Et oui, encore un sujet comme on les aime dans le Boudoir de Marie-Antoinette !
- Alors que The Crown, Hollywood et autres Peaky Blinders font un tabac sur les écrans, les créateurs revisitent les garde-robes du passé, à grand renfort de crinolines et de corsets, avec un peu de nostalgie et beaucoup de fantaisie.
Par Valérie Guédon
Depuis le 1er mai, la série Hollywood de Ryan Murphy sur Netflix ravive le glamour des années 1950, à travers de jeunes talents aspirant à devenir des stars de cinéma. NetflixDes manches gigot en veux-tu en voilà, des cascades de guipures dignes du trousseau de la comtesse Greffulhe, des tailles cintrées dans des néocorsets que n'aurait pas reniés Madame de Pompadour, des hanches gonflées reprenant les paniers de la comtesse du Barry et des traînes à plis Watteau semblables à celles des favorites de la cour de Louis XVI… Les collections printemps-été 2020 foisonnent de références aux costumes historiques.
Balenciaga, défilé printemps-été 2020-2021 BalenciagaAlors qu'on lui soumet les photos des derniers défilés de Loewe, Balenciaga, Alexander McQueen et Valentino, Xavier Chaumette, historien de la mode et professeur à Esmod, est catégorique : « Sur ces différents podiums, je note des clins d'œil à la fin du XVIIIe siècle, la référence chronologique la plus simple et la plus répandue parce que la plus cohérente en termes de mode, mais aussi de décoration, d'arts et de goût en général. Quelques lignes évoquent également les tenues du second Empire et, ici ou là, des touches caractéristiques de la Belle Époque, la dentelle, les robes à la Doucet, etc. Ces silhouettes sont construites comme des patchworks de différentes époques, formant le socle de la féminité d'autrefois et flirtant avec le cliché de l'habit patrimonial. »
Claire Foy dans The Crown (2016) The CrownSi le phénomène est assez répandu pour être décrypté dans ces colonnes, il n'est pas assez nouveau pour que l'expert s'en émeuve : « C'est une thématique récurrente de la mode contemporaine. Dans les années 1920 et 1930, les couturiers se sont jetés à corps perdu dans le passé, symptôme d'une crise économique et morale. Tendance que l'on retrouve dans les années 1940 avec le New Look de Christian Dior ; puis, avec l'ère passéiste de la fin 1980 – début 1990 et les collections de Vivienne Westwood, Jean Paul Gaultier, Karl Lagerfeld chez Chanel, John Galliano. L'apothéose étant Christian Lacroix et ses robes à nœuds et crinolines proches du costume de scène. À chaque fois, il faut y voir le retour d'un luxe excessif, d'une allure très habillée, d'une certaine fantaisie. »
Moschino, défilé automne-hiver 2020-2021 MoschinoKim Kardashian en corset et joggingTirer l'inspiration du passé est un procédé aussi ancien que le prêt-à-porter – on pourrait même remonter aux origines de la couture et aux toges antiques de Mme Grès ! Mais revenons à l'année 1990, au mois de mars pour être plus précis. Sous les lustres style Regency de l'Institute of Directors de Londres, la reine du punk Vivienne Westwood présente l'automne-hiver 1990-1991. Intitulée Portrait, cette collection fait s'entrechoquer la liberté sexuelle chère à la Britannique et la flamboyance baroque des peintures du XVIIIe siècle. Pièce maîtresse de ce défilé, un corset dont l'imprimé est tiré de Daphnis et Chloé, l'huile sur toile de François Boucher (1743) que vient de découvrir Westwood à la Wallace Collection. À mille lieues des tendances futuristes et minimalistes d'alors, l'esprit tout en couleurs pastel et angelots rougeauds typiques des XVe et XVIe siècles souffle un vent de douceur dans les dressings.
La chanteuse FKA Twigs en robe vintage de Vivienne Westwood FKA TwigsTrente ans plus tard, la chanteuse FKA Twigs qui avait déjà montré son penchant pour l'habit historique, à travers les tenues de scène (crinoline, volants, tricorne) de sa dernière tournée, braque à nouveau les projecteurs sur cette collection culte, en portant le fameux corset lors de la promotion de son album
Magdalene. « De nombreuses célébrités plébiscitent les créations de Westwood à références historiques sur les tapis rouges et en dehors », confirme Steven Philip, consultant de mode et collectionneur réputé que beaucoup de ces people viennent dévaliser. On a ainsi vu Kim Kardashian arborer à plusieurs reprises, dans son quartier de Los Angeles et sur son compte Instagram (aux 162 millions d'abonnés), les corsets de Queen Viv' qu'elle décale avec un jogging et une énorme doudoune. « Un mélange intéressant qui montre à tel point ces modèles sont toujours dans l'air du temps, s'enthousiasme le Londonien. Le marché du luxe est si dilué que les gens s'y perdent. Or, ils sont de plus en plus nombreux à rechercher l'exceptionnel et la créativité. D'où leur tendance à regarder vers le passé pour y dénicher des pièces emblématiques. Et une fois qu'une personne s'y intéresse et, qui plus est une star, c'est l'effet domino. »
Cillian Murphy dans Peaky Blinders (2013) Peaky BlindersLa tradition anglaise des «Costume Drama»Kim Kardashian n'est pas la seule à s'enticher de l'habit d'époque (certes, dans son cas, réinterprété au goût des années 1990). De notre côté de l'Atlantique, près de 8 millions de personnes ont suivi cet hiver
Le Bazar de la Charité. Diffusée sur TF1 et Netflix, la série historique inspirée d'un tragique incendie qui fit 125 morts à la fin du XIXe siècle a atteint un record d'audience digne d'un événement sportif. Les Britanniques appellent le genre un costume drama, dont ils sont les champions avec
Downton Abbey, Peaky Blinders, The Crown, Catherine the Great… « En Angleterre, ce type de programmes est un passage obligé, explique Constance Jamet, journaliste au Figaro, experte en séries télévisées. Tous les cinq à dix ans, la télévision britannique propose des adaptations des classiques de Jane Austen ou de Dickens. Les mini-séries historiques sont aussi monnaie courante. Cela fait partie du cahier des charges de la BBC afin d'éduquer le grand public. À force, leurs producteurs et réalisateurs maîtrisent l'exercice comme personne : reconstituer les grands moments de l'Histoire tout en prenant des libertés avec les faits pour moderniser l'intrigue et capter l'attention des téléspectateurs, notamment des plus jeunes. »
Loewe, défilé printemps-été 2020 LoeweAinsi
Downton Abbey s'attache aux mœurs d'une maisonnée aristocratique dans les années 1910 ;
Peaky Blinders retrace les aventures d'une bande de gangsters dans l'entre-deux-guerres sur fond de rock indé tandis que
The Crown relate la vie de la famille royale avec plus ou moins de controverses à chaque nouvelle saison. « Les Anglo-Saxons ont le goût des reconstitutions, une sensibilité pour le sujet, approuve Xavier Chaumette. Il suffit de louer une maison du National Trust pour s'en rendre compte : quelques jours dans le décor de ces demeures merveilleusement conservées et vous avez l'impression d'opérer un bond dans le temps. » Ce tropisme britannique en dit long sur les inspirations des créateurs de sa Majesté, tels Jonathan Anderson (dont la collection été pour Loewe est truffée de références historiques) et Sarah Burton pour Alexander McQueen (de tout temps, nourrie par la force du costume).
Elizabeth McGovern, Michelle Dockery et Laura Carmichael dans Downton Abbey (2019)Mais il en va de même en France. En témoigne le penchant certain de Nicolas Ghesquière pour les anachronismes stylistiques, empruntant autant à l'habit à la française qu'aux tenues de science-fiction chez Louis Vuitton. Cet été, il cite à travers ses chemises à manches bouffantes, déshabillés à étages 1910 et autres tournures de robes d'autrefois, la Belle Époque qui, pour lui, « incarne le prestige de la France. L'époque des expositions universelles, comme celle où l'on découvrira la tour Eiffel. Une période enthousiaste et en grande mutation. […] Travailler sur les notions du suranné, du désuet, de la nostalgie d'un temps rêvé et comment les remettre au goût du jour. Notamment ce dandysme et ces snobismes très particuliers qui vont dessiner ce que l'on appellera, plus tard, l'élégance française. »
Un chœur de personnages en costumes lors du défilé Louis Vuitton, automne-hiver 2020-2021Une allure qui implique une certaine complexité, un raffinement dans le vêtement… évidemment plus difficile à copier par la fast fashion. « Redonner le must à l'élite, résume l'historien Xavier Chaumette. Après avoir tenté de se démocratiser, le luxe tend vers plus d'excentricité. On lui a tellement fait un procès d'intention, disant que toutes les collections se ressemblaient, que la fantaisie avait disparu au profit de la rentabilité. Les créateurs ont de nouveau envie de s'amuser et de faire de leur défilé un show hors du commun. »
Alexander McQueen, défilé printemps-été 2020 Alexander McQueenSi ces looks aimantent les likes sur les réseaux sociaux, qu'en est-il de leur réalité en boutiques ? Pour la directrice du style du Bon Marché Rive Gauche, Jennifer Cuvillier, « cette mode théâtrale s'apparente à un dressing extraordinaire proche de la couture, un ensemble de “pièces de défilés” que les marques vont édulcorer, simplifier pour la vie quotidienne et leurs différents points de vente. » Sur le site anglais (encore eux) MatchesFashion, la directrice des achats Natalie Kingham confirme « une sensibilité pour cette garde-robe romantique. Les volants, les maxi-longueurs, les manches volumineuses sont très populaires auprès de nos clientes. Elles recherchent ces pièces uniques, un sens de l'artisanat qui les rend spéciales. Cela dit, elles portent ces tenues de manière contemporaine, en les associant avec une paire de boots plates, parce qu'elles ne veulent surtout pas avoir l'air de sortir d'un film historique ! »
Helen Mirren dans Catherine the Great (2019) Catherine the Greathttps://www.lefigaro.fr/