Versailles, 3 novembre 1714
J'ai déjà lu quatre pages de la Gazette, mais je n'ai pas encore trouvé l'endroit que je cherche; je continuerai de le chercher.
Ah!
Je viens de le découvrir; ma chère Louise, on a très-mal traduit ma harangue, lorsque je présentai au roi le prince de Saxe.
De ma vie je n'ai dit au roi sire, mais toujours monsieur; les enfants de France (comme on les appelle) ne disent jamais au roi sire, mais ce sont les petits-enfants de France, comme par exemple mon fils, ma fille, etc., qui commencent à lui donner ce titre.
Voilà ce que je dis au roi : « Monsieur, voicy le prince électoral de Saxsen, qui souhaite que je le présente à Votre Majesté »
Le prince se présenta alors avec une très-bonne mine, fort distinguée, et fit au roi son compliment sans le moindre embarras; il a gagné par là tout à fait l'approbation du roi et de toute la cour; le roi lui a répondu très-poliment.
Si toutes les correspondances qu'on a en Allemage venant de la France ne valent pas mieux que celle qui raconte comment j'ai présenté le prince, les correspondants gagnent fort mal leur argent.
Le général Lutzenburg a ici une sœur, Mme Des Alleurs; vous la connaissez peut-être, car son mari, qui revient de Turquie, où il était ambassadeur, a longtemps été ambassadeur à Berlin, où vous avez bien pu le voir du temps de la feue reine; on a dit qu'il avait été un peu amoureux de cette belle reine; pour revenir à sa femme, je dirai que le général fera bien de se concerter avec elle, car elle a de l'esprit comme le diable; mais je vois que le prince électoral est si bien surveillé, qu'on ne le laisse parler seul ni à un homme, ni à une femme.
On ne peut avoir plus de politesse que le palatin de Lithuanie; M. Hayen sait aussi très-bien vivre et paraît un homme distingué. Je le trouve raisonnable en tout point, si ce n'est sur la religion; là il est d'une simplicité extrême; il aurait, bien voulu que je consentisse à parler à son prince, mais je lui ai dit que prêcher n'est pas l'affaire des femmes, et que Notre Seigneur ne m'avait pas envoyée comme un apôtre, de sorte que je ne parlerai jamais au prince de religion.
Il tient encore ferme comme un mur, et ne se laisse pas persuader.
On le conduisit avant-hier à vêpres; il vint tandis que l'on chantait un psaume en musique; il l'écouta, et aussitôt que la musique eut cessé, il sortit. Le roi d'Angleterre (George I") m'avait fait dire, par M. Martini, qu'aussitôt qu'il serait en Angleterre il m'écrirait et serait en correspondance avec moi; hier, M. Prior m'apporte une lettre du roi, ma»s elle n'était pas de sa main, elle était écrite par un secrétaire; c'est ce que je n'aurais pas attendu après le compliment de M. Martini; mais je ne dois pas en être étonnée, lorsque je pense comme ce roi a toujours été pour moi; c'est l'inverse de sa mère; quoi qu'il advienne, je me rappellerai toujours que c'est le fils de ma tante, et je lui souhaiterai toute sorte de prospérité, c'est ce que je lui écris aujourd'hui; la princesse de Galles m'afflige; je l'estime sincèrement, car je trouve chez elle de très bons sentiments, chose rare à l'époque actuelle.
1 Pierre Puchot, marquis Des Alleurs, fut envoyé extraordinaire auprès de l'électeur de Brandebourg, depuis 1698 jusqu'à 1701.
En 1711, il remplaça, à Constantinoplc, M. de Ferriol, plus connu pour avoir ramené en France Mlle Aïssé que par ses succès diplomatiques.