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 Comment vint la Terreur

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Sido Scorpion

Sido Scorpion


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MessageSujet: Comment vint la Terreur   Comment vint la Terreur Icon_minitimeDim 12 Juin - 22:38

Je vous propose un article que j'ai trouvé intéressant. Il met en parallèle deux ouvrages anglais sur le phénomène de la Terreur dans le but de le mieux comprendre.

Or donc le voici :

Comment vint la Terreur

La question de la place de la violence dans la Révolution française est un sujet de débat, scientifique et politique, depuis le tout début du XIXe siècle. Deux livres récents offrent de nouvelles perspectives et de nouveaux regards.

Les deux livres étudiés :


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Après un premier essai qui étudiait comment les Français étaient devenus révolutionnaires, puis un deuxième sur la fuite à Varennes [1], T. Tackett s’attache, dans son nouveau livre The Coming of the Terror, à l’analyse du processus qui incita les députés de la Convention à introduire ce que l’on a coutume d’appeler la Terreur. Micah Alpaugh, qui fut l’étudiant du précédent, s’intéresse de son côté aux mouvements populaires parisiens des années 1787-1795, et à une question simple en apparence, et pourtant jamais véritablement traitée : la violence était-elle ou non d’un usage fréquent lors des mobilisations collectives de la période révolutionnaire ? N’était-ce pas plutôt la non-violence qui les caractérisait ?

Dans son introduction, T. Tackett précise son approche et ses questionnements. C’est une histoire événementielle qui a pour originalité de tenir compte du cadre mental des protagonistes et des facteurs qui le modifient. Car ces hommes et femmes vivent dans un environnement en mouvement perpétuel, ponctué de crises plus ou moins dramatiques, qui suscitent des réactions en conséquence et les contraignent à adopter des positions différentes de celles auxquelles ils étaient initialement attachés. En d’autres termes, Tackett s’interroge sur la psychologie des acteurs de premier plan, et partant, sur leurs émotions. Confrontés à des événements qui les dépassent et sur lesquels ils n’ont aucune prise, ils réagissent par la joie ou par la peur. Les deux émotions alternent au gré des succès ou des obstacles. Mais la peur l’emporte de loin et devient le moteur de la violence révolutionnaire. C’est donc elle qui serait à l’origine de la culture politique de violence, propre aux hommes de la Révolution. Tackett en décèle des signes dans les multiples rumeurs de complot. Il voit les « terroristes » comme des hommes terrorisés.

Comme dans ses précédents travaux, l’auteur privilégie les sources privées, lettres et journaux intimes. Il en accroît même le nombre au point de citer plus de soixante-dix témoignages de contemporains. Ce n’est pas le moindre mérite du livre que de reproduire comment ces derniers appréhendent ce qu’ils vivent. La bibliographie est impressionnante et le livre fort bien documenté. La question centrale est la suivante : comment des gens si bien éduqués, rationnels et éclairés, ont-ils pu commettre des actes aussi incompréhensibles ? Comment l’or si pur a-t-il pu se transformer en vulgaire plomb, se demande même un des témoins ? Les six premiers chapitres examinent les origines du phénomène ; les cinq autres en détaillent les manifestations jusqu’au procès des Girondins. La « Grande Terreur » de l’an II est l’objet du douzième et dernier chapitre.


Des terreurs multiples et variées
En dépit du questionnement et des sources nouvelles, le récit est plutôt traditionnel et suit la chronologie classique, à la différence près que l’accent se pose sur l’angoisse et la peur que ressentent dès les débuts les protagonistes. Contrairement à Jean-Clément Martin [2], Tackett ne remet pas en cause l’appellation de terreur pour la période de coercition qui s’amorce dès la chute de la monarchie. Il ne tente pas non plus de redéfinir ce qu’est ou ce que signifie « terreur » ou « Terreur ». Et, comme Pierre Caron [3], il parle de « première terreur » pour qualifier les suites du 10 août 1792 et les massacres de septembre. D’après l’introduction, il s’agissait pourtant d’expliquer la terreur, en tant que violence d’État (p. 3). Celle qui prend place au lendemain de la chute des Tuileries est le fait des sections, des volontaires et des fédérés. C’est une violence spontanée, pour ainsi dire, provoquée par la peur, l’angoisse et la colère d’hommes qui vont partir à la guerre. Colère justement contre un gouvernement qui ne ferait rien pour punir d’éventuels coupables et protéger les Parisiens. Ces violences extrêmes vont peser sur les décisions futures du gouvernement. Elles sont à l’origine des institutions coercitives, mises en place dès mars 1793, tandis que l’exécution du roi est le premier pas vers ce que Tackett appelle « une Terreur meurtrière » (p. 243).

D’autre part, Tackett ne nie pas que les violences révolutionnaires aient été stimulées par les guerres civiles et les insurrections contre l’État. Des trahisons ont été découvertes qui méritaient la peine de mort. Mais combien d’innocents furent sacrifiés ? Combien y eut-il de procès arbitraires ? Pour expliquer cette évolution vers une violence d’État de plus en plus sévère, l’auteur refuse de s’en tenir à une cause unique, et surtout pas à une idéologie présente dès 1789. Ce qu’il appelle « la mentalité terroriste » serait due à une pluralité de causes. Tout d’abord, l’impossibilité de retour en arrière et la volonté de parachever la Révolution coûte que coûte. Cet engagement absolu aurait mené à une intolérance envers ceux qui refusaient d’adopter leur vision de l’avenir et qui tentaient de la fragiliser. La devise « la liberté ou la mort » reflète plutôt bien ce qu’il en était. Mais, dans l’autre camp, l’intolérance n’était pas moindre, car la Cour, les émigrés, le roi et la reine refusaient la Révolution ou voulaient la diriger à leur seul profit. Joël Félix, un historien éminent de l’Ancien Régime et auteur d’une excellente biographie sur Louis XVI et Marie-Antoinette. Un couple en politique (Payot, 2006), en apporte des preuves flagrantes et dévoile leur impact sur la suite des événements. Certes, l’opposition ne se limitait pas à la Cour et à la noblesse. Tackett n’oublie pas de mentionner le clergé réfractaire qui profitait de la dissolution de l’autorité pour semer la zizanie dans les campagnes. La chute des Girondins exacerba le mécontentement des départements et les poussa à se fédéraliser contre la capitale. Qui plus est, la vacance du pouvoir et les aspirations démocratiques qui caractérisent la période permirent aux classes populaires d’entrer dans l’arène et d’imposer leur culture de vendetta (selon Tackett). Il est en effet certain que les sans-culottes et leurs chefs ont joué un rôle important dans l’intensification de la répression. C’est l’un d’entre eux, Hébert, qui exige que les Girondins soient dûment jugés par le tribunal révolutionnaire. La Convention aurait sans doute préféré les oublier, mais elle ne pouvait se passer du soutien populaire. C’était le seul sur lequel elle pouvait vraiment compter.

S’inspirant des travaux de son étudiant, Micah Alpaugh, Tackett note bien par ailleurs que les actions populaires n’étaient pas toujours violentes. Dans son livre récemment paru, Alpaugh démontre même qu’elles l’étaient rarement et qu’elles adoptèrent des formes étonnamment modernes : manifestations, pétitions, fêtes, banquets, etc., qui évitaient justement le recours à la force brutale. 666 manifestations sur 754 furent pacifiques : c’est-à-dire 88 % d’entre elles. Celles qui furent sanglantes avaient, qui plus est, commencé paisiblement, jusqu’à ce que les manifestants soient attaqués par les troupes adverses. Ainsi en alla-t-il le 10 août, quand les gardes suisses tirèrent sournoisement sur les patriotes qui s’étaient avancés pour fraterniser. Les protestations qui précèdent les journées de mai et de juin 1793 ne provoquèrent pas de violences. Certes, les cortèges populaires insurrectionnels usaient régulièrement de l’intimidation ou de violences verbales, mais même celles-ci furent limitées, car le peuple sectionnaire cherchait avant tout à convaincre les députés du bien-fondé de leurs revendications et à les rallier contre leurs ennemis communs. Cet ouvrage original, fondé sur des recherches extrêmement précises, apporte de fortes nuances à ce qui a été écrit sur la culture populaire révolutionnaire, qui n’était donc pas exclusivement sanguinaire et meurtrière Contrairement aux idées reçues, cette culture populaire serait marquée au sceau de la modernité et ne serait pas simplement une résurgence des mentalités anciennes. La vendetta de Tackett n’a pas sa place dans cette culture nouvelle, hautement politisée, telle qu’Alpauh la décrit dans son livre – comme quoi l’élève se sépare de temps à autre de son maître et vice versa. Il est vrai qu’Alpaugh se concentre sur Paris. Dans les départements, il pouvait en aller différemment, comme dans le Midi, où survivaient les traumatismes des guerres de religion.


Des révolutionnaires en colère
Parmi les causes fondamentales de la Terreur, Tackett signale donc l’émergence d’une culture de la peur et du soupçon suscitée par les nombreux complots qui ponctuent la période : de Louis XVI à Dumouriez ; de Mirabeau à La Fayette, combien de protagonistes n’ont-ils pas trahi la Révolution ? À tel point que les Jacobins demeurent à l’affût des moindres signes : la méfiance règne. Les assassinats de Michel Lepelletier (janvier 1793) et surtout de Marat (juillet 1793) amplifient tout à la fois la méfiance et la colère. De juillet 1793 datent en effet les demandes des radicaux populaires, notamment d’Hébert, pour que soient jugés Brissot et ses amis, mais aussi la reine et tous les ennemis de la Révolution. Les travaux de Guillaume Mazeau ont amplement démontré combien l’atmosphère se détériore à la suite de la mort de Marat [4]. L’apogée est atteint en l’an II quand sont menacés Robespierre et Collot d’Herbois. Leurs meurtriers potentiels sont arrêtés à temps, mais l’émotion est grande. Des historiens y décèlent même l’origine de la loi du 22 prairial, qui simplifie dangereusement la justice révolutionnaire. Mais, et Tackett y prête trop peu attention, c’est oublier que le 21 floréal – un mois auparavant – un arrêté de Robespierre créait la commission populaire d’Orange, qui déjà ne connaissait que « la liberté ou la mort ». Pis, qui supprimait le jury – ce que ne fera pas la loi du 22 prairial. Sans doute les attentats contre les membres éminents du Comité de Salut public ont-ils en tout cas accéléré la rédaction de la loi, prévue du reste dès la fin de l’année précédente.

Quoi qu’il en soit, la culture du soupçon et de la défiance est avivée par le factionnalisme croissant qui confronte entre eux les anciens amis ou collègues. Tackett y accorde à juste titre un grand intérêt, car si la répression inexorable est compréhensible à l’endroit des contre-révolutionnaires, ce qui pose problème, c’est le sort réservé aux anciens amis, patriotes et républicains. Marisa Linton s’est déjà interrogée à ce sujet dans Choosing Terror (Oxford, 2013), où elle problématise le rôle de la vertu, de l’amitié et de l’authenticité dans les relations complexes des acteurs. Tackett explique lui cette inimitié progressive par les rivalités locales, projetées à l’échelle nationale, par les désaccords politiques, notamment sur le rôle que doivent jouer les masses dans le processus de reconstruction républicaine, enfin par la compétition entre les chefs des factions. L’animosité prit des proportions gigantesques entre Brissot et Robespierre, qui, dès le printemps 1792, se traitaient mutuellement de conspirateur. Le philosophe et journaliste Dominique Garat, qui en tant que ministre a côtoyé ces hommes, a finement perçu ce qui se passait entre des patriotes qui avaient été proches et qui en vinrent à se haïr, puis à s’éliminer : « Au commencement, ces accusations n’étaient peut-être ou que des soupçons de la haine, ou que des injures atroces […], elles finirent par être une conviction profonde des esprits ». Le pis est que ces accusations et querelles paralysaient les travaux de l’Assemblée. La Plaine elle-même devait prendre parti pour ou contre l’une des deux factions. Ce n’était pas si facile, car, à en croire de nouveau Garat : aucune ne daignait renoncer à ces passions ou sacrifier son « moi humain ». La bataille entre ultra-révolutionnaires et indulgents présente un cas de figure similaire. Ici, ce ne sont plus en vérité les émotions qui prédominent, mais les passions. Ce n’est plus la peur le moteur de l’action, mais la haine.


Le labyrinthe des terreurs
La terreur elle-même, selon Tackett, émergerait sporadiquement – ce qui paraît contredire la thèse de l’auteur ou le titre de l’ouvrage et de la conclusion selon lesquels on ne naît pas terroriste mais on le devient progressivement, au gré des événements et des traumatismes, selon une linéarité quasi logique. Contradiction donc, en ce sens que la sporadicité est plus du côté de la discontinuité que de la linéarité. Il est vrai que, durant de courtes périodes, le calme revient et les violences diminuent. Mais les événements passés continuent d’obséder les acteurs. Cette terreur, telle qu’elle est décrite par l’auteur, émanerait de l’interaction entre des individus, des factions et des événements, où domine donc la peur, nourrie par la guerre et la contre-révolution. Toutes les conditions sont remplies à l’été 1793 : assassinat de Marat, insurrections fédéralistes, crise des subsistances, guerre de Vendée, reddition de Toulon, journée du 5 septembre 1793. Ces événements tragiques et angoissants encouragent le gouvernement non pas à mettre la Terreur à l’ordre du jour, comme le suggère Tackett, mais à centraliser le pouvoir et à renforcer l’autorité de l’État. Les décrets du 10 octobre 1793 sur le gouvernement révolutionnaire et du 14 frimaire sur le renforcement de l’exécutif vont dans ce sens. Depuis mars, la Convention est déjà dotée d’institutions pénales d’exception pour mettre fin aux désordres, révoltes, complots et « terroriser » ses ennemis – ce qui est le propre de la terreur judiciaire ou de la « terreur salutaire des lois » ainsi que l’ont baptisée les juristes et, après eux, les révolutionnaires.

En vérité, ce que suggère malgré tout et malgré lui le texte de Tackett, c’est que la terreur est tout de suite au rendez-vous. Il n’y a paradoxalement pas de « coming of the Terror », elle est là tout de suite. Quand s’avancent les troupes réquisitionnées par le roi en juillet 1789 ou bien quand les bruits courent que la Cour veut faire arrêter une trentaine de députés et dissoudre l’Assemblée nationale. Ou bien encore durant l’été 1789, quand règne la Grande peur. Cette terreur est une peur panique, suscitée par les ennemis de la Révolution. Et non la terreur-revanche que souhaiteraient déjà imposer les révolutionnaires. À lire l’ouvrage, on se perd un peu dans ce labyrinthe de « terreurs », parce que l’auteur ne précise pas suffisamment le sens qu’il entend donner à chacune d’entre elles.

D’autre part, il n’y a pas non plus de Terreur absolue, car la Convention n’a jamais accepté de mettre « la terreur à l’ordre du jour », ainsi que le proposait le curé de Chalons sur Saône, Claude Royer. Tackett ici trahit quelque peu Barère, qui, le 5 septembre 1793, dit clairement et très rapidement que c’est l’armée révolutionnaire, tout juste créée, qui portera la terreur sur les ennemis de la nation. Ce qui est tout de même autre chose que de décréter officiellement « la terreur à l’ordre du jour ». Il est vrai par ailleurs que la formule a connu un certain succès et a été reprise par plusieurs représentants. Mais, dès le 2 Germinal an II, la Convention a mis le holà, en décrétant « la justice et la probité à l’ordre du jour ». Il est vrai également que les révolutionnaires ont tenté de renverser la peur ressentie sur leurs ennemis. Robespierre dira ainsi qu’il faut « reporter la terreur et la fuite sur les satellites des tyrans ». L’expression est commune à cette génération et précède même la Révolution. Les récurrences du terme de terreur sont aussi fréquentes avant que pendant la prétendue Terreur, et émanent tant des royalistes que des patriotes. Tackett en donne du reste plusieurs occurrences.

Chez Robespierre, une enquête lexicologique démontre très vite qu’à l’exception du discours du 5 février 1794, où il définit la terreur comme une « justice prompte, sévère et inflexible » ou comme l’usage de la « force », il utilise habituellement le terme dans ses diverses acceptions : terreur salutaire des lois, terreur salutaire de la justice du peuple, terreur panique, etc. Et, quand il évoque un quelconque « système de terreur », c’est celui que mettent justement en place ses ennemis personnels et les adversaires du Comité de Salut public, qui « portent la terreur » au sein de la représentation nationale. Inversement, il privilégie la notion de justice – souvent associée à celle de raison, de vertu, de liberté ou d’égalité. C’est à la « justice nationale » qu’il confie le sort du peuple français. Et là se pose la question essentielle – mais non traitée ici – du fonctionnement ou disfonctionnement de la dite justice.

Il n’en demeure pas moins que les révolutionnaires de 1794 ne sont pas ceux de 1789. Tackett a bien raison de noter que leur « psychologie » s’est modifiée. Leur optimisme s’est envolé, leur défiance s’est accrue. Ils se voient ou se croient entourés de traîtres et d’intrigants qui portent le masque de la vertu. Ils sont habités par la haine, la colère et le désir de revanche. Ici interviennent donc les passions. La passion se décèle dans le discours de l’adversité où l’Autre est déshumanisé et croqué tel un monstre ou un ennemi du genre humain. Et il est vrai que, dans toutes les révolutions, les adversaires s’excluent mutuellement. Les Américains, par exemple, adoptent un registre biblique et diabolisent leurs ennemis, qui auraient « la malice et la fausseté de Satan ». Abigail Adams, femme du président John Adams, excelle dans ces insultes. Ses amis fédéralistes eux aussi invoquent les monstres, les brigands ou les pirates parmi leurs adversaires qu’ils désignent comme des « Jacobins » [5]. Il est dommage en un sens que Tackett n’ait pas jugé bon de comparer les deux révolutions de France et d’Amérique : il interprète cette dernière comme une simple guerre d’Indépendance, et non comme une guerre civile où se sont commises également des horreurs innombrables.

La violence et l’intolérance sont-elles donc le propre des révolutions ? La vacance du pouvoir donne en tout cas l’opportunité à tout un chacun d’agir comme bon lui semble et de régler ses comptes. La peur n’exclut pas la soif de vengeance. Et la violence entraîne la violence, tandis que resurgissent des conflits et frustrations plus anciennes. Les études réunies par Ronald Hoffman, Thad W. Tate et Peter J. Albert sur les États du Sud durant la guerre d’Indépendance démontrent que, même aux États-Unis, la dissolution de l’autorité a mené à des abus de pouvoir et à des excès meurtriers [6]. Les gouvernements fédéraux furent contraints de les tolérer sous peine de s’aliéner les patriotes. L’ouvrage de Tackett le rappelle pour ce qui est de la France, avant de conclure qu’un processus semblable hante toutes les révolutions – excepté donc celle de l’Amérique, dont il minore par trop les drames. On pourrait dire aussi que ces révolutions sont habitées par une terreur panique qui mène à toutes les violences. Tuer pour ne pas être tué, tel serait leur credo. Le tribunal révolutionnaire de Paris aurait dû justement y remédier et protéger les simples citoyens – et même si, avec la réunion dans la capitale de tous les suspects des départements, la tâche devait s’avérer impossible, ce qui se manifesta dans les prétendues conspirations des prisons [7]. Tout fut différent pour ce qui est des ennemis politiques – Girondins, Hébertistes ou Dantonistes – dont les initiatives étaient interprétées comme un rejet de la Révolution et, surtout, du gouvernement révolutionnaire, qui commençait à enregistrer des succès sur tous les fronts. Y mettre fin serait revenu à se saborder. C’est du moins ce que croyaient sincèrement la plupart des membres des deux comités du gouvernement. En seraient-ils venus là, sans les complots et la défiance qui, dès 1789, dominèrent la scène politique ?

Le livre de Timothy Tackett permet de se poser la question et d’humaniser la problématique. Il nous convainc qu’on ne naît pas « terroriste » : on le devient peu à peu – face aux obstacles rencontrés, ce que l’historien interprète comme une transformation psychologique et mentale, inséparable du processus révolutionnaire. Mais il ne nous dit pas vraiment pourquoi cette transformation mènerait nécessairement et exclusivement à la Terreur. Peut-être est-ce parce qu’il n’en redéfinit pas assez bien les significations multiples et variées. Contrairement à Micah Alpaugh, il ne remet pas en question les poncifs sur la violence populaire, et il restreint le procès psychologique révolutionnaire à la seule émotion de la peur. Que dire alors des passions suscitées par l’événement : que ce soit l’ambition, la haine, la soif de revanche, l’appât du gain ou, inversement, la volonté exaltée de créer un monde meilleur [8] ?


Notes :
[1] Ces deux livres ont été traduits en français. T. Tackett, Par la volonté du peuple. Comment les députés de 1789 sont devenus révolutionnaires, Albin Michel, 1997. Id., Le roi s’enfuit. Varennes et l’origine de la Terreur, La Découverte, 2004.

[2] Jean-Clément Martin, Violence et Révolution. Essai sur la naissance d’un mythe national, Seuil. 2006. Je me permets de renvoyer aussi à mon article, « Les discours de la Terreur à l’époque révolutionnaire. Étude comparative sur une notion ambiguë », French Historical Studies, 36, 2013, p. 51-81.

[3] Pierre Caron, La Première Terreur, Puf, 1950.

[4] G. Mazeau, Le bain de l’histoire. Charlotte Corday et l’attentat contre Marat, Champ Vallon, 2009.

[5] J.M. Smith, Freedom’s Fetters. The Alien and Sedition Laws and American Civil Liberties, Cornell University Press, 1956.

[6] R. Hoffman, T. W. Tate & P.J. Albert (dir.), An Uncivil War. The Southern Backcountry during the American Revolution, Charlottesville, 1985.

[7] À la page 333, Tackett écrit que le Comité de Sûreté générale voulut vider les prisons. En réalité, c’est la Commission des administrations civiles, police et tribunaux – l’équivalent d’un ministère de l’Intérieur – qui en fit la proposition au Comité de Salut public, lequel donna son accord pour que soit menée une enquête.

[8] L’auteur ne les passe pas sous silence, du reste. À propos des procès de l’an II, il évoque la haine et le désir de revanche, ce qui est tout de même autre chose que la peur (p. 333).

http://www.laviedesidees.fr/Comment-vint-la-Terreur.html

Voilà Comment vint la Terreur 454943 Comment vint la Terreur 454943

J'ai pas trop l'habitude de citer des articles entiers. Embarassed
J'ai indiqué la référence. J'espère ne pas m'être planté dans les balises. Embarassed

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MessageSujet: Re: Comment vint la Terreur   Comment vint la Terreur Icon_minitimeLun 13 Juin - 18:51

Très intéressant merci beaucoup pour ce travail Sido Scorpion Comment vint la Terreur 709648

Je trouve très pertinente cette notion de la progressivité du terrorisme, très subtile parmi les révolutionnaires, et ce qui fausse souvent notre jugement envers ces personnes Very Happy

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MessageSujet: Re: Comment vint la Terreur   Comment vint la Terreur Icon_minitimeJeu 28 Juin - 9:35

Voici dans le même ordre d'idées une réflexion intéressante également du point de vue histroique.

La violence et la Terreur sont-elles nécessaires pour faire aboutir les révolutions ?

Le texte présenté ici date de la période du Directoire. Et c’est en témoin attentif et engagé de la période de la Révolution française que ce grand penseur de la liberté qu’est Benjamin Constant observe la manière dont celle-ci est perçue et analysée.

Comment vint la Terreur Consta10
Benjamin Constant, Des effets de la Terreur,
Createspace Independent Publishing Platform,
octobre 2015, 28 pages.


LA TERREUR, UN MAL NON NÉCESSAIRE
À travers ces pages, Benjamin Constant a pour objectif de défendre l’idée selon laquelle, contrairement à une doctrine en vogue à cette époque (mais encore par la suite et toujours de nos jours) et qu’il juge à la fois fausse et dangereuse dans ses conséquences, la violence de la Terreur n’était pas du tout essentielle à l’atteinte des finalités de cette Révolution.

Il est lui-même un partisan résolu de la République et de la société issue de la Révolution, mais il se réclame des principes de 1789. Il défend donc, à ce titre, un régime à la fois libéral et révolutionnaire.

C’est ainsi que, à l’instar de Gustave Le Bon plus tard, il montre que les révolutions n’ont pas besoin d’excès pour réussir et que, contrairement à ce que d’aucuns affirment ou croient résolument,  la liberté ne s’impose pas par la force.

Pour autant, il ne condamne pas ses détracteurs et ne cède aucunement à la facilité qui consisterait à caricaturer la pensée de ses adversaires en la fustigeant de manière abrupte.



    Rien n’est plus contraire au progrès des lumières que de faire retomber sur un écrivain l’odieux ou l’absurdité de prétendues conséquences, qu’il n’a pas tirées de ses principes, et que nous en tirons dans son aveu : il faut les développer, pour qu’il compare à celles qu’il en tire ; mais ce n’est jamais que par la plus coupable injustice que ce développement peut dégénérer en accusation.

    Je commence donc par professer hautement que je ne prête aucune intention odieuse aux défenseurs du système que j’ai exposé. Je ne crois point que leur but soit de conclure entre les hommes qui jusqu’à présent détestèrent la république, et ceux qui la déshonorèrent jadis, un traité dont la base soit l’opprobre de ses fondateurs. Mais j’affirme que ce qui n’a pas été leur but est le résultat positif de leur système. Par lui, tous les crimes pourraient être pardonnés, les principes seuls seraient punis. On proscrirait Vergniaud, on justifierait Marat.


Il ne s’agit donc pas tant, pour lui, comme il a injustement été accusé par certains de le faire, de chercher à condamner des hommes ou des acteurs d’une histoire qui, bien souvent, les a dépassés et ne se sont pas comportés si différemment que pourraient se comporter n’importe quel terroriste en d’autres circonstances et en n’importe quelle époque, que de condamner un système, dont les principes peuvent s’avérer bien plus durables et éternellement dangereux.

    Prouver qu’il faut pardonner aux hommes qu’a égarés le bouleversement révolutionnaire, est une tentative très utile, et j’ai devancé mes adversaires dans cette route ; mais prétendre que ces égarements en eux-mêmes, étaient une chose salutaire, indispensable, leur attribuer tout le bien qui s’est opéré dans le même temps, est, de toutes les théories, la plus funeste.


Malheureusement, c’est l’inverse de cette position qui se trouve trop souvent privilégiée : condamnation des hommes, mais indulgence pour les principes. Or, quel que soit le gouvernement révolutionnaire que l’on pourrait imaginer, nous dit Benjamin Constant, même au sein de la nation la plus douce en apparence, de l’ivresse des pouvoirs illimités résulterait la perversion des âmes même les plus sages.

LA RÉPUBLIQUE SAUVÉE MALGRÉ LA TERREUR
L’apologie de la Terreur consiste donc à croire que sans la ferveur du peuple, sans le recours à la force, une révolution ne peut aboutir. Affirmation parfaitement abusive selon notre auteur, qui entend en démontrer le caractère erroné.

    Je me propose de prouver que la terreur n’a pas été nécessaire au salut de la république, que la république a été sauvée malgré la terreur, que la Terreur a créé la plupart des obstacles dont on lui attribue le renversement, que ceux qu’elle n’a pas créés auraient été surmontés d’une manière plus facile et plus durable par un régime juste et légitime ; en un mot, que la terreur n’a fait que du mal, et que c’est elle qui a légué à la république actuelle tous les dangers qui, aujourd’hui encore, la menacent de toutes parts.


Il dénonce ainsi les confusions qui veulent que ce soit la terreur qui aurait permis de marcher aux frontières, de rétablir la discipline dans les armées, d’effrayer les conspirateurs et d’abattre toutes les factions ; ou celle qui consiste à prendre le gouvernement pour la terreur et la terreur pour le gouvernement. En réalité, montre-t-il, la terreur (les hommes qui l’opérèrent) et le gouvernement ne firent que coexister. Or, selon lui, le gouvernement eût pu inspirer une crainte suffisante pour obtenir l’obéissance par la justice.

    Il ne faut pas attribuer sans discernement tous les effets à toutes les causes, et prodiguer au hasard son admiration à ce qui est atroce, et son horreur à ce qui est légal.


Armées obéissantes et courageuses dévastées par des exactions frénétiques et capricieuses à l’encontre de milliers d’innocents, abolition de toutes les formes, même militaires, meurtres de guerriers irréprochables par des bourreaux sans vergogne, tribunaux sans appel et sans forme condamnant des innocents pour effrayer d’éventuels conspirateurs, crimes de la part d’agents arbitraires et rapaces, fausses accusations et les exécutions qui s’ensuivirent, exceptions à l’inverse pour de vrais coupables à qui on fournissait des moyens contre la loi, assassinat des prêtres, etc. La terreur n’a produit aucun bien et le gouvernement n’a recouru à aucun des moyens traditionnels et pourtant efficaces qui lui auraient permis l’obéissance, sans l’injustice de toute cette violence.

    En effet, le crime nécessite le crime ; et la terreur ayant soulevé tous les esprits, et tous les esprits s’étant égarés dans ce soulèvement, la terreur fut nécessaire pour tout comprimer. Mais, sans la terreur, ce soulèvement n’eût pas eu besoin, pour prévenir de grands dangers, de recourir à d’affreux remèdes.


DES DÉGÂTS EN PARTIE IRRÉPARABLES
C’est donc à une France abîmée qu’a conduit la Terreur, à la soumission de Lyon et au génocide de la Vendée. Alors même que sans la Terreur, nous dit Benjamin Constant, toutes ces insurrections n’auraient pas eu lieu comme elles ont eu lieu. Pas plus que la Terreur n’a fait des Français un peuple neuf (voir, là encore, Gustave Le Bon). À l’inverse, elle a entraîné :

    le dépérissement de l’esprit public, le fanatisme qui se soulève contre tout principe de liberté, l’opprobre répandu sur tous les républicains, sur les hommes les plus éclairés et les plus purs. Les ennemis de la république s’emparent habilement de la réaction que la terreur a causée. C’est de la mémoire de Robespierre que l’on se sert pour insulter aux mânes de Condorcet, et pour assassiner Sieyès. C’est la frénésie de 1794 qui fait abjurer, par des hommes faibles ou aigris, les lumières de 1789.


Quant à la constitution libre dont elle aurait préparé les voies :

    Rien de plus faux encore. La terreur a préparé le peuple à subir un long joug quelconque ; mais elle l’a rendu indifférent, peut-être impropre à la liberté. Elle a courbé les têtes, mais elle a dégradé les esprits et flétri les cœurs. La terreur, pendant son règne, a servi les amis de l’anarchie, et le souvenir de la terreur sert aujourd’hui les amis du despotisme.


Arbitraire, mépris des formes, malveillance, violences et forfaits en tous genres, perte de confiance en l’autorité légitime, voilà l’esprit qu’elle a en réalité insufflé.

Et c’est également toute une génération d’esprits brillants qui a été détruite au passage. Évoquant la perte particulièrement irréparable de ceux qu’on appelait les Girondins, voici ce qu’il écrit :


    Une génération entière a été engloutie ; et cette génération jeune, forte, neuve, éclairée, quoique enthousiaste, nourrie de l’étude des Anciens, des principes de la philosophie, des écrits de Voltaire et de Rousseau, promettait une réunion de talents, d’idées libérales et de courage, que l’on ne peut guère espérer de retrouver ni dans la génération qui s’éteint, ni dans celle qui s’élève. Nous sommes aujourd’hui entre des vieillards dans l’enfance et des enfants mal élevés.


UNE DOCTRINE DANGEREUSE
Laisser penser que la terreur est nécessaire au milieu de toute révolution visant la liberté est donc une doctrine dangereuse. Selon lui, cela risquerait à la fois de décourager les nations pas encore libres et de persuader les peuples nouvellement affranchis qu’il faut des crimes et des excès pour affermir leur liberté.

Dans le cas de la France, non seulement elle n’était pas nécessaire, mais elle a tout emporté avec elle, jusque ses propres chefs, qui prétendaient la diriger. Et les républicains ne furent que ses victimes.


    Il ne faut donc pas confondre la république avec la terreur, les républicains avec leurs bourreaux. Il ne faut pas surtout faire l’apologie du crime et la satire de la vertu. Puisque enfin vous voulez adopter la république, il ne faut pas déshonorer ceux qui l’ont fondée, ni proscrire ceux qui la défendent.


Enfin, à ceux qui affirment que même Rome a été fondée par des brigands, il répond que ceux-là se trompent sur les faits. Si ces brigands ont bien fondé la monarchie romaine, dont le rayonnement fut limité, la république fut fondée quant à elle par des esprits plus austères et plus vertueux. Et c’est à eux qu’il convient d’être reconnaissants.

Par Johan Rivalland.
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Bien à vous

madame antoine

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MessageSujet: Re: Comment vint la Terreur   Comment vint la Terreur Icon_minitimeMer 1 Sep - 18:44

S'interroger sur les origines de la Terreur et aussi se demander si elle fait encore peur.

  • À qui la Terreur fait-elle encore peur ?

    Comment vint la Terreur Dfca0510

    Instrumentalisée et agitée comme un épouvantail, assimilée à d’autres périodes ou aux exactions de régimes totalitaires, la Terreur reste un objet de fantasmes, dont l’histoire reste à écrire pour elle-même et pour mieux comprendre la Révolution.


    C’est aux lendemains de Thermidor – un mois à peine après la chute et de l’exécution de Robespierre, le 28 juillet 1794 – que Tallien évoque le « système de la Terreur », un régime de gouvernement qui aurait divisé le pays « en deux classes : celle qui fait peur et celle qui a peur ». Il serait trop simple de faire observer que, si « système de la terreur » il y eut, Jean-Lambert Tallien en fut, si l’on peut dire, l’un des agents les plus éminents. C’est Tallien en effet qui, à Bordeaux, ordonnera l’arrestation de près de 5000 personnes, et fera procéder à la condamnation à mort de trois cents d’entre elles à l’automne 1793.

    Au fond, au regard des crimes et des exactions de Fouché et Collot (qui font tirer au canon sur plus d’un millier de Lyonnais), ou de Carrier (qui fait fusiller des milliers de personnes, et procède à ce qu’il appelle la « déportation verticale », c’est-à-dire à des noyades de masse dans la Loire, qualifiée par le même Carrier de « fleuve républicain »), Tallien, si l’on ose dire, est un enfant de chœur. Mais Tallien, qui a fait tomber Robespierre le 9 Thermidor, n’a pas seulement l’habileté tactique de ses coreligionnaires en Terreur.


    Ce que Terreur veut dire

    Tallien a également un sens aigu de la stratégie. En parlant de « système de la terreur », il a su en effet, avec Fouché, se rallier tous les conventionnels modérés qui, comme Cambacérès, cherchaient à sortir du régime de gouvernement révolutionnaire qu’incarnait Robespierre.

    Bien plus : en confondant gouvernement révolutionnaire et Terreur, et une Terreur qui serait rien moins qu’un système de gouvernement, Tallien ne s’exonère pas de ses propres crimes en les rejetant sur Robespierre, Saint-Just, etc. Il invente, à la lettre, ce que Terreur veut dire : une forme de gouvernement par la peur et le crime, une forme d’État aussi, qui serait l’ébauche d’un État total reposant sur une violence d’État fondatrice et conservatrice. Sans doute la Terreur n’est-elle pas encore devenue, avec Tallien, une « catégorie de pensée » comme le dit l’historien Jean-Clément Martin.

    Et, en effet, il faut remarquer que chez certains des acteurs plus ou moins hostiles au gouvernement révolutionnaire, l’usage de la catégorie de Terreur ne va pas de soi. On n’en trouve trace, comme le fait remarquer le même Jean-Clément Martin dans La Terreur. Vérités et légendes, ni chez le contre-révolutionnaire anglo-irlandais Edmund Burke, ni chez le jeune Chateaubriand qui, dans l’Essai sur les révolutions, se contente de dénoncer les « lois du sang » dues « aux décrets funèbres de Robespierre ». C’est Benjamin Constant qui inscrira en effet la Terreur (avec une majuscule) dans la littérature politique, dans sa brochure intitulée Des effets de la Terreur où d’ailleurs, s’il évoque une « terreur réduite à un système », il n’emploie pas la formule, devenue canonique après Tallien, de « système de la terreur ». Enfin, c’est Hegel qui consacre et systématise dans la Phénoménologie de L’Esprit, en 1811, l’usage du terme terreur comme désignation d’une liberté politique destructive, d’une négativité qui s’emporte jusqu’à sa propre destruction dans la mort.

    Si le gouvernement révolutionnaire et ce qu’on appelle la Terreur ne furent pas l’ébauche d’une forme d’État totalitaire et génocidaire, si Robespierre ne fut ni Staline ni Mao ni Hitler, comment repenser la Révolution française ?


    Relire la Révolution française

    Comment rompre, dès lors, avec ces représentations héritées ? Bien plus, comment rompre avec la représentation de la Révolution française comme « matrice du totalitarisme », où c’est « le Goulag qui conduit à repenser la Terreur » en vertu de l’identité d’un projet totalitaire et criminel, tel du moins que François Furet, avec Penser la Révolution française, avait réussi à en imposer la perception ? Ou encore, comment rompre avec les contre-histoires de la Vendée qui associent des exactions – indéniables – à un véritable génocide ? Pour le dire brutalement : si le gouvernement révolutionnaire et ce qu’on appelle la Terreur ne furent pas l’ébauche d’une forme d’État totalitaire et génocidaire, si Robespierre ne fut ni Staline ni Mao ni Hitler, comment repenser la Révolution française ?

    Tous les historiens, théoriciens ou artistes qui travaillent aujourd’hui sur la Révolution française et la Terreur s’accordent en effet à penser que les réponses sont plus complexes que la question. Et sans doute, « relire la Révolution française », pour reprendre l’expression de Jean-Claude Milner, ne saurait se faire sans importer de nouveaux ou d’autres cadres de pensée. Milner, linguiste, ne le dissimule pas : s’il adosse l’éloge de la singularité de la Révolution française à une critique des révolutions russes et chinoises, c’est aussi pour rompre avec la « croyance révolutionnaire » qui l’avait porté à penser que la Révolution française annonçait, inaugurait une tradition révolutionnaire s’achevant, provisoirement, dans les révolutions d’inspiration marxiste.

    Il est évident que l’ancien maoïste (qui n’hésite pas, depuis, à afficher des positions nettement réactionnaires) entend d’abord rompre avec cette tradition. Il n’empêche : en cassant le fil d’un grand récit qui irait de 1793 à 1917 et 1966, la lecture de Jean-Claude Milner permet d’en revenir à la singularité historique de la Révolution française.


    Un régime d’exception

    Et en effet, Milner, sans contourner la question de la mise à mort qui nous est devenue étrangère (mais ne l’est pas au XVIIIème siècle), se montre très ferme sur la distinction entre terreur jacobine et terreur stalinienne et maoïste, et différencie nettement ce qu’on appelle la Terreur de 1793-1794 des massacres de septembre 1792, qui vit des Parisiens, sous l’emprise de l’angoisse de voir Paris conquis et mis à sac par les armées européennes coalisées contre la Révolution, massacrer des prisonniers soupçonnés de collusion avec l’ennemi.

    « La Terreur doit être pensée comme un régime d’exception, rendu nécessaire par la méconnaissance, en septembre 1792, des nécessités de la représentation politique. La Terreur organisée est un refus du massacre spontané. Mais elle est tout autant le refus du massacre programmé par certains représentants dévoyés : Fouché à Lyon ou Carrier à Nantes. Elle impose des limites strictes : un tribunal décide entre la mort et la relaxe (il y en eut) ; le condamné est guillotiné, à l’exclusion de toute autre forme de mise à mort ; l’exécution est publique. La tête du guillotiné est montrée à la foule. Ce geste nous choque, mais il signifie que le condamné reste un individu identifié. Sa mort n’est ni aléatoire, ni anonyme, ni cachée. »

    On se situe alors, selon le linguiste, à « l’opposé des techniques de mise à mort collectives, anonymes et secrètes que le XXème siècle a inventées. Mais il faut aller plus loin : pour Robespierre, la Terreur doit être éphémère. D’une part, la Révolution elle-même est transitoire. Elle doit s’arrêter dès qu’une Constitution entre en vigueur. D’autre part, la Terreur dépend de la guerre. Elle doit s’arrêter dès que la paix sera revenue. À la différence des purges staliniennes et maoïstes, la Terreur n’est pas un système de gouvernement destiné à se perpétuer ».

    S’il est certain que l’on ne saurait séparer la Terreur d’un moment d’extrême brutalité, il faut rappeler que ce moment est aussi le moment d’une guerre à l’intérieur et à l’extérieur.


    Le moment d’une guerre

    De même, sans rien nier du « caractère massif des massacres perpétrés en Vendée », l’historien Jean-Clément Martin refuse de parler de « génocide, de volonté exterminatrice de la part du gouvernement révolutionnaire ». S’il y a bien eu, « à partir de 1792 et surtout de 1793, des destructions, des exactions provoquées par ce qu’il faut bien appeler une guerre civile, mais aussi des troupes qu’on a laissé faire et auxquelles, un temps du moins, on n’a rien reproché, les mécanismes de violence – et il faut évidemment le déplorer – restent tout à fait ordinaires pour l’époque ». En effet, comment s’expliquer, sinon, que le nombre de victimes lors de la désastreuse retraite de Russie ait également pu s’élever à près de 200.000 morts, soit le nombre de victimes des tueries en Vendée ? Et, s’il faut évidemment ne rien oublier des cruautés de la Révolution française (Jean-Clément Martin cite par exemple les gardes suisses qui, lors de la prise des Tuileries, seront « émasculés puis brûlés »), on ne peut, dès lors, ne pas également évoquer les atrocités des armées napoléoniennes en Espagne immortalisées, si l’on peut dire, par Goya. Sans compter, bien sûr, l’expédition de Saint-Domingue, et les massacres, consécutifs, à Haïti.

    Bref, s’il est certain que l’on ne saurait séparer la Terreur d’un moment d’extrême brutalité, il faut rappeler que ce moment est aussi le moment d’une guerre à l’intérieur et à l’extérieur. Bien plus : ce moment est celui d’une guerre défensive. En effet, comme le rappelle encore Jean-Claude Milner, « de là, cette formule de Robespierre : "Quiconque tremble en ce moment est coupable". Pour glaçante qu’elle soit, elle s’explique par le "moment", c’est-à-dire par la guerre. La terreur stalinienne commence au contraire quand la guerre extérieure se termine. Elle coappartient à la victoire. Il en va de même de la Révolution culturelle. En URSS et en Chine, la terreur devient un mode de gouvernement régulier, et non une situation exceptionnelle ».

    En dépit des censures, notamment de la presse, l’on doit, plutôt que d’une ébauche d’État total, parler d’une multiplication des « institutions républicaines » selon le mot de Saint-Just, et d’une volonté de faire droit à la pluralité des sensibilités.


    Célébration de la parole publique

    C’est dans le contexte de cette situation exceptionnelle qu’il faut en effet replacer les jeux, sans doute sanglants, des factions et des affrontements intérieurs à la Révolution. Par un paradoxe qui n’est qu’apparent, on n’a jamais en effet tant débattu, délibéré, et même pour ainsi dire célébré la parole publique, comme le fait remarquer Sophie Wahnich dans La liberté ou la mort, que sous la Révolution française et la Terreur. Non seulement les lieux de pouvoir sont multiples : il faut compter avec la Convention, mais également les différents comités, qui tiennent lieu d’instances exécutives (Comité de salut public, Comité de sûreté générale, Comité des finances, qui entrent d’ailleurs parfois en lutte). Mais également la Commune de Paris, les clubs, les assemblées populaires ou de quartier, etc.

    Bien plus, le gouvernement révolutionnaire multiplie les rituels, les fêtes, les rassemblements populaires, qui sont autant d’occasions de débat et d’expression de la volonté populaire. En dépit des censures, notamment de la presse, l’on doit, plutôt que d’une ébauche d’État total, parler d’une multiplication des « institutions républicaines » selon le mot de Saint-Just, et d’une volonté de faire droit à la pluralité des sensibilités.

    Et c’est du reste dans ce cadre que Robespierre va jusqu’à récuser les notions de majorité et de minorité, « nouveau moyen d’outrager et de réduire au silence ceux qu’on désigne sous cette dernière dénomination ». Or, ajoute-t-il, « la minorité a partout un droit éternel ; c’est celui de faire entendre la voix de la vérité, ou de ce qu’elle regarde comme telle ». Et lorsque Robespierre, comme le rappelle Jean-Claude Milner, organise la fête de l’Être suprême, on aurait tort d’y voir un culte d’ordre personnel, ou étatique : puisque l’Être suprême n’est rien qu’un dieu rationnel en général, cette fête ouvre en fait un espace de liberté religieuse à toutes les confessions qui divisaient jusqu’ici les Français, et signifie aussi la fin d’une déchristianisation violente.


    Éclairer le théâtre d’ombres

    Comme le fait également observer le réalisateur Vincent Dieutre, qui prépare un film sur Saint-Just, ce qu’on appelle la Terreur est peut-être aussi le moment inaugural de la subjectivité préromantique : jamais, en cette fin de XVIIIe siècle, on n’ira sans doute en effet autant au théâtre, à l’opéra même, écouter Gluck ou Piccinni, que dans le Paris de 1792-1794. Jamais on ne lira, également, de romans gothiques anglais.

    Repenser la Révolution française et la Terreur, c’est sans doute aussi, en ce sens, « remettre la Terreur au présent », c’est-à-dire, loin d’en faire un théâtre d’ombres où s’affronteraient des fantômes sanguinaires et sans visage, restituer des corps, des êtres de chair et de sang qui dorment au mieux quatre heures par nuit, s’inquiètent du prix des chandelles quand ce n’est pas du pain, courent des Tuileries et de Saint-Germain à l’Hôtel de Ville, cavalent au front en Belgique ou en Italie.

    Représenter à nouveaux frais la Révolution française et la Terreur c’est, en somme, autant s’éloigner du merveilleux claquant et mièvre du Marie-Antoinette de Sofia Coppola, que du pathétique glacé du Danton de Wajda ; autant mettre à distance les romans de gare et les biographies à l’eau de rose, que la prose faussement détachée d’un François Furet. L’histoire de la Terreur reste donc encore à penser, écrire et filmer, et c’est tant mieux.



    Gildas Le Dem http://www.regards.fr/idees-culture/article/a-qui-la-terreur-fait-elle-encore-peur

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MessageSujet: Re: Comment vint la Terreur   Comment vint la Terreur Icon_minitimeMer 1 Sep - 18:45

Il est permis d'émettre quelques doutes. Wink

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MessageSujet: Re: Comment vint la Terreur   Comment vint la Terreur Icon_minitimeMer 1 Sep - 20:02

Juin 1791 a écrit:
Il est permis d'émettre quelques doutes. Wink

Comme vous dites ! Parce qu'en effet, il y a eu un peu de sang... Comment vint la Terreur 139651 Comment vint la Terreur 139651

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