Claude Chauveau-Lagarde

Avocat réputé, Claude-François Chauveau-Lagarde (1756-1841) défend le général Miranda qu'il fait acquitter , le Duc du Châtelet , Bailly, Madame Roland et Charlotte Corday avant d'être commis d'office , avec Tronson-Ducoudray, pour représenter Marie-Antoinette et de plaider en faveur des Girondins.
Il échappe à la guillotine grâce à la chute de Robespierre.
Il a laissé une Note historique sur le procès de Marie-Antoinette d'Autriche, Reine de France et de Madame Elisabeth de France au tribunal révolutionnaire.

Bien à vous.

Lagarde n'a pas été lui aussi arrêté par Fouquier-Tinville, en même temps que son collègue Ducoudray? Je croyais....

J'ignorais qu'il avait laissé des écrits sur ce procès...mais j'imagine qu'ils doivent être très instructifs quant à son déroulement...peut-on s'en procurer une édition?

Il est vrai que Chauveau-Lagarde a plaidé pendant deux heures avec une telle fougue, qu'il a été arrêté en plein tribunal...

Bien à vous.

Les deux avocats ont plaidé avec autant de zèle que d'éloquence. Ce sont les termes du Bulletin du tribunal révolutionnaire.

Lorsque Chauveau Lagarde a eu terminé, la reine lui a murmuré : Comme vous devez être fatigué, Monsieur Chauveau Lagarde ! Je suis bien sensible à toutes vos peines...

L'avocat laissera en effet des notes très instructives, qui ne sont que trop rarement citées. Il y admire la précision et la clarté d'esprit de Marie Antoinette, qui, en discutant avec lui, résumait et commentait chaque déposition. Ce texte est donné par Lenôtre dans son excellent ouvrage sur la fin de Marie Antoinette.

Ah merci Pim!

Il faut vraiment que je me procure cet ouvrage...

Voici en attendant quelques extraits des notes de Chauveau Lagarde, Chou, pour te faire plaisir !

La nouvelle qu'il devrait défendre la reine parvint à l'avocat alors qu'il était à la campagne. Il se précipita à la conciergerie. En abordant la reine avec un saint respect, confie-t-il, mes genoux tremblaient sous moi... et mon embarras fut tel que je ne l'eusse jamais éprouvé à ce point si j'avais eu l'honneur d'être présenté à la reine au milieu de sa cour.

Les débats, nous explique Chauveau Lagarde, commencèrent à 8 heures du matin. Il y eut une suspension de 4 heures après midi à 5 heures. La séance avait dû être interrompue à la suite de la réplique sublime de Marie Antoinette, qui avait excité dans l'assemblée un mouvement d'admiration.

Le lendemain, l'audience se poursuivit jusqu'à 4 heures du matin, de manière que, sauf un instant de relâche, ils durèrent environ vingt heures consécutives...

Qu'on se représente, s'il est possible, toute la force d'âme qu'il fallut à la reine, pour supporter les fatigues d'une aussi longue et aussi horrible séance; en spectacle à tout un peuple; ayant à lutter contre des monstres avides de sang; à se défendre de tous les pièges qu'ils lui tendaient; à détruire toutes leurs objections; à garder toutes les convenances et toutes les mesures, et à ne point rester au-dessous d'elle-même.

Et Chauveau Lagarde de louer le beau caractère que Marie Antoinette y a développé.

Après la séance, nous dit ensuite Chauveau Lagarde, les deux avocats se sont retirés avec la reine pour faire le point des débats, toujours environnés de gendarmes qui ne les quittaient point.

Cependant, ajoute-t-il, la reine me demanda ce que je pensais des dépositions qu'on venait d'entendre, en me les résumant avec une parfaite exactitude et en se plaignant avec amertume des impostures dont la plupart étaient remplies.

Son avocat la rassure : elles se détruisaient au contraire, par leur grossièreté même, ainsi que par la bassesse et l'abjection de leurs auteurs.

La reine avoue alors ne plus craindre que Manuel. Ce commentaire sera entendu et rapporté par les gardes.

Dans la séance suivante, la reine donna de sa présence d'esprit et de sa force d'âme une marque signalée. On connaît en effet son appel indigné à toutes les mères.

Elle s'aperçut de l'impression qu'elle venait de produire et, m'ayant fait signe de monter aux gradins pour m'approcher d'elle, Sa Majesté me dit à voix basse :

- N'ai-je pas mis trop de dignité dans ma réponse ?

- Madame, lui répondis-je, soyez vous-même, et vous serez toujours bien; mais pourquoi me faites-vous cette question ?

- C'est, reprit la reine, que j'ai entendu une femme du peuple dire à sa voisine : "Vois-tu comme elle est fière !"

Cette observation de la reine, commente finement Chaveau Lagarde, fait voir encore qu'elle espérait; et prouve aussi que, dans la pureté de sa consicence, il fallait qu'elle fût bien maîtresse d'elle-même, puisqu'au milieu des plus grandes agitations de l'âme, elle entendait tout ce qu'on disait autour d'elle, et qu'elle cherchait, dans l'intérêt de son innocence, à régler sur sa situation, et son silence et ses paroles.

Cet aparté entre Marie Antoinette et son avocat sera consigné également. Lorsqu'il fut arrêté, Chauveau Lagarde dut en rendre compte. Pourquoi, lui demanda-t-on, Marie Antoinette l'avait-elle fait monter près d'elle aux gradins pour lui parler à voix basse ?

Quant à Manuel, nous rapporte encore Chauveau Lagarde, on ne lui pardonnait pas de n'avoir point calomnié la reine.

Merci vraiment c'est gentil!

Je lis là les écrits d'une personne qui a un profond respect pour la monarchie, ou du moins pour ceux qui représentent la royauté
Ce passage là est très significatif :
"et mon embarras fut tel que je ne l'eusse jamais éprouvé à ce point si j'avais eu l'honneur d'être présenté à la reine au milieu de sa cour."

Celui-ci aussi :
"ayant à lutter contre des monstres avides de sang"

C'est bizarre...les révolutionnaires auraient-ils fait exprès de choisir des avocats plutôt royalistes, tout en connaissant leurs opinions politiques?

En effet, Chou, la loyauté de Chauveau Lagarde ne fait aucun doute, d'après l'article que lui consacre wiki. Si la convocation des États Généraux le remplit d'allégresse et qu'il publia une Théorie des États généraux ou la France régénérée, il se distingua par ses prises de positions. Il défendit Marie-Antoinette avec une chaleur qui attira les soupçons du Comité de sûreté générale, il prit la défense de Madame Élisabeth, sœur du Roi, sans être autorisé à voir sa cliente et fut aussi accusé de montrer trop d'indulgence envers les contre-révolutionnaires.

Mais, comme le sort de Marie Antoinette était scellé d'avance, le tribunal a dû estimer que les convictions de ses avocats importaient peu..

Après les débats, Chauveau Lagarde et Tronson Ducoudray se sont concertés pour se répartir la tâche. Monsieur Tronson Ducoudray se chargea de la défense sur l'accusation de la prétendue conspiration avec les ennemis de l'intérieur, et moi sur l'accusation de la prétendue conspiration à l'extérieur avec les puissances étrangères.

Mais ils ne disposèrent en tout et pour tout que d'un quart d'heure, et furent dès lors obligés de parler sans préparation. Après avoir plaidé pendant deux heures, ajoute l'avocat, j'étais accablé de fatigue; la reine eut la bonté de le remarquer et de me dire avec l'accent le plus touchant :
- Combien vous devez être fatigué, Monsieur Chauveau Lagarde ! Je suis bien sensible à toutes vos peines !

Selon Chauveau Lagarde, c'est cette marque de reconnaissance qui a interrompu à cet instant la séance. Il veut rejoindre la reine, mais se fait arrêter sous ses propres yeux. Tronson Ducoudray subira le même sort sitôt sa plaidoirie terminée. Et Chauveau Lagarde de s'inquiéter de l'angoisse de Marie Antoinette : cette absence de ses avocats n'augurait rien de bon pour la suite...

Tous deux seront là toutefois pour assister au verdict. Nous ne pûmes l'entendre sans être consternés. La reine seule l'écouta d'un air calme et l'on put seulement s'apercevoir alors qu'il venait de s'opérer dans son âme une sorte de révolution qui me parut bien remarquable. Elle ne donna pas le moindre signe, ni de crainte, ni d'indignation, ni de faiblesse. Elle fut comme anéantie par la surprise. Elle descendit les gradins sans proférer une parole, ni faire aucun geste, traversa la salle comme sans rien voir ni rien entendre; et lorqu'elle fut arrivée devant la barrière où était le peuple, elle releva la tête avec majesté. N'est-il pas évident que jusqu'à ce moment terrible, la reine avait conservé de l'espoir, et n'y a-t-elle pas fait éclater en même temps le plus admirable de tous les courages, puisqu'il ne saurait y en avoir de plus grand que celui qui survit à l'espérance elle-même ?

Citation :

Mais, comme le sort de Marie Antoinette était scellé d'avance, le tribunal a dû estimer que les convictions de ses avocats importaient peu..

Oui c'est possible...peut être même que Fouquier-Tinville avait décidé de les arrêter avant que le procès commence...car avec de telles convictions royalistes, il ne faisait pas bon de les faire connaître...
Mais il est sûr, je pense, que les révolutionnaires connaissaient leur tendance politique, car sinon ils ne se seraient pas gênés pour nommer des avocats ayant leur idées
Ils se sont peut être dit : "faisons d'une pierre trois coups : on condamne l'Autrichienne, et on arrête en prime deux royalistes!".

Je pense bien que c'est comme cela que les choses se sont passées. Il devait s'agir de jeter des royalistes dans la fosse aux lions, et rien de plus. Les avocats de Louis XVI aussi étaient royalistes, comme on le sait. Malesherbes a d'ailleurs été exécuté pratiquement dans le même temps que Madame Elisabeth.

Oui...ils donnaient ainsi l'occasion à tous ces avocats de montrer publiquement leurs tendances royalistes, et ainsi avoir une véritable excuse pour les arrêter...

Sont-ce des tendances royalistes que défendre les personnes qui sont injustement attaquées? Je veux dire par là que c'est de toutes façons leur profession que de défendre leurs clients, mais qu'en toute objectivité n'importe quel républicain aurait été à même de défendre ces victimes du tribunal révolutionnaire ...

Bien à vous.

Citation :

en toute objectivité n'importe quel républicain aurait été à même de défendre ces victimes du tribunal révolutionnaire ...

C'était justement là que ça coinçait, dirait-on... La foi aveugle dans la république naissante et l'objectivité, ça faisait deux. Nous étions en train de basculer dans la terreur, avec tous les actes dignes des régimes totalitaires auxquels elle a donné lieu.

Dont le principe basique du "si t'es pas d'accord avec moi c'est que t'es contre moi et je te bute".

D'ailleurs, pour être bien sûr de se débarrasser de l'encombrante conscience de tous ces avocats, on va bien vite condamner sans jugement. Simple accélération du mouvement mettant en pratique le paranoïaque principe susmentionné.

pimprenelle a écrit:

D'ailleurs, pour être bien sûr de se débarrasser de l'encombrante conscience de tous ces avocats, on va bien vite condamner sans jugement. Simple accélération du mouvement mettant en pratique le paranoïaque principe susmentionné.

C'est Madame Elisabeth qui sera expédiée à l'échafaud sans même un semblant de procès...Son passage devant le tribunal révolutionnaire ne sera que l'occasion de sa condamnation, rien de plus...

Bien à vous.

Citation :

Sont-ce des tendances royalistes que défendre les personnes qui sont injustement attaquées?

Je vous retournerai la question ainsi, Majesté : En 1793, étaient-ce des tendances républicaines que de défendre, même en tant qu'avocat de métier, la Famille royale?

Pim a écrit :

Citation :

Dont le principe basique du "si t'es pas d'accord avec moi c'est que t'es contre moi et je te bute".

Oui ça ne va pas chercher plus loin

On peut aussi résumer ça comme cela : "T'es avec moi ou contre moi. Si t'es avec moi t'es un patriote, si t'es contre moi tu meurs car tu me gènes"

Petit Normand a écrit:

En 1793, étaient-ce des tendances républicaines que de défendre, même en tant qu'avocat de métier, la Famille royale?

Professionnellement parlant, il me semble que non, justement...Surtout que Chauveau -Lagarde et Tronson-Ducoudray ont été commis d'office à la Reine...

Bien à vous.

Citation :

"si t'es contre moi tu meurs car tu me gènes"

... ou car tu me fais peur...

Cette vision très binaire et facile des choses m'amuse dans les films

Mais me dire que des individus ont déjà eu ce genre de raisonnement est autrement moins drôle...:s:

Majesté a écrit:

Petit Normand a écrit:

En 1793, étaient-ce des tendances républicaines que de défendre, même en tant qu'avocat de métier, la Famille royale?

Professionnellement parlant, il me semble que non, justement...Surtout que Chauveau -Lagarde et Tronson-Ducoudray ont été commis d'office à la Reine...

Bien à vous.

Donc vous êtes d'accord avec moi. Jamais des républicains, même avocats de métier, n'auraient défendu la Reine. Donc, en 1793, c'est bien une tendance royaliste que de défendre une personne injustement accusée, et je réponds ainsi à votre première question.

Petit Normand a écrit:

Donc vous êtes d'accord avec moi.

Ben...pas sûr...

Citation :

Jamais des républicains, même avocats de métier, n'auraient défendu la Reine.

Comment pouvez-vous être si affirmatif?
Chauveau-Lagarde et Tronson-Ducoudray ont du succès parmi les royalistes, et pour cause...mais le sont-ils eux-mêmes? Rien ne le précise véritablement dans les documents que j'ai réussi à consulter...

Citation :

Donc, en 1793, c'est bien une tendance royaliste que de défendre une personne injustement accusée, et je réponds ainsi à votre première question.

Les victimes de ces injustices révolutionnaires ne se limitant pas aux royalistes, je ne suis pas d'accord avec vous...

Bien à vous.

Citation :

Les victimes de ces injustices révolutionnaires ne se limitant pas aux royalistes, je ne suis pas d'accord avec vous...

Ah, j'étais sûr que vous me répondriez ça! Mais je voulais vous répondre en collant à vos propos, c'est pour cela que j'ai écrit "les personnes injustement accusées". Je reformule donc : seul un royaliste aurait accepté de défendre d'autres royalistes. Etre l'avocat de Marie-Antoinette, c'est donc être un avocat royaliste. Un avocat républicain ne l'aurait jamais fait, ou alors aurait fait exprès de ne rien dire et aurait attendu la sentence sans réagir. A mon avis, le tribunal s'attendait à ce que les deux avocats se comportent ainsi, et ils ont dû être étonnés de voir qu'il n'en était rien et qu'il avait affaire à des royalistes bien décidés à risquer l'échafaud pour leur Reine. Cette surprise se voit dans l'article ordurier du Père Duchesne sur les "avocats du diable".

Votre raisonnement me semble un peu a posteriori, Petit Normand. Maintenant, avec le recul, nous savons ce que c'est que d'être royaliste ou républicain. A l'époque, c'était moins clair. Peut-on dire que le garde qui apportait des fleurs à Marie Antoinette dans sa prison était royaliste ? Non, sans doute était-il bon patriote comme les autres, mais homme de coeur, aussi.

Donc, d'une part, le tableau n'était pas si binaire, à l'époque, à mon avis. Et d'autre part, vous ne tenez pas compte de la conscience des avocats. Tout comme il existe un secret professionnel qui lie les médecin, il y a une déontologie de l'avocat, qui le fait défendre son client.

Bref, pour moi, le fait que Chauveau Lagarde et Tronson Ducoudray ont défendu la reine avec chaleur ne prouve pas qu'ils étaient royalistes. Il faut pour en avoir ou non la conviction vérifier avec le reste de leur biographie, pour voir si d'autres faits corroborent cette impression.