Le roi, la reine, le cardinal et le portrait, par Joseph Navlet

Je voudrais consacrer quelques lignes à cet étrange tableau exhumé hier en cherchant des illustrations de l'affaire du collier. Je l'agrandis un peu pour nous permettre de mieux en distinguer les détails:





Nous en avions un peu discuté ici.
https://maria-antonia.forumactif.com/t229p30-la-comtesse-jeanne-de-la-motte

A l'époque, nous l'avions tout simplement placé dans la section qui concerne l'affaire du collier. Or, en fouillant le net hier, j'ai retrouvé cette peinture sous le titre Louis XVI and his wife Marie Antoinette receiving a cardinal, ce qui m'a d'abord semblé fort vague.

Précisons le contexte: il s'agit d'une peinture à l'eau d'un artiste assez peu connu du XIXe, Joseph Navlet. Cette petite oeuvre (47 x 59 cm) fut vendue chez Christie's en 2000.
http://www.christies.com/lotfinder/joseph-navlet-louis-xvi-and-his-wife/1842434/lot/lot_details.aspx?from=searchresults&intObjectID=1842434&sid=1663eea2-3e4a-483f-a1f7-9033abfa5590

On y voit Louis XVI et Marie Antoinette, facilement identifiables, recevant en effet un cardinal, tout aussi reconnaissable à sa pourpre. Un peu en retrait sur la gauche, deux figures masculines et encore plus à l'arrière tout à droite deux silhouettes féminines à peine perceptibles.

Mais surtout, surtout, dominant toute la scène, le portrait de la reine avec ses enfants. Etait-il aussi célébrissime que de nos jours lorsque Navlet réalisa son petit dessin? Ou bien l'artiste a-t-il pu oser une sorte de private joke?

Ben oui... Car, si ce cardinal en audience est bien Rohan, le tableau de Madame Vigée Lebrun ne peut en aucun cas se trouver là. Scandale du collier: 1785. Portrait de la reine avec ses enfants: salon 1787.

So what??

On comprend du coup mieux la réserve du titre qui fait allusion à un cardinal.

Pourtant, quand on examine plus attentivement l'illustration de Navlet, tout nous y ramène à l'affaire du collier, non? A commencer par le protagoniste lui-même, qui met la main sur le coeur, comme pour jurer. Une attitude que nous prêterions volontiers à Rohan pris à partie par le couple royal.

... dont l'attitude correspond elle aussi. Ils sont tous les deux très raides. Est-ce juste moi, ou Louis XVI semble même carrément offensé?

Les deux hommes qui entourent le cardinal peuvent être Miromesnil et Breteuil, respectivement garde des sceaux et ministre de la Maison du roi. Tous deux présents à l'entretien qui eut lieu entre les souverains et Rohan en ce 15 août 1785.

Regardez Breteuil... il est tout à fait comme sur son portrait:



https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Auguste_Le_Tonnelier_de_Breteuil

Quant au tableau anachronique lui-même, c'est peut-être le détail le plus pertinent, puisqu'il nous ramène en droite ligne à l'affaire du collier. En effet, il est une réponse à ce scandale, la reine voulant être représentée dans ce qui l'asseyait le mieux dans sa fonction: son rôle de mère.

Elle fait donc appel à son amie Vigée en septembre 1785. Nous connaissons la suite: la peintresse n'a pas l'habitude de ce genre de portraits de groupe, ça traîne, sur ces entrefaites naît puis décède la petite Sophie, d'où le berceau présent mais vide...





Toujours est-il que, quand Navlet réalise sa composition, l'Histoire est déjà écrite et les destins scellés. La Restauration a déjà exalté les figures tragiques des Enfants du Temple et il est bien ancré dans les esprits qu'ils furent deux.





L'aquarelliste suit donc trait pour trait son modèle... mais en l'amputant.

Conclusion?

Eh bien, pour moi, cette petite peinture à l'eau nous raconte effectivement la catastrophe du collier. Je dirai même que le contexte est scrupuleusement rendu.

Venant appuyer la narration, un anachronisme. Maladroit? Volontaire?

Il fonctionne en tout cas extrêmement bien, comme une mise en abîme, un raccourci qui placerait L'Histoire en face d'elle-même et la reine au pied de son destin.

Bonjour,

Il est vrai que ce tableau pose problème. Rien n'a encore été dit sur les deux femmes derrière la Reine Marie-Antoinette. Peut-être faut-il y voir Mmes de Lamballe et de Polignac, voire Mme Elisabeth. Il n'est pas exclu non plus que le peintre se soit simplement conformé aux usages curiaux en figurant la Reine accompagnée de Dames de sa Suite.

Bien à vous tous

madame antoine

Très intéressant Merci