Devoirs du Maître d''Hôtel Extrait du Cuisinier Moderne, de Vincent La Chapelle. 1742Les fonctions de Maître d'Hôtel demandent des attentions très sérieuses pour bien s'en acquitter. Elles regardent d'abord la dépense générale qui se fait journellement dans une Maison, selon l'ordre qu'il reçoit du Seigneur à qui il appartient.
Pour être bon Maître d'Hôtel, il faut avoir été bon Officier de cuisine, ou d'office, cet article lui donne bien de lumières pour le rendre parfait dans fa charge: I1 doit être entendu,& capable d'établir, ou maintenir le bon ordre dans la Maison.
Lorsqu'il prend possession de sa charge, il doit dresser un état général de ce dont il est chargé par son Seigneur, & il doit suivre ses ordres: Il doit s'entendre avec son Chef de cuisine, de même avec les Officiers d'office pareillement; & enfin de rendre compte de tout au Seigneur, afin qu'il le signe,& il le gardera soigneusement, pour le représenter au besoin.
C'est au Maître d'Hôtel à choisir de bons Officiers , tant d'office que de cuisine, & de bons Marchands, permis à lui de les changer quand ils ne fournissent pas bien; quand les uns & les autres ne se trouvent pas suffisamment capables, ou ne font pas leur devoir, faute de quoi, il ne peut pas servir son Maître comme il faut.
Il doit avoir soin de se fournir de tout ce qui est nécessaire dans la Maison , & de livrer ce qu'il faut aux domestiques, fans les chagriner; en prenant sur tout garde de ne rien donner de trop à personne, pour que le bien du Maître ne se dissipe point.
C'est à lui à faire le marché avec tous les Marchands , de quelque nature que ce puisse être, de ce qui regarde la dépense de bouche.
IL est nécessaire qu'un Maître d'Hôtel se connaisse en vin pour la table du Seigneur, en toutes sortes de liqueurs, & en vin commun, qu'il achètera en pièce , & remettra entre les mains du bouteiller pour en faire la distribution, & lui en rendre compte.
Il doit aussi se connaître en viande , & faire marché, par écrit, avec le boucher, à tant par livre pour toute Tannée, tant bœuf, veau, que mouton avoir soin de faire peser la viande devant lui, & en tenir de petits livres de compte de chaque Marchands. Il doit pareillement faire marché avec un rôtisseur pour toute l'année , ou par quartier seulement, pour être bien servi, à tant par pièce , tant pour la volaille que pour le gibier : 11 doit observer le cours du grand marché pour savoir le prix de toutes choses, suivant les faisons , & prendre là-dessus de justes .mesures pour le profit du Seigneur.
Il en sera de même avec le charcutier & épicier , pour qu'il le fournisse de tout ce qu'il aura besoin.
Il doit aussi se connaître en toutes sortes de poissons, tant de mer que d'eau douce, comme aussi en toutes sortes de légumes & fruits: étant bon Officier de cuisine, ou d'office, il sera capable de acquitter des choses requises ci - dessus mentionnées.
Il doit de même faire marché avec l'épicier pour le sucre , les épiceries , bougies , flambeaux , huiles, & autre marchandises nécessaires à la maison, et aussi avec le chandelier, pour la fourniture de la chandelle.
Il est aussi de son devoir d'avoir soin du sel, du poivre, du clou de girofle,de la muscade, du massi , de la cannelle, poivre long , gomme adragante , écorces de citrons verts & confits, sucre, mousserons, truffes, anchois, olives,vinaigre, de toutes sortes de fleurs, toutes sortes de fromages; & en gênerai de toutes autres choses, dont il faut qu'il fournisse chaque jour la cuisine ...
Il aura soin des batteries de cuisines,& sera raccommoder & remplacer tout ce qui est nécessaire à la cuisine & à l'office.
De plus , il faut qu'un Maître d'Hôtel sache bien dresser un menu , & régler les services de toutes les différentes tables, qu'il plaira au Seigneur d'avoir ; aussi, doit-il connaître la délicatesse de toutes sortes d'entrées , de potages , rots, & entremets , fans cela il lui est impossible de dresser un menu dans fa perfection requise: & pour cet effet, il faut avoir été bon Officier de cuisine ou d'office; fans quoi il ne pourra jamais dresser un menu , à moins d'avoir recours à ces mêmes Officiers de cuisine ou d'office.
Quand le Seigneur voudra donner un repas extraordinaire, c'est au Maître d'Hôtel à prendre ses précautions, en s'informant chez les marchands , savoir ce qu'il y aura de meilleur, comme chez le boucher, chez le ronfleur & ailleurs, afin d'avoir ce qu'il y aura de plus nouveau & de meilleur: pour cet effet,il ordonnera aux Officiers de cuisine de visiter les batteries , & consultera avec eux sur ce qui sera nécessaire pour le repas.
Il en fera de même avec les Officiers d'office; à l’égard du fruit la quantité de plats de fruits, & compotes qu'il faudra servir, i1 prendra un beau plan pour la table , en y arrangeant touts les services, & remarquant bien les différentes grandeurs de ses plais, & ce qu'il mettra dedans.
Il se munira le plus qu'il pourra de vaisselle & de batteries, <& en jetant un beau plan de table, il fera ses menus le mieux, & le plus délicatement qu'il pourra; & s'il faut, pour servir, plus d'Officiers qu'il n'y en a au service du maître, il est de sa prudence de consulter avec les Chefs de la maison, qui on prendra, afin que tout soit bien ordonné , & que rien ne s'égare à la cuisine ou à l'office.
Il sera toujours mettre le couvert de bonnet heure, ayant soin que le tout soit bien arrangé, le buffet bien garni, & que les domestiques soient prêts à servir , & n'interrompent pas les Personnes qui font à table.
Après qu'il aura servi un service , il se tiendra un moment auprès de la table, pour voir si personne n'a rien à lui dire sur le service; si l'on se plaint d'un plat, il doit le dire honnêtement à l'Officier de la cuisine, qui l'aura fait, afin qu'une autre fois il y prenne garde; & si on se loue de quelque plat, il doit de même en avertir lesdits Officiers , afin qu'ils continuent dans le même goût.
Après quoi, il retournera à la cuisine, fera dresser son autre service; ensuite, le Maître d'Hôtel appellera tout son monde pour en lever les plats, après avoir donné un coup d'œil sur tout le service, afin de bien remarquer la grandeur de ses plats, grands, moyens ou petits , & comment ils doivent être placés sur la table car rien n'est plus désagréable que de voir un service embrouillé, confus, ou mal rangé , ce qui gâte tout le service, & ne fait honneur ni tu Maître ni aux Officiers.
Après le dernier service de Cuisine, le Maître d'Hôtel ira voir son Fruit à l’office, & le fera arranger sur une table, de la même manière qu'il doit être servi sur celle du Seigneur, on approchant, afin qu'il remarque, où il placera ses plats de fruit, compotes & autres: Et pour servir le frais, il ôtera généralement tout ce qui est sur la table, & la première nappe, aussi biens que le cuir de roussi, qui doit être entre celle qui vient d'être ôtée, & celle qui doit se trouver sous ce cuir pour servir le dessert dessus.
Avant que de poser le premier plat de fruit, & après qu'il aura servi tout, il restera un moment, pour savoir, si on n'a rien à lui dire sur le Fruit; & ensuite, il ira à la Cuisine remarquer ce qu'on a desservi, & s'il n'y a rien qui puisse servir une seconde sois; & ordonnera au Chef de cuisine de le faire distribuer aux Tables qui doivent être servies après celle du Maître.
Quand on voudra donner un repas réglé, il faut avoir égard au nombre de Personnes pour placer vos couverts, & à la qualité des viandes pour les bien ordonner, afin d'éviter le voisinage de deux plats d'une même façon, sans en intermedier un d'une autre forte car, autrement la chose serait de mauvaise grâce, & pourrait contraindre le goût de quelques Personnes de la Table, chacun n'aimant pas la même chose.
C'est chose qui arrive souvent dans les grands repas.
Aussi, faut-il observer la forme de la Table pour la disposition de vos plats & de vos couverts, afin qu'il y ait un tel ordre, que chacun puisse prendre ce qui conviendra à son appétit, & que ceux, qui serviront, ne soient point contraints en rien, & n'incommodent personne en servant ou desservant; ce qui est une chose fort désagréable , & qui néanmoins n'arrive que trop souvent, lorsqu'on ne prend point ses précautions; & par ainsi, l'on ,ne saurait trop prendre de mesures pour ces sortes d'arrangements, & souvent les plus habilles manquent faute d'attention, où de vouloir prendre des aides.
Souvent un Maître d'Hôtel, dans une Maison qui sert une table de dix à douze Couverts, se croit fort habille homme. Pour avoir cette qualité requise, il faut savoir la travailler « l'ordonner, & l’exécuter; alors, on pourra dire que c'est un commencement & qu'il parviendra au rang des grands Maîtres.
Si les Seigneurs qui tiennent des Tables, ou qui veulent voir des Maisons réglées, faisaient choix d'un Homme, dont la capacité, la douceur, la prudence, la probité , & la fidélité lui soient connues d'un Homme, surtout, qui ait passé, pour ainsi dire, dans tous les emplois auxquels celui qu'on va lui faire occuper, doit rattacher, & dont il ne saurait dignement s’acquitter, sans une extrêmes parfaite connaissance des premiers.
Dans ce cas, on évitera mille inconvénients, qui arrivent journellement dans les Maisons, où l'on confie le plus souvent un emploi de cette importance, & de cette conséquence, à des personnes qui ont très-peu d'expérience; inconvénients, en effet, qui ne sont que trop fréquents, & auxquels on ne saurait remédier que par le bon choix.