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 La prise des Tuileries et le sacrifice de la Garde suisse

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Airin

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MessageSujet: La prise des Tuileries et le sacrifice de la Garde suisse    La prise des Tuileries et le sacrifice de la Garde suisse  Icon_minitimeDim 13 Mai - 14:05

Un ouvrage que nous n'avons pas encore présenté dans le Boudoir :

La prise des Tuileries et le sacrifice de la Garde suisse par Alain-Jacques Czouz-Tornare

La prise des Tuileries et le sacrifice de la Garde suisse  La-pri10

Ce livre nous présente, sous un jour nouveau, les Gardes suisses et leur sacrifice héroïque du 10 août 1792. L’auteur est Czouz-Tornare, docteur ès lettres de la Sorbonne, spécialiste des relations franco-suisses, chevalier des Arts et des Lettres et de l’Ordre national du Mérite. Il étudie par le menu cette troupe d’élite, son rôle dans l’histoire de France, particulièrement son action au cours de la Révolution de 1789.

Certains disent que les Gardes suisses furent en réalité les derniers défenseurs de la monarchie. En tout état de cause, l’auteur ne succombe pas aux manipulations idéologiques menées par les différentes écoles historiques et tous les camps politiques s’écharpant sur la question de l’héritage révolutionnaire. Effectivement, cet ouvrage résulte de plusieurs années de recherches dans les archives helvétiques et françaises. Il est préfacé par Jean Tulard, membre de l’Académie des sciences morales et politiques. Cela confère à la présente étude une excellente caution intellectuelle. Le spécialiste des études napoléoniennes écrit : « la belle étude que vous allez lire… ». Effectivement, il s’agit d’une belle œuvre, qui plus est fort intéressante.

L’auteur explique dès les premières lignes que : « la journée du 10 août 1792, l’une des plus spectaculaires séquences dramatiques de l’histoire des relations franco-suisses, se nomme sobrement « prise des Tuileries » en France et plus crûment « massacre des Gardes suisses » au pays de Guillaume Tell ». L’auteur poursuit son analyse en expliquant que « cet accroc à la Paix perpétuelle, cette blessure profonde dans l’amitié franco-suisse met brutalement fin à treize siècles de monarchie en France ».

Czouz-Tornare développe une idée pertinente montrant tout le paradoxe de cette journée d’été : « en focalisant sa haine contre ses étrangers à la Nation, le peuple fit d’eux le symbole de la fragilité du pouvoir royal réduit à s’appuyer sur ceux qui n’étaient pas ses sujets  ». Pour rappel, nombreux sont les soldats des troupes régulières qui avaient déserté pour rejoindre le camp révolutionnaire. Quant à ceux qui portaient encore l’uniforme de l’armée, ils n’inspiraient au gouvernement qu’une confiance somme toute relative, d’où le recours aux régiments étrangers (1). Cependant, le problème relevait en grande partie du pouvoir royal et de certains de ses soutiens : « d’un côté ce qu’il reste du camp royaliste fidèle à Louis XVI, marginalisé à force de jouer la politique du pire. Du côté du roi, il n’y a ni plan d’action, ni de commandement unique et encore moins de volonté pour le premier concerné. Depuis longtemps, Louis XVI est absent de son rôle  » (2).

Au cœur de cette France qui chavire et succombe à la tentation de la tabula rasa, les Gardes suisses représentent encore l’ordre et l’autorité. Ainsi, le 10 août, elles se voient confier « la mission impossible de défendre les Tuileries, lors d’une sorte de baroud d’honneur de la monarchie ». Le combat était perdu d’avance, en raison de la disproportion des forces en présence et du fanatisme révolutionnaire. Les ordres donnés par Danton expriment clairement le plus virulent des fanatismes : « assiéger le château, exterminer les Suisses, s’emparer du Roi et de sa famille, les conduire à Vincennes et les garder comme otages ». Le jour même à cinq heures, alors que Paris bouillonne déjà, « Mandat est convoqué à l’Hôtel de Ville. En qualité de commandant loyaliste de la Garde nationale, il est liquidé par la Commune insurrectionnelle  ». La suite est malheureusement connue et n’offre aucune surprise : « sa tête est promenée au bout d’une pique » dans la pure et authentique tradition révolutionnaire. La journée commence par un meurtre. Elle se clôture dans un fleuve de sang.

Les émeutiers se dirigent ensuite vers le château pour accomplir leur forfait. N’oublions pas que « le Suisse, gardien du royaume, incarne le pouvoir monarchique. Sa personne en arme s’est substituée pour un jour au roi que la haine du peuple n’a pas encore pu abattre  ». Toutefois, la vindicte populaire ne se limite pas à la seule question politique ou institutionnelle : « ainsi assiste-t-on à une réaction d’agressivité contre une figure emblématique étroitement associée à celle du père du peuple, Louis XVI, devenue odieuse au point que des actes de cannibalisme aient suivi le massacre ». Rien n’arrête la folie révolutionnaire : « tout être vivant découvert dans le château est tué sans pitié. On jette même du haut des fenêtres des jeunes tambours et des enfants de troupe » (3).

Napoléon Bonaparte, le futur génie militaire, assiste à l’événement « depuis l’appartement d’un nommé Fauvelet, place du Carrousel  ». Il note que : « des femmes bien mises se portent aux dernières indécences sur les cadavres des Suisses ». Toute sa vie Napoléon se souviendra : « jamais, depuis, aucun de mes champs de bataille ne me donna l’idée d’autant de cadavres que m’en présentèrent les masses de Suisses  ». Après cet événement, il aura toujours en horreur « la canaille » et « la populace  ».

L’auteur rappelle que les Gardes suisses ne se trouvent pas seulement à Paris, mais dans tout le royaume. Il développe une analyse en forme de question : « mais les Gardes suisses sont-ils vraiment en mesure de tenir les séditieux en respect, compte tenu de leur nombre et de ce pourquoi les cantons suisses les ont envoyés en France ? » Effectivement, leur effectif s’élève à un peu plus de 13 000 hommes en 1789 (4), pour une population française de 29 millions d’habitants. De plus, les Gardes suisses « ne sont pourtant pas des mercenaires, utilisables par le roi comme bon lui semble, selon son bon plaisir  ». Les capitulations signées au XVe siècle et sans cesse renouvelées sont extrêmement claires (5).

Aussi étonnant que cela puisse paraître, « à vouloir défendre la monarchie, les soldats suisses, maladroitement utilisés, participent au raidissement des positions de leurs adversaires ». Malheureusement, les Gardes suisses bercent d’illusions, sans le vouloir, les partisans de la royauté légitime et renforcent leurs ennemis, car « leur présence artificielle conforte d’une part dans leur aveuglement les extrémistes de la cour et le sentiment fallacieux de sécurité ressenti par le pouvoir exécutif, alors que d’autre part elle fournit fort opportunément aux révolutionnaires une cible mobilisatrice de choix ».

Dès le 10 août 1792, « la cause de la monarchie semble perdue, mais peu importe ! Même si cela n’a pas forcément été mis en évidence, il y a dans la tragédie des Tuileries une dimension mystique incontestable. A lire les dernières lettres et les témoignages des Gardes suisses, cela ne fait aucun doute. Les jeunes officiers idéalistes, en particulier, ont eu l’impression de se sacrifier pour la fille aînée de l’Eglise et ont cru jusqu’au bout au miracle. Comment leur Dieu pouvait-il abandonner ce roi très chrétien qui règne par droit divin ? »

Pour autant, indépendamment des considérations intellectuelles, les Suisses sont morts pour une cause plus grande qu’eux. Mais à la différence de leurs opposants, ils le savaient. Czouz-Tornare écrit une pensée admirable : « les Gardes suisses vont sauver l’honneur en mourant pour leur serment, comme les chrétiens subissent le martyre, comme les Gardes suisses pontificaux, leurs prédécesseurs, s’étaient comportés en 1527, lors du sac de Rome, pour la sauvegarde du souverain pontife  ». Nous retirons deux principaux enseignements de cet ouvrage : mourir pour ses idées relève réellement de l’acte chevaleresque, un sacrifice n’est jamais vain ou inutile.

Cet ouvrage, que nous avons grandement apprécié, très bien écrit et enrichi par des annexes intéressantes, nous permet de parfaitement comprendre les enjeux et les conséquences « de ce grand tournant de la Révolution française ». L’iconographie présentée renforce la qualité du livre. Czouz-Tornare rend hommage et justice à ces soldats de l’impossible, quelque peu oubliés de l’Histoire, en rappelant également le contexte qui leur permit de servir les Rois de France pendant quatre siècles. Après cet événement dramatique « plus rien ne sera comme avant de part et d’autre du Jura ». Gloire aux Gardes suisses !



Franck ABED



(1) Les régiments étrangers sont des régiments qui servirent le Royaume de France et dont le personnel a été recruté hors des frontières nationales, principalement en Suisse, dans les états allemands, en Irlande et en Wallonie De petits contingents étaient également levés au sein d’autres états.

(2) Nous avons un avis légèrement différent. Nous recommandons la lecture de l’ouvrage suivant Louis XVI, un homme, un roi, un saint, auto-édition, janvier 2016.

(3) Nicolas de Gady insista le 16 janvier 1826 pour que Dossenbach, tambour au régiment des Gardes suisses, qui le 10 août âgé de 12 ans reçut trois blessures et dont le père fut tué le même jour, puisse obtenir une pension.

(4) Le décompte précis est fourni en page 36.

(5) Louis XI fut le premier à engager des troupes suisses à son service, suite à des négociations débutées en 1465 avec Nicolas de Diesbach, qui aboutirent, en février 1477, à une convention par laquelle les 13 cantons suisses s’engageaient à fournir des gens armés. Les capitulations, qui suivirent, fixaient pour chaque canton et le roi de France, les modalités de recrutement et de service de ces Suisses se battant pour le roi, d’abord pour le temps d’une campagne puis de façon permanente. En vérité, chaque régiment d’infanterie suisse avait sa propre capitulation. Un million de Suisses a servi en France de 1465 à 1830.
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/la-prise-des-tuileries-et-le-204247
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Biname

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Date d'inscription : 29/12/2016

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MessageSujet: Re: La prise des Tuileries et le sacrifice de la Garde suisse    La prise des Tuileries et le sacrifice de la Garde suisse  Icon_minitimeSam 2 Juin - 21:15

Recueillis par le même journaliste, ces propos de l'auteur :

Franck Abed : Plus de 200 ans après le massacre des Gardes Suisses, comment est perçue aujourd’hui la royauté française en Suisse, par les milieux intellectuels et le peuple ?

Alain-Jacques Czouz-Tornare : Le peuple en Suisse est précisément appelé le Souverain, au sens rousseauiste du terme. La Confédération est l’une des plus vieilles républiques au monde et cela se voit au quotidien. L’Helvète est profondément attaché aux valeurs démocratiques au point de couper systématiquement (au sens figuré) les têtes qui dépassent. Autant dire qu’on y pratique avec rigueur ce que je nomme l’éloge permanent de la médiocrité, dont les milieux intellectuels et les artistes font d’ailleurs régulièrement les frais. Ils ne sont guère appréciés par les citoyens d’un pays qui privilégient avant tout la réussite sociale sur le plan économique. Seuls quelques nostalgiques attachées à la France d’autrefois – comme les descendants des familles patriciennes qui gouvernaient les Villes-Etats avant 1798 – s’intéressent encore à la royauté traditionnelle. Il est par ailleurs de bon ton de se gausser de la monarchie républicaine française, les rapports entre les citoyens et les élites étant marqués en Suisse par une grande proximité. L’autorité à quelque niveau que ce soit est d’un accès facile. Tout ce qui rappelle en Suisse les fastes d’antan et les liens avec la monarchie ont été soigneusement marginalisés. Preuve en est au Musée national suisse à Zurich, la place minuscule réservée aux soldats suisses ayant servi à l’étranger. Les historiens qui n’appartiennent pas à la mouvance hyper critique envers l’héritage du service militaire à l’étranger sont ignorés, ne touchent aucun subside, n’ont droit qu’à des critiques acerbes ou pire à l’occultation pure et simple. Et personnellement, j’en sais quelque chose !


F.A. : A lecture de votre ouvrage, nous saisissons parfaitement votre opinion sur Louis XVI, qui se révèle négative. Pourriez-nous donner votre sentiment sur la reine Marie-Antoinette ? Que pensez-vous des frères du roi, les futurs Louis XVIII et Charles X ?

A-J C-T : Je suis en effet sévère avec Louis XVI qui a abandonné tous ceux qui le soutenaient et ce depuis Turgot. En écrivant ma Révolution française pour les Nuls (First, 2009), j’ai par contre découvert une Marie-Antoinette bien plus passionnante qu’il n’y paraît. Dommage qu’elle n’ait pas bénéficié d’une vraie éducation politique. Elle a su en permanence rester digne et élégante, ce qui est une prouesse en soi compte-tenu de l’époque. Ne disait-on pas que c’était le seul homme de la famille ! Le comte de Provence est bien plus subtil que son frère ainé mais il a trop en vue la perspective de devenir roi à son tour. A la mort de son neveu Louis XVII, il rate une occasion historique. Louis-Stanislas-Xavier, comte de Provence, puis comte de Lille, se transforme en Louis XVIII mais ne fait guère l’unanimité, nombre de royalistes lui reprochant ainsi qu’à son frère, le futur Charles X, d’être responsables de l’effondrement de la monarchie, dont les bases ont été sapées par le dénigrement systématique de la personnalité de Louis XVI et la contestation de son autorité. Il n’a pas fait son deuil de la monarchie absolue et son intransigeante proclamation royale de Vérone du 24 juin 1795 met en exergue le châtiment des régicides et le rétablissement des ordres « sans les abus », ce qui rend impossible alors le rétablissement d’une monarchie constitutionnelle. Dumouriez en 1795 dans son « Examen de la déclaration de Vérone » rédigé par le prétendant Louis XVIII, dans une formule bien frappée explique l’impossible restauration : « Les courtisans qui l’entourent n’ont rien oublié et n’ont rien appris ». Il faudra attendre 1814 pour qu’il accepte enfin l’octroi d’une charte sans faire table rase du passé récent. Le comte d’Artois d’une intelligence médiocre avait toujours l’aspect fringant d’un jeune lieutenant prêt à en découdre… surtout avec le beau sexe. Sa volonté de rompre avec la monarchie constitutionnelle entraînera lors des « Trois Glorieuses » de juillet 1830, un mauvais remake du 10 août 1792 avec toujours des Gardes suisses en première ligne. En rédigeant ma thèse sur les troupes suisses capitulées et les relations franco-suisses à la fin du XVIIIe siècle sous la direction de Jean Tulard, j’ai pu voir ce dont le comte d’Artois, colonel général des Suisses et Grisons jusqu’en 1792 pouvait être capable. Il a joué la politique du pire qui est la pire des politiques, cherchant même à priver son frère Louis XVI de ses Suisses pour les prendre à son service.


F.A : Quelles sont les principales différences entre les Gardes Suisses au service du roi de France, et les Suisses au service du Pape ?

A-J C-T : Les Suisses au service du Pape, par leur structure, se rapprochent plutôt – déjà par le nombre – de la compagnie des Cent-Suisses créée par le roi de France en 1496, chargée de la protection rapprochée du monarque à l’intérieur du palais (« la garde du dedans ») et qui restera en place jusqu’au 16 mars 1792 (où cette garde d’apparat sera licenciée). Le Pape Jules II crée d’ailleurs cette unité en 1506 en s’inspirant de cette compagnie. Par contre le sacrifice des Suisses du Pape lors du sac de Rome en 1527 s’apparente à la destruction du régiment des Gardes suisses en 1792, à laquelle on le compare habituellement. La garde suisse pontificale est la dernière survivance de ce que l’on nomme le service militaire des Suisses à l’étranger. On peut voir en quoi il consistait concrètement dans les salles permanentes du Musée militaire vaudois dans le château de Morges en Suisse ou en allant visiter le Musée des Gardes suisses à Rueil-Malmaison, le seul de ce genre en France. Il y aura d’ailleurs une exposition sur la Garde suisse du roi de France qui sera présentée à la Médiathèque Jacques Baumel à Rueil-Malmaison en octobre 2018.


F.A : Les Gardes Suisses peuvent-elles être considérées comme des mercenaires ?

A-J C-T : Absolument pas. Les Suisses servent en France au titre d’une alliance perpétuelle signée à Lucerne en 1521. Ce sont des troupes prêtées par un canton ou un ensemble de cantons. Il y a là une dimension diplomatique généralement oubliée volontairement de nos jours. Dans le texte du traité d’Alliance figurent les « capitulations », c’est-à-dire les conditions précises du recrutement et du service des soldats suisses qui formaient des régiments auxiliaires dans le royaume de France, de fait une véritable armée dans l’armée avec des privilèges (justice et règlements particuliers, franchise religieuse, exemption de l’impôt). Les régiments suisses ne pouvaient être utilisés que dans un cadre très strict et les cantons pouvaient les rappelaient en cas de besoin. Berne rappela d’ailleurs son régiment (de Watteville) au printemps 1792. Ainsi ne pouvait-on les envoyer outre-mer par exemple ni dans une guerre offensive contre l’Autriche ou le Pape. Les Suisses se devaient ainsi de respecter la loi et n’agir que sur réquisition des autorités constituées. Ainsi, il ne fut pas possible d’avoir recours à la garde suisse lors de la fuite à Varennes.

Le terme générique de mercenaire en usage aujourd’hui en Suisse et véhiculée par l’historiographie dominante et officielle permet de ne pas prendre en compte les aspects diplomatiques dérangeants dans les relations franco-suisses, du temps où les Suisses étaient fortement dépendants de leur grande voisine.


F.A : Dans votre livre vous écrivez : « en focalisant sa haine contre ses étrangers à la Nation, le peuple fit d’eux le symbole de la fragilité du pouvoir royal réduit à s’appuyer sur ceux qui n’étaient pas ses sujets ». Avant la révolution de 1789, comment étaient considérées les Gardes Suisses par la population française ? Pendant cette même révolution, la « haine » des révolutionnaires à l’endroit des Gardes Suisses reposait-elle seulement sur des opinions strictement politiques ? Ou pouvons-nous d’ores et déjà parler de xénophobie voire de racisme ?

A-J C-T : Les rapports ont toujours été d’une grande complexité dans le style « Je t’aime moi non plus ». On le voit très bien à Rueil où subsiste toujours la caserne construite pour les Suisses en 1756. La Suisse disposant du statut de la nation la plus favorisée, les Suisses étaient jalousés en raison des privilèges dont ils disposaient. Ils formaient en quelque sorte un groupe allogène, un Etat dans l’Etat, une armée dans l’armée, ce qui n’est jamais bon pour l’intégration, c’est le moins que l’on puisse dire ! Dans les cafés, les Suisses avaient l’obligation de ne pas se mêler à la population locale. D’où l’expression « boire en Suisse », c’est-à-dire tout seul. Les Gardes suisses étaient détestées par les Gardes françaises avec lesquels ils partageaient la garde des résidences royales jusqu’en juin 1789. Leur présence en France après 1789 et jusqu’à l’été 1792 relève de la volonté politique de conserver en France ce gage de la neutralité bienveillante de la Confédération suisse. Ces subtilités échappaient à la population qui ne voyait en eux que des « mercenaires vendus aux Bourbons ». Piliers de la monarchie, les soldats suisses de France, soit 11 000 hommes répartis en onze régiments sans compter celui des Gardes suisses représentaient un obstacle à surmonter, une cible de choix pour les révolutionnaires. Parallèlement, les villes se disputaient leur présence afin de maintenir l’Etat de droit, la préservation des lieux publics comme les halles, le convoyage des grains. On ne peut en l’occurrence parler de racisme puisque d’autres Suisses avaient pignon sur rue tels Necker, Clavière, ministre des finances en 1792, le Vaudois Pache, ministre de la guerre puis maire de Paris, le Neuchatelois Marat, « L’Ami du Peuple » ou les banquiers Perregaux et Delessert. Des Suisses firent même de belles carrières dans les armées de la République et de l’Empire, tel le général Reynier. D’ailleurs la Suisse représentait, à travers la figure de Guillaume Tell, un précédent républicain qui sera exploité par les révolutionnaires admirateurs du Genevois Rousseau. Il était même de bon ton de prendre pour référence, ces « glorieux ancêtres de la République » qui avaient eu aussi abattus « les tyrans autrichiens ». En résumé la vision de la Suisse et des Suisses était en tous points ambivalente pour ne pas dire contradictoire.

Il est étonnant de penser que ces Suisses, républicains par nature chez eux, furent à Paris tant en 1792 qu’en 1830, les derniers défenseurs de la monarchie.

https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/entretien-avec-alain-jacques-czouz-204831

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