Voici un petit topo sur les célèbres tapisseries de la manufacture de Beauvais :
Tenture de l’histoire de l’empereur de Chine.
Il nous faut remonter sous Louis XIV.
Deux grandes manufactures royales sont fondées : celle des Gobelins (1662), destinée aux commandes royales ; et celle de Beauvais (1664) qui fournissait d’autres riches clients.
L’intérêt pour
l’exotisme ne cesse de croître en Europe.
Depuis longtemps, on parle des
Indes pour tout désigner : un vrai fourre-tout géographique et culturel.
Je ne vais pas développer, mais ce n’est que petit à petit que l’idée de l’Orient se précise ; et il en va de même de ses représentations.
Pour faire
très bref, alors que se poursuit l'importation de quelques produits chinois (pour ne parler que de ceux-là), et notamment la porcelaine, les tissus, le thé
, se développe en parallèle, au début du XVIIème, un style chinois inspiré, ou
chinoiserie.
Rêvé, détourné, fantasmé, il très éloigné de la réalité et souvent franchement caricatural.
Il ne s’agit plus là de décrire, ni d’imiter, mais de laisser l’imagination s’exprimer.
Cette mode touche l’ensemble des arts décoratifs, ainsi que l’architecture, l’art des jardins etc. Elle rayonne sur toute l’Europe.
Pour s’inspirer, artistes et ornementalistes vont user de divers documents et récits qui sont à leur disposition.
En premier lieu, le livre de Johan Nieuhof,
L’ambassade de la compagnie hollandaise des Indes orientales dans la Tartarie chinoise et dans l’Empire chinois, traduit en France dès les années 1665, avec de nombreux dessins et notes.
Mais citons aussi les diverses publications des pères Jésuites, qui compilent à foison tous les sujets relatifs à leur mission sur ce continent.
Ces représentations, et leurs commentaires, connurent un vif succès. Ils participèrent largement à la future popularité des chinoiseries.
Mais revenons à Louis XIV, qui regarde de près ce qui se passe en Chine, où l'on dit que les empereurs règnent sur un immense empire et des millions de sujets. Hé ! Hé !
Aux premières loges donc : les missionnaires de la Compagnie de Jésus.
Justement, l’un d’entre eux, le père Couplet, est de retour de Chine.
Il voyage avec un jeune chinois, qu’il présente à la cour de France en 1684.
Bien évidemment, on accueille avec curiosité le jésuite et son compagnon.
C’est notamment à l'une de ces réceptions que l’on s’amuse à tester l’adresse du jeune homme à manger avec des baguettes...
C'est parti !
Dans les registres de la manufacture de Beauvais (comme dans ceux des Gobelins), des
Tentures à dessins de Chinoise vont apparaître.
Une première suite de la
Tenture de l’histoire de l’empereur de Chine a été exécutée pour le duc du Maine ; une autre pour le comte de Toulouse (deux exemplaires sont exposés à Compiègne).
Cette suite a été remise sur métier à tisser pendant des années, tant son succès était grand.
Les cartons originaux, à partir desquels ont été tissées ces tapisseries, sont de la main de plusieurs auteurs.
On s'y perd...
Passons ! Lorsque j’évoquerai ceux déclinés par François Boucher, ce sera plus intéressant ! Enfin, du moins, nous le connaissons mieux.
Du coup , il y aura naturellement de nombreuses variantes, évolutions et personnalisations !
Mais l’esprit ressemblera à ceci : la
Première Tenture composée de...
L’embarquement de l’impératrice :Le blason au sommet de l’arche est celui Franz Ludwig, Comte Palatin von Pfalz-Neuburg (1664–1732).
Plus d'infos
On remarque les animaux et coquillages "exotiques" disposés en avant-plan : les frères missionnaires relevaient toutes sortes de renseignements : zoologiques, botanistes et autres qui passionnaient les foules.
Sur le guéridon, à droite, on distingue quelques porcelaines chinoises.
N’oubliez pas qu’on essayait encore de percer le secret de la porcelaine qui attisait admiration, mystère, et convoitise en Europe !!
:idea: Pour la petite histoire, on doit le nom de porcelaine à Marco-Polo.
Au XIIIème siècle, alors qu’il séjourne à la cour de Koublaï Khan, il décrit dans ses notes la beauté des céramiques qu’il découvre : leur glacis brillant lui rappellent un coquillage nommé...
Porcella.
L’empereur en voyage :1688 et 1690 (Château de Compiègne et Musée du Louvre). Aux armes du comte de Toulouse.Sur cette représentation, l’empereur Kangxi, assis sous le palanquin, est au centre de la scène.
A gauche, sur les marches, nous remarquons un personnage avec une longue barbe blanche.
Il tient un globe dans sa main.
Il s’agit du père Adam Schall von Bell (1591-1666).
C'est un jésuite en mission en Chine, féru d’astronomie, il finira par s’incruster auprès de l’empereur Shun-chih de qui il deviendra le conseiller.
A la mort de ce dernier, le favori est disgracié, emprisonné, torturé.
Néanmoins, à la fin de sa vie, Schall sera réhabilité.
Il reprendra un rôle de premier plan, avec son confrère le père Verbiest, auprès de l’empereur Kangxi.
Schall sera haut dignitaire, mandarin, et toujours en charge des questions astronomiques qui avaient, dans cet empire, une grande importance.
On le retrouvera sur d’autres tapisseries...
Ici (et toujours) habillé en mandarin, comme le faisait sur place les jésuites : par souci
d’intégration.
:!: Pour aller un peu plus loin, je vous conseille
vivement la lecture de cette communication fouillée et passionnante : http://www.lafoliedix-huitieme.eu/asie/topic999.html
Les astronomesOn voit ici, bien mieux encore, et auprès de l’empereur : ce cher jésuite / astronome.
Représenté avec son compas, mesurant je ne sais quoi sur un globe, il semble influer ainsi sur les décisions du souverain.
Détail :
L’audience de l’empereur (ou du prince) :
1688-1724 Château de Compiègne et Musée du Louvre
Aux armes du comte de Toulouse.Cette tapisserie témoigne de la puissance et de la gloire de l’Empereur.
Sur la gauche, l’impératrice (ou supposée), sur son petit véhicule tiré par deux esclaves noirs, fait pâle figure à côté...
Si vous le pouvez (avec les lunettes de Franklin), notez comme les traits de son visage semblent être
à l’européenne.
Ce qui est bien souvent le cas des femmes illustrées dans les toutes premières chinoiseries : on ne les rêve, ni ne se les représente encore tout à fait.
Ce n’est qu’un peu plus tard qu’apparaîtront des représentations plus singulières (jusqu’à la caricature).
Aussi, regardez comme le bâtiment qui abrite pompeusement l’empereur, fait écho aux édifices que l’on verra au cours du XIXème siècle : telles les serres ou vérandas des demeures victoriennes, ou encore les portiques d’entrée des hôtels de luxe, certains kiosques etc.
A suivre...