ASSEMBLÉE NATIONALEPRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMPIGNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE.Séance du jeudi 9 juillet 1789.
A l'ouverture de la séance, M. le Président dit que, sur l'invitation qui lui en avait été faite par Sa Majesté, il s'était rendu hier au soir auprès du Roi. Le monarque lui a dit qu'il aurait voulu le voir pour lui manifester ses intentions relativement aux troupes qui se sont approchées de Paris et de Versailles ; qu'elles ne porteront jamais aucune atteinte à la liberté des Etats généraux ; que leur rassemblement n'a d'autre but que de rétablir le calme, et que leur séjour ne durera que le temps nécessaire pour garantir la sûreté publique, objet de sa prévoyance. Le Roi a ajouté qu'étant déjà instruit de la délibération prise par l'Assemblée à ce sujet, il recevrait la députation, et lui donnerait une réponse ostensible.
On lit ensuite différentes adresses envoyées à l'Assemblée de la part des électeurs des villes de Bordeaux, Poitiers, Nemours, Châtellerault et Uzerches. Toutes ces adresses expriment les mêmes sentiments de respect, de reconnaissance pour l'Assemblée, et d'adhésion à tout ce qu'elle a déjà fait. L'Assemblée les accueille avec intérêt et en ordonne l'insertion au procès-verbal. M. de Lally-Tollendal donne lecture du procès-verbal. M. le Président prévient l'Assemblée que M. le rapporteur de la députation du bailliage d'Amont est prêt à faire le rapport de la contestation élevée sur les deux députations de ce bailliage. M. Tronchet fait ce rapport. Il en résulte qu'il existe deux députations de la noblesse. L'une, au nombre de trois, nommée par la majorité ; L'autre, par la minorité, également au nombre de trois. La première a été faite dans une convocation des trois ordres; L'autre, en vertu d'un arrêt du conseil. Cette affaire est devenue excessivement compliquée par les arrêtés du parlement de la province, les arrêts du Conseil, pour casser les arrêtés et les protestations des deux partis.
Le rapporteur réduit la question à celle de savoir si la députation est valable ou non. Nous ne suivrons pas dans toutes les divisions les objections, les raisonnements auxquels il a cru devoir se livrer. L'Assemblée étant fatiguée de la prolixité de ce rapport, M. de Saint-Fargeau élève le premier la voix sur les députations du bailliage d'Amont, et s'arrête à un tempérament qui consiste à admettre les deux premiers députés de chaque députation. Il fonde cette opinion sur diverses "considérations, telles que la crainte d'entretenir la haine dans la noblesse d'une province frontière, et de la laisser divisée en deux factions, en proie à une animosité qui ne s'éteindra qu'avec la génération actuelle. Un membre. Sans doute, il serait inquiétant de voir les premiers citoyens d'une province s'abandonner à l'esprit de parti ; sans doute, il est bien plus désirable d'étouffer un feu qui peut brûler longtemps ; mais enfin il existe deux députations: il y en a une de régulière, ou elles sont nulles toutes deux. S'il y en a une régulière il faut l'admettre, quelles que soient les considérations, c'est la loi de la justice. M. Le Pelletier de Saint-Fargeau. Je crois qu'il faut plutôt les renvoyer toutes deux que d'en admettre une exclusivement. Un membre de la noblesse parle encore en faveur de la première députation ; il fait part de quelques faits. 1° La minorité qui, au nombre de cent cinquante, a nommé la seconde députation, a quitté la majorité qui, au nombre de cent soixante, est restée dans l'église avec les autres ordres ; 2° par le serment, la minorité a reconnu la légalité de l'Assemblée ; 3° que la minorité avait protesté contre la tenue des Etats généraux, et contre tout ce qui s'y ferait. L'orateur s'étend ensuite sur les faits généraux, et conclut en faveur de la première députation. Une discussion s'élève sur la manière de poser la question. M. le Président. Je demande s'il ne convient pas d'abord de statuer sur la première députation et d'opiner pour la déclarer ou valable ou nulle. W¥¥. La question ainsi posée ne se rapproche pas de tous les systèmes. M. le Président. Je crois qu'il vaut mieux étendre un peu davantage la délibération, afin qu'elle soit plus nette et plus claire. On rédige ainsi la proposition : 1° Admettra-t-on la première ou la seconde? 2° Ou les admettra-t-on toutes les deux ? On procède à l'appel nominal. Il y a eu 597 voix pour la première députation, 84 pour toutes deux, 3 pour qu'elles eussent séance muette, 1 pour que dans les deux députations il n'y eût que 3 membres, pris indistinctement, qui auraient voix délibérative, 2 pour mettre en délibéré. M. Dusson de Bonnae, évêque d'Agen, demande à l'Assemblée la permission de mettre sous ses yeux une déclaration de la noblesse du bailliage d'Agen. Extrait de déclaration de la noblesse du bailliage d'Agen. « Ayant pris en considération l'état actuel des Etats généraux, et après le recensement des suffrages, nous avons vu avec douleur que les efforts de nos députés ayant été jusqu'à ce moment vains et illusoires, pour se mettre en activité et se constituer définitivement en Etats généraux ; désirant contribuer au grand ouvrage du bien public et rendre hommage à l'esprit de paix des membres de l'Assemblée nationale, au courage dont ils ont donné des preuves, à la sagesse qu'ils ont montrée ; étant moins jaloux de nos droits particuliers que de l'intérêt général, nous déclarons être pleinement satisfaits de nos députés, et nous désirons que leurs pouvoirs soient modifiés; encore que nous leur ordonnions de se rendre à la salle générale des Etats généraux, pour participer à la régénération du royaume, sans compromettre toutefois les privilèges honorifiques de la noblesse ; leur enjoignons en outre de ne consentir à aucun emprunt, à aucun subside, que la constitution ne soit invariablement fixée, et leur permettons de se relâcher sur les articles 14 et 15. » Cette déclaration est reçue avec les plus vifs applaudissements. M. le eomte de Mirabeau lit ensuite le projet d'adresse qu'il a été chargé de rédiger. Cette adresse fait la plus vive sensation sur l'Assemblée, qui se lève unanimement en signe d'adhésion. La voici telle qu'elle a été lue et adoptée.
ADRESSE AU ROI.
Sire, vous avez invité l'Assemblée nationale à vous témoigner sa confiance : c'était aller au-devant du plus cher de ses vœux. Nous venons déposer dans le sein de Votre Majesté les plus vives alarmes. Si nous en étions l'objet, si nous avions la faiblesse de craindre pour nous-mêmes, votre bonté daignerait encore nous rassurer, et même, en nous blâmant d'avoir douté de vos intentions, vous accueilleriez nos inquiétudes; vous en dissiperiez la cause; vous ne laisseriez point d'incertitude sur la position de l'Assemblée nationale. Mais, Sire, nous n'implorons point votre protection ; ce serait offenser votre justice : nous avons conçu des craintes ; et, nous l'osons dire, elles tiennent au patriotisme le plus pur, à l'intérêt de nos commettants, à la tranquillité publique, au bonheur du monarque chéri, qui, en nous aplanissant la route de la félicité, mérite bien d'y marcher lui-même sans obstacle. Les mouvements de votre cœur, Sire, voilà le vrai salut des Français. Lorsque des troupes s'avancent de toutes parts, que des camps se forment autour de nous, que la capitale est investie, nous nous demandons avec étonnement : le Roi s'est-il méfié de la fidélité de ses peuples ? S'il avait pu en douter, n'aurait-il pas versé dans notre cœur ses chagrins paternels? Que veut dire cet appareil menaçant? Où sont les ennemis de l'Etat et du Roi qu'il faut subjuguer? Où sont les rebelles, les ligueurs qu'il faut réduire ? Une voix unanime répond dans la capitale et dans l'étendue du royaume ; Nous chérissons notre Roi; nous bénissons le ciel du •don qu'il nous a fait dans son amour. Sire, la religion de Votre Majesté ne peut être surprise que sous le prétexte du bien public. Si ceux qui ont donné ces conseils à notre Roi, avaient assez de confiance dans leurs principes pour les exposer devant nous, ce moment amènerait le plus beau triomphe de la vérité. L'Etat n'a rien à redouter que des mauvais principes qui osent assiéger le trône même, et ne respectent pas la conscience du plus pur, du plus vertueux des princes. Et comment s'y prend-on, Sire, pour vous faire douter de rattachement et de l'amour de vos sujets ? Avez-vous prodigué leur sang? Etes-vous cruel, implacable? Avez-vous abusé de la justice ? Le peuple vous impute-t-il ses malheurs? vous nomme-t-il dans ses calamités ? Ont-ils pu vous dire que le peuple est impatient de votre joug, qu'il est las du sceptre des Bourbons? Non, non, ils ne l'ont pas fait : la calomnie du moins n'est pas absurde; elle cherche un peu de vraisemblance pour colorer ses noirceurs. Votre Majesté a vu récemment tout ce qu'elle peut pour son peuple , la subordination s'est rétablie dané la capitale agitée; les prisonniers mis en liberté par la multitude, d'eux-mêmes ont repris leurs fers; et l'ordre public, qui peut-être aurait coûté des torrents de sang si l'on eût employé la force, un seul mot de votre bouche l'a rétabli. Mais ce mot était tin mot de paix, il était l'expression de votre cœur, et vos sujets se font gloire de n'y résister jamais. Qu'il est beau d'exercer cet empire ! C'est celui de Louis IX, de Louis XII, d'Henri IV. C'est le seul qui soit digne de vous. Nous vous tromperions, Sire, si nous n'ajoutions pas, forcés par les circonstances : cet empire est le seul qu'il soit aujourd'hui possible en France d'exercer. La France ne souffrira pas qu'on abuse le meilleur des Rois et qu'on l'é-carte, par des vues sinistres, du noble plan qu'il a lui-même tracé. Vous nous avez appelés pour fixer, de concert avec vous, la constitution, pour opérer la régénération du royaume : l'Assemblée nationale vient vous déclarer solennellement que vos vœux seront accomplis, que-vos promesses ne seront point vaines, que les pièges, les difficultés, les terreurs ne retarderont point sa marche, n'intimiderons point son courage. Où donc est le danger des troupes, affecteront de dire nos ennemis?... Que veulent leurs plaintes, puisqu'ils sont inaccessibles au découragement ? Le danger, Sire, est pressant, est universel, est au delà de tous les calculs de la prudence humaine. Le danger est pour le peuple des provinces. Une fois alarmé sur notre liberté, nous ne connaissons plus de frein qui puisse le retenir. La distance seule grossit tout, exagère tout, double les inquiétudes, les aigrit, les envenime. Le danger est pour la capitale. De quel œil le peuple, au sein de l'indigence et tourmenté des angoisses les plus cruelles, se verra-t-il disputer les restes de sa subsistance par une foule de soldats menaçants? La présence des troupes échauffera, ameutera, produira une fermentation universelle ; et le premier acte de violence, exercé sous prétexte de police, peut commencer une suite horrible de malheurs. Le danger est pour les troupes. Des soldats français, approchés du centre des discussions, participant aux passions comme aux intérêts du peuple, peuvent oublier qu'un engagement les a raits soldats, pour se souvenir que la nature les fît hommes. Le danger, Sire, menace les travaux qui sont notre premier devoir, et qui n'auront un plein succès, une véritable permanence, qu'autant que les peuples les regarderont comme entièrement libres. Il est d'ailleurs une contagion dans les mouvements passionnés. Nous ne sommes que des hommes : la défiance de nous-mêmes, la crainte de paraître faibles, peuvent entraîner au delà du but ; nous serons obsédés d'ailleurs de conseils violents et démesurés; et la raison calme, la tranquille sagesse, ne rendent pas leurs oracles au milieu du tumulte, des désordres et des scènes factieuses. Le danger, Sire, est plus terrible encore; et jugez de son étendue par les alarmes qui nous amènent devant vous. De grandes révolutions ont eu des causes bien moins éclatantes ; plus d'une entreprise fatale aux nations s'est annoncée d'une manière moins sinistre et moins formidable. Ne croyez pas ceux qui vous parlent légèrement de la nation, et qui ne savent que vous la représenter, selon leurs vues, tantôt insolente, rebelle, séditieuse, tantôt soumise, docile au joug, prompte à courber la tête pour le recevoir. Ces deux tableaux sont également infidèles. Toujours prêts à vous obéir, Sire, parce quo vous commandez au nom des lois, notre fidélité est sans bornes, comme sans atteintes. Prêts à résister à tous les commandements arbitraires de ceux qui abusent de votre nom, parce qu'ils sont ennemis des lois ; notre fidélité même nous ordonne cette résistance, et nous nous honorerons toujours de mériter les reproches que notre fermeté nous attire. Sire, nous vous en conjurons au nom de la patrie, au nom de votre bonheur et de votre gloire ; renvoyez vos soldats aux postes d'où vos conseillers les ont tirés ; renvoyez cette artillerie destinée à couvrir vos frontières ; renvoyez, surtout, les troupes étrangères, ces alliés de la nation, que nous payons pour défendre et non pour troubler nos foyers : Votre Majesté n'en a . pas besoin. Eh ! pourquoi un Roi, adoré de 25 millions de Français, ferait-il accourir à grands frais autour du trône quelques milliers d'étrangers? Sire, aux milieu de vos enfants; soyez gardé par leur amour : les députés de la nation sont appelés à consacrer avec vous les droits éminents de la royauté sur la base immuable de la liberté du peuple. Mais; lorsqu'ils remplissent leur devoir, lorsqu'ils cèdent à leur raison, à leurs sentiments, les exposeriez-vous au soupçon de n'avoir cédé qu'à la crainte ? Ah ! l'autorité que tous les cœurs vous défèrent est la seule pure, la seule inébranlable; elle est le juste retour de vos bienfaits, et l'immortel apanage des princes dont vous serez le modèle. On demande que l'adresse soit incessament présentée au Roi par une députation de vingt-quatre membres. En conséquence, M. le président nomme pour composer la députation : pour le clergé, MM. l'archevêque de Vienne, l'évêque de Chartres, les abbés Joubert, Chatizel, Grégoire et Yvernault; pour la noblesse, MM. le duc de la Rochefoucauld, le marquis de Crécy, le vicomte deToulon-geon, le marquis de Blacons, le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre; pour les communes, MM. le comte de Mirabeau, Corroler, Kegnault de Saint-Jean d'Angély, Robespierre, Marquis, Barrière de Vieuzac, de Séze, Delaunay, Pétion de Villeneuve, Buzot, de Kervélégan et Tronchet. M. Mounier fait le rapport du comité chargé de préparer le travail de la constitution. En voici le texte (1). Messieurs, vous avez établi un comité pour vous présenter un ordre de travail sur la constitution du royaume. Il va mettre sous vos yeux celui qu'il a jugé convenable, et vous examinerez dans votre sagesse s'il peut répondre aux vues qui vous.animent. Pour former un plan de travail sur un objet quelconque, il est nécessaire de l'examiner sous ses principaux rapports, afin de pouvoir classer les différentes parties. Comment établir leur liaison successive, si l'on n'a pas saisi l'ensemble? Il a fallu nous faire une idée précise du sens du mot Constitution ; et une fois ce sens bien déterminé, il a fallu considérer la constitution telle qu'elle a été entrevue par nos commettants. Nous avons pensé qu'une constitution n'est autre chose qu'un ordre fixe et établi dans la manière de gouverner; que cet ordre ne peut exister, s'il n'est appuyé sur des régies fondamentales, créées par le consentement libre et formel d'une nation ou de ceux qu'elle a choisis pour la représenter. Ainsi une constitution est une forme précise et constante de gouvernement, ou, si Ton veut, c'est l'expression des droits et des obligations des différents pouvoirs qui le composent. Quand la manière de gouverner ne dérive pas de la volonté du peuple clairement exprimée, il n'a point de constitution; il n'a qu'un gouvernement de fait qui varie suivant les circonstances, qui cède à tous les événements. Alors l'autorité a plus de puissance pour opprimer les hommes que pour garantir leurs droits. Ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés sont également malheureux. Sans doute nous ne pouvons pas dire qu'en France nous soyons entièrement dépourvus de toutes les lois fondamentales propres à former une constitution. Depuis quatorze siècles nous avons un Roi. Le sceptre n'a pas été créé par la force, mais par la volonté de la nation. Dès les premiers temps de la monarchie, elle fit choix d'une famille pour la destiner au trône. Les hommes libres élevaient le prince sur un bouclier, et faisaient retentir l'air de leurs cris et du bruit de leurs armes qu'ils frappaient en signe de joie. Des révolutions aussi fréquentes qu'elles devaient l'être chez un peuple qui n'avait pas assez clairement tracé les limites et qui n'avait jamais divisé les différents genres de pouvoirs, ont ébranlé le trône et changé les dynasties. Elles ont successivement favorisé l'accroissement ou la diminution de l'autorité royale, mais les Français ont toujours senti qu'ils avaient besoin d'un Roi. La puissance du prince a été longtemps enchaînée par l'aristocratie féodale, mais elle n'a jamais été oubliée par le peuple. On n'a jamais cessé de l'invoquer contre l'injustice, et, dans les temps même de la plus grossière ignorance, dans toutes les parties de l'Empire, la faiblesse opprimée a toujours tourné ses regards vers le trône comme vers le protecteur chargé de la défendre. Les funestes conséquences du partage de la puissance royale entre les princes de la même t i (1) Le rapport de M. Mounier est incomplet au Moniteur : nous reproduisons la version insérée au pro-cés-verbal. maison, ont su établir l'indivisibilité du trône, et la succession par ordre de primogéniture. Pour ne pas exposer le royaume à la domination des étrangers, pour réserver le sceptre à un Français et former des rois citoyens, les femmes sont exclues de la couronne. Ces maximes sacrées ont toujours été solennellement reconnues dans toutes les Assemblées des représentants de la nation, et nous avons été envoyés par nos commettants pour leur donner une nouvelle force. C'est encore un principe certain, que les Français ne peuvent être taxés sans leur consentement; et dans le long oubli des droits du peuple, toutes les fois que l'autorité s'est expliquée sui cet important objet, elle a cependant déclaré que les subsides doivent être un octroi libre et volontaire. Mais, malgré ces précieuses maximes, noua n'avons pas une forme déterminée et complète de gouvernement. Nous n'avons pas une constitution, puisque tous les pouvoirs sont confondus, puisqu'aucune limite n'est tracée. On n'a pas même séparé le pouvoir judiciaire du pouvoir législatif. L'autorité est éparse; ses diverses parties sont toujours en contradiction; et dans leur choc perpétuel, les droits des citoyens obscurs sont trahis. Les lois sont ouvertement méprisées, ou plutôt on ne s'est pas même accordé sur ce qu'on devait appeler des lois. L'établissement de l'autorité royale ne suffit pas sans doute pour créer une constitution : si cette autorité n'a point de bornes, elle est nécessairement arbitraire, et rien n'est plus directement opposé à une constitution que le pouvoir despotique: mais il faut avouer qu'en France le défaut de constitution n'a pas été jusqu'à ce jour favorable à la couronne. Souvent des ministres audacieux ont abusé de son autorité. Elle n'a jamais joui que par intervalle de toute la puissance qui doit lui appartenir pour le bonheur dt la nation. Combien de fois les projets conçui pour rendre les Français heureux ont éprouva des obstacles qui ont 'compromis la majesté di trône! N'a-t-il pas fallu combattre sans relâche et presque toujours avec désavantage, contre le prétentions des corps, et une multitude de privi léges. Le pouvoir, en France, n'a point eu jusqu'à ( jour de base solide, et sa mobilité a souvent pei mis à l'ambition de se l'approprier pour le faii servir au succès de ses vues. Une constitution qui déterminerait préciserne' les droits du monarque et ceux de la nation, s< rait donc aussi utile au Roi qu'à nos concitoyer Il veut que ses sujets soient heureux; il joui de leur bonheur; et quand il agira au nom d lois qu'il aura concertées avec les représentai de son peuple, aucun corps, aucun particuli quels que soient son rang et sa fortune, n'ai la témérité de s'opposer à son pouvoir. Son s sera mille fois plus glorieux et plus fortuné c celui du despote le plus absolu. La puissance bitraire fait le malheur de ceux qui l'exerce Les agents ayxquels on est forcé de la conf s efforcent constamment de l'usurper pour 1 propre avantage. Il faut sans cesse la céder 01 conquérir. Et, comme l'a dit un de nos premiers oratei dans quel temps de notre monarchie voudrait choisir les exemples de notre prétendue cou tution? Proposera-t-on pour modèles les chai de mars et les champs de mai sous la prem et la seconde race, où tous les hommes libre rendaient en armes, et délibéraient sur affaires publiques? Sans doute, nous ne désirons pas aujourd'hui une liberté orageuse, qui, ayant besoin du concours général et presque existant d'une foule immense d'individus, ne pourrait subsister qu'en rétablissant aussi, à l'exemple-de no3 ancêtres, la servitude domestique et celle de la glèbe, afin qu'en l'absence de la plupart des hommes libres, les esclaves prissent soin de nos terres et de nos maisons. Nous ne désirons pas lune liberté sans règle, qui place l'autorité arbitraire dans la multitude, la dispose à l'erreur, à la précipitation, appelle l'anarchie, et le despotisme marchant toujours à sa suite, prêt à saisir ga proie. Appellerons-nous conslitution du royaume l'aristocratie féodale, qui, pendant si longtemps, ja opprimé, dévasté cette belle contrée? Regretterons-nous le temps où les réprésen-jtants du clergé, de la noblesse et des communes, «appelés à de longs intervalles pour fournir des subsides au prince, présentaient des requêtes et des doléances, se laissaient interdire, par des arrêts du Conseil, le droit de délibérer, laissaient subsister tous les abus, se livraient entr'eux à de méprisables querelles, consolidaient l'esclavage au lieu de le détruire, et dévouaient leur patrie, par leur faiblesse, à tous les maux qu'ils (savaient décrire dans leurs plaintes, et dont ils n'osaient entreprendre d'empêcher le retour? Si [c'est là l'exemple qui peut nous séduire, renonçons aux Etats généraux; ils seront inutiles comme les précédents; ils seront des moyens de Iplus pour opprimer la France. Choisirons-nous le temps qui s'est écoulé depuis 1614, c'est-à-dire, celui où tous les droits ont été méconnus, où le pouvoir arbitraire a laissé la nation sans représentants? Alors pourquoi serions-nous assemblés? Pourquoi aurions-nous accepté la confiance de nos commettants? Mais nous ne perdrons pas un temps précieux à disputer sur les mots, si tous sont d'accord sur les choses. Ceux mêmes qui soutiennent que nous avons une constitution, reconnaissent qu'il faut la perfectionner, la compléter. C'est une heureuse constitution qu'on désire. Plaçons dans le corps de la constitution, comme lois fondamentales, tous les vrais principes. Répétons-les encore pour leur donner une nouvelle force, s'il est vrai qu'ils aient déjà été prononcés. Détruisons ce qui est évidemment vicieux. Fixons enfin la constitution de la France; et quand les bons citoyens en seront satisfaits, qu'importe que les uns disent qu'elle est ancienne, et d'autres qu'elle est nouvelle, pourvu que, par le consentement général, elle prenne un caractère sacré ? La plus grande partie des pouvoirs, et peut-, être tous, nous imposent la nécessité de fixer la | constitution du royaume, d'établir ou de déter-I miner des lois fondamentales pour assurer à ja-j mais la prospérité de la France. Nos commettants ' nous ont défendu d'accorder des subsides avant ! l'établissement de la constitution. Nous obéirons donc à la nation» en nous occupant incessamment de cet important ouvrage. Nous n'abandonnerons jamais nos droits, mais nous saurons ne pas les exagérer. Nous n'oublierons pas que les Français ne sont pas un peuple nouveau, sorti récemment du fond des forêts pour former une association, mais une grande société de 24 millions d'hommes qui veut resserrer les liens qui unissent toutes ses parties, qui veut régénérer le royaume, pour qui les principes de la véritable monarchie seront toujours sacrés. Nous n'oublie!ons pas que nous sommes comptables à la nation de tous nos instants, de toutes nos pensées; que nous devons un respect et une fidélité inviolables à l'autorité royale, et que nous sommes chargés de la maintenir, en opposant des obstacles invincibles au pouvoir arbitraire. Nous distinguerons, Messieurs, parmi les objets qui nous sont recommandés, ce qui appartient à la constitution, et ce qui n'est propre qu'à former des lois. Cette distinction est facile; car il est impossible de confondre l'organisation des pouvoirs de l'Etat avec les règles émanées de la législation. Il est évident que nous devons nous considérer sous deux points de vue différents, en nous occupant du soin de fixer cette organisation sur deâ bases solides. Nous agirons comme constituants, en vertu des pouvoirs que nous avons reçus: en nous occupant des lois, nous agirons simplement comme constitués. Mais devons-nous premièrement nous occuper de la constitution ou des lois? Sans doute, le choix n'est pas difficile. Si l'on préparait des lois avant d'assigner le caractère et les limites des différents pouvoirs, on trouverait, il est vrai, le grand avantage de graduer tellement notre marche,que nous nous exercerions, pour ainsi dire, dans les choses plus faciles, pour passer à de plus grandes difficultés; mais ceux qui préféreraient cet ordre, doivent considérer que si nous commencions par nous occuper des articles de la législation contenus dans les différents cahiers, nous ferions naître les questions en grand nombre : chacun, pour donner des preuves de son zèle, voudrait proposer la réforme d'un abus. Dans la diversité des objets qui s'offriront à la fois, il faudra décider quels sont ceux qui méritent le plus d'importance; les discussions n'auront point de terme, et nous retarderons la restauration du crédit national, puisque nous ne pourrons nous occuper des subsides qu'après l'établissement de la constitution. Ceux qui connaissent le prix du temps, et qui veulent se prémunir contre les événements, choisissent toujours parmi les actions qu'ils se proposent, ce qui est indispensable, avant de passer à ce qui est utile ou à ce qui peut être différé. Certainement les maux de nos concitoyens exigent de nouvelles lois ; mais il est bien moins important de faire des lois que d'en assurer l'exécution ; et jamais les lois ne seront exécutées, tant qu'on n'aura pas détruit le pouvoir arbitraire par une forme précise de gouvernement. D'ailleurs, il n'est pas de loi importante dont les dispositions ne rappellent les différents pouvoirs, et ne soient calquées sur leur organisation. Il est malheureux, sans doute, que nous ne puissions pas, dans une seule session, faire tout le bien que notre zèle pourrait nous inspirer; mais faisons au moins ce qui est évidemment nécessaire. Il n'est point de maux dont la liberté ne consolé, point d'avantages qui puissent en compenser la perte. Saisissons l'instant favorable, hàtons-nous de la procurer à notre patrie. Profitons des intentions bienfaisantes de Sa Majesté : quand une fois la liberté sera fixée, et que le pouvoir législatif sera déterminé, les bonnes lois se présenteront naturellement. C'est en assurant le retour périodique ou la permanence des Assemblée nationales, c'est en déterminant leurs formes et leur composition, en réglant les limites de tous les pouvoirs, que vous établirez la liberté. Il n'est aucun de nous qui ne dût s'estimer très-heureux de I pouvoir présenter à ses commettants, comme le seul résultat des travaux de cette Assemblée, une bonne constitution; et sans doute nous ne serions pas honorés de leur approbation, si nous leur présentions quelques lois isolées, en abandonnant la liberté publique. Le but de toutes les sociétés étant le bonheur général, un gouvernement qui s'éloigne de ce but, ou qui lui est contraire, est essentiellement vicieux. Pour qu'une constitution soit bonne, il faut qu'elle soit fondée sur les droits des hommes, et qu'elle les protège évidemment ; il faut donc, pour préparer une constitution, connaître les droits que la justice naturelle accorde à tous les individus, il faut rappeler les principes qui doivent former la base de toute espèce de société, et que chaque article de la constitution puisse être la conséquence d'un principe. Un grand nombre de publicistes modernes appellent l'exposé de ces principes une déclaration de droits. Le comité a cru qu'il serait convenable, pour rappeler le but de notre constitution, de la faire précéder par une déclaration des droits des nommes; mais de la placer, en forme de préambule, au-dessus des articles constitutionnels, et non de la faire paraître séparément. Le comité a pensé que ce dernier parti présenterait peu d'utilité, et pourrait avoir des inconvénients; que des idées arbitraires et philosophiques, si elles n'étaient accompagnées des conséquences, permettraient d'en supposer d'autres que celles qui seront admises par l'Assemblée; qu'en n'arrêtant pas définitivement la déclaration des droits jusqu'au moment où. l'on aura achevé l'examen de tous les articles de la constitution, on aurait l'avantage de combiner plus exactement tout ce qui doit entrer dans l'exposé des principes, et être accepté comme conséquence. Cette déclaration devrait être courte, simple, et précise. C'est donc de la déclaration des droits, considérée comme préambule de la constitution, que l'Assemblée doit d'abord s'occuper, sans l'arrêter définitivement. Ici, le comité doit faire part de ses vues sur la direction des travaux de l'Assemblée, relativement à la constitution : cet objet est trop important pour qu'on ne réunisse pas toutes les lumières. Il serait infiniment dangereux de confier à un comité le soin de rédiger un plan de constitution, et de le faire juger ensuite dans quelques séances. 11 ne faut point ainsi mettre au hasard des délibérations précipitées, le sort de 24 millions d'hommes; il serait plus conforme à la prudence de faire discuter tous les articles de la constitution dans tous les bureaux à la fois, d'établir un comité de correspondance, qui se réunirait à certaines heures pour comparer les opinions qui paraîtraient prévaloir dans les différents bureaux, et qui tâcherait, par ce moyen, de préparer une certaine uniformité de principes. Comme les articles de la constitution doivent avoir la liaison la plus intime, on ne peut en arrêter un seul avant d'avoir bien mûrement réfléchi sur tous. Le dernier article peut faire naître des réflexions sur le premier, qui exigent qu'on y apporte des changements ou des modifications. La discussion des articles de la constitution consumera peut-être un temps considérable; mais aucun motif ne doit nous inspirer le dessein d'agir avec précipitation. Le plus grand de tous les malheurs auxquels nous puissions être exposés, serait d'établir une constitution vicieuse. Mais pour qu'on ne puisse pas nous croire dans l'inertie, pendant que nous agiterons les plus grands intérêts, et afin de faciliter à tous les membres de cette Assemblée les moyens de s'éclairer mutuellement, on tiendrait chaque semaine trois séances générales, où l'on discuterait en public les objets qui auraient déjà été soumis à une discussion dans les bureaux. En nous conduisant ainsi, nous réunirions plusieurs avantages, celui de nous conformer aux principes, et celui de profiter des lumières de ceux qui attendent de nouvelles instructions pour voter dans cette Assemblée. Ils s'empresseront sans doute de nous communiquer leurs réflexions; et, pendant cet examen, ils pourront trouver le temps nécessaire pour obtenir une plus grande liberté, sans que l'activité de l'Assemblée, qui ne doit jamais être suspendue, soit subordonnée à cette considération. Après la déclaration des droits dont les hommes doivent jouir dans toutes les sociétés, on passe rait aux principes qui constituent la véritable monarchie, ensuite aux droits du peuple Français. Les représentants de la nation, en renouvelant solennellement la déclaration des droits du Roi, appuieront son autorité sur des bases inaltérables. On examinerait successivement tous les moyens qui doivent assurer l'exercice des droits respectifs de la nation et du monarque. Le comité aura l'honneur de mettre sous les yeux la principale division d'un plan de constitution. Si l'Assemblée le désire, il lui présentera incessament le tableau des sous-divisions. Nous touchons donc au moment qui doit régler) la destinée de la France. Puisse votre zèle, Messieurs, obtenir tout le succès dont il est digne !| puisse une confiance réciproque dissiper toute^ les alarmes 1 puisse-t-on ne jamais,oublier que tout ce qui est juste et utile, tout ce qui contribue au maintien de l'ordre public, importe à la nation, et que nous en sommes tous les défenseurs! Sans doute les députés de toutes les parties du royaume ne s'occuperont plus des anciens1 droits particuliers qui ne garantissaient pas leurs] provinces du joug du pouvoir arbitraire, ils préféreront une liberté générale, une félicité commune, au triste privilège d'être distingués dans la servitude par quelques faibles avantages. Puissent enfin toutes les provinces, par l'organe de leurs représentants, contracter entr'elles et avec le trône une alliance éternelle 1
ORDRE DU TRAVAIL
Proposé par le comité. Art. Ier Tout gouvernement doit avoir pour unique but, le maintien du droit des hommes : d'où il suit que pour rappeler constamment le gouvernement au but proposé, la constitution doit commencer par la déclaration des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Art. 2. Le gouvernement monarchique étant propre à maintenir ses droits, a été choisi par la nation Française; il convient,%surtout, à une grande société; il est nécessaire au bonheur de la France: la déclaration des principes de ce gouvernement doit donc suivre immédiatement la déclaration des droits de l'homme. Art. 3. Il résulte des principes de la monarchie, que la nation, pour assurer ses droits, a concédé au monarque des droits particuliers. La constitution doit donc déclarer d'une manière précise les droits de l'une et de l'autre. Art. 4. Il faut commencer par déclarer les droits de la nation Française. Il faut ensuite déclarer les droits du Roi,
Art. 5. Les droits du Roi et de la nation n'existant que pour le bonheur des individus qui la composent, ils conduisent à l'examen des droits des citoyens. Art. 6. La nation Française ne pouvant être individuellement réunie pour exercer tous ses droits, elle doit être représentée : il faut donc énoncer le mode de sa représentation et les droits de ses représentants. Art. 7. Du concours des pouvoirs de la nation et du Roi, doivent résulter rétablissement et l'exécution des lois : ainsi il faut d'abord déterminer comment les lois seront établies. Ensuite on examinera comment les lois seront exécutées. Art. 8. Les lois ont pour objet l'administration générale du royaume, les actions des citoyens ict les propriétés. L'exécution des lois qui concernent l'administration générale, exige des Assemblées provinciales et des Assemblées municipales. Il faut donc examiner quelle doit être l'organisation des Assemblées provinciales, quelle doit être l'organisation des Assemblées municipales. Art 9. L'exécution des lois qui concernent les propriétés et les actions des citoyens, nécessite |ie pouvoir judiciaire ; il faut déterminer comment il doit être confié; il faut déterminer ensuite ses obligations et ses limites. Art. 10. Pour l'exécution des lois, et la défense du royaume ; il faut une force publique. Il s'agit donc de déterminer les principes qui doivent la diriger.
Récapitulation. Déclaration des droits de l'homme. Principes de la monarchie. Droits de la nation. Droits du Roi. Droits des citoyens sous le gouvernement Français. Organisation et fonctions de l'Assemblée nationale. Formes nécessaires pour l'établissement des lois. Organisation et fonctions des Assemblées provinciales et municipales. Principes, obligations et limites du pouvoir judiciaire. Fonctions et devoirs du pouvoir militaire.
L'Assemblée ordonne l'impression du rapport. Elle décide, en outre, que les bureaux s'assembleront dans la soirée pour conférer sur cet objet.
La séance est levée.