Théodore Mann, vous connaissez ? Non, rien à voir avec votre adorée, votre Marie-Antoinette.
Il faut sortir parfois de sa zone de confort.
Théodore Mann est un naturaliste qui alertait sur le réchauffement climatique "irréversible" en 1792.
On en pense ce qu'on veut. Il y a les complotistes et les autres. Mais ça vaut la peine de d'arrêter sur les découvertes de ce savant homme.
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e changement climatique était déjà une préoccupation au siècle des Lumières. Théodore Augustine Mann s’est interrogé en 1792 sur les causes de la hausse des températures. Explications avec Muriel Collart, collaboratrice scientifique de l’ULB. Elle signe Théodore Mann, Savoir et Pouvoir – Un théoricien du climat à l’Académie de Bruxelles.
En 1792, sort des presses du Gantois Pierre François de Goesin, un volume de 162 pages portant pour titre Mémoires sur les grandes gelées et leurs effets ; où l’on essaie de déterminer ce qu’il fait croire de leurs retours périodiques, et de la gradation, en plus ou en moins, du froid de notre globe.
L’ouvrage est signé par l’abbé Mann et il paraît à la suite d’une approbation et d’un privilège de l’Académie impériale et royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles.
Dans son travail, l’auteur évoque "le changement successif de la température et du terroir des climats", ce qui en fait un précurseur qui s’interroge sur les causes des phénomènes observés : naturelles ou humaines ?
Un théoricien plus qu’un théologien
Théodore Mann, né dans le Yorkshire et devenu moine à Nieuport, est membre de l’ordre des Chartreux. Cette influente institution entendait "bannir l’ignorance et les suites qu’elle entraîne".
L’abbé Mann s’inquiète sans cesse de problématiques toujours actuelles, quatre siècles après sa mort. En plein siècle des Lumières où les sciences concurrencent la théologie, il questionne l’urbanisation par rapport à la protection de la foudre et il s’aventure sur des thèses démographiques annonciatrices du contrôle de la natalité prôné plus tard par Malthus. Il se dresse également comme un lanceur d’alertes dans son Mémoire sur l’histoire-Naturelle de la mer du Nord et sur la pêche qui s’y fait, publié en 1780, il avertit des dangers de la surpêche sur la biodiversité.
"Il fait le constat qui est relevé par les marins qu’il y a de moins en moins de poissons en mer du Nord et il va se demander pourquoi […] Est-ce que cela vient de causes naturelles ? notamment le tremblement de terre de Lisbonne faisait toujours beaucoup parler de lui, il était une référence pour les modifications du sol et parfois même de l’atmosphère" constate Muriel Collart, co-fondatrice de la Société wallonne d’étude du XVIIIe siècle. "Lui va incriminer les abus faits dans la pêche avec notamment l’emploi de filets traînants, pour la recherche de profits. Ils arrachent le fond des eaux et modifient la biodiversité des petits poissons, des planctons, des algues". L’abbé Mann déplore aussi la diminution du maillage qui emprisonne de nombreuses espèces, et le fait que les pêcheurs ne ramassent plus les filets autant qu’avant "alors que normalement il faut des périodes de transition".
Suggérer un changement climatique irréversible au XVIIIe
Au XVIIIe siècle, plusieurs théories sur la composition et l’évolution de la Terre ont déjà circulé. Théodore Mann apporte cependant un nouvel angle, celui du changement climatique avec ses Mémoires sur les grandes gelées et leurs effets. Analysant les grandes périodes glaciaires des derniers siècles, il avance que "la Terre subit un réchauffement climatique irréversible".
Sur quelles sources s’appuie-t-il pour lancer une idée aussi 'révolutionnaire' ? Elles sont en grandes parties indirectes souligne Muriel Collart : "Pour reconstituer le climat ancien, jusqu’à une certaine époque, on peut se baser sur des sources directes qui sont les mesures instrumentales, à partir de fin XVIIe. Il faut les standardiser mais elles commencent à exister à ce moment-là. Soit pour les compléter, soit pour remonter dans le passé, ce sont les sources indirectes : les fameuses proxy data ou les données par approches, qui sont à la fois des sources documentaires, des récits que d’autres ont faits du climat, qu’on classe différemment si la personne était contemporaine des faits ou non, et puis les sources naturelles que sont actuellement les carottes glacières, les bivalves, les anneaux des arbres,…".
La méthode de ses observations
L’œuvre de Théodore Mann lance le premier débat sur les causes du réchauffement climatique.
Pour prouver sa thèse d’un changement de températures, dans une première étape, il compare la période du IVe siècle avant au IVe après Jésus-Christ, d’après différents témoignages, principalement des hivers, avec le climat de son temps. "Il va en conclure que le climat est beaucoup plus clément aujourd’hui, notamment par rapport aux types d’animaux qu’on voyait, par rapport aux cours d’eau qui gelaient dans tous les récits qui sont faits. Ces récits-là, il dit qu’on ne peut plus les raconter aujourd’hui" résume la collaboratrice scientifique de l’ULB.
Ces observations s’inscrivent dans la contestation scientifique des écrits de Georges-Louis Leclercq de Buffon, l’auteur de L’Histoire naturelle, qui prônait la théorie dominante d’un refroidissement accéléré du globe, après une naissance donnée par une partie détachée du soleil. Mann veut prouver le contraire.
On lui rétorque que certains hivers ont été particulièrement rigoureux comme celui de 1788-1789 ? Que répond l’abbé Mann ? Il reconstitue une très grande suite climatique qui reprend tous les hivers à partir de 557 jusque 1789. Il les classe selon en 7 catégories d’hiver rigoureux ou non et compte le nombre d’occurrences par siècle. Son constat est limpide : il y en a moins au XVIIIe.
Mais pas un partisan du facteur anthropique
Néanmoins, Théodore Mann, comme certains chercheurs du XXIe siècle, estime que le facteur anthropique, à savoir le résultat de l’action de l’Homme, n’est pas la cause majeure de ce réchauffement. Il y impute d’abord des causes naturelles, physiques comme l’action du soleil.
Cela ne l’empêche pas d’écrire que l’action humaine participe à l’accélération de ce réchauffement dans son ouvrage de 1792 : "On sait que depuis 1000 ou 1200 ans on s’est occupé dans presque toutes les parties du nord de l’Europe à abattre les immenses forêts qui l’y couvraient auparavant à dessécher les terres et les marais et en cultivant de plus en plus les terres. Ces causes doivent certainement contribuer à avoir adouci le climat, non seulement des pays où on les a pratiqués, mais celui aussi de ceux qui les avoisinent et qui sont à portée d’être affectés par leur atmosphère".
Ses textes sont repris dans la presse de l’époque. "Elle trouve que ses arguments sont tout à fait convaincants, mais il n’y a pas un véritable débat qui naît après, notamment sur la part du facteur anthropique ou des facteurs physiques" pointe enfin Muriel Collet.
Son œuvre, bien que précurseur, a peu souvent été citée, bien qu’un expert du GIEC avait proposé de travailler sur les relevés de température ajoute également la chercheuse.
Je m'abstiendrai de tout commentaire.
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One learns one's scale