L’historien-voyageur Bernard Jimenez a reconstitué le périple de l’illustre explorateur français et suivi le parcours des frégates « la Boussole » et « l’Astrolabe » au XVIIIe siècle. L’auteur invite à une navigation autour du monde au côté de cette assemblée savante.
« Nous, Louis XVI, en cette année 1785, donnons ordre à Monsieur de La Pérouse de mener à bien une expédition autour du monde à des fins géographiques, scientifiques, politiques et commerciales. (…) Dans les contrées visitées, il devra se concilier l’amitié des principaux chefs et n’usera de la force qu’avec la plus grande modération. » Passionné de sciences, le roi demande au comte de Lapérouse d’achever l’œuvre de l’Anglais James Cook (1728-1779), premier explorateur des côtes australiennes, tué à Hawaï. Quand, le 1er août, les frégates la Boussole et l’Astrolabe quittent Brest, il s’agit certes de tracer les contours du Pacifique mais aussi de concurrencer les Anglais sur les mers. Ce sera le grand voyage du siècle des Lumières.
Avec minutie, l’historien Bernard Jimenez, membre de la Société des explorateurs français, embarque le lecteur au cœur du périple. Le journal rédigé par Lapérouse fait état de la présence à bord d’une dizaine de savants – astronomes, physiciens, botanistes, géographes, naturalistes –, de médecins, d’aumôniers et de dessinateurs. Matériel scientifique, animaux, vivres, plantes, objets d’échange complètent l’avitaillement pour une mission prévue sur quatre années. D’escale en escale, de Madère à l’île de Pâques en passant par le cap Horn, des côtes de l’Alaska aux Philippines, de Monterey (Californie) au Kamtchatka puis à l’Australie, l’auteur revivifie les événements que traversent équipages et scientifiques.
Aux prémices de l’anthropologieOutre le travail géographique, Bernard Jimenez salue l’attitude de Lapérouse face aux populations qu’il rencontre, « évitant tout jugement selon la morale européenne ». Une démarche originale au XVIIIe siècle, alors que les colonisateurs forçaient les autochtones au travail et à la conversion chrétienne. Il refuse même des représailles après le massacre de dix hommes aux Samoa. En choisissant de s’intéresser aux mœurs et aux langues des « Naturels », en collectant des données sur leur aspect physique et leurs maladies, l’explorateur marque le début de l’ethnologie et de l’anthropologie, souligne l’auteur.
Bernard Jimenez salue l’attitude de Lapérouse face aux populations qu’il rencontre, « évitant tout jugement selon la morale européenne ».
Celui-ci a posé le pied, durant dix ans, dans toutes les escales de l’expédition, afin de témoigner de « la complexité du réel », selon les mots de Lapérouse. Les derniers chapitres de ce beau livre inventorient les recherches lancées après que la France a attendu, en vain, le retour des navires. L’on sait juste qu’ils mouillent en janvier 1788 à Botany Bay sur la côte est de l’Australie, d’où ils repartent le 10 mars. En 1826, Peter Dillon, un aventurier des mers, découvre, au contact d’un habitant de Vanikoro, au sud des îles Salomon, le lieu du double naufrage. Depuis, nombre d’explorateurs ont tenté de reconstituer le drame et de retrouver les traces d’éventuels survivants. Cette enquête à travers les siècles a ainsi abouti, en 2003, à la découverte du squelette d’un marin (exposé au Musée de la marine, à Brest). Les archéologues ont aujourd’hui établi la chronologie de l’issue tragique, mais celle-ci garde encore sa part de mystère.
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