinaire, en faisant acheter dans l'étranger, de ses propres deniers et à ses périls et risques, une quantité considérable de blés et de farines, et le Roi confiances commissions aux régisseurs des vivres de II. guerre.
jUs ont été autorisés à faire des achats au dehors dès le mois de novembre, et depuis -cette époque ils n'ont jamais été un moment dans l'inaction.
La commission pour les farines n'a été exécutée que jusqu'à la concurrence de quatre-vingt-dix mille sacs, parce qu'on n'a pu faire ces achats qu'en Angleterre; et dans le cours de ces opérations le prix de la denrée est monté au terme où les lois du pays ne permettent plus l'exportation.
On n'a pas été arrêté de même dans les achats de blés, parce qu'on a pu s'adresser dans plusieurs pays, en Hollande, à Hambourg, à Dantzick, en Irlande, et pendant quelque temps dans la Flandre autrichienne.
Le Roi a employé son crédit et sa puissante intervention pour obtenir, malgré les défenses générales, une extradition particulière de la Sardaigne, de la Sicile et des États du pape, ces blés avaient d'abord été destinés pour la Provence et les autres parties méridionales de la France; mais Sa Majesté ayant été informée qu'on pouvait s'y passer de ces secours, le Roi les fait venir au Havre et à Rouen; mais par un des malheurs qui semblent assaillir la France cette année, une conduite inattendue de la part des Algériens jette l'alarme dans la Méditerranée, et intimide les navigateurs.
Je vais donner maintenant un recensement des divers secours dus aux soins bienfaisants de Sa Majesté.
Quintaux.
c . , / Farines......... 91,343
Secours arrives en Blés............ 673154
France pour le compte J Sei le3.......... 15^113
du Roi, a 1 époque du ) a M 9A7
juillet 1789. ( fc;;;;;;;;; 5£MJ
„ . , I Farines......... 5,427
i GharJ°
ent? fai s Blés............ 48,794
dans différents ports ^ ..............6 353
de 1 Europe, et atten-) 0 »_____________ 3 689
dus a chaque instant, f
A reporter,.*..... 1,041,635 Quintaux,
Report............. 1,041,633
Achats exécutés et( Farines......... ^1,500
de l'expédition des-) SeifflVs.......21850
quels on n'a pas en-) Kf.......... ,
coreavis. [ R> ;;;;;;;;;;;.....^M
I Farines......... 59,500
Blés............ 150,280
Seigles.......... 38,086
Orges.....................
Riz...................16,150
Total des secburs arrivés ou attendus.. 1,404,463
On remettra au comité des subsistances des Etats généraux la liste des vaisseaux qui ont apporté ces divers secours, avec la désignation des ports où vils ont été déchargés; on joindra à cette instruction tous les détails particuliers qui pourront être demandés par le comité.
11 y a eu des ordres continuellement subsistants dans l'étranger pour faire arriver des grains en France, et les seuls obstacles sont venus de l'impossibilité d'y en acheter davantage, parce que les ressources mêmes des pays étrangers ont des bornes.
Les nombreuses armées rassemblées dans le nord et sur les frontières de la Pologne épuisent une grande partie du superflu qui vient à Dantzick, et qui se reverse ensuite à Amsterdam; et dans cette même année, véritablement malheureuse, non seulement presque toutes les provinces de France ont été dans la détresse, mais l'Espagne et quelques autres pays de l'Europe ont éprouvé la même disette.
T&ls ontjHé cependant les efforts continuels de Sa Majesté, que les achats faits dans l'étranger par ses ordres et pour Son compte s'élèveront à plus de 25 millions; ainsi le Roi entraîné par l'importance de l'objet, s'est conduit, dans la pénurie de ses finances, comme il l'aurait fait avec la plus abondante richesse.
On pourrait demander comment, en des circonstances si difficiles, le Roi a pu obtenir dans l'étranger le crédit nécessaire pour des opérations si étendues.
Ceux qui l'ont accordé peuvent seuls répondre pleinement et convenablement à cette question.
On doit faire observer qu'indépendamment de ces achats faits pour le compte du Roi, plusieurs villes ont fait venir des approvisionnements de l'étranger, et que le Roi en a aidé quelques-unes de son trésor et d'autres de son crédit.
Ce sont ces différents achats qui, réunis à ceux du commercé,ml fait baisser les prix des changes, d'une manière si sensible, et qui obligent en ce moment à une fâcheuse exportation du numéraire.
On peut présager quels eussent été nos malheurs sans les secours dus à la prévoyante sollicitude du Roi, puisque, malgré des secours et des encouragements dont il n'y a pas d'exemple, la subsistance de la ville de Paris et des provinces qui l'environnent est un objet journalier de sollicitude pour Sa Majesté.
Le Roi continue à faire les plus grands efforts jour obtenir dans tous les pays de l'Europe le jeu de secours, qu'on peut en espérer encore, et : 'on peut dire avec vérité que tous les moyens imaginables ont été mis en usage.
Autrefois Paris était approvisionné non-seulement par le territoire de sa généralité; mais encore par le Soissonnais, la Picardie, la Champagne et la Bourgogne; et depuis plusieurs mois, à quelques Recours près, venus du Soissonnais, la capitale s'est trouvée dénuée de ses ressources ordinaires, et sans les secours venus de l'étranger pour le compte de Sa Majesté, les plus grands malheur auraient éclaté.
Cependant le Roi, avec ces mêmes* secours, a fait passer des grains dans une multitude de marchés, et jusqu'à vingt et trente lieues de Paris, comme chacun en a maintenant connaissance.
Enfin, après l'émeute de Reims, c'est de Paris même que sont partis des secours qu'on invoquait comme instants. La ville de Caen, après le pillage arrivé dans cette ville, était à la veille de la famine sans les promptes expéditions dè grains que le Roi fit ordonner du Havre et de Rouen, à prendre sur les blés que Sa Majesté avait fait venir de l'étrange]*
C'est encore de Paris que sont partis quelques convois de farine pour calimer les inquiétudes de la ville d'Orléans.
La ville de Lyon a été dans les plus grandes alarmes qt l'époque où le parlement de Bourgogne a défendu l'exportation des grains dans toute l'étendue dé ison ressort.
Le Roi fit partir sur-le-champ quelques blés de Marseille, et encouragea les officiers municipaux à faire des efforts extraordinaires! en leur promettant de diminuer de son trésor royal la perte de ces opérations.
C'est par desbléu tirés du Palatin at que le Roi est venu au secours; de la ville de Nancy. La ville de Rouen, et d'autres le long de la Seine, ont participé aux secours; du Roi.
La Picardie a été aidée par Saint-Valéry* le Languedoc par des envois faits à Toulouse: toute la généralité d'Auch, celle de Bordeaux, celle de Montauban, ont été pareillement secoua-rues par des blés étrangers achetés pour le compte de Sa Majesté. Je supprime rénumération des lieux moins considérables qui ont reçu des preuf ves de la sûrvèillahce attentive du Roi. Mais c'est Paris qui, dénué de ses ressources ordinaires elf renfermant une population immense, a eu le plus de besoins et le plus de secours.
Toutes les faf rines venues d'Angleterre y tint été destinées, e quoique la pénurie de ses environs ait augment les demandes à la halle, tandis que l’introduction dans Paris par les marchands fariniers a été successivement réduite à cinq ou six cents sacs par jour, cependant le Roi a pu suffire à tout jusqu'à, présent, mais avec une inquiétude continuelle, et Sa Majesté ne sera tranquille qu'au moment où la récolte des seigles aura procuré de nouvelles ressource
Ce serait sans doute un malheur que d'être partie à cette sorte de grains jusqu'à la moisson des froments; mais le Roi a dit que si la nécessité des circonstances obligeait à se contenter pendant quelque temps d'un pain mêlé de seigle et de froment, il n'y en aurait que d'une même sorte et pour les riches et pour les pauvres, et que le même serait servi sur sa table.
Peut-être nous mettrons-nous à l'abri de cette nécessité, et je l'espère; mais quand les hommes quittait tout ce qui est en leur, pouvoir, il ne reste plus qu'à se soumettre avec patience aux lois de la nécessité et aux décrets 4e la Providence. Chaque jour on avance version temps plus heureux, et les alarmes de cette armée serviront sans doute à faire sentir les inconvénients d'un système permanent de liberté complète pour l'exportation des grains.
J'aurais déjà proposé à Sa Majesté d'ordonner qu'on ne lit dans Paris qu'un seul pain bis de pur froment, au moyen de quoi la quantité nécessaire pour trente jours d'approvisionnement aurait suffi à quarante; mais pendant longtemps cé som des farines d'Angleterre qui ont suppléé aux besoins de la capitale, et les blés extraits en grande-partie de Pologne et emmagasinés ensuite en Hollande, ayant fait un grand trajet de mer, ne sont pas aussi bons et aussi frais que des blés nationaux, et je craindrais qu'en les convertissant en rarines bises, les habitants de Paris n'éprouvassent de deux manières une différence dans le pain auquel ils sont accoutumés.
Quant à la circulation intérieure, elle a été constamment ordonnée et protégée par Sa Majesté, et tous les arrêts du Conseil rendus depuis quelque temps ont confirmé cette" sage disposition; maisTe parlement de Bourgogne, et ensuite, à son imitation, celui de Franche-Comté et celui de\ îïancy, ont défendu la sortie des grains de l'étendue de leur ressort.
Les administrations particulières de quelques provinces, de plusieurs villes et de plusieurs districts, ont adopté en partie les mêmes dispositions, et elles ont été soutenues par 1/effervescence du peuple ; en sorte qu'on a été obligé d'employer beaucoup de précautions pour qéfendre la liberté de la circulation: i^fallii, rrtour la sûreté des convois, placer dégroupés le Ipng^de la Seine; il a fallu en disperser dans
la tranquillité des
fefjjni^
f|n^jl a fall^^riS^^^^tMlT^ des supplémelMjdijJïIe ët dé la
maréchaussée, afin de maintgnir la rrânquilit^p i Les accaparements sont la première cause à la-, quelle la multitude attribue la cherté des grains^f et en effet, on a souvent eu lieu de se plaindre die la cupidité des spéculateurs; mdsiij^st aisé die_ juger -4U'à une époque si peu éloignée des nouvelles moissons, a une époque où le prix de la denréejesi excessifTet où les greniers abondants île seraient pas en sûreté, il est peu croyable qu'il y ait nulle part des réserves importantes de més^eOe^xé&ultatjies recherches faites par ordre du Boirs'accorde avec ces vraisemblances.
Il est une multitude de précautions et d'infaf-| mations prises par l'administration, dontonn'aja-f mais eu connaissance, parce que les ménagements] nécessaires pour éloigner les inquiétudes, exi-| gjent de garder le secret de ses propres peines; et lù Roi ne permet la publicité de ce mémoire quejl parce que chacun est instruit maintenant de la]) situation des choses.
I La longueur et la rigueur du dernier hiveifj avaient déjà exigé les soins les plus actifs de. la/ part de Sa Majesté;il a fallu faire de grandes dé- Y penses pour avoir une quantité de farines suffi-j santé pour nourrir Paris, parce que les moulins à j eau, à cause de la gelée, et les moulins à vent, f par le défaut de mouvement dans l'air, étaient} m plupart sans activité; et l'inquiétude a été si/ -grande, que le Roi 'crut de sa prudence de faire! construire des moulins à bras, lesquels seuls au- [ paient pu procurer les moutures indispensables,) si la gelée eût duré quelques jours de plus. , Je ne dois pas négliger de dire que le Roi a ' multiplié cette année les secours d'argent, pour adoucir le sort de la classe la plus indigente du j peuple. Enfin, au milieu de la disette et de la j cherté, le Roi a fait tout ce qui était humainement possible, et tout ce qu'on pouvait espérer d'un ! monarque et d'un père. Le pain, déjà fort cher à Paris, serait considérablement monté de prix, sans les indemnités que le Roi a accordées aux boulangers, et qu'il continue à leur payer. Le Roi, de plus, soit à Paris, soit dans d'autres lieux, a fait vendre les blés qu'il a tirés de l'étranger, à des prix qui lui occasionnent une perte immense, \|
SÉRIE, T. VIII,
LEMENTAIRES. [4 juillet 1789-1 193
et ces ventes ont contribué à modérer les prétentions des autres vendeurs. Les actes de là bienfaisance du Roi, dans ces malheureuses circonstances, sont innombrables; mais j'en ai dit assez, je pense, pour exciter la reconnaissance envers Sa Majesté; ce sont les ministres, témoins de ses tendres sollicitudes pour le sort de ses peuples, qui reconnaissent le plus sensiblement combien il est digne de leur amour, et ce sont eux encore qui le soient avec douleur agité par des peines ae tout genre, tandis qu'aucun prince, par la conscience de ses bonnes intentions, n'eût eu plus de droits à jouir de cette tranquillité d'âme sans laquelle il n'est point de bonheur.
M. Dupont de Nemours, après avoir terminé la lecture de ce mémoire, continue son rapport en ces termes:
Vos commissaires n'ont négligé l'examen d'aucune des considérations qu'ils pouvaient avoir à mettre sous vos yeux, et ils ont conclu que vous ne pouviez, dans ce moment, avoir que trois choses à faire:
[1° Favoriser la circulation de province à province, et de canton à canton dans l'intérieur du rovaume;
2° Porter des secours ou denrées dans les lieux où elles peuvent manquer réellement;
3° Répandre des salaires et môme des aumônes dans ceux ou la denrée.ne manque pas, mais où les moyens du peuple sont insuffisants pour se la procurer.
C'est l'opinion de votre comité, que l'on ne peut aller trop vite pour les œuvres de bienfaisance, et trop mûrir les actes de législation qui doivent porter l'empreinte de la raison sociale, et s'appuyer sur les principes reconnus par l'opinion publique, sans le concours de laquelle la raison elle-même et les lois seraient dénuées de pouvoir.
Les besoins sont si urgents dans quelques cantons et en même temps la récolte si prochaine, que ce ne sont point des lois qu'on attend de vous, ce sont des secours, qu'il faut donner à ceux dont le besoin les invoque.
Sans doute il ne vous est pas permis par vos mandats de vous occuper ni d'emprunts ni d'impôts, avant d'avoir réglé ce qui concerne la constitution et la périodicité de l'Assemblée nationale; mais les trois moyens pour soulager la misère publique entraînent ou un emprunt, ou un impôt, ou une autorisation de dépense qui nécessitera l'impôt ou l'emprunt.
Seriez-vous donc dans l'impuissance de secourir vos frères, qui vous implorent et la nation assemblée ne pourrait-elle que plaindre la nation?
S'il s'agissait de perpétuer des dépenses ruineuses, de fournir à la prodigalité d'une cour, de rendre des ministres indépendants de la satisfaction publique, certainement alors il vous serait, il vous est défendu de vous prêter à aucun impôt, à aucune contribution, à aucun emprunt. Tel est l'esprit des mandats qui vous lient, et le seul article par rapport auquel ils puissent être impératifs sans danger.
Vous ne pouvez douter que vos commettants n'aient dit que le salut public était la loi suprême; qu'ils ne vous aient autorisés à mettre. obstacle aux ravages d'une inondation ou d'un incendie, à repousser l'ennemi si la patrie était attaquée, à secourir le pauvre, à l'arracher de la mort.
Ce n'est pas aux pauvres qu'ils vous ont défendu d'accorder une rétribution; et puisque vous êtes