Outre-mer, les îles à sucre, l’esclavage...

J'ai beaucoup appris avec ce sujet lancé par Mr de CALONNE; je suis ravie et vous remercie de tout ceci parfaitement écrit et illustré.
Et une petite citation pour vous remercier :

- Zeus à la grande voix prive un homme de la moitié de sa valeur, lorsqu'il abat sur lui le joug de l'esclavage -.(HOMERE, l'Odyssée, XVII, 322-. )

De H.B. STOWE - la case de l'oncle TOM :

- L'esclave est un tyran dès qu'il le peut -............et ça.....l'on peut le retourner dans tous les sens,...c'est ...à l'infini !

Et, tenez, en voici une autre :

Sur cette vaste plantation, ce n'est pas la pluie mais la sueur de mon front qui arrose les récoltes
Sur cette vaste plantation, il y a du café mûr, et ce rouge cerise,
Les gouttes de mon sang en ont nourri la sève.

( Antonio Jacinto )

Pour le port anglais, deux seulement peuvent remplir cette condition : Portsmouth et Southampton, je pense.

Durfort a écrit:

J'ai eu l'occasion de visiter une de ces splendides demeures Bordelaises, dans les caves qui sont immenses, on trouve encore les anneaux de fer où passer les chaines des esclaves, c'est impressionnant, le port de Saint Nazaire aussi faisait le commerce des esclaves, mais le plus grand port européen  est anglais, et je ne me souviens plus de son nom, il faudrait que je fasse des recherches.

Oui, oui, Nantes et Bordeaux avaient certainement le pompon quant au dynamisme du commerce triangulaire, mais d'autres villes s'illustrèrent dans cette activité hautement lucrative.

Au Havre, par exemple sévit et s'enrichit prodigieusement la famille Foäche. D'ailleurs, la liberté de commercer avec les îles marque, en 1717, le véritable essort du port et de la ville du Havre.
Les grandes familles havraises, en tout cas dans la période 1765 / 1778, cumulent souvent les charges d'armateurs et d'assureur maritime, parfois de banquier, propriétaire et gérant de plantations et raffineries de sucre.
Mais les frères Foäche sont sans conteste le haut du panier . Stanislas est ce que l'on appelle aujourd'hui un grand capitaine d'industrie et les lettres qu'il expédie à son aîné, Martin, constitue un véritable guide du commerce de traite et fournissent une mine de renseignement sur la vie économique dans l'île de Saint-Domingue.
En 1799, Martin se porte acquéreur de cette magnifique demeure, y élit domicile, y installe ses bureaux, d'où son nom actuel Maison de l'armateur.
La voici (bien sûr, la marqueterie des parquets est en bois... exotique !)

Au XVIIIème, l'exploitation de l'esclavage et le commerce triangulaire à la clef sont pratiques tellement décomplexées (dirait notre président) qu'à Nantes, la façade d'un négociant négrier ne rougit pas d'arborer une enseigne représentant un petit enfant africain :

Du reste, si des âmes sensibles pouvaient s'émouvoir de telles pratiques, Le parfait négociant de Jacques Savary balaye les derniers scrupules : cette véritable Bible des négriers explique comment les pauvres gens et les esclaves doivent trouver dans les îles une servitude plus douce...

A Nantes, c'est la famille Grou qui s'enrichit si soudainement et prodigieusement qu'elle laisse loin derrière les autres négociants négriers.
Je crois l'avoir dit en amont, de 1714 à 1765, les Grou à eux seuls financent 114 expéditions dont plus de 50 pour la traite.
Dans le port, un navire sur dix est un Grou, et, même si la Guerre de Sept ans vient un peu perturber et freiner les affaires, en 1793, la fortune familiale est estimée la coquette somme de 4 4OO OOO livres    .
Une partie de ces biens est saisie à la Révolution, dont quantité de diamants.

Journal d'armement de la Sirenne, navire négrier de Grou & Michel, appareillant pour la Guinée, en 1751 :

Je vous livre un extrait édifiant du Parfait négociant :

Ce commerce paraît inhumain à ceux qui ne savent pas que ces pauvres gens sont idolâtres ou Mahométans , et que les marchands chrétiens en les achetant à leurs ennemis, les tirent d'un cruel esclavage,  et leur font trouver dans les îles où ils sont portés, non seulement une servitude plus douce, mais même la connaissance du vrai Dieu, et la voie du salut par les bonnes instructions que leur donnent des prêtres et des religieux qui prennent soin de les faire chrétiens, et il y a lieu de croire que sans ces considérations, on ne permettrait point ce commerce.
Ceux qui l'entreprennent doivent donner de si bons ordres pour la nourriture, transport et bon gouvernement de ces pauvres misérables, qu'il n'en meure aucun par leur faute, et dont ils aient un jour à rendre compte.

Alléluia !

La traite est considérée comme un négoce ordinaire. Les nègres, comme on les appelle, destinés à l'esclavage des plantations antillaises, sont livrés, le plus souvent par leurs propre frères de couleur, contre des armes, des alcools, de la verroterie, des étoffes...

En 1780,  les fabricants d'indiennes (comme ci-dessous) de Nantes ne produisent pas moins de 150 000 de ces pièces de tissu par an, pour le seul échange contre des esclaves sur les côtes africaines.




Les indiennes sont un tissu qui a connu beaucoup de succès  .
Voici une adresse :

http://www.musee-impression.com/.../indiennes.html -

Je crois que ce succès ne se dément pas, chère Princesse !

Oh que oui, vous avez raison. Pouvoir porter des robes dans un tel tissu, quelle classe !
Ne le dîtes pas mais j'en rêve ! Ah , l'on devrait pouvoir refaire les tissus d'antant !

Plus au sud, la Rochelle est un haut lieu du commerce triangulaire.
Dans ses grandes familles, les allliances se concoctent toujours dans le même petit monde fermé du commerce maritime rochelais, en grande majorité protestant et souvent propriétaire à Saint-Domingue.
Comme au Havre , à Nantes, et Bordeaux où nous descendrons ensuite, l'essort et la prospérité de la Rochelle repose sur la traite des esclaves.



Et, comme je vous ai parlé des Foäche au Havre, ou des Grou à Nantes, intéressons-nous maintenant au rochelais Aimé-Benjamin Fleuriau, nous verrons que l'esclavagisme mène à tout y compris à l'anoblissement.
Pourtant lorsque Aimé-Benjamin s'embarque pour les îles en 1729, où il doit retrouver son oncle, sa situation est loin d'être brillante. Son père vient de mourir en déposant le bilan de sa raffinerie . La dette monte à plus de 120 000 livres.

Arrivé à 20 ans, il passe les 27 années suivantes à travailler avec son oncle d'abord, à voler de ses propres ailes ensuite. Il traite dorénavant ses propres affaires qui consistent en réception et chargement de navires, vente de cargaisons d'esclaves.
Il a de nombreux enfants de sa ménagère, Jeanne Guimbelot esclave libre.
Il monte et fait prospérer la sucrerie Fleuriau de Bellevue.

A son retour à la Rochelle, en juillet 1755, il est à la tête d'une entreprise coloniale florissante. Il s'installe dans une aisance bourgeoise qu'il conforte encore en épousant la fille d'un riche commerçant rochelais.
Est-il pleinement satisfait ?  
Non !  Il sollicite avec opiniâtreté une consécration officielle, un anoblissement en bonne et due forme.

Il le réclame cet anoblissement, en 1775, pour récompense des signalés services qu'il a rendu à l'Etat dans le commerce des îles.
Niet, répond Sartine alors ministre de la marine, s'il fallait ainsi distinguer un colon dont les services se réduisent en somme à l'établissement d'une sucrerie.
Il faudra encore un an à Fleuriau pour obtenir une charge d'officier commensal de la  Maison du Roy, trompette de la chambre du Roy, c'est à dire ce type de charge anoblissante à la seconde génération que les nobles d'extraction appelaient dédaigneusement  la savonnette à vilain.

Aujourd'hui, au coeur de la Rochelle, le somptueux hôtel particulier de Fleuriau abrite le musée du Nouveau-Monde.

En descendant encore un peu, j'arrive à Bordeaux !  Sosso, mets les glaçons dans le four !

Bordeaux est d'un dynamisme étourdissant : entre 1672 et 1837, ce sont près de cinq cents expéditions négrières qui quittent son port pour cingler vers le continent africain.
La palme de la famille négrière incontestablement la plus active revient de droit aux Nairac qui, en 18 expéditions, déportèrent plus de 8000 Noirs !



En 1777, la maison Paul Nairac est la plus imposée de Bordeaux avec une capitation de 700 livres. Ces Nairac se sont refait, depuis,  une honorabilité en évoluant de la traite esclavagiste... vers la vigne !
Mais le cas exceptionnel et l'enrichissement prodigieux des Nairac ne doit pas masquer la situation générale des armateurs négriers bordelais qui font pâle figure auprès de leurs homologues nantais.

Je bois je bois
Tes illustrations sont magnifiques

C'est dingue , quand je regarde le tableau représentant Bordeaux et les bords de la Garonne , je découvre que rien n'a changé aujourd'hui !  

Ces fières et superbes façades du XVIIIème siècle sont de nos jours protégées par l'Unesco , mais que personne n'oublie que cette richesse de deux siècles est due en grande partie au commerce d'êtres humains .

Jolies photos Mme Sophie. J'adore Bordeaux, ville toute XVIIIèmisée...

C'est un choc, tout ça.

CALONNE a écrit:

En fait, pour cette femme, c'est le flou : quand une femme entrait au harem, elle recevait un nouveau nom et toute trace de son passé était détruite. Côté MARTINIQUE, il semble qu'elle était orpheline et qu'elle rejoignait la FRANCE pour entrer au couvent. Elle aurait été enlevée dans le début des années 1780. On pense qu'elle s'appelait Aimée DUBUC DE LA RIVERIE.

Pour illustrer le souvenir du rapt et de la vente comme esclave d'Aimée du Buc de la Riverie, je vous propose Le marchand d'esclaves, de Louis Devedeux (Rennes, Musée des Beaux Arts).
Il est inutile de préciser combien une femme blanche et belle était une prise de choix !

Voici un livre en rapport avec le sujet :

Journal d'un négrier au XVIIIe siècle : Nouvelle relation de quelques endroits de Guinée et du commerce d'esclaves qu'on y fait (1704-1734) /
de William Snelgrave, Pierre Gibert , A. Fr. D. de Coulange
Editions Gallimard, 2008, 254 p : 19 euros

Voici ce que dit Amazone :

"Publié en 1734 en Angleterre et aussitôt traduit en français l'année suivante, ce récit original d'un capitaine négrier anglais, retrouvé dans la bibliothèque de Tocqueville par Pierre Gibert, un des éditeurs de sa correspondance, apporte une information de première main sur la traite des Noirs entre la côte de Guinée et les Antilles. S'il est rédigé avec un talent de narrateur plutôt inhabituel qui conjugue de véritables qualités d'historien, d'observateur, d'ethnologue avant la lettre avec celles de conteur d'aventures, il s'affiche clairement au service d'une thèse : la légitimation de l'esclavage. Mais en témoignant de la sorte de ces pratiques commerciales, maritimes et politiques de grande envergure, il révèle à son corps défendant le malaise qu'il éprouve comme il démontre la pertinence des objections qui lui sont faites. De ce singulier plaidoyer qui se détache de la production, d'ailleurs assez rare, des journaux de bord de marchands d'esclaves, Pierre Gibert présente, dans une introduction éclairante, l'indispensable édition critique."

Une pensée émue pour Haïti / Saint-Domingue tellement meutrie, et tous ces pauvres gens qui souffrent...

C'est une telle catastrophe pour ce pauvre pays ! Et tous ces pauvres gens qui ont tout perdu et qui errent sans but ...
J'en ai les larmes aux yeux !
Voici une référence sur ce pauvre pays :

Haïti au XVIIIe siècle : richesse et esclavage dans une colonie française d'Alexandre-Stanislas Wimpffen
Karthala , 1993, 317 p : 25 euros

Tout spécialement pour notre Tatie Sosso, voici une nouvelle vue du front de mer bordelais, au XVIIIème :



Tout homme né dans l'esclavage naît pour l'esclavage, rien n'est plus certain. Les esclaves perdent tout dans leurs fers, jusqu'au désir d'en sortir; ils aiment leur servitude comme les compagnons d'Ulysse aimaient leur abrutissement. S'il y a donc des esclaves par nature,  c'est parce qu'il y a eu des esclaves contre nature. La force a fait les premiers esclaves, leur lâcheté les a perpétués.

( Jean-Jacques Rousseau )

L'esclave est un serviteur qui ne discute point et se soumet à tout sans murmurer. Quelquefois il assassine son maître, mais il ne lui résiste jamais.

( Toqueville )

Mouais...j'ai du mal à comprendre la logique de cette citation
L'assassinat ne serait pas une résistance?

Beurk !
Je n'ai jamais été fan de Rousseau, qui adorait enfermer dans des cases sociales ce qu'il croyait tirer des préceptes naturels.
C'est avec la même logique qu'il rabaisse les femmes !
Je n'aime pas sa vision prédestinée des êtres, qui ouvre la voie à l'infériorité présumée et acceptée(table) de certains.