pas evidente l acquisition de saint cloud
tiré des
memoires d augeard, secretaire des commandements de la reine marie antoinettePour suivre l’ordre des temps, je vais parler d’une grande affaire qui arriva à la cour au mois de mars 1785, attendu que par ma charge auprès de la Reine j’ai été obligé d’y avoir quelque part.
Le baron de Breteuil, tant pour faire sa cour à la Reine et au feu duc d’Orléans, père de ce monstre, que pour jouer une petite niche à Calonne, qui lui avoit manqué surtout de reconnoissance, proposa à Sa Majesté l’acquisition de Saint-Cloud. Il fit donc envisager à la Reine cette maison de plaisance comme un objet qui ne pourroit que lui être agréable, puisqu’elle la rapprochoit des spectacles de Paris. Le seul reproche que l’on pourroit adresser au baron de Breteuil, ce n’est pas l’acquisition en elle-même; c’est qu’il auroit pu l’avoir à meilleur marché : elle eût été payée à trois millions. Il ne faut regarder cet objet que comme une bague au doigt de la Reine. Le Roi de France avoit alors 477 millions de rente. Ne pouvoit-il pas, sans s’exposer même à la critique la plus passionnée, faire une galanterie à une femme qu’il chérissoit avec tant de raison ?
Que diroit-on d’un particulier qui aurait 477,000 livres de rente, qui donnerait une fois en sa vie à sa femme pour 6 ou 9,000 livres de diamants? C’est la même proportion. Ce serait certainement moins condamnable que de les donner à des filles d’Opéra, ou de se laisser manger et endetter par sa domesticité et ses gens d’affaires.
La Reine envoya chercher Calonne pour lui annoncer la conclusion de cette affaire, et de prendre ses mesures pour que les termes de paye- ment fussent acquittés à leur échéance. Calonne, piqué, peut-être avec raison, de ce que cette affaire, qui étoit purement de son département, avoit passé par un autre ministre, et qu’il n’y figurait tout au plus que comme une estampille, répondit à Sa Majesté qu’il prendroit les ordres du Roi, chez qui il passa dans le moment même. Il lui fit envisager cette acquisition comme hors de saison, sous le motif que
le trésor royal n’étoit point en état de supporter cette charge; il fit au Roi des observations bien exagérées et remplies de pathos, de sorte que Sa Majesté fit sentir à la Reine qu’il ne falloit pas penser à Saint-Cloud. Elle en avoit déjà reçu les compliments. Piquée, elle envoya chercher Calonne. Voici com- ment elle le reçut :
"Je sais, monsieur, tout ce que vous avez dit au Roi pour le détourner de mon acquisition. Si cette affaire-là n’étoit pas publique, je m’en désisterois très-volontiers, quoiqu’elle me soit agréable; mais comme vous avez donné au Roi pour prétexte la situation du trésor royal, je lui remettrai l’état très-circonstancié de toutes vos dilapidations et déprédations, et des sommes immenses que vous avez données aux princes du sang et à mes beaux-frères pour vous faire un appui auprès du Roi, et de toutes celles que vous avez répandues dans la bourse des grands de la cour pour cerner et environner le Roi de prôneurs et le tromper journellement. Vous ferez ce qu’il vous plaira; mais si je n’ai pas Saint-Cloud, je vous défends de paraître devant moi, et surtout de vous trouver chez madame de Polignac quand j’y serai."
Mon Calonne, tout stupéfait, court chez le Roi, veut raccommoder la chose, et lui dit :
"Sire, cet objet ne vaut pas la peine d’en causer à la Reine : je me retournerai et je trouverai moyen de faire face à tout. Il faut écrire à M. le duc d’Orléans de venir signer le contrat, puisque la Reine le désire; mais j’arrangerai si bien les choses par la contexture des lettres patentes, qu’elle croira avoir Saint-Cloud, et elle n’aura pas Saint-Cloud.
Le duc d’Orléans arriva le lendemain samedi, et signa le contrat.
Le vendredi suivant, le marquis de Paulmy, chancelier de la Reine, vint me voir.
"Vous êtes sans doute instruit, monsieur, de l’acquisition de Saint-Cloud?
— Oui, je le sais, et je sais également que la Reine vous a nommé son ministre plénipotentiaire pour en faire le traité. Voici un projet de lettres patentes pour être annexé au plein pouvoir que vous voudrez bien me donner. »
Après en avoir fait la lecture, je lui dis :
"Quel est le maraud qui a fait le projet de ces lettres patentes?
— C’est M. de Calonne.
— Il peut y avoir du courage à un ministre de refuser la Reine, mais c’est toujours une lâcheté de
la tromper."
(...)
Quant à l’acquisition de Saint-Cloud, c’est une folie que l’on a mise dans la tête de la Reine. Elle vous a nommé son ministre plénipotentiaire. Voici un projet de lettres patentes qu’il faut annexer à ces pleins pouvoirs."
M. de Paulmy me dit lui avoir fait observer que ces lettres avoient l’air de donner à la Reine Saint-Cloud en propriété, mais que réellement elles ne lui donnoient rien.
"Voulez-vous, lui dit M. de Calonne, que l’Empereur ait une propriété en France, dans le cas que la Reine viendroit à mourir sans enfants?
— Allez, allez, ces gens-là sont toujours assez grands pour s’entendre ensemble."
M. de Paulmy finit par me dire que dans tout cela il ne trouvoit pas grand mal, et moi par lui répondre que je prendrais les ordres de la Reine. Je lui écrivis dès le soir même, et elle me fit dire de me rendre le samedi chez elle à neuf heures du soir. Dès qu’elle me vit :
"C’est pour l’aflaire de Saint-Cloud que vous voulez me parler?
— Oui, madame.
— Ces gens-là m’ont bien tourmentée pour une pareille vilenie.
— Je le sais, madame ; mais j’ai des observations à faire sur ce sujet à Votre Majesté.
— Oui, mais vous retarderez encore mon affaire?
— Non , madame , puisqu’il est neuf heures et demie du soir, et qu’on ne peut rien expédier cette nuit. Je suis secrétaire des commandements de Votre Majesté moyennant finance, ainsi je ne puis être par trop humilié du peu de confiance que Votre Majesté aurait en moi. Elle en a un qui n’en porte pas le nom, mais qui a sa confiance : c’est l’abbé de Vermont. Je supplie la Reine, pour l’acquit de ma con- science et ma tranquillité, de lui remettre ce petit mémoire, et demain j’exécuterai aveuglément toutes ses volontés."
Le lendemain matin , elle m’envoya chercher dès huit heures. Elle s’étoit purgée.
"Vos observations ont été trouvées on ne peut pas plus judicieuses. Il faut avouer que ce Calonne est un grand polisson. Il faut vous trouver ici à midi et demi. On rédige de nouvelles lettres patentes que je vous remettrai. Je ne verrai que les princes et princesses, M. de Paulmy et vous."
Elle nous fit en effet entrer à cette heure l’un et l’autre. Elle adressa ainsi la parole à M. de Paulmy :
"Vous avez remis à M. Augeard un projet de lettres patentes; elles sont trop peu convenables à la dignité de ma personne et à mes intérêts pour que je prétende m’en servir; en voici d’autres que vous jugerez certainement plus décentes. M. Augeard va vous en faire la lecture. Elles seront annexées aux pleins pouvoirs que je vais vous donner?"
M. de Paulmy s’excusa sur ce que c’étoit M. de Calonne, ministre du Roi, qui les lui avoit remis.
" Je le sais, répliqua la Reine; mais cela ne devoit pas vous dispenser de m’en faire part avant de les remettre à M. Augeard."
Dès que j’en eus fait lecture, la Reine, s’adressant toujours à M. de Paulmy, qui étoit dans un embarras inexprimable :
"Comment trouvez-vous celles-ci?
— Infiniment mieux; mais j’ai peur qu’elles ne souffrent des oppositions à l’enregistrement du Parlement. »
Je pris la parole :
"J’assure bien Votre Majesté qu’elles n’en souffriront point; M. de Paulmy y mettra tous ses soins. Il a des parents puissants dans le Parlement, J’en ai aussi, et tout se passera pour le mieux."
La Reine fit signe à M. de Paulmy de se retirer, et je restai seul avec elle. Elle me dit :
"Mon chancelier étoit un peu embarrassé. Ce Calonne est un grand drôle. Il me demande une audience particulière; oui, je la lui donnerai. Monsieur Augeard, je n’oublierai jamais le service que vous me rendez, et votre fidèle attachement."