Un ouvrage que nous n'avons pas encore présenté dans le Boudoir :
La prise des Tuileries et le sacrifice de la Garde suisse par Alain-Jacques Czouz-TornareCe livre nous présente, sous un jour nouveau, les Gardes suisses et leur sacrifice héroïque du 10 août 1792. L’auteur est Czouz-Tornare, docteur ès lettres de la Sorbonne, spécialiste des relations franco-suisses, chevalier des Arts et des Lettres et de l’Ordre national du Mérite. Il étudie par le menu cette troupe d’élite, son rôle dans l’histoire de France, particulièrement son action au cours de la Révolution de 1789.
Certains disent que les Gardes suisses furent en réalité les derniers défenseurs de la monarchie. En tout état de cause, l’auteur ne succombe pas aux manipulations idéologiques menées par les différentes écoles historiques et tous les camps politiques s’écharpant sur la question de l’héritage révolutionnaire. Effectivement, cet ouvrage résulte de plusieurs années de recherches dans les archives helvétiques et françaises. Il est préfacé par Jean Tulard, membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Cela confère à la présente étude une excellente caution intellectuelle. Le spécialiste des études napoléoniennes écrit : « la belle étude que vous allez lire… ». Effectivement, il s’agit d’une belle œuvre, qui plus est fort intéressante.
L’auteur explique dès les premières lignes que : « la journée du 10 août 1792, l’une des plus spectaculaires séquences dramatiques de l’histoire des relations franco-suisses, se nomme sobrement « prise des Tuileries » en France et plus crûment « massacre des Gardes suisses » au pays de Guillaume Tell ». L’auteur poursuit son analyse en expliquant que « cet accroc à la Paix perpétuelle, cette blessure profonde dans l’amitié franco-suisse met brutalement fin à treize siècles de monarchie en France ».
Czouz-Tornare développe une idée pertinente montrant tout le paradoxe de cette journée d’été : « en focalisant sa haine contre ses étrangers à la Nation, le peuple fit d’eux le symbole de la fragilité du pouvoir royal réduit à s’appuyer sur ceux qui n’étaient pas ses sujets ». Pour rappel, nombreux sont les soldats des troupes régulières qui avaient déserté pour rejoindre le camp révolutionnaire. Quant à ceux qui portaient encore l’uniforme de l’armée, ils n’inspiraient au gouvernement qu’une confiance somme toute relative, d’où le recours aux régiments étrangers (1). Cependant, le problème relevait en grande partie du pouvoir royal et de certains de ses soutiens : « d’un côté ce qu’il reste du camp royaliste fidèle à Louis XVI, marginalisé à force de jouer la politique du pire. Du côté du roi, il n’y a ni plan d’action, ni de commandement unique et encore moins de volonté pour le premier concerné. Depuis longtemps, Louis XVI est absent de son rôle » (2).
Au cœur de cette France qui chavire et succombe à la tentation de la tabula rasa, les Gardes suisses représentent encore l’ordre et l’autorité. Ainsi, le 10 août, elles se voient confier « la mission impossible de défendre les Tuileries, lors d’une sorte de baroud d’honneur de la monarchie ». Le combat était perdu d’avance, en raison de la disproportion des forces en présence et du fanatisme révolutionnaire. Les ordres donnés par Danton expriment clairement le plus virulent des fanatismes : « assiéger le château, exterminer les Suisses, s’emparer du Roi et de sa famille, les conduire à Vincennes et les garder comme otages ». Le jour même à cinq heures, alors que Paris bouillonne déjà, « Mandat est convoqué à l’Hôtel de Ville. En qualité de commandant loyaliste de la Garde nationale, il est liquidé par la Commune insurrectionnelle ». La suite est malheureusement connue et n’offre aucune surprise : « sa tête est promenée au bout d’une pique » dans la pure et authentique tradition révolutionnaire. La journée commence par un meurtre. Elle se clôture dans un fleuve de sang.
Les émeutiers se dirigent ensuite vers le château pour accomplir leur forfait. N’oublions pas que « le Suisse, gardien du royaume, incarne le pouvoir monarchique. Sa personne en arme s’est substituée pour un jour au roi que la haine du peuple n’a pas encore pu abattre ». Toutefois, la vindicte populaire ne se limite pas à la seule question politique ou institutionnelle : « ainsi assiste-t-on à une réaction d’agressivité contre une figure emblématique étroitement associée à celle du père du peuple, Louis XVI, devenue odieuse au point que des actes de cannibalisme aient suivi le massacre ». Rien n’arrête la folie révolutionnaire : « tout être vivant découvert dans le château est tué sans pitié. On jette même du haut des fenêtres des jeunes tambours et des enfants de troupe » (3).
Napoléon Bonaparte, le futur génie militaire, assiste à l’événement « depuis l’appartement d’un nommé Fauvelet, place du Carrousel ». Il note que : « des femmes bien mises se portent aux dernières indécences sur les cadavres des Suisses ». Toute sa vie Napoléon se souviendra : « jamais, depuis, aucun de mes champs de bataille ne me donna l’idée d’autant de cadavres que m’en présentèrent les masses de Suisses ». Après cet événement, il aura toujours en horreur « la canaille » et « la populace ».
L’auteur rappelle que les Gardes suisses ne se trouvent pas seulement à Paris, mais dans tout le royaume. Il développe une analyse en forme de question : « mais les Gardes suisses sont-ils vraiment en mesure de tenir les séditieux en respect, compte tenu de leur nombre et de ce pourquoi les cantons suisses les ont envoyés en France ? » Effectivement, leur effectif s’élève à un peu plus de 13 000 hommes en 1789 (4), pour une population française de 29 millions d’habitants. De plus, les Gardes suisses « ne sont pourtant pas des mercenaires, utilisables par le roi comme bon lui semble, selon son bon plaisir ». Les capitulations signées au XVe siècle et sans cesse renouvelées sont extrêmement claires (5).
Aussi étonnant que cela puisse paraître, « à vouloir défendre la monarchie, les soldats suisses, maladroitement utilisés, participent au raidissement des positions de leurs adversaires ». Malheureusement, les Gardes suisses bercent d’illusions, sans le vouloir, les partisans de la royauté légitime et renforcent leurs ennemis, car « leur présence artificielle conforte d’une part dans leur aveuglement les extrémistes de la cour et le sentiment fallacieux de sécurité ressenti par le pouvoir exécutif, alors que d’autre part elle fournit fort opportunément aux révolutionnaires une cible mobilisatrice de choix ».
Dès le 10 août 1792, « la cause de la monarchie semble perdue, mais peu importe ! Même si cela n’a pas forcément été mis en évidence, il y a dans la tragédie des Tuileries une dimension mystique incontestable. A lire les dernières lettres et les témoignages des Gardes suisses, cela ne fait aucun doute. Les jeunes officiers idéalistes, en particulier, ont eu l’impression de se sacrifier pour la fille aînée de l’Eglise et ont cru jusqu’au bout au miracle. Comment leur Dieu pouvait-il abandonner ce roi très chrétien qui règne par droit divin ? »
Pour autant, indépendamment des considérations intellectuelles, les Suisses sont morts pour une cause plus grande qu’eux. Mais à la différence de leurs opposants, ils le savaient. Czouz-Tornare écrit une pensée admirable : « les Gardes suisses vont sauver l’honneur en mourant pour leur serment, comme les chrétiens subissent le martyre, comme les Gardes suisses pontificaux, leurs prédécesseurs, s’étaient comportés en 1527, lors du sac de Rome, pour la sauvegarde du souverain pontife ». Nous retirons deux principaux enseignements de cet ouvrage : mourir pour ses idées relève réellement de l’acte chevaleresque, un sacrifice n’est jamais vain ou inutile.
Cet ouvrage, que nous avons grandement apprécié, très bien écrit et enrichi par des annexes intéressantes, nous permet de parfaitement comprendre les enjeux et les conséquences « de ce grand tournant de la Révolution française ». L’iconographie présentée renforce la qualité du livre. Czouz-Tornare rend hommage et justice à ces soldats de l’impossible, quelque peu oubliés de l’Histoire, en rappelant également le contexte qui leur permit de servir les Rois de France pendant quatre siècles. Après cet événement dramatique « plus rien ne sera comme avant de part et d’autre du Jura ». Gloire aux Gardes suisses !
Franck ABED
(1) Les régiments étrangers sont des régiments qui servirent le Royaume de France et dont le personnel a été recruté hors des frontières nationales, principalement en Suisse, dans les états allemands, en Irlande et en Wallonie De petits contingents étaient également levés au sein d’autres états.
(2) Nous avons un avis légèrement différent. Nous recommandons la lecture de l’ouvrage suivant Louis XVI, un homme, un roi, un saint, auto-édition, janvier 2016.
(3) Nicolas de Gady insista le 16 janvier 1826 pour que Dossenbach, tambour au régiment des Gardes suisses, qui le 10 août âgé de 12 ans reçut trois blessures et dont le père fut tué le même jour, puisse obtenir une pension.
(4) Le décompte précis est fourni en page 36.
(5) Louis XI fut le premier à engager des troupes suisses à son service, suite à des négociations débutées en 1465 avec Nicolas de Diesbach, qui aboutirent, en février 1477, à une convention par laquelle les 13 cantons suisses s’engageaient à fournir des gens armés. Les capitulations, qui suivirent, fixaient pour chaque canton et le roi de France, les modalités de recrutement et de service de ces Suisses se battant pour le roi, d’abord pour le temps d’une campagne puis de façon permanente. En vérité, chaque régiment d’infanterie suisse avait sa propre capitulation. Un million de Suisses a servi en France de 1465 à 1830.
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