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 Quand les artistes n'existaient pas

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globule
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MessageSujet: Quand les artistes n'existaient pas   Quand les artistes n'existaient pas Icon_minitimeMar 19 Fév - 8:56

Si vous aussi, vous vous êtes souvent demandé quelle était la différence entre les artistes et les artisans, cette analyse vous intéressera. Quand les artistes n'existaient pas 914132

Jusqu'au XIIIe siècle, en Occident, il n'y avait que des artisans. Certains d'entre eux ont muté en artistes, raconte l'historien Stéphane Laurent.
Propos recueillis par Alix Ratouis

Quand les artistes n'existaient pas 18124910

Il fut un temps, lointain, où les artistes n'existaient pas. Jusqu'au XIIIe siècle, en Occident, il n'y avait que des artisans. Certains d'entre eux ont muté, donnant vie à la figure de l'artiste. Celle-ci ne s'imposa qu'après une longue guerre entre les faiseurs d'art. Dans Le Geste et la Pensée. Artistes contre artisans, de l'Antiquité à nous jours, Stéphane Laurent, historien de l'art, professeur à l'université Paris-Sorbonne, revient sur cette étonnante histoire où la main s'est peu à peu effacée derrière l'esprit du créateur.

  • La notion d'artiste existait-elle dans l'Antiquité grecque  ?

Stéphane Laurent : Non, c'est une invention du XIIIe siècle, qui s'affirmera à la Renaissance. Dans la Grèce antique, la société distinguait les personnes qui travaillaient de celles qui ne travaillaient pas, seule comptait l'appartenance ou non à l'aristocratie, qui vivait de ses rentes. Les personnes qui gagnaient de l'argent avec leurs mains étaient mal considérées, elles étaient perçues comme des personnes aliénant leur liberté à ceux qui voulaient bien les payer afin qu'elles puissent vivre. Les aristocrates de la Grèce ancienne appelaient les artisans les « banausos », les « minables », du grec « baunaus », l'âtre, le feu qui sert à cuire la poterie.

  • Comment la figure de l'artiste émerge-t-elle au XIIIe siècle en Occident ?

Les cours font travailler des artisans qui ont des compétences dans les arts visuels : fresques, bannières, décors… Les artistes n'auraient pas pu devenir des artistes s'il n'y avait pas eu la commande et l'opportunité d'un marché de niche très spécifique, très bien payé, valorisant à la fois pour l'artisan et le commanditaire. Une connivence s'est établie entre l'artiste et le pouvoir. Ce dernier se sert du premier pour asseoir son autorité en investissant dans la commande d'œuvres exceptionnelles destinées à impressionner. Cela permet au prince de montrer une action politique forte, un peu comme un maire aujourd'hui doterait sa ville d'une piscine ou d'un stade. Dans l'Italie de la Renaissance, les cités-États sont en lutte les unes avec les autres aussi bien sur le plan militaire que politique. Les arts sont un moyen de se distinguer. C'est Florence, avec les Médicis, qui prend cette direction et se met à instrumentaliser les artisans-artistes. Au début, ceux-ci étaient utilisés pour effectuer toutes sortes de travaux comme la restauration de peintures murales, l'équivalent du travail d'un peintre en bâtiment aujourd'hui. Progressivement, ils sont affectés à des tâches plus édifiantes. Les artistes en profitent pour se forger un statut social particulier et pour s'extraire des corporations, qui regroupent les artisans par métier et le réglementent. Les corporations, même si elles constituent un pouvoir économique fort, se retrouvent le plus souvent exclues des commandes des princes, captées par les artistes présents à la cour des princes.

  • Vous expliquez qu'en devenant de plus en plus polyvalents, les artistes vont assujettir les artisans.

Les princes leur demandent aussi bien des services de table, des tapisseries ou des bijoux que d'organiser le décorum de fêtes somptueuses. Les artistes dessinent les modèles, mais ne maîtrisent pas les savoir-faire pour les réaliser. Ils les font donc exécuter par des artisans placés sous leurs ordres et se transforment en directeurs artistiques.

  • L'évolution des techniques a-t-elle joué un rôle ?

La force des artistes va résider dans l'utilisation de nouvelles compétences auxquelles ne recourent pas les artisans. À la cour, les artistes fréquentent des savants qui les introduisent à différents savoirs : l'anatomie relève de la médecine, la perspective de la géométrie… Cela amène l'artiste à s'ouvrir à d'autres domaines que ceux de la simple technique dans laquelle il a été formé… La réhabilitation de l'Antiquité, un domaine de savoir peu connu à l'époque, les familiarise avec la mythologie. Ces nouvelles compétences vont leur permettre de faire des propositions très savantes. Surtout, ils vont développer un art du dessin qui va mettre en forme toutes ces acquisitions. Le dessin va devenir l'arme de l'artiste, son langage, le moyen de représenter toutes ces connaissances. Le dessin rend visible l'anatomie, la perspective ou la composition, qui est aussi élaborée par le dessin. Les artisans ne dessinent pas, ils apprennent un savoir-faire en atelier, qui peut être extrêmement complexe comme dans la ferronnerie. L'acquisition du métier se fait par la transmission orale, le geste, l'apprentissage. Le dessin va asseoir une supériorité de l'artiste sur l'artisan.

  • Au XVIIIe siècle, de nombreuses écoles de dessin sont créées à destination des artisans. Pour quelle raison  ?

Au XVIIIe, il y a un tel foisonnement de l'objet qu'il va falloir transmettre le dessin aux artisans, car ils n'arrivent plus à suivre et à réaliser les modèles proposés par les artistes. On crée donc des écoles de dessin, la première s'ouvre à Rouen, un grand centre de faïence, de métallurgie et de textile. Mais le graphisme qui y est enseigné est limité, les cours ont lieu le soir, après le travail. On fait reproduire aux artisans des planches d'ornement, on ne leur apprend pas les éléments de conception par le dessin, à savoir la figure, le paysage, les scènes de genre, le portrait ou les natures mortes.

  • Pour se distinguer des artisans, vous montrez que les artistes ont utilisé un subterfuge en faisant croire qu'ils travaillaient par la pensée plus que par le geste.

À la fin de l'Empire romain, au Ve siècle, sont définis au sein des monastères les principes des arts libéraux et des arts mécaniques. Les arts libéraux regroupent tous les arts de la pensée liés à la parole et au nombre, à la rhétorique, à la musique, aux mathématiques. À la Renaissance, les artistes mettent en place un discours pour légitimer leur statut particulier en soulignant leur lien avec les sciences, grâce à leur maîtrise de l'anatomie, de la perspective, leur connaissance de la mythologie, ce qui leur permet de se rapprocher des arts libéraux et de s'éloigner des arts mécaniques, domaine des artisans. Ils se lient également avec les poètes, créant un lien très fort entre écriture et visuel, les uns soutenant les autres, ce qui a donné plus tard naissance à la critique d'art. Diderot, Baudelaire ont promu ou vilipendé un certain nombre d'artistes. La construction d'un discours autour de l'œuvre est ce qui légitime aujourd'hui l'art contemporain. On le voit avec les œuvres d'art conceptuel, incompréhensibles s'il n'y a pas un laïus autour, au point que le discours est devenu plus important que l'œuvre. Aujourd'hui, dans les écoles des beaux-arts, tous les artistes en herbe apprennent à discourir sur leur œuvre.

  • Quelle était la fonction des académies  ?

À la fin du XVIe siècle, les artistes ont réussi à créer leur propre système institutionnel indépendant des princes, les académies. À la fin du XVIIe apparaissent les Salons, rapidement destinés au public pour un usage privé. Le Salon de l'Académie jusqu'au dernier quart du XIXe, c'était la Fiac puissance 10, car il n'y avait pas de galeries à l'époque. L'actualité de la peinture, c'était là. Les artistes ont construit leur propre réputation, ils ont créé le système du Prix de Rome leur permettant de se faire connaître et d'avoir des commandes. Depuis le XVIIe, le prix de leur travail n'est plus lié au matériau et au temps d'exécution, critères rationnels pour évaluer une œuvre. Le prix dépend davantage d'une signature, la rapidité d'exécution est valorisée, prélude à une spéculation sur l'art telle qu'on la connaît aujourd'hui et qui fait qu'on est face aujourd'hui à des prix complètement déconnectés de toute réalité matérielle ou objective. Les artistes ont été plus opportunistes que romantiques.

  • La Révolution française aurait pu rééquilibrer l'égalité entre les arts.

Au XVIIIe siècle, l'art décoratif est en pleine effervescence avec l'émergence d'un marché privé. Les manufactures sont puissantes, les artistes travaillent beaucoup pour les particuliers, on ne sait pas très bien si la peinture de Boucher et Watteau pour les résidences est une peinture décorative ou pas. Les encyclopédistes Diderot et d'Alembert, comme le philosophe Kant, démontrent que les artisans sont aussi remarquables que les artistes, car ils façonnent le quotidien. Mais au lieu de plaider l'égalité des arts, pour reprendre des termes de l'époque, la Révolution opère une scission en considérant l'artisanat de manière utilitaire au service de l'économie et en proposant aux artistes de se refaire une virginité s'ils soutiennent la cause révolutionnaire, un moyen de faire oublier qu'ils s'étaient commis avec l'aristocratie en travaillant pour elle. Le jeu social joué par les artistes auprès du pouvoir l'a emporté. Le peintre David était ainsi membre du Comité de salut public. Napoléon a utilisé les artistes pour immortaliser sa propre gloire. Il a relancé l'Académie des beaux-arts dont le Salon a donné une visibilité à la peinture et aux arts visuels. Et le public va retenir cela : l'art, ce sont les arts visuels, la peinture et la sculpture. Alors que le premier musée public ouvert en France était un musée des Arts décoratifs, sous Louis XV. En 1777, le Garde-Meuble de la Couronne, installé place de la Concorde, à Paris, ouvrait tous les premiers mardis matin de chaque mois pour montrer, non de la peinture, mais des meubles, des bijoux, des soieries, des armes, de l'orfèvrerie.

  • Qu'en est-il de l'artisanat aujourd'hui ?

Les années 30 ont achevé l'artisanat, qui a basculé dans l'industrie. Les entreprises du luxe, désormais, mettent plus en avant une marque que des individus. La restauration de notre patrimoine très abondant permet cependant de maintenir les savoir-faire. Et dans les années 1950, l'artisanat a bénéficié d'une relance avec l'« effet Picasso-Vallauris ». Des artistes se sont mis à la céramique, à la mosaïque ou au vitrail comme Chagall. Cela a permis de refaire le lien entre création et geste. Cela a également donné une certaine publicité à des personnes qui avaient une sensibilité pour le travail de la main sans être issues de familles d'artisans. Une sorte de néo-artisanat a vu le jour, toujours actuel, on le voit avec certaines reconversions professionnelles de salariés qui quittent l'entreprise pour effectuer un travail plus personnel dans un atelier. Mais ce mouvement n'est porté par personne, il n'a pas de visibilité.


Le Geste et la Pensée. Artistes contre artisans, de l'Antiquité à nos jours, de Stéphane Laurent, CNRS Éditions, 416 pages, 25 euros.

https://www.lepoint.fr/

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