- Wenzesains a écrit:
- On l'ignore trop souvent mais Le Désirė était un homme à femmes.
Pour celles et ceux qui n'ont pas encore lu ce livre, l'analyse que je vous propose va achever de les convaincre.
La chronique es signée Audrey Le Roy :
https://actualitte.com/article/118729/chroniques/louis-xviii-un-roi-a-l-ombre-des-ses-femmes
- Louis XVIII, un roi à l’ombre des “ses” femmes
- « Son corps était énorme, mal soutenu et péniblement balancé sur des jambes et des pieds rongés par la goutte depuis bien des années. Il semblait qu’un brin de paille pouvait lui faire perdre l’équilibre, c’était effrayant. Mais une fois bien en place et surtout assis, Louis XVIII était un beau roi. »
(Eugénie Oudinot, Mes Souvenirs, texte établi par le marquis de Vesins, BnF, Réserve des livres rares.)
Après lecture du livre du docteur en histoire Matthieu Mensch,
Les femmes de Louis XVIII, publié chez Perrin, cette description d’Eugénie Oudinot semble parfaitement dépeindre l’imposant roi : instable, empoté, inspirant parfois la pitié, mais également le respect, bien que « beau roi » sans être « grand roi ».
Il est assez singulier de découvrir la biographie d’un homme à travers une galerie de portraits des personnes l’ayant côtoyé. Exercice difficile, il s’agit de ne pas perdre son sujet en chemin, mais exercice réussi par l’historien, qui dresse la psyché d’un homme à travers sept femmes qui l’ont pour ainsi dire formé et dont il s’est servi, de leur vivant ou de leur mort, pour fabriquer sa propre image. Qui sont-elles ?
Sa belle-sœur, Marie-Antoinette« Elle incarne ce modèle de grâce et d’élégance qui devait autant fasciner qu’agacer son beau-frère. » Le comte de Provence, futur Louis XVIII, n’est pas censé régner un jour, même s’il est longtemps le numéro 2 dans l’ordre de succession. Il n’a pas beaucoup d’estime pour son aîné, Louis XVI.
Il est persuadé qu’il ferait un bien meilleur roi que lui. Éternel second, place qu’il déteste au plus haut point, il semble en outre secrètement amoureux de Marie-Antoinette. Mais cet amour ne peut être qu’un amour contrarié. De plus, elle est avec lui assez joueuse et donc humiliante, et de l’amour à la haine, il n’y a qu’un pas. Éternel second et éternel jaloux : jaloux d’Axel de Fersen, amant présumé de la reine, jaloux de la beauté de celle-ci, qui ne fait que mettre en évidence le manque de grâce de sa propre femme.
Ses années de jeunesse sont faites de frustrations et d’humiliations, pas étonnant qu’il soit devenu un homme que l’on dit sans cœur. C’est presque avec douleur que nous lisons qu’il avait dans son cabinet de travail un portrait de sa belle-sœur bien longtemps après qu’elle est morte.
Ce n’est pourtant pas par amour, mais bien par opportunisme, comme ce livre vous l’apprendra, qu’« en quelques années, il réussit le tour de force de réinventer la figure de Marie-Antoinette, instrumentalisant son souvenir de manière à servir sa propre propagande royale ».
Sa mère, Marie-Josèphe de SaxeDeux femmes ont donné trois rois à la France : Catherine de Médicis (François II, Charles IX et Henri III) et Marie-Josèphe de Saxe (Louis XVI, Louis XVIII et Charles X). Leur travail s’arrête là. C’est terrible à écrire, surtout aujourd’hui, mais à l’époque, les reines ou dauphines ne servaient qu’à créer des alliances avec d’autres puissances par des mariages arrangés et à donner des héritiers aux trônes des pays qu’elles avaient épousés.
Chouette perspective ! Le cas de Catherine de Médicis est certes un peu plus complexe... Passons. Tout cela pour tenter d’expliquer que nous en savons généralement moins sur Marie-Josèphe de Saxe que sur bien d’autres. Néanmoins, Louis XVIII essaya bien de la faire connaître et dès 1817, il autorisa, voire favorisa, la publication d’une hagiographie sur sa chère mère par le très dévot abbé Sicard.
Présentée comme un « véritable négatif de la Cour corrompue de Louis XV et de la frivolité de sa belle-fille, Marie-Antoinette », le but n’était pas de rendre hommage à sa mère — dont il n’était pas le préféré et il le savait — mais bien de prouver au peuple que son règne serait vertueux et respectueux, contrairement aux précédents.
Ses sœurs, Madame Clotilde et Madame ÉlisabethIl ne les a que peu connues physiquement, même s’il a correspondu avec elles, surtout avec Clotilde. Mais en tant que « roi qui a fui la Révolution, il ne peut se prévaloir du malheur qu’à travers celui subi par les membres de sa famille ». Madame Élisabeth a suivi Louis XVI et Marie-Antoinette au Temple puis à l’échafaud. Madame Clotilde, sœur aînée, connaîtra un destin plus classique pour son rang puisqu’elle fut reine de Sardaigne de 1796 à sa mort et aura même « la chance » de vivre assez heureuse en couple.
Cela ne lui évitera pas les malheurs, mais déjà de son vivant elle était réputée pour être très pieuse et à sa mort les Napolitains lancèrent quasi instantanément la légende de la « reine-sainte ». En 1808, le pape Pie VII lui « conféra le titre de Vénérable et introduisit sa cause en béatification ».
Une aubaine pour Louis XVIII, qui sut fort bien communiquer sur une sœur presque sanctifiée et une autre morte en martyre.
Son épouse, Marie-Joséphine de Savoie« Cette presque reine, jugée disgracieuse, décadente et indomptable, est le fruit d’une éducation plus qu’austère, très tôt marquée par une union dynastique qui la condamne au malheur conjugal avec un prince qu’elle déteste avant de finir par le supporter ». Lui qui voue une admiration pour la beauté de sa belle-sœur, ne peut que très mal vivre, également, cette union. Est-ce qu’elle fut consommée ? Il semble que oui, mais sans certitude. On supposera qu’il était impuissant et qu’elle aimait les femmes. A priori plus facile à imaginer que de simplement se dire qu’ils n’éprouvaient que répulsion l’un pour l’autre.
Ils vont fuir ensemble la Révolution, ensemble, mais séparément. Leur fuite à eux sera un succès, mais dès lors ils ne feront plus que se croiser. Éphémère reine de France à la mort du pauvre petit Louis XVII dans les geôles du Temple, elle aura le bon sens de mourir en Angleterre, probablement d’une cirrhose. Belle occasion pour Louis XVIII de rendre un hommage digne de ce nom à sa femme la Reine et ainsi se faire reconnaître par les autres cours… Entendons, celles ennemies de Napoléon.
Sa favorite, Anne Nompar de Caumont-La Force, comtesse de BalbiS’il a tendance à passer pour un opportuniste sans cœur, Louis XVIII est néanmoins capable d’attachement. Mais cet attachement est jalousement contrôlé et forcément exclusif. Impuissant ou non, il a besoin d’émulation et nous l’aurons compris, cette émulation est plus cérébrale que sexuelle, quand il rencontre celle qui deviendra sa favorite, il « voit en elle une partenaire à sa mesure ». Elle va être d’une grande importance dans les années révolutionnaires et va aider à la fuite du futur couple royal.
Néanmoins, elle finira par avoir une aventure avec le comte Archambaud et tombera enceinte. « Monsieur, informé, ne peut supporter ce camouflet. En 1795, une lettre vient lui signifier la rupture, même s’il lui conserve une pension de 2400 livres. » Il est cependant plus que jamais persuadé du besoin qu’il a d’avoir une femme spirituelle à ses côtés.
Se pourrait-il qu’il la trouve en Marie-Thérèse Charlotte de France, sa nièce ?Fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette, elle a survécu à l’enfermement et échappé à la guillotine. Une fois libérée, elle prend la route de la cour de Vienne, berceau de sa mère. Elle devient de fait un enjeu politique. « Louis XVIII regarde comme une menace ce risque de voir la princesse s’attacher de trop près à sa famille maternelle. » Il finit par la « récupérer » en mettant largement en scène ces émouvantes retrouvailles.
« Le retour à ses côtés de “la princesse dont les infortunes sont sans égales” doit permettre à Louis XVIII de construire un nouveau récit monarchique. » Mais la belle entente est de courte durée, et si en public il faut donner le change, en privé, c’est une autre histoire. La duchesse a développé un caractère difficile et est beaucoup plus conservatrice que son oncle et ne le lui cache pas. Cette nièce triste et revêche finit par agacer le roi.
Sa dernière compagne, Zoé Victoire Talon, comtesse de CaylaPersonnage oublié, favorite sans être comparée à une Montespan ou une Pompadour, ne bafouant aucune reine, issue d’une famille illustre, elle n’en est pas moins considérée comme une intrigante et une ambitieuse. Élève de Madame Campan, elle fut la camarade de classe de la fille de Joséphine de Beauharnais, Hortense, des nièces de Napoléon Bonaparte et même de la fille d’un futur président des États-Unis. Elle resta d’ailleurs amie avec Hortense malgré quelques éloignements forcés causés par des allées et venues sur le trône de France.
Certains ont vu dans l’histoire entre Louis XVIII et la comtesse une sorte de relation filiale, « Ceci est sans doute proche de la réalité ». Loin d’être sénile même si son corps le lâche, il appréciait aussi la femme dont il exigeait des visites régulières. Bien sûr, elle sut en tirer profit pour elle et les membres de sa famille, mais permit probablement d’égayer de sa jeunesse les derniers jours d’un homme, en vérité, terriblement seul.
Un livre à lire pour la richesse des portraits qui nous sont proposés et qui nous permettent de mieux comprendre cet homme qui ne chercha, certes souvent bien maladroitement, qu’à se faire aimer.
Oserais-je vous demander de faire l’effort de vous mettre à sa place ?
Texte très bien écrit à la hauteur du livre lui-même.