Brissot, dans le Patriote, fit cet éloge illimité du discours de Saint-Just:
« Saint-Just traite la question à fond, et sous tous ses rapports politiques et moraux; il déploie de l'esprit, de la chaleur et de la philosophie, et honore son talent en défendant la liberté du commerce » (N° 1207, p. 622)
Cet éloge étourdi, insensé, donné par l'homme le plus considérable de la Gironde à l'adversaire de Cambon, dut prouver à celui-ci qu'il n'avait à attendre aucun appui de la droite.
La déclamation du jeune homme était accueillie par elle, sans qu'elle s'aperçût seulement que ce discours renversait la pierre angulaire de la Révolution, l'assignat.
Ébranler la foi à cette base de papier, la rendre chancelante, dans une telle crise, dans des besoins si impérieux, et lorsqu'on ne proposait, en réalité, aucun moyen sérieux qui y suppléât, c'était une grande légèreté, une étonnante ignorance de la situation.
Triple faute. Robespierre voulait une petite guerre bornée, décourageait la grande guerre de la révolution du monde.
— Saint-Just déchirait le papier qui seul soutenait cette guerre; il immobilisait la terre mobilisée par l'assignat, coupait l'aile à la Révolution.
— Et la Gironde, à cela que disait-elle, elle qui, jusque-là, lançait la guerre et l'assignat?
La Gironde ? chose incroyable, elle applaudissait.
Il y avait là-dessous, on est tenté de le croire, des rivalités fâcheuses, une envie peu honorable.
Les Girondins, très-probablement, goûtaient peu la surveillance de Cambon sur Clavières, leur ministre des finances.
Cambon, délaissé de la Gironde, avait à faire de deux choses l'une, ou s'en aller comme Barère, faire amende honorable aux Jacobins, se soumettre à Robespierre, subordonner les affaires aux déclamations et demander conseil à la science de Saint-Just, ou bien, passer pardessus, précipiter au delà de la prudence jacobine le char de la Révolution, pousser la guerre et réglementer la conquête de manière à ce qu'elle fût la Révolution elle-même.
Il ne s'adressa ni à la Gironde ni à la Montagne, mais à la Convention, et, contrairement aux idées émises par Robespierre, il proposa, le 15 décembre, le grand et terrible décret de la guerre révolutionnaire, la charte de la conquête, ou plutôt de la délivrance.
Personne ne contredit.
C'était la Révolution, cette fois, qui avait parlé elle; c'était le second coup de trompette qu'elle sonnait aux nations.