Nous le savons, Marie-Antoinette, musicienne accomplie, aimait la mandoline.
https://maria-antonia.forumactif.com/t28204-la-mandoline-guitare-luth-de-marie-antoinette-bientot-aux-encheresOn va donc replonger dans l'univers qui était le sien.
Res Musica nous propose de redécouvrir les splendeurs de la musique pour mandoline du tournant des XVIIIe et XIXe siècles.
- Raffaele La Ragione et Marco Crosetto nous restituent quelques pages pour instrument à clavier et mandoline, datant du tournant des XVIIIe et XIXe siècles, un travail surprenant de beauté et de grâce.
Pour ce nouveau disque, les artistes abordent un florilège d’œuvres de Ludwig van Beethoven, Bartolomeo Bortolazzi et Johann Nepomuk Hummel élaborées soit pour mandoline et clavecin, soit pour pianoforte avec accompagnement de mandoline. Beethoven et Hummel, on les connaît. Moins connu Bortolazzi est né de parents musiciens en 1772 à Toscolano-Maderno, une ville qui faisait alors partie de la République de Venise, située aujourd’hui dans la province de Brescia, sur les rives du Lac de Garde. Très jeune, il fit des tournées de concerts à travers le nord de l’Italie, rencontrant un succès considérable. En 1799, il s’installa à Londres où il rencontra Hummel. Ce dernier, impressionné par la virtuosité de Bortolazzi, lui dédia le Concerto pour mandoline et orchestre en sol majeur, conservé à la British Library.
Pour ce qui est des sonates de Bortolazzi et de Hummel, contemporaines l’une de l’autre (publiées à quelques années d’intervalle, vers 1804 et 1810) et portant des titres presque identiques, nous avons affaire à des pages sensiblement différentes dans leur écriture. Le premier compositeur tente de mettre en lumière les caractéristiques cantabile et la technique de la mandoline, nous proposant des thèmes agréables et simples qui passent entre les deux instruments, sans attention particulière aux aspects formels. Hummel s’avère un compositeur plus accompli, et même si sa pièce se concentre sur le pianoforte, on perçoit plus d’équilibre dans l’ensemble.
En ce qui concerne les quatre partitions de Beethoven qui nous sont offertes ici – partiellement inédites jusqu’en début du XXe siècle –, elles furent façonnées lors de son séjour à Prague, lorsqu’il avait vingt-six ans, ville où la mandoline jouissait d’une popularité remarquable. Probablement, l’Andante et variations en ré majeur, la Sonatine en ut majeur et l’Adagio ma non troppo en mi bémol majeur furent écrits sous le charme éprouvé par le jeune compositeur pour Joséphine Clary-Aldringen, âgée alors de dix-huit ans, à qui il dédia également son célèbre air de concert Ah ! perfido op. 65. Selon les témoignages de ses contemporains, elle fut une bonne chanteuse, tout comme une joueuse de mandoline amateur talentueuse. Le palais dans lequel vivait son futur époux, le comte – et où Beethoven rendit visite –, appartenait à la famille des Clams-Gallas, et c’est dans cet endroit, au grenier, qu’on aura trouvé plus de cent ans plus tard ces partitions, recouvertes de poussière et de suie, de sorte qu’on fût d’abord incapable d’en déchiffrer les notes.
Pour le choix de leur instrumentarium, Raffaele La Ragione et Marco Crosetto ont opté pour une mandoline de Brescia à quatre cordes en boyau (sol – ré – la – mi) et deux pianofortes. Ceux-ci doivent leur construction à Paul McNulty – en 2004 et 2010 –, qui a pris comme modèle un instrument d’Anton Walter de 1792 (les œuvres de Beethoven) et un instrument de Conrad Graf de 1819, conservé dans le château de Kozel près de Pilsen en République tchèque (les pages de Bortolazzi et Hummel). La question est de savoir quels instruments étaient employés par Beethoven pour l’exécution de ses œuvres car il s’agit du moment de l’histoire où le clavecin et le pianoforte étaient tous deux pratiqués. Le clavecin était déjà un peu démodé mais encore largement utilisé notamment dans de nombreux foyers, alors que le pianoforte offrait des possibilités sonores et expressives plus vastes.
Quant à la mandoline de Brescia, elle a été réalisée par Lorenzo Lippi (Milan, 2018) d’après l’original fabriqué par Carlo Bergonzi II (Crémone, fin du XVIIIe siècle), actuellement exposé au Musée national des instruments de musique de Rome. Notons que la mandoline de Brescia est un descendant de la famille du luth. De ce dernier instrument, elle hérite de quelques unes de ses caractéristiques essentielles, telles que les cordes en boyau, le chevalet fixe, une table d’harmonie simple et des côtes larges, tandis que la mandore de la Renaissance lui lègue le nombre de chœurs : quatre, et à cordes simples. Il s’agit donc d’un instrument qui représentait une synthèse parfaite des instruments à cordes pincées d’avant l’époque baroque, avec des aspects pratiques comme la taille réduite et l’accordage en quintes. La naissance de cet instrument est attribuée par beaucoup à Bartolomeo Bortolazzi, mais cette hypothèse semble peu fiable car la mandoline avait été utilisée à Brescia bien avant lui. Pour ce qui est de Beethoven, il a sans doute composé pour une mandoline accordée en quintes.
Dans leur prestation, Raffaele La Ragione et Marco Crosetto nous servent un véritable banquet musical : nous sommes subjugués par la subtilité et la sérénité de leur dialogue. Comme les œuvres du maître de Bonn n’existent pas dans une version définitive (on dispose de manuscrits comme de copies qui divergent en certains points), les chambristes s’autorisent de prendre çà et là quelques libertés, faisant preuve d’une science raffinée des ornementations – exécutées toujours dans l’esprit de l’interprétation musicale de l’époque, telle que nous la décrivent les sources disponibles – et d’habileté dans la fusion des diverses moutures existantes. De cette façon, la bellissime Sonatine en ut mineur se voit enrichie de variations improvisées par Raffaele La Ragione et Marco Crosetto, ainsi que des variations qui figurent dans la copie de la British Library de Londres, mais ne font pas partie du manuscrit. Ils le font avec autant d’adresse qu’en écoutant le disque sans la partition devant les yeux, on ne se rend pas compte de ces interventions. Raffaele La Ragione fait chanter sa mandoline avec une délicatesse qui nous démontre que Beethoven a dû être vraiment amoureux de la future comtesse.
Le mouvement accélère à partir de l’Allegro de la Sonate de Bartolomeo Bortolazzi, se parant d’élan et de brio. Les interprètes impressionnent par la virtuosité et séduisent par une régularité du pouls qui n’exclut pas l’ampleur de la respiration. Si le pianoforte utilisé dans les œuvres de Beethoven charmait par l’élégance et la finesse du toucher, celui de la Sonate de Bortolazzi se marie avec des sonorités plus consistantes, faisant parfois tonner l’instrument qui semble poussé à ses limites. C’est perceptible aussi dans la Sonate de Hummel qui non seulement fait dialoguer les deux instruments, mais donne lieu également à une prodigieuse rivalité, procurant toute une variété d’atmosphères, oscillant entre suavité et fureur. Les trémolos joués par la mandoline à la fin du finale, juste avant les derniers accords, représentent un moment magique qui aiguise notre appétit pour la suite. Du grand art.
par Maciej Chiżyński
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Détails : Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Andante et variations en ré majeur pour mandoline et clavecin WoO 44/b ; Sonatine en ut majeur WoO 44/a ; Sonatine en ut mineur WoO 43/a ; Adagio ma non troppo en mi bémol majeur WoO 43/b.
Bartolomeo Bortolazzi (1773-1846) : Sonate pour pianoforte avec accompagnement de mandoline ou violon en ré majeur op. 9.
Johann Nepomuk Hummel (1778-1837) : Grande sonate pour clavecin ou pianoforte avec accompagnement de mandoline ou violon obligé en ut majeur op. 37a.
Marco Crosetto, pianoforte ; Raffaele La Ragione, mandoline.
1 CD Arcana. Enregistré du 7 au 9 juin 2019 au Studio Rosso, Zanotto strumenti, Silvelle di Trebaseleghe, Padoue (Italie).
Textes de présentation en anglais, allemand et italien. Durée : 50:02