L'affaire serait-elle relancée ?
Le tableau perdu de David se cache-t-il dans les murs du château de Saint-Fargeau ?
C’est une énigme de l’histoire de l’art. Les « formidables murs roses » du château de Saint-Fargeau cachent-ils un tableau du peintre David, illustrant l’une des scènes les plus emblématiques de la Révolution française ? « Peut-être », murmurait Jean d’Ormesson, un ancien habitant des lieux...
Le mystère reste recouvert par une épaisse couche de poussière rose. Mais à force de s’effriter, les briques du château de Saint-Fargeau finiront peut-être, un jour, par dévoiler leur secret…
« Au début, on s’excitait. On a fouillé, creusé, avec nos marteaux, nos burins… mais on a fait chou blanc. Imaginez-vous ! Ici, les murs médiévaux font 3 mètres 70 d’épaisseur ! Puis à force de tomber sur des mortiers de silex imperçables, on en a eu ras-le-bol », confie Michel Guyot, l’actuel propriétaire du château de Saint-Fargeau.
Lorsqu’il acquiert, en 1979, ce pentagone de briques roses, Michel Guyot entend vite parler de la légende qui entoure l’édifice : une toile du peintre David serait emmurée dans le château.
- « Sur la toile, on nous a raconté des tas de trucs. Entre autres, qu’à certains soirs d’hiver de la fin du XIXème siècle, la marquise de Mortefontaine faisait évacuer tout le personnel pour descendre, à la lanterne, l’escalier à vis de la tour Jacques-Cœur, et se recueillir devant un endroit secret : l’emplacement où avait été emmurée la fameuse toile de David représentant Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau sur son lit de mort. »
MICHEL GUYOT (Propriétaire actuel du château)
Louis-Michel Lepeletier, marquis de Saint-Fargeau, c’est l’histoire d’un aristocrate révolutionnaire. D’un noble qui défend la cause du Tiers-État. En mai 1789, il est élu député de la noblesse aux États généraux, mais siège à la gauche de l’Assemblée, parmi les Montagnards. Après la prise de la Bastille, puis la nuit du 4 août, il renonce lui-même à ses droits seigneuriaux. Le 19 juin 1790, il fait voter qu’aucun citoyen ne pourra porter d’autre nom que celui de sa famille « réduit à sa plus simple portion ». Ne l’appelez plus Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, mais « Michel Lepeletier ».
Le 21 juin 1790, il est élu président de l’Assemblée nationale. En septembre 1792, lorsque sont organisées les premières élections au suffrage universel (masculin), il se présente devant les citoyens de l’Yonne, qui lui accordent sa réélection. Puis vient le procès de Louis XVI…
Buste de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau. Photo Jérémie FulleringerLe 15 janvier 1793, le roi est déclaré coupable. Dans la nuit du 16 au 17, chaque député passe à la tribune et annonce la peine qu’il choisit : emprisonnement, mort avec sursis, peine de mort immédiate ? Lepeletier, l’aristocrate, vote la mort du roi. Peine capitale, voix capitale. Car la peine de mort n’obtient la majorité (fixée à 360) qu’à une voix près (361).
C’est là que son destin chavire. À la veille de l’exécution de Louis XVI, guillotiné le 21 janvier 1793, Lepeletier dîne dans un restaurant parisien. Un homme s’approche de lui. « C’est toi, scélérat de Lepeletier, qui as voté la mort du roi ? », demande l’homme, dénommé Pâris. « J’ai voté selon ma conscience ; et que t’importe ? » lâche le député de l’Yonne. Pâris, qui se trouve être un ancien garde-royal de Louis XVI, lui passe alors son glaive dans le corps. Lepeletier s’écroule. Transporté à son domicile parisien, il décède quelques heures plus tard, sur son lit. Mort pour avoir voté la mort du roi.
La scène de l'assassinat de Lepeletier de Saint-Fargeau. Photo Jérémie FulleringerLepeletier devient le premier « martyr de la Révolution ». Des funérailles nationales sont organisées en sa mémoire. Son corps, couronné de laurier, est exposé place Vendôme. Puis on l’inhume au Panthéon. Mais surtout, le peintre David, qui était aussi député et qui avait également voté la mort du roi, décide de lui rendre hommage en réalisant un tableau.
Cette toile de David, intitulée
Lepeletier de Saint-Fargeau sur son lit de mort, a cela d’exceptionnel qu’elle formait un diptyque avec l’un des plus célèbres tableaux du peintre : son Marat assassiné, gisant dans sa baignoire après avoir été poignardé par Charlotte Corday. Ces deux œuvres, toutes deux peintes en 1793, furent accrochées côte à côte à la Convention (l’ancienne Assemblée nationale), de part et d’autre du fauteuil du président, jusqu’en 1795. Historiques, artistiques, elles sont emblématiques de la Révolution française.
Au château, une reconstitution de La Mort de Lepeletier de Saint-Fargeau, la toile perdue de David. Photo Jérémie FulleringerSi aujourd’hui, Marat assassiné est conservé au musée des Beaux-arts de Belgique, à Bruxelles, où le peintre-révolutionnaire David a fini ses jours, contraint à l’exil après la Restauration, il n’en est pas ainsi de Lepeletier de Saint-Fargeau sur son lit de mort. Cette œuvre, maudite, a disparu. À jamais ?
- Suzanne, la fille de Lepeletier, devenue royaliste, l'acheta aux héritiers de David pour la somme considérable de 100.000 francs, et la fit brûler peu avant sa mort. Elle tenait à débarrasser le monde de cette image de son père.
SIMON LEE, HISTORIEN DE L'ART Auteur d'une biographie de David (Phaidon, 2002)
Suzanne n’a pas onze ans quand son père, Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, est assassiné. Les révolutionnaires font d’elle la première « pupille de la Nation ». À la Convention, Robespierre la prend dans ses bras et la présente aux députés : « Citoyens, voici votre fille ; enfant, voici tes pères ! »
Un hommage national a été rendu à Lepeletier de Saint-Fargeau, le 24 janvier 1793.
Son corps, couronné de lauriers, a été exposé place des Piques, à Paris. L'actuelle place Vendôme.
Photo Jérémie FulleringerEt Suzanne grandit. La Révolution laisse place à la Restauration. Au château de Saint-Fargeau, Suzanne, devenue ardente royaliste, fait tout pour récupérer les souvenirs liés à son père. Pas pour le chérir, non. Pour le honnir. Elle veut prendre sa vengeance sur son traître, son régicide de paternel. Celui qui a jeté l’opprobre sur le noble nom des Lepeletier. Selon la version la plus communément admise par les historiens, après avoir réussi à acheter la toile de David, en 1826, Suzanne la brûle.
Jean d'Ormesson raconte l'autre version de l'histoireOui, mais d’autres versions circulent. Comme cette légende « familiale » rapportée par un certain… Jean d’Ormesson. « Suzanne Lepeletier de Saint-Fargeau était l’arrière-grand-mère de la grand-mère de ma mère », a écrit l’Académicien en 2010, dans Le Figaro, pour une série d’articles consacrée aux énigmes de l’art. L’écrivain a en effet passé ses vacances d’enfant, d’adolescent, dans le château de Saint-Fargeau, propriété de sa famille jusqu’en 1967.
- « La tradition familiale assure que Suzanne a dissimulé le tableau honni de David dans l’épaisseur des murs de Saint-Fargeau. On avait bien fait venir des voyants, des sourciers, des chercheurs de tout poil. Tous ces efforts n’ont jamais rien donné. »
JEAN D'ORMESSON (Le Figaro, 2010)
Au château, où reposent aujourd’hui, dans la chapelle, les dépouilles de Suzanne et de son père, Louis-Michel (dont le corps fût finalement exhumé du Panthéon pour être transféré dans la propriété familiale), l’espoir de retrouver la toile de David s’amincit. « On a fait passer des radiesthésistes, des gens avec des pendules, des poêles à frire… mais sans grand succès », répète Michel Guyot, propriétaire.
Las, il a stoppé les recherches. « On n’a jamais mené de fouilles exhaustives, concède Michel Guyot. L’espoir, je ne le nourris pas trop. Si on avait la certitude que la toile était emmurée, on aurait mis le paquet. Sauf qu’on n’en a pas la certitude. On nous a dit qu’elle a pu être été peinte en blanc, avec une peinture à l’eau, et repeinte par-dessus… On nous a dit qu’elle dort peut-être tranquillement chez une famille, d’une branche indirecte, qui en aurait hérité à la faveur d’une succession… »
Mais le doute subsiste. « Dans l’acte notarié de vente que l’on a signé en février 1979, il y a une clause qui stipule que cette toile serait emmurée à Saint-Fargeau. Et que si, un jour, elle venait à être retrouvée, elle devrait être léguée à un musée national. Ça, c’est un élément factuel », songe Michel Guyot.
Entre les briques roses, le mystère demeure. Personne n’a encore découvert le pot aux roses. « Ce mystère pourrait susciter bien des convoitises, s’amuse le propriétaire. Parce qu'à regarder la cote de David aujourd’hui... elle s’approche de celle de Picasso ! »
« Nous disposons de nombreux témoignages sur le chef-d’œuvre de David », conclut enfin Jean d’Ormesson dans la chronique qu’il avait consacrée à l’énigme.
- « Mais le tableau lui-même est sans doute perdu à jamais. Peut-être dans les formidables murs roses du château de Saint-Fargeau. »
JEAN D'ORMESSON
Alors si les Académiciens sont immortels, les légendes qu’ils racontent peuvent bien, elles aussi, traverser les siècles…
Et les murs ?
Romain Blanc
https://www.lyonne.fr/accueil.html
Saint Fargeau